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Date : 19981006


Dossier : IMM-1187-97

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 1998.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :


VASILE GABOR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     VU la demande déposée par le demandeur en vue de faire annuler la décision (no C96-00263), certifiée par le greffe de la CISR le 4 mars 1997, par laquelle la Section du statut de réfugié a déterminé qu"il n"était pas un réfugié au sens de la Convention, demande entendue à Winnipeg en présence de l"avocat de chacune des parties; et

     APRÈS QUE la Cour a décidé de mettre la présente affaire en délibéré;

LA COUR ORDONNE QUE la décision susmentionnée de la SSR soit annulée et que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le demandeur soit envoyée à une autre formation de la SSR pour qu"elle statut de nouveau sur celle-ci; et

LA COUR CERTIFIE QUE, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration, la présente affaire soulève une question grave de portée générale que la Cour formule de la façon suivante :

                      Le fait de donner l"occasion de clarifier des incohérences présumées, perçues par la SSR, que mettent en lumière des documents fournis après la tenue de l"audience fait-il partie de l"obligation qui incombe à la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié d"agir équitablement?                 

                                     F.C. Muldoon

                                     juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date : 19981006


Dossier : IMM-1187-97

ENTRE :


VASILE GABOR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), de la décision, datée du 28 février 1997 (certifiée le 4 mars) (dossier C96-00263), par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (SSR) a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est un citoyen de la Roumanie, d"origine hongroise comme son nom l"indique, qui vient du village de Tirsolt, en Transylvanie. Il prétend avoir une crainte fondée d"être persécuté en raison de sa religion. Il est membre de l"Église gréco-catholique (uniate). Il s"impliquait au sein de cette église avant de quitter la Roumanie en juin 1994. Sous Ceaucescu, des biens appartenant à l"église ont été confisqués, et certains de ceux-ci ont été donnés à l"Église roumaine orthodoxe. Après la chute de Ceaucescu, l"Église uniate a tenté de recouvrer ses biens et de recommencer à faire des célébrations. Des membres de l"Église orthodoxe ont résisté à ces efforts.

[3]      En 1992, alors que le demandeur avait quatorze ans, la communauté catholique a tenté de recouvrer de la communauté orthodoxe une église qui avait été saisie sous le régime communiste. Le 24 mai 1992, un conflit est survenu entre les deux groupes. Tous les adorateurs du Prince de la Paix ont commis des actes de violence relativement à des choses mondaines. La police est intervenue en faveur de l"Église orthodoxe et elle a arrêté quelques Catholiques, mais aucun Orthodoxe. Le demandeur et son père ont été arrêtés. Le père du demandeur a été battu à l"aide d"une matraque et le demandeur a été frappé deux fois, mais ils ont été libérés après avoir reçu un avertissement. Le demandeur a ultérieurement participé à une autre manifestation, en juin 1992; il a alors été arrêté et menacé d"emprisonnement s"il continuait à manifester. Après avoir accepté de mettre fin à ses activités, le demandeur a été libéré.

[4]      En août 1992, des accusations ont été portées contre le père du demandeur relativement à la première manifestation. Il a été reconnu coupable de voies de fait et a été condamné à cinq ans d"emprisonnement. Selon le demandeur, son père a été maltraité en prison : il a été battu et menotté alors qu"il était suspendu. Plusieurs autres Catholiques ont été arrêtés et condamnés à des peines variant de 2 à 4 ans d"emprisonnement. Aucun membre de l"Église orthodoxe n"a été arrêté. En raison de l"emprisonnement de son père, le demandeur ne pouvait pas fréquenter l"école secondaire et sa famille n"avait pas d"argent.

[5]      En avril 1995, le père du demandeur a été libéré après avoir passé deux ans et demi en prison.

[6]      La communauté catholique a prudemment décidé de construire une nouvelle église après avoir abandonné tout espoir de recouvrer l"ancienne église. Comme le gouvernement avait refusé de l"aider, la communauté a bâti l"église en puisant à même ses propres ressources et avec l"aide du Vatican. La construction de l"église a débuté en juillet 1992 et elle s"est terminée en 1994. Les membres de la communauté, auxquels s"étaient jointes des centaines de personnes venues d"ailleurs, ont fêté la fin de la construction de l"église en mars 1994, mais ils ont été harcelés par la police à cette occasion sous prétexte qu"ils troublaient l"ordre public. Quelques personnes, dont le demandeur, se sont opposées à l"intervention de la police; on leur a ordonné de fermer l"église et de rentrer à la maison. Il ne ressort pas de la preuve que la fermeture devait se prolonger au-delà de la journée en question.

[7]      Le demandeur dit qu"il a décidé de quitter la Roumanie afin de pouvoir pratiquer sa religion librement, étant donné que cela constituait le dernier avertissement que la police lui faisait. Il a quitté la Roumanie en juin 1994 et il est arrivé au Canada en avril 1996.

[8]      Le demandeur a maintenant 20 ans et il est susceptible d"être conscrit. Il ne veut pas faire son service dans l"armée roumaine, car il craint d"y être maltraité. Il craint également que s"il retourne en Roumanie, il sera emprisonné pour avoir quitté le pays et omis de faire son service militaire.

[9]      Sur le fondement de la preuve produite, la SSR a tiré la conclusion suivante :

                 [TRADUCTION] La formation reconnaît l"intransigeance soutenue de l"Église orthodoxe en ce qui concerne la question de la remise, à l"Église uniate, de ses biens, et le fait que le gouvernement appuie l"Église orthodoxe relativement à cette question. De toute évidence, la position minoritaire des Catholiques dans un contexte d"indifférence de la part du gouvernement, fait état d"un certain degré de subordination. Cependant, la formation n"estime pas que cela constitue une preuve forte de persécution soutenue des Catholiques grecs en Roumanie, et le revendicateur n"a été en mesure de fournir que peu de renseignements supplémentaires pour justifier sa crainte d"être persécuté en raison de ses croyances catholiques. Néanmoins, il a insisté qu"il lui serait impossible de pratiquer librement sa religion en Roumanie, vu l"antipathie du gouvernement à l"égard des Catholiques. Les documents étayent tout au plus le fait que certains Protestants sont harcelés par des représentants locaux et que des personnes font l"objet d"injures, ce qui le revendicateur a lui-même soutenu.                 
                 La formation a tenu compte des expériences que le revendicateur a vécues avant de quitter la Roumanie, de l"emprisonnement de son père, et de la preuve disponible concernant le traitement réservé aux Catholiques grecs en Roumanie. La formation est incapable de conclure que l"effet cumulatif des expériences vécues par le revendicateur et son père, du conflit relatif aux biens de l"Église uniate qui opposait celle-ci à l"Église orthodoxe, et du harcèlement dont le revendicateur est susceptible de faire l"objet de temps à autre, donne lieu à une crainte fondée du revendicateur d"être persécuté en raison de sa religion.                 
                 De façon subsidiaire, la formation remarque également que le conflit, rapporté en 1991, qui opposait les Catholiques aux Orthodoxes semblait se limiter à la Transylvanie, y compris la ville de Tirsolt, d"où vient le revendicateur. Même si le revendicateur avait raison de craindre d"être persécuté en tant que Catholique à Tirsolt, la formation s"est demandée si une possibilité de refuge intérieur s"offrait à lui à l"extérieur de la Transylvanie. On a demandé au revendicateur s"il avait pu s"installer ailleurs en Roumanie afin de pouvoir pratiquer librement sa religion. Il a dit qu"il n"était pas certain de cela et qu"il ne pouvait dire quoi que ce soit sur cette question. La formation n"a pris connaissance d"aucune preuve qui laisse entendre que les Catholiques ont subi, à l"extérieur de la Transylvanie, des difficultés équivalant à de la persécution, et l"avocate n"a porté aucune preuve de cette nature à son attention. Bien qu"il ne soit pas nécessaire de trancher cette question , la formation estime que le revendicateur n"agirait pas de façon déraisonnable en cherchant un refuge intérieur en Roumanie. La formation est consciente du fait que le revendicateur n"avait que seize ans quand il a quitté la Roumanie. Elle estime que le fait qu"il soit jeune augmentait plutôt que diminuait le caractère raisonnable d"une recherche d"un autre lieu où il pourrait s"installer en Roumanie et où il serait relativement près de sa famille si le motif de son départ était effectivement de pouvoir pratiquer sa religion librement.                 
                 [Non souligné dans l"original.]                 
                 *** *** ***                 
                 Enfin, la formation remarque que le revendicateur a témoigné le 7 novembre 1996 que la police avait remis à ses parents un avis relatif au service militaire qui lui était adressé. On lui a demandé s"il pouvait produire cet avis et il a répondu qu"il le produirait. Le 1er février 1997, l"avocate a présenté des documents dont l"avis relatif au service militaire, lequel était accompagné d"une traduction anglaise certifiée et d"une lettre explicative. L"avis, qui provenait du bureau du maire de Tirsolt, était daté du 27 novembre 1996. L"avis disait : " Nous vous prions de vous présenter à la salle communautaire de Tirsolt pour vous inscrire dans les dossiers de recrutement, afin de pouvoir faire votre service militaire obligatoire. Vous devez vous présenter à 10 heures, le 30 novembre 1996 ". Le revendicateur ayant témoigné le 7 novembre 1996 que ses parents avaient déjà reçu un avis relatif au service militaire adressé à lui, la formation se demande pourquoi l"avis qui lui a été présenté est daté du 27 novembre 1996. L"avis n"indique aucunement qu"un avis lui avait déjà été remis. L"avocate n"a pas dit non plus dans sa lettre explicative du 1er février 1997 que le document présenté n"était pas celui auquel le revendicateur avait renvoyé dans son témoignage. Sur le fondement de la preuve dont elle dispose, la formation doit conclure que l"avis relatif au service militaire qui lui a été présenté n"est pas authentique.                 

[10]      Se fondant sur cette décision, le demandeur demande le contrôle judiciaire en invoquant les motifs suivants :

                 [TRADUCTION]                 
                 1.      Que la SSR a violé son devoir d"équité à l"égard du demandeur lorsqu"elle a omis d"aviser ce dernier que sa crédibilité était mise en doute et lorsqu"elle a omis de lui donner l"occasion de répondre avant que la décision ne soit prise;                 
                 2.      Que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a omis de déterminer si le demandeur avait pu subir le même traitement que son père avait subi;                 
                 3.      Que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a déterminé qu"une PRI s"offrait au demandeur, étant donné que la PRI ne s"applique que lorsqu"il y a une guerre civile et que les agents de persécution ne sont pas l"État; et                 
                 4.      Que la SSR a commis une erreur lorsqu"elle a déterminé qu"il n"y avait aucun lien entre la crainte du demandeur d"être conscrit et l"un ou l"autre motif prévu par la Convention.                 

[11]      La SSR a commis une grave erreur lorsqu"elle a conclu que le demandeur manquait de crédibilité, sur le fondement que l"avis relatif au service militaire " n"était pas authentique ". Elle aurait dû demander au demandeur de s"expliquer, toute en avisant l"agent d"audience. En fait, le demandeur avait une explication parfaitement valable, ce qui suggère que le soin et l"attention que son avocate portait à sa situation laissaient à désirer.

[12]      Dans un affidavit signé le 12 novembre 1997, soit un an après l"audition devant la SSR, il a dit :

                 [TRADUCTION]                 
                 2.      À l"audition de ma revendication du statut de réfugié devant la SSR, j"ai témoigné de l"existence d"un avis relatif au service militaire dont mes parents m"avaient informé. Mes parents m"ont informé par téléphone que l"avis était daté du 13 septembre 1997. Je me suis engagé à l"audition de produire l"avis après la tenue de celle-ci.                 
                 3.      Après l"audition, j"ai écrit à mes parents pour leur demander de me faire parvenir l"avis dont ils m"avaient informé. Mes parents m"ont envoyé non pas l"avis du 13 septembre, mais plutôt un avis ultérieur daté du 27 novembre 1997, car ils croyaient, comme moi, que c"était l"avis le plus récent qui était le plus pertinent pour la Commission. Mon avocate a présenté à la Commission l"avis du 27 novembre accompagné d"une lettre explicative, jointe au présent affidavit en tant que pièce " A ", et d"une lettre que j"ai reçue de mes parents concernant l"avis.                 
                 4.      Les motifs sur lesquels la Commission s"est fondée pour conclure que l"avis relatif au service militaire n"était pas authentique simplement parce que j"avais produit l"avis le plus récent que mes parents avaient reçu, sans me donner l"occasion de m"expliquer, m"ont surpris et consterné. Mes parents disposent toujours de l"avis du 13 septembre. J"aurais produit cet avis-là si j"avais su que cela était important pour en déterminer l"authenticité, et je peux toujours le produire.                 

[13]      La Cour, qui est parfaitement consciente du devoir qui lui incombe dans une situation similaire, n"a aucune hésitation à déclarer que la SSR a l"obligation de tenir une audience équitable à l"égard des parties, conformément au paragraphe 68(2) de la Loi. L"omission de la formation de donner au demandeur l"occasion de s"expliquer sur la question à l"égard de laquelle elle était prête à tirer une conclusion défavorable à ce dernier constitue un manque d"équité.

[14]      Cependant, il semble que même si la formation de la SSR avait conclu que l"avis relatif au service militaire était authentique (comme il paraît l"être), le résultat aurait-il été différent? Peut-être pas. La formation, après tout, a conclu que le demandeur n"aurait pas été et ne serait pas persécuté au sens de la Convention s"il avait été obligé de faire son service militaire. Aux pages 6 et 7 de la décision de la SSR (pages 9 et 10 du dossier du tribunal), la formation a écrit :

                 [TRADUCTION]                 
                      Le revendicateur soutient également qu"il craint de retourner en Roumanie étant donné qu"il y sera conscrit. Il n"avait que seize ans quand il a quitté la Roumanie, mais il a eu dix-huit ans le 1er janvier 1996. L"agent d"audience a demandé au revendicateur la raison pour laquelle il ne voulait pas faire son service militaire. Il a répondu que le service était très difficile, que l"on devait porter une arme, que cela était dangereux, et que la patrouille des frontières était particulièrement hasardeuse en raison du trafic et des activités illicites qui s"y déroulaient. L"agent d"audience lui a demandé s"il serait traité différemment des autres conscrits. Il a dit qu"il risquait d"être traité plus durement parce qu"il avait quitté la Roumanie. Par exemple, il risquait d"être affecté là où les conditions étaient particulièrement difficiles.                 
                      Le revendicateur n"a pas établi de lien entre le fait qu"il soit Catholique et la possibilité qu"il soit maltraité dans l"armée. Dans ses observations, cependant, l"avocate a cité des documents qui indiquaient que l"Église orthodoxe tentait de s"insinuer dans l"armée afin de "contrecarrer l"influence des sectes religieuses, dont certaines s"opposent ouvertement au service militaire, mais également afin d"aider l"armée, avec l"aval de celle-ci, à cultiver les sentiments patriotiques des jeunes conscrits". La formation n"estime pas que cela est suffisant pour étayer la crainte du revendicateur d"être persécuté au sein de l"armée en raison de ses croyances catholiques. Le fait que le revendicateur préfère ne pas faire son service au sein de l"armée roumaine est parfaitement compréhensible, mais il n"est pas lié à un motif prévu par la Convention. En outre, la formation ne dispose pas de preuve lui permettant de conclure que l"omission de faire son service militaire engendre des peines si sévères que cela constitue de la persécution.                 

[15]      Par ailleurs, il existe une certaine jurisprudence, qui remonte au moins à l"arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311, et qui comprend les arrêts Martineau c. Le Comité de discipline de l"Institution de Matsqui (no2) [1980] 1 R.C.S. 602, Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat [1980] 2 R.C.S. 735, et Cardinal c. Directeur de l"établissement Kent [1985] 2 R.C.S. 643. Dans l"arrêt Cardinal , le juge Le Dain dit, au nom de la Cour suprême (aux pages 660 et 661), à propos des points de vue exprimés par la Cour d"appel de la C.-B. :

                 Une implication possible de leur analyse est qu"ils ont estimé que, vu les motifs du refus du directeur de suivre la recommandation du Conseil, il aurait été inutile qu"il accorde une audition aux appelants. L"omission d"accorder une audition équitable, qui est de l"essence même de l"obligation d"agir avec équité, ne peut jamais être considérée en elle-même sans "importance suffisante" à moins que ce ne soit à cause de son effet perçu sur le résultat ou, en d"autres mots, à cause du tort réel qu"elle a causé. Si c"est là la façon correcte de voir les implications de l"analyse adoptée par la majorité [...] sur la question d"équité dans la procédure en l"espèce, j"estime nécessaire d"affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, qui la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l"audition aurait vraisemblablement amené une décision différente.                 

Cette dernière phrase semble contredire l"expression suivante qui la précède : " à moins que ce ne soit à cause de son effet perçu sur le résultat ". Néanmoins, le juge Le Dain poursuit :

                 Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n"appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d"hypothèses sur ce qu"aurait pu être le résultat de l"audition.                 

[16]      Il ne fait aucun doute que cela a eu un certain effet dans la présente affaire, la formation ayant écrit, à la page 8 de la décision de la SSR (page 11 du dossier du tribunal) :

                 [TRADUCTION] Enfin, la formation estime que l"avis relatif au service militaire n"était pas authentique, ce qui l"a amenée à douter de la crédibilité du revendicateur en ce qui concerne la question du service militaire.                 

[17]      Une telle atteinte, peut-être erronée, à la crédibilité du demandeur a-t-elle eu une influence déterminante sur l"issue de la cause et mené la SSR à conclure que ce dernier n"était pas un réfugié au sens de la Convention? Compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême, il semble qu"il ne suffise pas au défendeur d"établir que l"avis contesté a été produit par le demandeur, qui l"avait en sa possession, ce qui aurait pour effet de démontrer que le demandeur et son avocat en connaissaient la date. Le demandeur a manifestement mal compris l"importance de la date en fonction de laquelle la SSR a tiré de façon simpliste des conclusions à propos de la pièce, sans avoir entendu ce que le demandeur aurait pu révéler, tel qu"il ressort de l"affidavit déjà cité.

[18]      Les principes énoncés par la Cour suprême dans son arrêt Cardinal c. Direction de l"établissement Kent ont été récemment tempérés en 1994 dans l"arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers [1994] 1 R.C.S. 202, dans lequel le juge Iacobucci a cité l"ouvrage Administrative Law (6e éd. 1988) du professeur Wade, à la page 228 :

                      [TRADUCTION] On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d"un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d"ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.                 

[19]      Monsieur le juge Iacobucci a poursuivi en disant que le résultat de l"arrêtMobil était "exceptionnel puisque habituellement, la futilité apparente d"un redressement ne constituera pas une fin de non-recevoir" (à la page 228). Il est clair que l"exception doit être interprétée de façon très étroite.

[20]      L"exception a été appliquée par le juge de la présente affaire dans Elguindi c. Canada (Ministre de la Santé) et Directeur du Bureau de surveillance des médicaments [1997] 2 C.F. 247. Or, une distinction peut manifestement être établie entre cette affaire et l"espèce. Dans cette affaire, la requérante, une pharmacienne, ne pouvait dire ce qu"il était advenu de diverses quantités de stupéfiants qu"elle avait eu en sa possession à titre professionnel. L"intimé avait omis de communiquer à la requérante certains documents auxquels elle avait droit, avant que le directeur de l"intimé n"interdise à cette dernière de recevoir d"autres stupéfiants et n"avise l"organisme régissant les membres appartenant à sa profession. Il y a eu violation de l"équité procédurale mais, outre ces documents non communiqués, il était clair,entre autres , que la requérante n"avait plus en sa possession 200 comprimés de Percocet qui posaient vraisemblablement un risque pour le public à moins, bien entendu, qu"ils ne se soient "évaporés" ou encore qu"ils aient été jetés aux égouts, deux possibilités que la requérante n"a pas invoquées. En conséquence, sur la foi de simples calculs mathématiques visant à établir la quantité de stupéfiants manquants, la décision du directeur pouvait être amplement étayée et la tentative de la requérante visant à faire annuler celle-ci était, de fait, "désespérée" ou "vaine".

[21]      La Cour d"appel fédérale a tranché l"appel interjeté par la pharmacienne, (1997) 215 N.R. 216; (1998) 75 C.P.R. (3d) 344. Elle a estimé, à propos des documents que le directeur n"avait pas communiqués, certains de ceux-ci ayant un contenu que la pharmacienne connaissait ou aurait dû connaître et certains autres révélant au directeur du Bureau de surveillance des médicaments que la pharmacienne avait eu en sa possession d"autres stupéfiants alors qu"elle occupait un autre emploi ultérieurement à titre de professionnelle, après les incidents à la suite desquels il se proposait d"interdire celle-ci d"avoir des stupéfiants en sa possession, qu"il n"y avait eu aucune violation de la justice naturelle. La Cour était aussi d"avis que le fait que le directeur avait été avisé de l"arrestation de la pharmacienne par la police, le 18 juillet 1995, après avoir été accusée de vol pour moins de 5 000 $, ne constituait pas une violation de la justice naturelle. Le directeur n"ayant nullement renvoyé à l"un ou l"autre de ces autres documents pour prendre sa décision, la Cour d"appel a conclu que celui-ci n"avait pas violé l"équité procédurale lorsqu"il avait omis de communiquer à la pharmacienne les documents et renseignements dont il disposait à son sujet. L"appel a été rejeté et la pharmacienne a cherché à obtenir une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. L"autorisation lui a été refusée, [1997] 3 R.C.S. viii.

[22]      En l"espèce, comme il a été soutenu devant la SSR, le demandeur devait sûrement connaître la date de l"avis relatif au service militaire, mais celui-ci dispose d"une explication qui lui permet de conserver sa crédibilité, selon laquelle même si un avis antérieur existait déjà lorsqu"il a témoigné, lui-même, ses parents et son avocate croyaient, en ce qui concerne la date de l"avis, que c"était la date du tout dernier avis que la SSR cherchait à connaître. La SSR, cependant, sans demander d"explication au demandeur, a tout de suite conclu que celui-ci devait mentir et que l"avis avait été fabriqué de toutes pièces ou " n"était pas authentique ". Une conclusion aussi hâtive ne pouvait faire en sorte que les membres de la formation soient favorablement disposés, voire impartiaux, à l"égard de la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur.

[23]      À ce stade-ci, il se pourrait fort bien qu"il soit imprudent pour le juge de la présente affaire de statuer davantage sur le bien-fondé de la détermination de la SSR selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention. L"issue de la présente affaire dépend de l"appréciation des faits et de la crédibilité du demandeur, et non d"une démonstration mathématique de pertes d"inventaires de stupéfiants, comme c"était le cas dans l"affaire Elguindi .

[24]      L"affaireYassine c. M.E.I. (1995) 27 Imm. L.R. 135, (1994) 72 N.R. 308 (C.A.F.) est superficiellement similaire à l"espèce. Le sommaire de la décision, à la page 135 des Immigration Law Reports, résume l"essentiel de l"affaire :

                 [TRADUCTION]                 
                      Le revendicateur, un citoyen du Liban, s"est vu nié le statut de réfugié au sens de la Convention après que la Section du statut de réfugié a tiré des conclusions défavorables en ce qui concerne sa crédibilité. Après l"audition, la Section du statut de réfugié a reçu des renseignements concernant des changements survenus à la situation qui régnait à Beirout. Des copies des documents ont été mises à la disposition de l"avocat du revendicateur, qui a obtenu un délai de deux semaines pour faire des observations écrites en guise de réponse. Aucune réponse n"a été fournie et aucune objection n"a été soulevée en ce qui concerne cette façon de procéder avant que la Section du statut de réfugié ne rende sa décision. Le revendicateur a interjeté appel de la décision selon laquelle il n"était pas un réfugié au sens de la Convention.                 
                 Arrêt - L"appel est rejeté.                 
                      Aucune raison ne justifiait une intervention de la Cour à l"égard des conclusions tirées par la Section du statut de réfugié en matière de crédibilité.                 
                      La Section du statut de réfugié n"a pas violé les règles de justice naturelle lorsqu"elle a reçu les renseignements supplémentaires. De toute façon, même si ces règles avaient été violées, la conduite du revendicateur constituait une renonciation implicite du droit d"invoquer une telle violation.                 
                      Même si la Section du statut de réfugié a reçu à tort les renseignements supplémentaires - il n"y a pas eu renonciation du droit d"invoquer une telle inconvenance - il ne servirait à rien de renvoyer l"affaire à la Section du statut de réfugié car, la conclusion défavorable en matière de crédibilité étant fondée, la revendication ne pouvait être que rejetée.                 

[25]      En l"espèce, même si l"occasion de faire des remarques n"a pas été saisie, probablement parce que ni le demandeur ni son avocate n"avait été avisé de ce que la SSR avait finalement considéré comme problématique, la conclusion de la formation selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité a vraiment été mise en doute. Cette omission d"aviser le demandeur du fait que la SSR avait hâtivement conclu que la date la plus tardive de l"avis relatif au service militaire lui avait fait perdre sa " crédibilité sur la question du service militaire " constitue le manque d"équité procédurale établi par le demandeur en l"espèce. Une question d"une telle nature, découlant d"un document déposé par le demandeur et inconnue de ce dernier, est le type de question importante et grandement défavorable au demandeur qui, même si elle semblait avoir été identifiée par la SSR, aurait dû être communiquée à celui-ci.

[26]      Vu la jurisprudence précitée et vu que la cause du demandeur ne peut être qualifiée de " désespérée " étant donné que, sur le fondement d"une conclusion correcte en matière de crédibilité, une formation de la SSR constituée différemment aurait fort bien pu en arriver à une autre conclusion, il incombe à la Cour d"accueillir la demande de certiorari visant à faire annuler la décision de la SSR, datée du 4 mars 1997 tel qu"il ressort du certificat du greffier, selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention, au motif qu"il y eu un manque d"équité procédurale. La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur doit être soumis à une formation de la SSR constituée différemment pour qu"elle statue de nouveau sur celle-ci.

[27]      À la fin de l"audience tenue à Winnipeg, l"avocat du demandeur a proposé que quatre questions, qu"il a soumises par écrit, soient certifiées. Voici ces questions, légèrement modifiées par souci de clarté :

                 [TRADUCTION]                 
                 I.                 
                      [Le fait de donner] l"occasion de clarifier des incohérences [présumées, perçues par la SSR], que mettent en lumière des documents fournis après la tenue de l"audience fait-il partie de l"obligation qui incombe à la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié d"agir équitablement?                 
                 II.                 
                      La seule impossibilité de pratiquer sa religion constitue-t-elle de la persécution?                 
                 III.                 
                      La possibilité de refuge intérieur peut-elle s"appliquer à des enfants indépendamment de leurs parents?                 
                 IV.                 
                      La Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a-t-elle l"obligation de tenir compte d"un fondement objectif d"une revendication, lorsqu"un tel fondement est avancé par l"avocat mais que le fondement subjectif qui y correspond n"est pas invoqué par le revendicateur (celui-ci étant invoqué seulement par l"avocat dans ses observations suivant l"audience)?                 

[28]      Seule la première question a une incidence sur la question de savoir si des documents reçus après la tenue de l"audience peuvent inciter la SSR à tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité sans que la partie touchée de façon défavorable ne soit entendue. Le défendeur s"oppose à la certification des quatre questions.

[29]      Dans l"arrêt de la Cour d"appel M.C.I. c. Liyanagamage (1995) 176 N.R. 4, cité, le juge Décary a énoncé ce principe au nom de la Cour, à la page 5 :

                 [4] Lorsqu'il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d'avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [...] et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel. Le processus de certification qui est visé à l'article 83 de la Loi sur l'immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l'article 18.3 de laLoi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d'obtenir, de la Cour d'appel, des jugements déclaratoires à l'égard de questions subtiles qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.                 

[30]      L"avocate du défendeur (qui, pour une raison ou pour une autre, a répondu aux questions soumises par l"avocat du demandeur dans l"ordre inverse de leur ordre numérique) a affirmé que les trois dernières questions ne sauraient être déterminantes dans le cadre d"un appel. Cela est peut-être vrai, mais la Cour refuse de certifier ces questions, étant donné qu"elles portent sur des questions de fond et non sur l"équité procédurale.

[31]      En ce qui concerne la première question, l"avocate du défendeur soutient :

                      [TRADUCTION] Cette question ne constitue pas une question grave de portée générale. Il existe trois façons de fournir des documents après la tenue de l"audience devant la Section du statut de réfugié. Ils peuvent provenir du demandeur, de l"agent d"audience, ou ils peuvent être découverts par la Section du statut de réfugié elle-même. Lorsque les documents sont fournis après l"audience par l"agent d"audience de la Section du statut de réfugié, il est clair que le demandeur a le droit d"être avisé de leur existence et d"avoir l"occasion de répondre aux incohérences que les documents mettent en lumière. Lorsque les documents sont fournis par le demandeur à la Section du statut de réfugié, comme c"est le cas en l"espèce, celui-ci peut traiter de toute incohérence qu"ils mettent en lumière en les accompagnant d"une lettre explicative. Le demandeur a donc l"occasion de clarifier de telles incohérences.                 

Une telle observation est juste, mais elle ne va pas assez loin. Bien entendu, le demandeur a eu " l"occasion de clarifier " les incohérences perçues par la SSR mais, évidemment, ni lui, ni son avocat ne sont des voyants. En effet, ils ne pouvaient connaître d"avance l"incidence que la date de l"avis relatif au service militaire aurait sur la crédibilité du demandeur, aux yeux de la SSR. En conséquence, cette " occasion de clarifier " dont on a tant fait l"éloge était plutôt illusoire, voire inexistante. L"objection du défendeur n"est donc pas fondée, et la question doit être certifiée sur le fondement des principes énoncés par la Cour d"appel dans l"arrêt Liyanagamage , précité. La cause du demandeur ne sera pas nécessairement " désespérée " une fois que sa crédibilité aura été rétablie.

[32]      En résumé, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur, annule la décision de la SSR, datée par le certificat du greffier du 4 mars 1997 (no C96-00262) (dossier du tribunal, à la page 2), relativement à sa revendication du statut de réfugié, et renvoie la revendication à une autre formation de la SSR pour qu"elle statut de nouveau sur celle-ci , au motif que la formation contestée a omis de respecter l"équité procédurale en appréciant la crédibilité du demandeur. La Cour certifie la question grave de portée générale suivante :

                      Le fait de donner l"occasion de clarifier des incohérences présumées, perçues par la SSR, que mettent en lumière des documents fournis après la tenue de l"audience fait-il partie de l"obligation qui incombe à la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié d"agir équitablement?                 

                                         F.C. Muldoon

                                         juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-1187-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      VASILE GABOR et LE MINISTRE DE LA                          CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 27 mai 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              6 octobre 1998

ONT COMPARU :

David Matas                                  POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                  POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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