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T-2473-96

Ottawa (Ontario), le mercredi 30 juillet 1997.

En présence de monsieur le juge Gibson

E N T R E :

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     requérant,

     et

     159890 CANADA INC.,

     intimée.

     ORDONNANCE

     Vu la demande, déposée aux termes du paragraphe 225.2(8) de la Loi de l"impôt sur le revenu, visant à obtenir la révision de l"autorisation ou " ordonnance de protection " accordée sous le régime de l"article 225.2 de la Loi, par le juge Rouleau, dans le cadre d"une ordonnance en date du 14 novembre 1996;

LA COUR ORDONNE :

     Que la demande de révision soit accueillie et que l"autorisation accordée sous le régime de l"article 225.2 de la Loi de l"impôt sur le revenu par le juge Rouleau, dans le cadre d"une ordonnance en date du 14 novembre 1996, soit annulée.


" FREDERICK E. GIBSON "

                                             juge

Traduction certifiée conforme              _________________________

                             Bernard Olivier, LL.B.



T-2473-96

E N T R E :

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     requérant,

     et

     159890 CANADA INC.,

     intimée.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Le 14 novembre 1996, le juge Rouleau a accordé, dans les termes suivants, une [TRADUCTION] " ordonnance de protection " dans le cadre de la présente affaire :

         [TRADUCTION]

                 1.      LA COUR ORDONNE QUE le ministre du Revenu national soit autorisé à prendre sur-le-champ l"une ou l"autre des mesures décrites aux alinéas 225.1(1)a ) à g) de la Loi de l"impôt sur le revenu à l"égard de l"intimée.                 
                 2.      LA COUR ORDONNE QUE la présente ordonnance soit signifiée à l"intimée par l"envoi d"une copie conforme, par courrier courant et recommandé, au plus tard le 19 novembre 1996, à 159890 Canada Inc. [...]                 
                      [L"adresse a été omise.]                 
         Le juge Rouleau a rendu son ordonnance sous le régime du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l"impôt sur le revenu1 (la Loi). Comme le prévoit ce paragraphe, l"ordonnance a été rendue ex parte . Elle autorisait le requérant à prendre des mesures de recouvrement relativement du montant d"une cotisation établie à l"égard de l"intimée (le contribuable), malgré le fait que le contribuable avait interjeté appel contre la cotisation devant la Cour canadienne de l"impôt et que l"appel n"avait pas encore été réglé par cette cour, ni abandonné. Le contribuable a déposé une demande de contrôle de l"ordonnance de protection devant la Cour, aux termes du paragraphe 225.2 (8). Les présents motifs font suite à l"audition de cette demande de contrôle.         
              Il est ressorti de la preuve présentée au juge Rouleau dans le cadre de la demande d"ordonnance de protection que le contribuable devait, à l"époque, une somme considérable à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le requérant (le ministre). Il ressort des dossiers du ministre que, peu après que la Cour canadienne de l"impôt a été saisie de l"appel concernant la question de l"endettement du contribuable, un " remboursement au titre de dividendes " à l"égard de l"année d"imposition se terminant le 31 décembre 1987 est devenu exigible du ministre, au profit du contribuable. Le montant de ce remboursement a été déduit du prétendu montant que le contribuable devait à la Couronne. Le contribuable a écrit au ministre pour demander qu"il lui soit versé, aux termes du paragraphe 164(1.1) de la Loi, un montant équivalant au remboursement au titre de dividendes.         
              Voici la preuve dont disposait le juge Rouleau en ce qui concerne l"incapacité potentielle du ministre de recouvrer le montant de la dette qui serait due à la Couronne :         
              [TRADUCTION]         
                 8.      Le 24 septembre 1996, Katchen a écrit à Revenu Canada à propos du recouvrement de la dette que la corporation avait envers la Couronne. Dans sa lettre, Katchen a fourni diverses raisons pour expliquer pourquoi le recouvrement de la dette de la corporation n"était pas compromis :                 
                      a)      l"appel que la corporation a déposé était valable et en cours d"instance;                 
                      b)      en juin 1994, la corporation a reçu un chèque de remboursement de Revenu Canada. La corporation n"a pas gardé l"argent, ce qu"elle avait le droit de faire, mais l"a plutôt renvoyé à Revenu Canada et a demandé que ce montant soit imputé sur la dette fiscale contestée;                 
                      c)      par l"entremise d"une société de portefeuille, Katchen est l"unique actionnaire de la corporation. Il est avocat. Il habite la même maison à Toronto depuis 13 années. Il n"a pas de casier judiciaire, il n"est pas un failli et il ne doit pas d"argent à Revenu Canada. Dans le cas où la somme serait remboursée à la corporation, rien ne porte à croire qu"il s"enfuirait avec celle-ci;                 
                      d)      la corporation n"a aucune autre dette et rien ne porte à croire que la somme en question serait versée à d"autres créanciers, devenant ainsi irrécouvrable par Revenu Canada, advenant le cas où l"appel de celui-ci était accueilli.                 
                 [...]                 
                 9.      En ce qui concerne la déclaration de Katchen décrite au paragraphe 8b) qui précède, Revenu Canada n"a aucun dossier établissant qu"un chèque de remboursement a été émis au nom de la corporation, comme le mentionnait la lettre de Katchen.                 
                 [...]                 
                 10.      Selon la déclaration de revenus la plus récente de la corporation, pour l"année se terminant le 30 décembre 1989, l"actif à court terme de la corporation était de 739,99 $ en argent comptant; le passif s"élevait à 10 625,00 $. [...]                 
                 11.      Katchen m"a confirmé que la corporation était inactive et qu"à l"heure actuelle, elle n"avait aucun actif.                 
              En ce qui concerne les " remboursements au titre de dividendes ", le paragraphe 129(2) de la Loi de l"impôt sur le revenu prévoit :         
                 (2) Au lieu d"effectuer le remboursement qui pourrait autrement être fait en vertu du paragraphe (1), le Ministre peut, lorsque la corporation est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi, ou est sur le point de l"être, imputer sur cette autre obligation la somme qui serait par ailleurs remboursable et en avertir la corporation.                 
         Rien n"établit que le paragraphe 129(2) de la Loi a été porté à l"attention du juge Rouleau. À première vue, ce paragraphe semble conférer au ministre le pouvoir d"imputer le " remboursement au titre de dividendes " sur l"obligation du contribuable et de rejeter la demande de remboursement faite par écrit.         
              Voici, en partie, le libellé des paragraphes 164(1.1) et (1.2) de la Loi :         
                 (1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsqu"un contribuable demande au ministre, par écrit, un remboursement ou la remise d"une garantie, alors qu"il a                 
                      a)[...]                 
                      b) soit appelé d"une cotisation devant la Cour canadienne de l"impôt,                 
                 le ministre doit, si aucune autorisation n"a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l"égard du montant de la cotisation, avec toute la diligence possible, rembourser les sommes versées sur ce montant [...] jusqu"à concurrence de l"excédent                 
                 [...]                 
                 (1.2) Par dérogation au paragraphe (1.1), le juge saisi peut, sur requête du ministre faite dans les 45 jours de la date où celui-ci reçoit la demande écrite d"un contribuable visant le remboursement d"une somme [...], soit ordonner que tout ou partie de la somme ne soit pas remboursée au contribuable [...], soit rendre toute ordonnance qu"il estime justifiée dans les circonstances, s"il est convaincu qu"il existe des motifs raisonnables de croire que le fait de lui rembourser la somme [...] compromettrait le recouvrement de tout ou partie du montant d"une cotisation établie à son égard.                 


         Contrairement à la demande d"ordonnance de protection prévue au paragraphe 225.2(2), la demande d"ordonnance de protection aux termes du paragraphe 164.(1.2) se fait par avis, à l"intérieur d"un délai déterminé, et le contribuable peut, bien entendu, assister à l"audition et y faire des observations.         
              Il ressort des faits de l"espèce que, pour une raison quelconque, le ministre a choisi d"agir ex parte aux termes du paragraphe 225.2 au lieu d"envoyer, dans le délai prescrit, l"avis prévu au paragraphe 164(1.2). Encore une fois, je ne disposais d"aucune preuve établissant que le juge Rouleau savait que le ministre pouvait avoir eu le choix d"agir aux termes du paragraphe 164(1.2).         
              Le jour même du dépôt, devant la Cour, de la requête fondée sur le paragraphe 225.2(2), une autre demande a été déposée, laquelle visait à obtenir :         
              [TRADUCTION]         
              1. les conseils et directives préliminaires de la Cour quant à l"applicabilité du par. 164(1.1) de la Loi de l"impôt sur le revenu (la Loi), compte tenu du fait que le ministre a déduit un remboursement au titre des dividendes de la dette que 159890 Canada Inc. a envers lui;         
                 2.      sous réserve de l"applicabilité du par. 164(1.1) de la Loi, une ordonnance portant que le ministre ne soit pas tenu de rembourser la somme de 606 321,24 $ comme le demande 159890 Canada Inc.                 
         Cette requête a été signifiée au contribuable. Il ressort du dossier de la Cour que l"audition de la requête a été, de consentement, ajournée indéfiniment après que le juge Rouleau a rendu son ordonnance. Elle a par la suite été retirée.         
              En résumé, donc, on a demandé au juge Rouleau de rendre une ordonnance de protection ex parte, ce qu"il a fait, dans des circonstances où - du moins pourrait-on le soutenir - la loi conférait le pouvoir d"imputer le " remboursement au titre de dividendes " sur la prétendue dette du contribuable et où - du moins pourrait-on, une fois de plus, le soutenir - la loi prévoyait une forme subsidiaire d"ordonnance de protection relativement à laquelle le contribuable aurait eu le droit d"être avisé du dépôt de la demande et l"occasion d"en contester le bien-fondé. Enfin, il est évident que la preuve dont disposait le juge Rouleau suffisait à le convaincre [TRADUCTION] " [...] que le recouvrement du montant d"une cotisation établie à l"égard d"un contribuable serait compromis par un délai dans le recouvrement de ce montant, [...] même si le montant, étant apparemment le seul montant pouvant être recouvré de l"avis du ministre, se trouvait déjà entre les mains de celui-ci ".         
              Dans Sa Majesté la Reine c. Robert Duncan2, le juge en chef adjoint Jerome a écrit, à la page 727 :         
                 Dans [Satellite Earth], le juge MacKay a examiné les facteurs qu"une cour doit prendre en considération lorsqu"elle révise une ordonnance de recouvrement de protection en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi. Après avoir examiné la jurisprudence portant sur la version antérieure de l"article 225.2, il a conclu [...] que dans une requête fondée sur le paragraphe 225.2(8), le ministre a le fardeau ultime de justifier la décision malgré le fait que l"article 225.2 modifié ne comprend plus l"ancien paragraphe (5) qui disposait expressément qu"" [à] l"audition d"une requête visée à l"alinéa 2c ), il incombe au ministre de justifier l"ordre ". C"est toutefois le contribuable qui a le fardeau initial de prouver qu"il existe des motifs raisonnables de croire que ce critère n"a pas été respecté [...] .                 
         Je suis convaincu qu"il existe, en l"espèce, des " motifs raisonnables de croire " que le ministre s"est acquitté de son fardeau relativement à la demande qu"il a présentée au juge en vue d"obtenir l"ordonnance de protection faisant l"objet du présent contrôle.         
              Dans Ministre du Revenu c. Rouleau3, j"ai écrit :         
                 En outre, je ne trouve aucun fondement à la position selon laquelle le ministre du Revenu national n"a pas communiqué les renseignements d"une façon complète et honnête, alors que je suis convaincu qu"il y est tenu, au moment de la deuxième requête ex parte adressée au juge Dubé. La communication complète et honnête de renseignements n"exige pas que soient révélés des renseignements qui ne sont tout simplement pas pertinents à l"application du critère relatif à la délivrance d"une ordonnance ex parte de recouvrement de protection.                 
         Je conclus que la communication complète et honnête exige effectivement que le ministre révèle ce qui pourrait être raisonnablement considéré comme étant les points faibles, que connaît le ministre, de la demande d"ordonnance de protection.         
              Je suis convaincu que le ministre ne devrait déposer une demande ex parte en vue d"obtenir une ordonnance de protection aux termes du paragraphe 225.2(2) que lorsqu"il est en mesure de démontrer au juge qu"une telle ordonnance est nécessaire pour protéger sa position et qu"aucune autre procédure qui serait plus équitable à l"égard du contribuable qu"une procédure ex parte ne peut raisonnablement être intentée. Il n"a été satisfait à aucune de ces conditions en l"espèce. Il ressort du dossier qu"aucune preuve n"a été présentée au juge Rouleau en vue d"établir que le paragraphe 129(2) de la Loi ne répondait pas aux besoins du ministre. En outre, aucune preuve n"a été présentée au juge Rouleau pour démontrer que la procédure plus ouverte prévue au paragraphe 164(1.2) ne pouvait pas raisonnablement et légalement être appliquée. Enfin, la preuve produite devant le juge Rouleau selon laquelle l"occasion d"imputer le " remboursement au titre de dividendes " sur la dette du contribuable serait, en fait, compromise en raison du délai, était peu convaincante.         
              Je conclus que, devant moi, le contribuable s'est acquitté de son fardeau de la preuve initial en établissant qu"il existait des motifs raisonnables de douter que le ministre s'est acquitté de son fardeau dans le cadre de la demande qu"il a présentée au juge Rouleau. Je conclus également que le ministre n"a pas réussi à s'acquitter de son fardeau ultime, qui consistait à justifier la décision du juge Rouleau, pour la simple raison qu"il n"a pas réussi à me convaincre qu"il a fait une divulgation complète et honnête, devant le juge Rouleau, de tous les renseignements pertinents dont il disposait relativement à la décision que celui-ci devait rendre. Le fait que le juge Rouleau aurait peut-être rendu la même décision à la suite d"une divulgation complète et honnête n"a aucune incidence. De la même façon, la possibilité qu"un autre juge rende une nouvelle ordonnance de protection suite à une demande relativement à laquelle une divulgation complète et honnête serait faite n"a aucune incidence non plus. Je ne ferai pas de spéculations en ce qui concerne cette possibilité, compte tenu de la preuve et des arguments qui m"ont été présentés.         
              Vu ces considérations et conclusions, la présente demande de révision de l"autorisation accordée par le juge Rouleau dans le cadre d"une ordonnance en date du 14 novembre 1996 sera accueillie et, comme le permet le paragraphe 225.2(11) de la Loi, cette autorisation sera annulée.         
         " FREDERICK E. GIBSON "         
                                              juge         
         Ottawa (Ontario)         
         Le 30 juillet 1997.         
         Traduction certifiée conforme              _________________________         
                                      Bernard Olivier, LL.B.         

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              T-2473-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                     - c. -
                     159890 CANADA INC.

                

                

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :          LE 20 MAI 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              30 JUILLET 1997

ONT COMPARU :

MME WENDY J. LINDEN

MME PATRICIA LEE                      POUR LE REQUÉRANT

M. RONALD B. MOLDAVER, C.R.              POUR L"INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)                      POUR LE REQUÉRANT

GORDON, TRAUB

TORONTO (ONTARIO)                      POUR L"INTIMÉE


__________________

1      L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch.1, modifié.

2      [1992] 1 C.F. 713 (C.F. 1re inst.).

3      95 D.T.C. 5597 (C.F. 1re inst.).

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