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Date : 20040218

Dossier : T-700-03

Référence : 2004 CF 244

Ottawa (Ontario), le 18 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

DENISE LAPOINTE, PIERRE TURMEL, SUZANNE LAJEUNESSE,

MARIE-HÉLÈNE GIROUX, MICHEL BEAUCHAMP, ROLLAND LADOUCEUR,

DIANNE TORDORI, IRÈNE DICAIRE, PAUL KYBA, MARC ALAN TESSIER,

LEEANN I. KING, DAPHNE SHAW DYCK, OTTO NUPPONEN,

CARMEN DECARLO, ILIZE DECARLO, FREDERICA DOUGLAS,

MARILOU FUNSTON, SILVANA GRATTON, OKSANA KOWALYK,

ALNA MARTENS, ROBERT MURRANT, DENIS PAXTON, CATHIE SIMMIE,

WILLIAM WILLOUGHBY, KEN THOMSON, LIZ LASOWSKI,

et ANGELA MAILHIOT

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par LE CONSEIL DU TRÉSOR

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 2 avril 2003 par Linda Brouillette, déléguée de l'administrateur général pour le règlement des griefs de classification, Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la déléguée de l'administrateur général). Dans cette décision, la déléguée de l'administrateur général a rejeté le grief des demandeurs et a approuvé la recommandation du Comité d'examen des griefs de classification (le Comité). Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la déléguée de l'administrateur général et ordonnant que le grief de classification soit renvoyé à un Comité différemment constitué pour nouvel examen. Les demandeurs sollicitent également des dépens.

LES FAITS

[2]                Les demandeurs sont constitués de 27 membres de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) qui travaillent dans différentes régions géographiques du Canada. Auparavant, ils portaient le titre d' « arbitres » . En janvier 2002, ils ont déposé un grief auprès de leur employeur, le Conseil du Trésor, lequel grief avait trait à la classification de leurs postes. Ils ont prétendu que la classification de leurs postes était erronée et ont demandé que leurs postes soient reclassés à la hausse, passant du groupe et niveau PM-05 au groupe et niveau PM-06. Le grief a été traité comme grief collectif car tous les demandeurs occupent le même poste et sont classés dans le même groupe et niveau. Ils sont également membres du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada (SEIC), une section de l'Alliance de la fonction publique du Canada.


[3]                Les demandeurs sont des décideurs indépendants et autonomes qui possèdent les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-13. Ils président à des examens et à des enquêtes portant sur des motifs de détention dans un contexte quasi judiciaire et contradictoire et sont chargés de prendre des décisions en rapport avec des questions relatives à l'immigration et aux réfugiés, et ce, en conformité avec la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Les demandeurs consacrent environ 40 p. 100 de leur temps à mener des enquêtes afin de déterminer si des personnes qui cherchent à entrer au Canada ou à y demeurer peuvent être autorisées à demeurer au Canada ou ont le droit de demeurer au Canada. Ils consacrent environ 60 p. 100 de leur temps à examiner des motifs de détention en rapport avec la mise en liberté ou le maintien en détention de ces personnes. Les demandeurs rendent environ entre 10 000 et 12 000 décisions par année, lesquelles décisions touchent environ entre cinq et six mille personnes.

[4]                Le 26 février 2003, le Comité a tenu une audience à Ottawa (Ontario) en rapport avec le grief des demandeurs. Le Comité était composé d'un président et de deux membres du Comité.    Deux observateurs étaient également présents, un conseiller en classification rattaché à la CISR et un conseiller en classification rattaché à Citoyenneté et Immigration Canada. Les demandeurs ont présenté des observations orales et écrites au Comité.


[5]                Le Comité avait pour mandat d'examiner l'ensemble des aspects du travail effectué par les demandeurs et d'attribuer des points selon des facteurs de notation énumérés dans la norme de classification du groupe PM. Le ou vers le 18 mars 2003, le Comité a complété son rapport et sa recommandation. Le Comité a recommandé que le poste des demandeurs demeure au groupe et niveau PM-05 et a attribué 719 points à leur poste, deux points en deçà des 721 points exigés pour qu'il soit classé au groupe et niveau PM-06.

[6]                Dans une lettre datée du 2 avril 2003, la déléguée de l'administrateur général a informé les demandeurs qu'elle avait accepté la recommandation du Comité et avait décidé que leur poste demeurerait au groupe et niveau PM-05.

L'audience du Comité

[7]                Les demandeurs ont été représentés à l'audience par Jacques Lambert et Maurice Simard, tous deux vice-présidents du SEIC. Huit des demandeurs, notamment Liz Lasowski qui a déposé un affidavit dans la présente instance, étaient présents à l'audience. Mme Lasowski, ainsi que les autres plaignants qui étaient présents, ont fait des représentations à l'audience pour le compte de l'ensemble des demandeurs. Pour une bonne part, l'argumentation de Mme Lasowski a porté sur la question d'un présumé « principe de classification non écrit » selon lequel un employé subalterne ne devrait pas être classé au même niveau que son supérieur et sur la question que ce principe ne devrait pas être appliqué à la situation des demandeurs, même si leurs supérieurs immédiats, les directeurs régionaux, sont classés au groupe et niveau PM-06.

[8]                Mme Lasowski a affirmé que les renseignements concernant la nature de l'audience qui figuraient dans le rapport du Comité ne sont pas exacts. Elle affirme que le rapport du Comité ne fait aucune mention de certaines contraintes de temps qui ont été imposées aux demandeurs lors de la présentation de leur cause à l'audience.

[9]                La demanderesse Lasowski énumère les contraintes de temps qui ont été imposées aux demandeurs lors de la présentation de leur cause devant le Comité :

- l'audience n'a pas commencé à 9 h comme il est mentionné dans le rapport du Comité, mais plutôt entre 9 h 45 et 10 h;

- les demandeurs ont été informés, pour la première fois, le matin de l'audience, que leur présentation devait être terminée à 14 h;

- le Comité a décidé de prendre une pause d'une heure entre 12 h et 13 h.

[10]            Les demandeurs prétendent qu'ils avaient prévu présenter des arguments détaillés et, comme le grief comportait des questions et des évaluations complexes, ils n'ont pas pu présenter au complet les arguments qu'ils estimaient essentiels à leur grief. Les demandeurs ont également prétendu qu'ils ont eu l'impression que le président du Comité voulait terminer l'audience le plus tôt possible.


[11]            L'audience s'est déroulée en français et en anglais, sans traduction simultanée. La demanderesse Lasowski affirme qu'aucun effort n'a été fait pour traduire les arguments et les questions d'une langue officielle à l'autre. Mme Lasowski affirme que, à plusieurs moments, elle a été incapable de suivre les procédures. Les demandeurs avaient demandé la traduction simultanée avant la tenue de l'audience, mais cette demande a été refusée.

[12]            La demanderesse Lasowski affirme que les demandeurs avaient demandé à pouvoir participer par téléconférence ou vidéoconférence étant donné qu'ils se trouvaient dans d'autres bureaux, situés d'un bout à l'autre du pays. Cette demande a été refusée, malgré le fait que les demandeurs avaient offert de défrayer les frais d'une telle entente. Mme Lasowksi a également affirmé que, initialement, l'audience était censée se tenir en juillet 2002 et être transmise par un support de conférence quelconque. Toutefois, l'audience a dû être reportée au 26 février 2003 et aucune explication n'a été offerte quant au refus de fournir des services de conférence lors de cette audience.

[13]            À 14 h, le Comité s'est retiré pour examiner les représentations faites pour le compte de la direction. Les demandeurs n'étaient pas présents lors de cette argumentation. Les demandeurs n'avaient pas été informés que la direction avait fait valoir au Comité que les directeurs régionaux des demandeurs tenaient également des audiences et qu'ils y consacraient environ 25 p. 100 de leur temps.


Le rapport du Comité

[14]            Comme il ressort du rapport du Comité, une comparaison entre les postes des demandeurs et ceux de leurs supérieurs faisait partie intégrante de la recommandation finale du Comité. À la page 9 de son rapport, le Comité a conclu ce qui suit :

Les membres du Comité ont finalement conclu que la cote numérique suivante attribuée à chaque facteur constitue une évaluation juste et équitable des postes faisant l'objet du grief :

Connaissances                                          Degré E1                  301 points

Prise de décision                                      Degré D3                  268 points

Responsabilité opérationnelle Degré C                                  40 points

Contacts                                                   Degré 3                                     110 points

TOTAL 719 points

Cette cote numérique est identique à celle attribué au Directeur régional, Arbitrage, pour la Connaissance des programmes et les connaissances spécialisées/techniques (Degré E), la Prise de décision (Degré D3) et les Contacts (Degré 3) et reconnaît la complexité de la tâche, la portée et les effets des décisions et l'étendue des contacts relatifs aux deux postes.

Le Directeur régional, Arbitrage, est toutefois coté au Degré 2 pour les Connaissances générales en administration et au degré D1 pour la Responsabilité opérationnelle afin de reconnaître adéquatement les fonctions de supervision et de gestion liées à la tâche décrite dans la description de tâche portant le numéro 116 (Annexe C).

Un exposé justificatif plus détaillé visant à corroborer l'évaluation de chaque facteur figure à la partie 8 du présent rapport.


En examinant les renseignements déposés par les plaignants aux fins d'une étude de relativité interne et externe, les membres du Comité ont souligné que bien que certaines fonctions et certaines tâches décrites dans la description de tâche faisant l'objet du grief peuvent ressembler aux fonctions et tâches figurant dans les descriptions de tâche appartenant à d'autres organismes, il existe des différences importantes dans le mandat, la clientèle visée, la structure organisationnelle et l'ingénierie du travail de chaque organisme, tous des éléments qui ont eu une incidence sur l'évaluation de ces postes. Les membres du Comité ont donc conclu que l'évaluation qu'ils ont faite des postes faisant l'objet d'un grief en utilisant le processus de la classification des postes et les paramètres dont ils avaient discuté et qu'ils avaient établis au début de leurs délibérations, représentait une appréciation juste de la valeur relative de la tâche assignée aux postes faisant l'objet d'un grief compte tenu de leur lien hiérarchique à la CISR.

[15]            Les demandeurs ont reçu 719 points, deux points de moins que les 721 points requis pour qu'ils soient reclassés au groupe et niveau PM-06. Le Comité a également déclaré à la page 5 de son rapport que le « lien hiérarchique » au sein de l'organisme de chaque poste de référence, c'est-à-dire les autres postes au sein de la fonction publique qui ont été utilisés pour la comparaison dans le processus de classification, était important et que [traduction] « [...] le contexte organisationnel dans lequel un poste est établi fait partie intégrante du processus de classification du groupe professionnel PM et, par conséquent, il ne peut être ignoré lorsque l'on doit établir la valeur relative d'un poste au sein d'un organisme particulier » .   

LES ARGUMENTS DES DEMANDEURS


[16]            Les demandeurs prétendent que la déléguée de l'administrateur général et le Comité ont violé les principes de l'équité procédurale sur plusieurs points. Premièrement, ils ont violé l'équité procédurale en n'accordant pas suffisamment de temps aux demandeurs, compte tenu de la nature et de la complexité de la tâche analysée ainsi que de l'objet de leur grief, pour qu'ils puissent faire valoir leurs arguments à l'appui de leur grief lors de l'audience du 26 février 2003. Les demandeurs se sont vu refuser l'occasion de participer pleinement et entièrement à leur grief de classification. Les demandeurs renvoient au Manuel du Conseil du Trésor, Chapitre 4, « Politique sur les griefs de classification » , et prétendent que l'audience n'a pas été menée de la manière prévue dans ce document.

[17]            Deuxièmement, les demandeurs prétendent qu'ils se sont vu refuser l'équité procédurale en raison du fait que le Comité n'a pas fourni de services de traduction simultanée de l'audience dans les deux langues officielles, malgré qu'une demande lui ait été adressée en ce sens, et en raison du refus de la part du Comité d'accorder des services de téléconférence ou de vidéoconférence lors de l'audience. Les demandeurs ont demandé ces deux types de service avant l'audience et ont offert d'en défrayer les coûts. Ces demandes ont été refusées et les demandeurs prétendent que ce refus les a empêchés de vraiment participer à l'audience, et ce, en contravention des principes de l'équité procédurale.

[18]            Troisièmement, les demandeurs prétendent que les règles de l'équité procédurale ont été violées du fait que le Comité se soit fié à une preuve et à des arguments qui n'ont pas été divulgués aux demandeurs, les privant ainsi d'une occasion raisonnable de répondre à ces renseignements. Cette preuve était constituée de renseignements fournis par la direction, notamment que les supérieurs des demandeurs, les directeurs régionaux, consacrent 25 p. 100 de leur temps à la tenue d'audience. Les demandeurs ont présenté une demande précise au Comité qu'ils soient avisés des arguments de la direction et qu'ils aient l'occasion d'y répondre. On ne leur a toutefois pas donné cette occasion.

[19]            Les demandeurs prétendent que le Comité s'est fondé sur les tâches et le temps consacré pour leur exécution par leurs supérieurs immédiats afin de décider que la classification des supérieurs régionaux au groupe et niveau PM-06 était justifiée et qu'elle était différente de la description de tâche des demandeurs. Les demandeurs contestent le chiffre de 25 p. 100 du temps consacré à la tenue d'audience et auraient présenté au Comité un point de vue différent s'ils avaient eu l'occasion de répondre à ces renseignements.

[20]            Les demandeurs prétendent que, selon les décisions Hale c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 3 C.F. 3 (1re inst.) et Chong c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1600 (1re inst.)(QL) (Chong I), le processus d'examen des griefs de classification par un Comité d'examen des griefs de classification désigné doit se dérouler en conformité avec les règles de l'équité procédurale dont le contenu varie en fonction de la nature de la décision en litige. Les demandeurs ont également invoqué l'arrêt Chong c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 236 N.R. 371 (C.A.F.) (Chong II), dans lequel la Cour d'appel fédérale a souligné que certaines exigences procédurales fondamentales doivent s'appliquer dans tous les cas. Les demandeurs prétendent également que l'équité procédurale est en jeu lorsqu'une audience se déroule en « hâte » , privant ainsi une partie d'une occasion valable de vérifier la preuve qui peut avoir une incidence sur elle. À l'appui de cette prétention, ils invoquent la décision Haydon c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 957 (1re inst.)(QL).

[21]            Lors de l'audience, les demandeurs ont également souligné que l'article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (LRTFP) exclut le système de niveau de classification de la négociation collective et réserve à l'employeur le droit de classer les postes. Les demandeurs ont donc prétendu que, étant donné que les griefs de classification n'impliquent pas l'application d'une convention collective, on ne peut avoir recours à un tiers arbitre comme la Commission des relations de travail dans la fonction publique, et que ce facteur doit être pris en compte dans la détermination de l'étendue du devoir d'équité qui est exigé dans le processus de règlement des griefs de classification.

[22]            Les demandeurs prétendent également que la déléguée de l'administrateur général a été injuste car le Comité a fait preuve de « partialité institutionnelle » . Cette partialité, selon les demandeurs, provient du fait que le Comité semblait croire que si leurs griefs étaient accueillis, ils seraient classés dans le même groupe et niveau que leurs supérieurs et que cela ne doit pas se produire. Les demandeurs signalent que l'organigramme de la Section d'arbitrage de la CISR a été porté à leur attention par le président du Comité lors de leur exposé afin de démontrer l'importance de ce « principe non écrit » pour le Comité. Les demandeurs prétendent qu'il s'agit là d'une considération non pertinente et que le Comité s'est trompé en se fondant sur celle-ci.


LES ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

[23]            La défenderesse prétend que, compte tenu de la jurisprudence pertinente, les demandeurs en l'espèce n'avaient droit qu'à un niveau minimal d'équité. Ils avaient droit d'être informés de la preuve invoquée à l'encontre de leurs arguments et d'avoir l'occasion de présenter des observations en réponse et d'être informés de la décision : Chong I, précitée, et Chong II, précité. De plus, la défenderesse prétend que les organismes administratifs ont compétence pour fixer leur propre procédure et sont « maîtres chez eux » : Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560.

[24]            La défenderesse prétend qu'il n'y a pas eu déni d'équité procédurale envers les demandeurs et que le Comité en l'espèce a suivi ses propres lignes directrices en matière de procédure, lesquelles sont énoncées au chapitre 4 du Manuel du Conseil du Trésor et correspondent à l'étendue du devoir d'équité exigé dans le présent cadre administratif.


[25]            La défenderesse prétend également que les renseignements que le Comité a obtenus de la direction et qui avaient trait au fait que les directeurs régionaux consacrent 25 p. 100 de leur temps à rendre des décisions arbitrales étaient non pertinents à la décision du Comité et ne constituait pas un fondement à la décision. La défenderesse prétend donc que le Comité n'était pas tenu d'informer les demandeurs de ce renseignement et de leur donner l'occasion d'y répondre : Hale, précitée. De plus, l'organigramme de la CISR n'était pas une question nouvelle et l'introduction de l'organigramme ou la manière selon laquelle il a été soulevé par le Comité n'est pas pertinente car cet élément de preuve était bien connu par les demandeurs et que ceux-ci l'ont examiné à l'audience ainsi que par écrit.

[26]            La défenderesse prétend que les intérêts des demandeurs ont été bien représentés à l'audience tenue par le Comité. Deux représentants syndicaux ainsi que 8 des 27 plaignants étaient présents. La défenderesse décrit l'argument des demandeurs concernant l'absence de traduction simultanée ou de vidéoconférence à l'audience comme n'étant [traduction] « rien de moins qu'une simple allégation d'iniquité » . La défenderesse prétend que les membres du Comité étaient bilingues, qu'ils ont compris l'ensemble des arguments qui leurs ont été soumis et qu'ils pouvaient échanger avec la partie qui présentaient des arguments. La défenderesse souligne que, étant donné qu'il ne s'agissait pas d'une audience contradictoire comme un procès ou une décision arbitrale, les plaignants n'avaient simplement droit qu'à présenter des arguments et à répondre aux questions posées par le Comité. Le processus n'entraîne pas l'examen de la preuve lors du contre-interrogatoire puis la présentation d'une contre-preuve.

[27]            La défenderesse prétend qu'il n'y a pas de preuve par affidavit de la part des plaignants qui n'étaient pas présents à l'audience et elle affirme qu'il y a eu des questions importantes qui n'ont pas été soulevées par ceux qui étaient présents et, donc, il est raisonnable de présumer qu'ils avaient choisi de ne pas participer à l'audience parce qu'ils étaient satisfaits de la plaidoirie faite par les deux représentants syndicaux et les huit collègues qui étaient présents à l'audience.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[28]            1. Le Comité a-t-il violé un des principes de l'équité procédurale en privant les demandeurs d'une véritable participation à l'audience?

2. Le Comité a-t-il fait preuve de « partialité institutionnelle » dans sa décision?

L'ANALYSE

[29]            Le cadre juridique et institutionnel qui a donné lieu à la présente situation peut être expliqué de la manière suivante. La Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, accorde au Conseil du Trésor compétence en matière de gestion du personnel de la fonction publique du Canada, notamment la classification des postes des employés de la fonction publique (voir paragraphe 7(1) et alinéa 11(2)c) de cette loi). En vertu du paragraphe 5(4) de cette loi, le Conseil du Trésor a compétence pour établir son règlement intérieur :


5 (4) Le Conseil du Trésor établit son règlement intérieur sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des instructions du gouverneur en conseil.

5 (4) Subject to this Act and any directions of the Governor in Council, the Treasury Board may determine its own rules and procedures.


En vertu de ce pouvoir, le Conseil du Trésor a créé le Manuel du Conseil du Trésor qui est entré en vigueur le 1er juin 1994 et dont le chapitre 4 est intitulé « Procédure du règlement des griefs de classification » .

[30]            En plus des dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques qui prévoient les pouvoirs du Conseil du Trésor, l'article 91 de la LRTFP accorde aux employés de la fonction publique le droit de présenter des griefs en rapport avec des questions qui affectent leurs conditions d'emploi. Le chapitre 4 du Manuel du Conseil du Trésor indique les procédures à suivre dans le dépôt et le jugement d'un grief de classification. En vertu de l'article 92 de la LRTFP, les employés ne peuvent renvoyer leurs griefs de classification à l'arbitrage car la question du niveau de classification de leurs postes n'est pas une question qui porte sur l'interprétation ou l'application d'une convention collective. En vertu du paragraphe 96(3) de cette loi, la décision rendue par le délégué de l'administrateur général est définitive et obligatoire pour toutes les fins de la LRTFP.

[31]            Il est bien établi que le devoir d'équité s'applique au processus de règlement des griefs de classification et que la décision du délégué de l'administrateur général de suivre une recommandation du Comité peut être annulée par la Cour au motif que le Comité n'a pas accordé une audience équitable au plaignant : Chong II, précité, Hale, précitée etBulat c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 148 (C.A.)(QL). Il a également été établi que la teneur de l'obligation d'agir de façon équitable, compte tenu du processus de règlement des griefs de classification et de la nature des intérêts affectés, se situe « du côté d'une moindre exigence » : Chong II, précité, paragraphe 12.

[32]            De plus, en vertu de l'arrêt Bulat, précité, et de l'arrêt Chong II, le plaignant doit avoir la véritable possibilité de répondre à des renseignements ou à une question qui, de l'avis du Comité, joue un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que le plaignant ne croit raisonnablement pas litigieux et qu'il ne s'attend donc pas à voir surgir.

[33]            La défenderesse a souligné qu'une procédure de grief de classification est une procédure administrative par opposition à une procédure judiciaire ou quasi judiciaire. La défenderesse prétend que la procédure est non contradictoire en ce sens que les droits et intérêts des plaignants ne sont pas compromis étant donné qu'ils n'ont pas le droit d'être payés davantage pour leur travail que ce que l'employeur estime juste : Chong I, précitée. Ces facteurs, selon la défenderesse, tendent à indiquer un degré d'équité moindre que celui qui est exigé dans le processus d'audience du Comité.

[34]            Le Manuel du Conseil du Trésor mentionne les lignes directrices suivantes, applicables aux points litigieux en l'espèce, concernant les audiences du Comité :

II. RESPONSABILITÉS DE L'EMPLOYÉ

[...]

B. CHOIX AU NIVEAU DE LA REPRÉSENTATION

1. L'employé et/ou son représentant ont le droit d'être entendus, c'est-à-dire qu'ils ont le droit d'émettre leurs opinions au sujet de la classification du poste qui fait l'objet d'un grief de classification.

[...]

C. ENDROITS OÙ SONT ENTENDUS LES GRIEFS DE CLASSIFICATION


1. Les audiences de griefs de classification seront généralement tenues à l'administration centrale du ministère. L'employeur n'assume aucune responsabilité pour les frais qui ont été engagés par le plaignant à moins que ceux-ci ne soient explicitement prévus dans la convention collective en vigueur. L'employé qui désire venir faire des représentations devant les membres du comité de révision des griefs doit défrayer ses dépenses et obtenir un congé de son lieu de travail.

[...]

V. COMITÉ DE RÈGLEMENT DES GRIEFS DE CLASSIFICATION

A. MANDAT

1. Le comité de règlement des griefs doit déterminer la classification appropriée du poste qui fait l'objet d'un grief en tenant compte des fonctions et responsabilités assignées par la gestion, et qui sont accomplies par l'employé; le comité doit aussi tenir compte de l'information présentée par le plaignant et/ou son représentant et par le représentant de la direction. L'information doit être examinée et analysée de façon non sexiste et la recommandation présentée à l'administrateur général ou à son délégué doit être juste, équitable et en accord avec les principes de classification..

[...]

F. PROCÉDURE DU COMITÉ

1. Le processus de règlement des griefs de classification n'a pas été conçu dans le but d'opposer deux parties, mais dans celui de permettre des audiences afin d'échanger des renseignements qui aideront les membres du comité à formuler une recommandation fondée à l'administrateur général ou à son délégué.

[...]

3. La personne qui préside le comité doit être bien informée de la nature et de tous les détails du poste qui fait l'objet du grief afin de fournir des explications précises et immédiates aux membres du comité quant à la relativité ministérielle. Le président doit s'assurer de contrôler le déroulement de la réunion.

G. PRÉSENTATION DU PLAIGNANT ET/OU DE SON REPRÉSENTANT

1. Le plaignant, son représentant, ou les deux devraient avoir l'occasion de faire une présentation, en personne ou par écrit, avant que le comité ne formule une recommandation au sujet de la classification du poste visé par le grief. Dès que leur présentation est achevée, ils doivent quitter la réunion.

H. RENSEIGNEMENTS DU REPRÉSENTANT DE LA DIRECTION


1. Un représentant de la direction qui connaît bien la nature du travail du poste visé par le grief devrait être disponible afin de répondre aux questions des membres du comité au sujet du poste. Le représentant de la direction ne doit pas émettre d'opinion quant à la mesure de classification qui a donné lieu au grief, tenter d'influencer les membres du comité, participer aux délibérations du comité et être présent lors des présentations qui sont faites par le plaignant et/ou son représentant.

[...]

[35]            Dans la décision Hale, précitée, le juge Reed a déclaré ce qui suit, au paragraphe 18, concernant la déclaration figurant dans le Manuel du Conseil du Trésor selon laquelle le processus de règlement des griefs de classification est « non contradictoire » :

L'avocat du requérant fait valoir qu'il n'est pas important de savoir que le Manuel du Conseil du Trésor affirme que le processus de règlement des griefs « n'a pas été conçu dans le but d'opposer deux parties » . En fait, ce processus a pour objet de régler un différend à partir de faits donnés et des conclusions que l'on peut tirer. Dans ce genre de situation, l'employé adopte une position et la « direction » ou « l'employeur » en adopte une autre. Le représentant syndical de l'employé se présente devant le comité, et son rôle y est sensiblement le même que celui qui lui incombe dans d'autres procédures de règlement des griefs, c'est-à-dire qu'il présente des arguments au nom de l'employé. Je fais observer que le Manuel du Conseil du Trésor décrit lui-même l'objectif de la procédure de règlement des griefs de la façon suivante : « [f]ournir un mécanisme de recours aux employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l'employeur et qu'ils accomplissent » (Non souligné dans l'original). Je ne peux accepter que, parce que le Conseil du Trésor qualifie la procédure de non contradictoire, le comité soit justifié de ne pas communiquer toute l'information pertinente au requérant. Il est important d'examiner le fond du différend et la procédure utilisée, et non pas la qualification qui en est donnée par une partie ou ceux qui ont établi cette procédure. Il n'y a aucun élément dans la procédure établie par le Conseil du Trésor qui empêche le comité de règlement des griefs de communiquer aux employés le type de renseignements que le requérant demande et de lui accorder d'y répondre.


[36]            De plus, dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a confirmé que l'obligation d'équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés par la décision. Quant à la participation d'une personne visée par une décision, la Cour suprême a jugé qu'une personne doit avoir une occasion valable de faire valoir ses arguments. Il s'agit là de la question centrale servant à déterminer si l'obligation d'équité a été respectée dans des circonstances données.

[37]            Afin d'apprécier le contenu de l'obligation d'équité procédurale dans un contexte administratif particulier, Baker, précité, mentionne une liste non exhaustive de cinq facteurs à considérer, notamment :

(1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la mesure dans laquelle ce processus se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu'à quel point ces principes directeurs devraient s'appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives;

(2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l'organisme;

(3) l'importance de la décision pour les personnes visées;

(4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

(5) les choix de procédure que l'organisme fait lui-même.

[38]            Dans l'arrêt Prassad, précité, le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada a souligné que les tribunaux administratifs doivent, en règle générale, être considérés comme « maîtres » de leur propre procédure. Il a déclaré ce qui suit aux pages 568 et 569 :

Afin d'interpréter correctement des dispositions législatives de sens différents, il faut les examiner en contexte. Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. Il est donc clair que l'ajournement de leurs procédures relève de leur pouvoir discrétionnaire.


[39]            Selon moi, les demandeurs ont soulevé des arguments convaincants selon lesquels l'audience du Comité n'a pas été tenue d'une manière qui leur aurait donné pleinement l'occasion de faire valoir leurs arguments. Alors que la teneur de l'obligation d'équité dans le présent cadre administratif se situe du « côté d'une moindre exigence » , compte tenu que la procédure du Comité n'est pas censée être d'une nature quasi judiciaire, mais plutôt d'une nature relevant de la collecte de renseignements et qu'un grief de classification comporte un litige portant sur une demande de privilège, c'est-à-dire une demande de rémunération plus élevée plutôt qu'une procédure comportant la révocation d'un droit ou d'un intérêt, je suis persuadé que certains éléments de l'audience n'ont pas été tenus en conformité avec les principes de l'équité procédurale. Le juge Reed dans Hale, précitée, a souligné qu'il est important d'examiner le fond du différend et la procédure utilisée plutôt que d'axer notre examen sur la qualification qui est donnée par une partie. À la lumière de l'ensemble des cinq facteurs énumérés dans Baker, je vais maintenant examiner chacun des manquements à l'équité procédurale.

L'absence de traduction simultanée


[40]            Le Manuel du Conseil du Trésor est muet quant à une procédure précise qui devrait être suivie concernant la traduction de l'audience du Comité dans l'une ou l'autre des langues officielles. Compte tenu du régime législatif qui vise à prévoir un mécanisme de redressement efficace et équitable, de la nature de la décision rendue comme en étant une requérant une connaissance approfondie du poste faisant l'objet du litige ainsi que des autres postes de référence auxquels il est comparé, du processus suivi par l'organisme lui-même, en ce que le choix de la procédure du Comité ne comprend aucune orientation quant à l'utilisation des langues officielles et du fait que la décision du Comité quant à la classification comporte un niveau moyen d'incidence sur les intérêts des demandeurs, en ce que cette décision affecte le gagne-pain des demandeurs mais ne comporte pas une perte de leurs emplois, j'estime que le Comité a commis une erreur en n'ayant pas vu à ce qu'une certaine forme de services de traduction aient été fournis au cours de l'instance.

[41]            Les règles d'équité procédurale existent afin de voir, entre autres, à ce que les personnes aient l'occasion de vraiment participer à un processus administratif qui affectent leurs droits, privilèges ou intérêts. Le refus de fournir des services de traduction dans les circonstances de l'espèce réduit la capacité des demandeurs, notamment de la demanderesse, Mme Lasowski, de participer pleinement à l'audience. Je souligne que, tout comme l'avocat des demandeurs pendant toute la durée de l'audience, la preuve des demandeurs concernant l'audience est non contredite car la défenderesse n'a déposé aucun affidavit dans la présente instance.   

[42]            Les demandeurs savaient que certains des participants à l'audience, notamment un de leurs représentants syndicaux, n'étaient pas bilingues. Mme Lasowski décrit la situation suivante aux paragraphes 16 et 17 de son affidavit :


[traduction]

16. Seuls certains des demandeurs en l'espèce sont parfaitement bilingues. De nombreux demandeurs ontariens ne parlent pas français et un des représentants syndicaux qui a participé à l'audience, Maurice Simard, ne parle pas anglais. Avant l'audience, les demandeurs ont demandé la traduction simultanée des discussions qui se sont tenues lors de l'audience. La demande a été refusée. En raison de ce refus, les demandeurs n'ont pas pu participer pleinement et équitablement à l'audience.

17. De plus, lors de l'audience, les membres du Comité ont parlé tantôt en français, tantôt en anglais, comme ce fut le cas pour les demandeurs. Toutefois, les membres du Comité, ne traduisaient pas ce qui se disait dans l'autre langue. Les membres du Comité ne se sont pas non plus informés si tous les demandeurs comprenaient parfaitement les procédures. À de nombreux moments j'ai personnellement été incapable de comprendre les questions et les réponses qui ont été soulevées lors de la présentation parce que la communication se faisait en français.

[43]            Bien qu'il soit vrai que, en vertu du Manuel du Conseil du Trésor, les demandeurs pouvaient demander qu'un représentant parle à leur place ou en leur nom, ou les deux, et que les demandeurs auraient dû savoir avant l'audience que l'un de leurs représentants syndicaux ne ferait valoir ses arguments qu'en français, selon moi, ces considérations ne l'emportent pas sur l'obligation du Comité de tenir une audition équitable de telle sorte que les plaignants qui avaient choisi de participer auraient pu le faire d'une manière significative. Les demandeurs qui déposent un grief collectif au nom de plusieurs personnes, dont certaines ne parlent que l'une ou l'autre des langues officielles, ne doivent subir aucun préjudice en raison de ce facteur et tout plaignant ne devrait pas être dissuadé d'assister à une audience en raison de la possibilité qu'il n'y ait pas de traduction d'une langue officielle à une autre.


[44]            La section F de la partie V du Manuel du Conseil du Trésor prévoit que le président du Comité doit s'assurer de contrôler le déroulement de la réunion et, selon moi, le fait d'offrir l'accès à des services de traduction aux plaignants qui déposent un grief collectif et qui demandent ce service, constitue un exercice raisonnable de ce contrôle. Je ne me prononce pas sur la question de savoir qui devrait assumer les frais des services de traduction. Comme le Manuel du Conseil du Trésor prévoit que les plaignants doivent défrayer leurs propres dépenses occasionnées par leur participation à l'audience, je ne crois pas qu'il soit déraisonnable que les personnes impliquées dans un grief collectif défraient les frais de traduction simultanée. Je tiens à souligner que dans un cas de grief individuel, on s'attendrait à ce que le plaignant et ou son représentant ferait valoir ses arguments dans l'une ou l'autre des langues officielles et, par conséquent, des services de traduction ne seraient pas nécessaires dans un tel cas, compte tenu que le plaignant et ou son représentant aurait pleinement l'occasion de participer à l'audience dans la langue officielle de son choix.

Les contraintes de temps imposées lors de l'audience


[45]            La défenderesse n'a déposé aucune preuve pour contredire la preuve des demandeurs selon laquelle certaines contraintes de temps avaient été imposées lors de leur présentation devant le Comité. Également, la défenderesse n'a pas contre-interrogé Mme Lasowski quant à l'affidavit qu'elle a déposé dans la présente instance. Par conséquent, je suis convaincu que l'affidavit de Mme Lasowski constitue un récit exact de ce qui s'est passé à l'audience. En fait, comme il n'y a aucune transcription de l'audience, il s'agit du seul compte rendu. Selon ce récit, il semble que Mme Lasowski et les autres plaignants qui étaient présents aient été pris par surprise par les délais imposés par le Comité et qu'ils ont dû modifier et abréger la présentation de leurs documents.   

[46]            En règle générale, dans des affaires comme les ajournements et le déroulement de l'audience, un tribunal administratif sera « maître » de sa propre procédure et la Cour n'interviendra pas. J'estime que les contraintes de temps mentionnées par Mme Lasowski dans son affidavit, ajoutées aux autres inconvénients, semblent avoir nuit à la capacité des demandeurs de faire valoir leurs arguments d'une manière complète et équitable.

[47]            Mme Lasowski déclare ce qui suit aux paragraphes 14 et 15 de son affidavit :

[traduction]

14. Comme nous n'avons su que le jour de l'audience que celle-ci ne commencerait pas immédiatement, c'est-à-dire à 9 h 30, et qu'elle prendrait fin à 14 h, les demandeurs n'ont pas eu l'occasion d'ajuster leurs arguments en conséquence ou même de faire valoir l'ensemble de leurs arguments qu'ils croyaient que leurs griefs méritaient. En fait, le président, M. Chapman, m'a donné l'impression qu'il se dépêchait de compléter le processus. Par exemple, à un certain moment lors de ma présentation, on m'a précisément demandé combien de temps encore il me restait à parler.

15. En raison de ces facteurs, je me suis dépêchée à faire valoir la dernière partie de mes arguments oraux et je n'ai pu insister que sur un certain nombre d'arguments que je désirais faire valoir. Je n'ai tout simplement pas présenté les autres arguments.


[48]            Selon moi, la décision Haydon, précitée, invoquée par les demandeurs, n'est pas directement applicable car cette affaire avait trait à un cadre administratif différent dans lequel des éléments de preuve pertinents importants avaient été retenus par une partie et un ajournement avait été refusé. Toutefois, cette cause démontre que, d'une manière générale, l'équité procédurale peut exiger que, selon les circonstances, la nature du processus et la décision à rendre, une audience ne soit pas tenue en toute hâte.

Le défaut d'accorder des services de téléconférence ou de vidéoconférence lors de       l'audience

[49]            La défenderesse n'a déposé aucune preuve pour expliquer pourquoi elle avait consenti à fournir des services de téléconférence, aux frais des demandeurs, à l'audience initialement prévue pour juillet 2002, puis avait ensuite refusé ces services pour la nouvelle audience. Ce manque d'explication est troublant.

[50]            La section C de la partie II du Manuel du Conseil du Trésor, « Endroits où sont entendus les griefs de classification » , reproduite plus haut, mentionne que les audiences du Comité sont généralement tenues à l'administration centrale du ministère et qu'un employé qui veut participer à une audience doit défrayer ses dépenses à moins qu'il ne soit prévu autrement dans la convention collective. Les demandeurs n'ont cité aucune disposition de leur convention collective qui modifie cette pratique générale. Il est mentionné ce qui suit dans le Manuel du Conseil du Trésor :

L'employé [...] doit défrayer ses dépenses et obtenir un congé de son lieu de travail.


[51]            En l'espèce, les demandeurs ont offert de défrayer les frais de téléconférence ou de vidéoconférence afin de permettre la participation de ceux parmi eux qui autrement seraient incapables de participer. Cette offre avait apparemment été acceptée lorsque l'audience des demandeurs avait été prévue pour juillet 2002. Un décideur administratif, comme le Comité en l'espèce, n'opère pas en vase clos et les demandeurs méritaient certaines explications quant à savoir pourquoi un support de conférence n'avait pas été fourni lors de cette nouvelle audience. Bien que la fourniture de tels services n'est normalement pas exigée dans le cas d'audiences de cette nature, dans les présentes circonstances, particulièrement l'acceptation au préalable, je conclus qu'il y a également eu déni d'équité procédurale en cette matière.

La preuve de la direction n'a pas été fournie aux demandeurs

[52]            Selon moi, le Comité aurait dû donner aux demandeurs l'occasion d'examiner et de répondre aux renseignements fournis par la direction. La description et la nature du poste de directeur régional était cruciale pour la décision finale du Comité de recommander que le poste des demandeurs ne soit pas reclassé.     

[53]            La section H, « Renseignements du représentant de la direction » , de la Partie V, Procédure du Règlement des Griefs de Classification, mentionne qu'un représentant de la direction doit répondre aux questions du Comité au sujet du poste faisant l'objet d'un grief. La direction ne doit pas faire valoir une interprétation ou une autre quant au poste faisant l'objet d'un grief et ne doit pas tenter d'influencer les membres du Comité. Le rôle de la direction ne consiste qu'à fournir des renseignements.

[54]            Selon l'arrêt Bulat, précité, et l'arrêt Chong II, un plaignant dans le cadre du processus du règlement des griefs de classification doit se voir accorder l'occasion de répondre à des renseignements ou à une question qui jouent, de l'avis du Comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que le plaignant ne croyait pas litigieux et qu'il ne s'attendait donc pas à voir surgir ni à traiter.

[55]            Les renseignements fournis par la direction selon lesquels les supérieurs des demandeurs, c'est-à-dire les directeurs régionaux, consacrent environ 25 p. 100 de leur temps à la tenue d'audiences, jouaient-ils un rôle crucial dans le règlement du grief? Selon moi, compte tenu de la preuve non réfutée en l'espèce, ils jouaient un rôle crucial. La demanderesse Lasowski atteste que les demandeurs contestent ce fait et que les directeurs régionaux ne consacrent pas 25 p. 100 de leur temps à la tenue d'audiences. La nature du travail effectué par les directeurs régionaux jouait clairement un rôle très important dans la recommandation finale du Comité.

Le Comité a-t-il ignoré la partialité institutionnelle dans sa recommandation?

[56]            Lors de l'audience de la présente affaire, les demandeurs ont souligné que les motifs de la décision faisant l'objet du contrôle judiciaire, à savoir le rapport du Comité, ne comportaient aucune analyse ou observation quant à leurs arguments portant sur un présumé principe de classification non écrit selon lequel un employé subalterne ne devrait jamais être classé au même groupe et niveau que son supérieur.


[57]            Le Comité n'a pas traité des arguments présentés par les demandeurs quant à cette question si ce n'est que déclarer que le contexte organisationnel des postes a toujours fait « partie intégrale » du processus de classification du groupe professionnel PM et ne pouvait être ignoré. Cela ne donne aucune réponse à la question principale soulevée par le grief des demandeurs, à savoir que la notion selon laquelle deux postes au sein d'un organisme dont l'un est subalterne par rapport à l'autre, d'un point de vue organisationnel, ne peuvent être classés au même niveau, ne devrait pas être appliquée comme règle obligatoire au sein du processus de règlement des griefs de classification et, plus particulièrement, ne devrait pas s'appliquer à leur cas. Bien que le Comité ait fait une distinction entre le poste des demandeurs et le poste des directeurs régionaux, il n'a pas traité de la contestation faite par les demandeurs du cadre analytique utilisé pour l'établissement de ces distinctions.


[58]            De plus, le Comité a également conclu que, après avoir examiné les renseignements des demandeurs concernant les fonctions et les tâches décrites dans les descriptions de tâche appartenant à d'autres organismes, il existait des « différences importantes » dans le mandat, la clientèle visée, la structure organisationnelle et l' « ingénierie du travail » de chaque organisme, tous des éléments qui ont eu une incidence sur l'évaluation des postes. Il n'y a pas d'autres explications sur ce que sont exactement les « différences importantes » qui, selon les demandeurs, existent entre les postes de référence et leur propre description de tâche. Selon moi, le rapport du Comité aurait dû comprendre une analyse mentionnant les différences entre les postes faisant l'objet d'un grief et les postes de référence suggérés. En ce sens, les motifs de la décision faisant l'objet du contrôle sont insuffisants et une autre composante de l'équité procédurale n'a pas été respectée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de la déléguée de l'administrateur général rendue le 2 avril 2003 soit annulée et le grief des demandeurs soit renvoyé à un autre Comité de règlement des griefs de classification pour nouvelle audience et nouvelle recommandation, conformément aux motifs de la Cour. Les dépens sont adjugés aux demandeurs.

                                                                          « Richard G. Mosley »             

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-700-03

INTITULÉ :                                        DENISE LAPOINTE ET AL ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                      POUR LES DEMANDEURS

John Jaworski                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew Raven                                      POUR LES DEMANDEURS

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Avocats

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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