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                                                                                                                                     IMM-2766-95

 

 

E n t r e :

 

                                                MOZUMBER, LUTFUN NAHAR,

 

                                                                                                                                        requérante,

 

                                                                             et

 

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                                 intimé.

 

 

                                   MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE DENAULT

 

            La requérante sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 septembre 1995 par l'agent des visas George Sutherland du consulat de Sydney, en Australie (le tribunal). Le 5 septembre 1994, la requérante et son conjoint, M. Reza Hasan Siddique, ont présenté une demande en vue d'obtenir le statut de résidents permanents au Canada. Dans les demandes du 5 septembre 1994, Mme Mozumber figure comme requérante principale, et M. Siddique comme requérant secondaire[1]. D'ailleurs, dans une télécopie adressée à M. Sutherland et signée par M. Barry Cartwright, expert-conseil en immigration, et qui porte la date du 29 août 1994, Mme Mozumber est désignée comme requérante principale[2]. Mme Mozumber est la seule personne qui a été évaluée, étant donné que les demandes indiquaient qu'elle était la requérante principale. L'évaluation a eu lieu le 24 mai 1995; la requérante s'est vu attribuer 68 points en tout. En conséquence, Mme Mozumber a été informée, dans la lettre du 22 septembre 1995, qu'elle ne remplissait pas les conditions voulues pour pouvoir immigrer au Canada[3].

 

            L'avocat de la requérante affirme que l'agent des visas a commis une erreur de droit en négligeant d'apprécier à la fois la demande de Mme Mozumber et celle de M. Siddique. L'avocat soutient en outre que l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité en négligeant de porter à l'attention de la requérante certains éléments de preuve extrinsèques, et plus précisément les lettres anonymes de menaces, la privant ainsi de la possibilité de répondre aux allégations qu'elles contenaient.

 

            En ce qui concerne le premier moyen invoqué par l'avocat, je conclus que les demandes que la requérante et son conjoint ont dûment remplies le 5 septembre 1994 constituent des éléments de preuve documentaire qui font foi de leur intention que, dans leur cas, Mme Mozumber soit considérée comme la requérante principale. De plus, bien que la télécopie susmentionnée indique sans équivoque que Mme Mozumber était la requérante principale, elle était ambiguë en ce qui concerne la question de savoir si chacun des requérants demandait une évaluation.

 

            Bien que les faits de l'affaire Nanji c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4] diffèrent quelque peu de ceux de la présente espèce[5], il n'y a selon moi aucune raison convaincante de s'écarter de la proposition qui a été élaborée dans ce jugement. Le jugement Nanji appuie la proposition que l'agent des visas n'est pas tenu de par la loi ou la common law d'informer le requérant que son conjoint pourrait faire l'objet d'une évaluation en vue d'obtenir le droit d'établissement : c'est au requérant qu'il incombe de désigner qui sera évalué[6]. De plus, le jugement Nanji appuie la proposition suivant laquelle le paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration oblige l'agent des visas à n'évaluer que l'immigrant ou son conjoint[7]. Les faits de la présente espèce ne justifient pas de s'écarter de ce principe.           

 

            À mon avis, le « choix » prévu au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration doit être exercé par l'immigrant qui est le requérant principal avant que l'agent des visas n'entreprenne son évaluation plutôt qu'après que cette évaluation a eu lieu. En d'autres termes, le « choix » qui est accordé au requérant principal par le Règlement sur l'immigration de déterminer lequel des conjoints doit être évalué doit être exercé en temps opportun de manière à ne pas dépendre du résultat de l'évaluation du requérant principal. Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de certifier la question proposée par l'avocat du requérant[8].

 

            En ce qui concerne le second moyen invoqué par l'avocat de la requérante, je conclus qu'on peut tirer une inférence raisonnable des notes que M. Sutherland a prises avant l'entrevue[9] pour étayer l'allégation de la requérante suivant laquelle l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité. Malgré le fait que M. Sutherland a nié avoir accordé quelque importance que ce soit aux lettres anonymes de menaces, les renseignements contenus dans les notes qu'il a rédigées avant l'entrevue ne pouvaient que provenir de ces lettres, étant donné que ni la demande de Mme Mozumber, ni celle de son conjoint ne mentionnaient les quatre points qui ont fait l'objet des notes que l'agent des visas a rédigées avant l'entrevue. Je conclus donc que M. Sutherland a tenu compte des lettres anonymes de menaces pour prendre sa décision.

 

            Conformément au raisonnement suivi dans l'arrêt Muliadi c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[10], l'agent des visas était tenu d'informer la requérante de l'évaluation défavorable et de lui donner l'occasion de contredire ou de rectifier cette évaluation avant de prendre la décision que la Loi sur l'immigration l'obligeait à prendre. L'arrêt Shah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[11] nous éclaire davantage en ce qui concerne la présente affaire, dans la mesure où la Cour y précise que l'obligation d'agir avec équité à laquelle est soumise le fonctionnaire de l'immigration qui prend une décision au sujet d'une demande d'établissement est plus sévère que la norme minimale qui s'applique aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. En conséquence, en se fondant, même légèrement, sur les lettres anonymes de menaces sans informer la requérante de leur existence, M. Sutherland a manqué à l'obligation d'agir avec équité à laquelle il était tenu envers la requérante en la privant de la possibilité de répondre aux allégations qu'elles contenaient et ce, en violation du principe audi alteram partem.

 

            Bien que la preuve documentaire permette de conclure qu'il y a eu manquement à l'obligation d'agir avec équité, elle ne permet pas de conclure que l'agent des visas a agi de mauvaise foi. Malgré les observations contraires de l'avocat de la requérante, il n'y a pas à mon avis suffisamment d'élément de preuve pour justifier une conclusion de mauvaise foi. Bien qu'il soit incontestable que l'agent des visas ait refusé de donner directement suite à la demande de renseignements que la requérante lui avait formulée au sujet des lettres anonymes de menaces, il est tout aussi évident que le refus de l'agent des visas reposait sur les politiques et les pratiques régissant les demandes d'accès à l'information. Ne sachant pas très bien quels documents d'un dossier peuvent ou ne peuvent pas être divulgués pour des motifs de protection de la vie privée, M. Sutherland a choisi de transmettre la demande de la requérant au service chargé des demandes d'accès à l'information au lieu de remettre à la requérante les lettres qu'elle lui demandait. Il a par ailleurs communiqué à la requérante l'adresse du service chargé des demandes d'accès à l'information, un geste qui témoigne avec éloquence de l'attention et de la prudence dont il a fait preuve pour traiter une demande aussi délicate[12]. Dans la mesure où M. Sutherland suivait les lignes directrices procédurales en ce qui concerne la demande de renseignements de la requérante, on ne saurait dire qu'il a agi de mauvaise foi.

 

            Par ces motifs, la décision prise le 22 septembre 1995 par l'agent des visas George Sutherland est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il la réexamine. Il n'y a pas de circonstances spéciales qui justifient en vertu de l'article 1618 des Règles de la Cour fédérale l'adjudication de dépens en l'espèce.

 

 

OTTAWA, le 21 mars 1997

 

 

                                                                                                                          PIERRE DENAULT             

J.C.F.C.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                   

 

    François Blais, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-2766-95

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :MOZUMBER, LUTFUN NAHAR c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :VANCOUVER (C.-B.)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :13 mars 1997

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Denault le 21 mars 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Andrew Z. Wlodykapour la requérante

 

 

Me Rebecca Hunterpour l'intimé

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me Andrew Z. Wlodykapour la requérante

Vancouver (C.-B.)

 

 

Me George Thomsonpour l'intimé

Sous-procureur général du Canada



    [1]Dossier de la demande de l'intimé, aux pages 39 à 46.

    [2]Dossier de la requérante, à la page 31.

    [3]Dossier de la requérante, aux pages 222 et 223.

    [4]21 Imm. L.R. (2d) 60 (C.F. 1re inst.).

    [5]Bien que la femme du requérant n'eût pas présenté de demande distincte dans l'affaire Nanji, une telle demande a été soumise par le mari, M. Siddique, en l'espèce. La raison d'être de la demande distincte que M. Siddique a présentée en l'espèce tient en grande partie à la nature des faits. Ainsi, une lettre, que l'on trouve à l'onglet A du dossier de la demande de l'intimé et qui a été signée par l'avocat de Mme Mozumber et qui porte la date du 22 juin 1994, indique que M. Siddique devait remplacer Mme Mozumber comme requérant principal parce qu'on croyait que M. Siddique, qui est informaticien, obtiendrait probablement un plus grand nombre de points que sa femme, augmentant ainsi les chances du couple d'obtenir le statut de résidents permanents. En conséquence, M. Siddique a payé les frais de demande requis. Les époux ont toutefois changé d'idée par la suite et, comme en fait foi la télécopie du 29 août 1994, ils se revenus à leur position initiale, suivant laquelle Mme Mozumber devait être considérée comme la requérante principale. Un examen même superficiel de leur demande respective, que l'on trouve aux pages 39 à 46 du dossier de la demande de l'intimé, rend ce fait manifestement évident.

    [6]Précité, note 4, à la page 63.

    [7]           Toutefois, si les conjoints présentent leur demande au même moment et qu'ils précisent tous les deux qu'il désirent être considérés comme des requérants principaux, l'agent des visas serait alors tenu d'évaluer la candidature des deux requérants. Voir Waldam, Lorne, Immigration Law and Practice, Butterworths, 1992, au paragraphe 13.261.

    [8]Voici le texte de cette question :

 

Lorsque les requérants le lui demandent, l'agent des visas est-il tenu de les évaluer tous les deux pour déterminer s'ils satisfont aux exigences prévues à l'alinéa 8(1)a) du Règlement?

 

Compte tenu à la fois des particularités de la présente espèce et de l'application du jugement Nanji au cas qui nous occupé, je conclus qu'il est inutile et injustifié de certifier cette question.

    [9]           Les notes prises avant l'entrevue, qui ont été jointes à l'affidavit de Mme Mozumber à titre d'annexe O et que l'on trouve à la page 50 du dossier de la requérante, mentionnent des renseignements ou des indices tirés des lettres anonymes de menaces. Ces notes renferment les éléments suivants :

 

1) Authenticité des recommandations d'employeurs;

2) Aide reçue depuis l'arrivée en Australie;

3) Mariage ou enfants antérieurs?

4) Dossier?

 

Il ressort également de ces notes prises avant l'entrevue que [TRADUCTION] « beaucoup de questions ont été soulevées au sujet de la présente affaire [...] [et la requérante] devrait être interrogée à fond ».

    [10][1986] 2 C.F. 205 (C.A.), aux pages 215 et 216.

    [11]29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.), à la page 83.

    [12]Paragraphes 10 et 11, à la page 4 du dossier de la demande de l'intimé.

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