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Date : 20011123

Dossier : T-2057-85

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 NOVEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                       PORTO SEGURO COMPANHIA DE SEGUROS GERAIS

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                                BELCAN S.A.

                                                           FEDNAV LIMITED

                                                                 UBEM S.A.

                 LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « FEDERAL DANUBE »

ET LE NAVIRE « FEDERAL DANUBE »

                                                                                                                                        défendeurs

                                                              ORDONNANCE


Les dépens relatifs aux articles mentionnés dans le projet de mémoire de frais des défendeurs sont adjugés au maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B. Le montant des débours est fixé à 22 308,96 $ et les honoraires versés aux trois experts des défendeurs sont fixés à 80 838,51 $. Aucuns dépens ne sont adjugés pour la requête ici en cause. Sur consentement de l'avocat de la demanderesse, les avocats des défendeurs sont invités à me soumettre pour signature un mémoire de frais établi conformément aux présents motifs.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


Date : 20011123

Dossier : T-2057-85

Référence neutre : 2001 CFPI 1286

ENTRE :

                       PORTO SEGURO COMPANHIA DE SEGUROS GERAIS

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                                BELCAN S.A.

                                                           FEDNAV LIMITED

                                                                 UBEM S.A.

                 LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « FEDERAL DANUBE »

                                       ET LE NAVIRE « FEDERAL DANUBE »

                                                                                                                                        défendeurs

                                  MOTIFS DE LA DEUXIÈME ORDONNANCE

RELATIVE AUX DÉPENS

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]                 Les défendeurs ont demandé, conformément au paragraphe 400(4) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), une somme globale au lieu des dépens à taxer ou, subsidiairement, l'adjudication des honoraires à taxer, calculés au taux maximum prévu dans la colonne V du tarif B, plus les débours et les honoraires d'experts, conformément au mémoire de frais pro forma qui a été déposé.

[2]                 La somme globale qui est demandée se répartit comme suit :

(1)        une somme de 150 000 $ au lieu des dépens à taxer;

(2)        les débours à taxer, d'un montant de 22 308,96 $; et

(3)        les honoraires versés à trois (3) experts, s'élevant en tout à 80 838,51 $.

[3]                 Dans une ordonnance antérieure relative aux dépens, j'ai conclu que les défendeurs avaient droit aux dépens taxés reliés au procès initial.

LES FAITS

[4]                 Le 31 janvier 2001, j'ai rejeté avec dépens l'action que la demanderesse avait intentée contre les défendeurs. Dans cette action, la demanderesse sollicitait des dommages-intérêts contre les défendeurs à la suite d'un abordage qui était survenu le 11 décembre 1984 entre deux grands vraquiers océaniques, le Federal Danube et le Beograd, dans le lac Saint-Louis, situé dans le Saint-Laurent, à l'ouest de la ville de Montréal, près des écluses de Beauharnois.

[5]                 L'instance dont j'étais saisi était un nouveau procès que la Cour suprême du Canada avait ordonné dans l'arrêt Porto Seguro Companhia de Seguros Gerais c. Belcan S.A. et autres, [1997] 3 R.C.S. 1278.

[6]                 Deux genres de preuves ont été présentées lors du nouveau procès, qui a duré huit jours :

(1)         Les transcriptions et les pièces relatives à la preuve présentée par les personnes qui étaient à bord des navires la nuit où l'abordage est survenu et qui avaient témoigné lors du premier procès;

(2)         Les témoignages oraux des experts, fondés sur les rapports, trois experts ayant témoigné de chaque côté. De plus, les experts de la demanderesse ont déposé six rapports supplémentaires réfutant la preuve soumise par les experts des défendeurs.

[7]                 Le montant des dommages-intérêts, pour le principal seulement, était de 4 400 867,84 $; on m'a informé que ce montant s'élève maintenant à environ 10 000 000 $, compte tenu des intérêts courus.

[8]                 À l'appui de la somme globale demandée, les avocats des défendeurs m'ont remis une preuve par affidavit qui n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, en ce qui concerne les montants suivants :


(1)         les honoraires que le cabinet d'avocats a facturés aux défendeurs, d'un montant de 224 596,60 $;

(2)         un mémoire de frais pro forma fondé sur le maximum de la fourchette, le montant unitaire s'élevant à 110 $ depuis le 1er avril 2001, pour les services à taxer selon la colonne V du tarif B des Règles, donnant lieu à des dépens taxés d'un montant de 88 467,50 $;

(3)         un mémoire de frais pro forma fondé sur le nombre maximum d'unités pour les services à taxer selon la colonne III du tarif B des Règles, donnant lieu à un montant de 51 562,50 $;

(4)         des débours, y compris les honoraires versés aux experts, s'élevant en tout à 103 147,47 $.

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[9]                 Dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233, où il était question de la contrefaçon d'un brevet, Monsieur le juge Wetston était saisi de plusieurs demandes visant l'obtention de directives spéciales relatives aux dépens selon le tarif B tel qu'il est maintenant structuré, ce tarif comportant depuis 1995 diverses colonnes indiquant pour les services à taxer une gamme d'unités que la Cour ou l'officier taxateur choisit à sa discrétion.

[10]            Le juge Wetston a reconnu que les Règles conféraient à la Cour entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui devaient les payer. Il a mentionné le paragraphe 400(3) des Règles, qui énumère les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[11]            Le juge a dit que le tarif B était formulé en fonction du principe selon lequel les frais entre parties doivent raisonnablement correspondre aux dépens réels du litige, sans qu'il soit porté atteinte au pouvoir discrétionnaire accordé à la Cour et à l'officier taxateur par les Règles. Le juge a dit que les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants et que le tarif B actuel vise cet équilibre. Le juge Wetston a dit que, selon un principe important sous-tendant les dépens, l'allocation de dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe.


[12]            Dans la décision Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. et al. (1999), 176 F.T.R. 142, Madame le juge Reed a fait remarquer que l'adjudication des dépens à la partie qui a gain de cause vise deux fins : décourager les litiges mal fondés et indemniser partiellement la partie qui a gain de cause des frais supportés pour se défendre ou pour engager l'action, selon le cas. Elle a fait remarquer que les modifications apportées en 1995 aux Règles de la Cour fédérale établissaient un barème de dépens nouveau et souple et conféraient à la Cour un large pouvoir discrétionnaire pour fixer dans les cas appropriés les dépens additionnels dépassant les montants prévus au tarif conformément au principe selon lequel, comme le juge Wetston l'avait dit dans la décision Apotex c. Wellcome, précitée, les dépens adjugés entre parties doivent raisonnablement correspondre aux coûts réels du litige.

[13]            En ce qui concerne le barème des dépens, le juge Reed a dit que le niveau des dépens prévu à la colonne III se rapporte à une affaire de complexité moyenne. (Je note que l'article 407 des Règles prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III.) Dans l'affaire dont elle était saisie, le juge Reed a ordonné à l'officier taxateur de taxer les dépens, à l'instruction, suivant le maximum de la fourchette prévue à la colonne V du tableau du tarif B et d'accorder les honoraires d'avocats pour deux avocats principaux et un avocat en second. La Cour d'appel fédérale a maintenu la décision du juge Reed sur ce point. (Voir Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Inc., [2001] C.A.F. 137.)

[14]            Les avocats des défendeurs justifient la demande qu'ils ont faite en vue d'obtenir une somme globale de 150 000 $ correspondant à environ soixante pour cent (60 p. 100) des dépens entre l'avocat et son client, en se fondant principalement sur les facteurs suivants prévus au paragraphe 400(3) :

a)          le résultat de l'instance;

c)          l'importance et la complexité des questions en litige;


g)          la charge de travail;

i)           la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

k)          la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance était inappropriée ou inutile.

[15]            Les défendeurs ont certes eu entièrement gain de cause au procès. Aucune responsabilité ne leur a été imputée. En outre, les montants en cause étaient importants. Il s'agit de deux facteurs qui militent en faveur de l'octroi d'un montant supérieur à ce qui est prévu dans la colonne III. (Voir deux décisions rendues par Monsieur le juge Rothstein, qui était alors juge à la Section de première instance, dans les affaires Canadian Pacific Forest Products Ltd. c. Termar Navigation (1998), 146 F.T.R. 72 et AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd. et al (1998), 148 F.T.R. 240.)

[16]            Au point de vue de la complexité, les questions de droit en litige n'étaient pas complexes et dépendaient d'une conclusion de fait au sujet de la question de savoir si le Federal Danube était au mouillage lors de l'abordage. Toutefois, pour arriver à cette décision factuelle, il fallait tenir compte d'une multitude de questions techniques se rapportant à la navigation maritime et à l'architecture navale et il n'était pas facile de soupeser le témoignage de six experts.

[17]            Toutefois, je dois tenir compte des remarques que Monsieur le juge Stone a faites sur ce point dans la décision TRW Inc. c. Walbar of Canada (1992), 43 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.), à savoir que c'est la complexité des questions juridiques soulevées plutôt que la technologie en cause que la Cour doit prendre en compte pour augmenter les dépens.

[18]            Je suis convaincu que la nature de la preuve factuelle d'expert relative aux questions de navigation et d'architecture navale ainsi que la structure du nouveau procès lui-même ont occasionné une grosse charge de travail avant, pendant et après le procès, ce qui justifiait l'octroi d'un montant supérieur à ce qui était prévu dans la colonne III. Je note que, dans la décision TRW, précitée, c'était la quantité de travail nécessaire qui justifiait une augmentation des montants prévus au tarif B.

[19]            D'autre part, je ne suis pas convaincu que les défendeurs aient réussi à établir que, compte tenu de la conduite de la demanderesse, une augmentation était justifiée. À mon avis, la conduite des défenderesses, qui avait eu pour effet de prolonger le procès, était un facteur auquel le juge Reed avait accordé beaucoup de poids dans la décision Apotex, précitée, lorsqu'il s'était agi de fixer les dépens adjugés à la demanderesse au taux maximum prévu dans la colonne V. La conduite de la demanderesse est le motif que Madame le juge Tremblay-Lamer a retenu lors du premier procès qui a été tenu en l'espèce lorsqu'elle a adjugé aux défendeurs une somme globale supplémentaire de 20 000 $. (Voir Porto Seguro c. Belcan S.A. (1995), 91 F.T.R. 278.)


[20]            Les avocats des défendeurs ont critiqué à maints égards la conduite adoptée par la demanderesse au procès :

(1)         lors du nouveau procès, la demanderesse a décidé de ne pas se fonder sur les rapports initiaux que les experts avaient préparés pour le premier procès, mais elle a plutôt produit de nouveaux rapports d'experts, y compris six rapports déposés en contre-preuve;

(2)         les experts de la demanderesse ont avancé des théories qui avaient pour effet de compliquer inutilement l'affaire;

(3)         les experts de la demanderesse se sont contredits sur plusieurs points, y compris sur la question principale de savoir si le Federal Danube était au mouillage lors de l'abordage;

(4)         la demanderesse aurait dû se rendre compte que sa cause était dénuée de fondement.


[21]            Je ne crois pas que les critiques des défendeurs soient justifiées. Les nouveaux rapports d'expert devaient être déposés de façon qu'il soit tenu compte du témoignage présenté par les navigateurs lors du procès initial. Des rapports peuvent être soumis en contre-preuve. Les théories contradictoires des experts de la demanderesse, sur lesquelles l'accent a été mis au cours du contre-interrogatoire, n'aidaient pas la demanderesse, mais compte tenu de la preuve, ce facteur n'était pas important aux fins de la décision et, à mon avis, cela ne saurait en soi et isolément justifier une augmentation. Enfin, je ne suis pas d'accord pour dire que la cause de la demanderesse était dénuée de fondement.

[22]            Dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précitée, le juge Wetston a refusé d'accorder des dépens correspondant à un pourcentage donné des dépens de la demanderesse sur la base avocat-client. Dans cette affaire-à, l'augmentation demandée ne visait que les honoraires d'avocat alors qu'en l'espèce, l'augmentation demandée se rapporte d'une façon générale à tous les articles. Le juge Wetston était d'avis que l'octroi de dépens correspondant aux deux tiers des dépens entre l'avocat et son client constituait une extension injustifiée des dépens sur la base avocat-client, bien que dans une proportion moindre. Je retiens le raisonnement du juge Wetston et je refuse la demande que la demanderesse a faite en vue d'obtenir une somme globale de 150 000 $ qui correspond au double environ d'un mémoire de frais taxé en fonction du niveau maximum prévu dans la colonne V du tarif B.

[23]            Le juge Westson a également refusé la demande que Glaxo avait faite en vue d'obtenir des dépens plus élevés que ce qui était prévu au tarif B. À son avis, ce n'est que dans les cas les plus exceptionnels que la Cour peut s'écarter du tarif B dans l'attribution de dépens entre parties. Je suis d'accord et je refuse la demande que les défendeurs ont faite en vue d'obtenir une somme globale supérieure à ce qui est prévu au tarif B.

[24]            Dans la décision Apotex c. Wellcome, précitée, le juge Wetston a augmenté les dépens au maximum de la fourchette de la colonne IV du tarif B. Pour ce faire, il a tenu compte de quatre facteurs principaux : le volume de travail, l'importance et la complexité des questions de droit, la nature du travail en cause et le fait que les dépens entre parties doivent avoir un lien raisonnable avec les frais réels du procès.

[25]            En l'espèce, je fixe également le montant du mémoire de frais des défendeurs au maximum de la fourchette de la colonne IV du tarif B, en me fondant sur les facteurs ci-après énoncés : les sommes en cause, la complexité des questions de fait en litige, la nature du travail et le fait que les dépens entre parties doivent avoir un lien raisonnable avec les frais réels du procès.

[26]            J'examinerai deux autres questions, à savoir les débours à taxer et les honoraires d'expert. Quant à la première question, l'avocat de la demanderesse ne s'est pas opposé au montant demandé par les défendeurs. Quant aux honoraires d'expert, l'avocat de la demanderesse ne m'a soumis aucun élément de preuve montrant que ces honoraires étaient déraisonnables. De plus, l'avocat de la demanderesse n'a pas corroboré l'allégation selon laquelle il était inutile d'aller à l'étranger pour trouver des experts. J'accepte donc les honoraires d'expert proposés par les avocats des défendeurs.


DISPOSITIF

[27]            Les dépens relatifs aux articles mentionnés dans le projet de mémoire de frais des défendeurs sont adjugés au maximum de la fourchette prévue dans la colonne IV du tarif B. Le montant des débours est fixé à 22 308,96 $ et les honoraires versés aux trois experts des défendeurs sont fixés à 80 838,51 $. Aucuns dépens ne sont adjugés pour la requête ici en cause. Sur consentement de l'avocat de la demanderesse, les avocats des défendeurs sont invités à me soumettre pour signature un mémoire de frais établi conformément aux présents motifs.

« François Lemieux »

Juge

OTTAWA (ONTARIO),

LE 23 NOVEMBRE 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-2057-85

INTITULÉ :                                                                     PORTO SEGURO COMPANHIA DE SEGUROS GERAIS

c.

BELCAN ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 16 NOVEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                  le 23 novembre 2001

COMPARUTIONS :

M. GEORGE POLLACK                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. RICHARD GAUDREAU                                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SPROULE & POLLACK                                               

MONTRÉAL (QUÉBEC)                                                POUR LA DEMANDERESSE

LANGLOIS GAUDREAU

QUÉBEC (QUÉBEC)                                                     POUR LES DÉFENDEURS

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