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Date: 20010601

Dossier : IMM-5841-99

Référence neutre : 2001 CFPI 572

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2001

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge John A. O'Keefe

ENTRE :

SAMIRA SHAMIN MANTO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'encontre d'une décision que l'agente d'immigration désignée Lisa Holliday a prise le 12 octobre 1999. Dans sa décision, l'agente des visas a refusé la demande de résidence permanente pour le motif que, pour des raisons d'ordre médical, la demanderesse n'était pas admissible.

[2]                 La demanderesse sollicite une ordonnance de certiorari annulant la décision susmentionnée; une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de traiter la demande de résidence permanente ou, subsidiairement, de renvoyer l'affaire à un agent des visas différent pour réexamen; et tout autre réparation que l'avocate juge bon de demander et que la présente cour juge indiquée.

Les faits

[3]                 La demanderesse Samira Shamin Manto est née le 18 avril 1971; elle est citoyenne du Pakistan. En 1986, elle a subi une transplantation de rein d'un donneur apparenté (son père) à Londres, en Angleterre. La transplantation s'est passée sans incidents et la demanderesse affirme n'avoir éprouvé aucun problème depuis lors. À l'heure actuelle, la demanderesse prend les médicaments immunosuppresseurs suivants : cyclosporine (Neoral), 50 mg BID (deux fois par jour); azathropine, 150 mg par jour; prednisone, 5 mg par jour.


[4]                 Le 3 août 1998, la demanderesse a présenté une demande en vue de résider en permanence au Canada à titre de membre de la catégorie des immigrants indépendants. Elle a indiqué qu'elle prévoyait exercer la profession d'analyste financière et en placements. Au moment de la demande, la demanderesse fréquentait un collège aux États-Unis. Elle a obtenu 68 points d'appréciation et il a été renoncé à la tenue d'une entrevue.

[5]                 Le 3 décembre 1998, à la demande du bureau d'immigration, la demanderesse a été examinée et a fait l'objet d'un rapport médical préparé par le docteur Shahrukh J. Hansotia, médecin agréé. Ce rapport a été transmis au docteur J. Saint-Germain, qui a rédigé un avis médical, dont l'exposé est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

SITUATION POSTÉRIEURE À LA TRANSPLANTATION DE REIN SUBIE PAR SUITE D'UNE INSUFFISANCE RÉNALE

La demanderesse ici en cause, qui est âgée de 27 ans, était atteinte d'une insuffisance rénale au stage terminal à la suite d'une glomérulonéphrite. Elle a subi une transplantation rénale en 1986. Depuis lors, elle est surveillée de près étant donné qu'elle prend de la cyclosporine, un médicament anti-rejet coûteux, qu'elle devra prendre pour une période indéfinie. Si elle était admise au Canada, la demanderesse pourrait obtenir gratuitement des immunosuppresseurs. Or, la chose entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. La demanderesse n'est pas admissible compte tenu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

La demanderesse est en outre atteinte de cécité à l'oeil droit.

Le docteur W.G. Waddell a confirmé l'avis médical du docteur J. Saint-Germain.


[6]                 La demanderesse a été informée par une lettre en date du 12 avril 1999 qu'elle ne serait probablement pas admissible au Canada, et ce, pour des raisons d'ordre médical. Toutefois, avant qu'une décision définitive soit prise au sujet de sa demande, la demanderesse s'est vu accorder un délai de soixante jours pour soumettre des renseignements additionnels (médicaux ou autres).

[7]                 En réponse, la demanderesse a envoyé les avis médicaux du docteur Aasim Ahmad (un néphrologue qui la traitait alors aux États-Unis) et du docteur John Castro (qui avait effectué la transplantation rénale en 1986). Dans ces lettres, on réitérait que la demanderesse était en bonne santé et qu'elle n'avait pas eu de problèmes depuis la transplantation. La lettre du docteur Ahmad disait en outre notamment que le [TRADUCTION] « fardeau imposé aux services sociaux ou de santé au Canada en raison des médicaments anti-rejet n'[était] peut-être pas aussi excessif que ce qu'il a été conclu à ce stade » .

La demanderesse a également envoyé une lettre en réponse à l'avis médical. Elle y déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

a.      Selon l'avis médical, j'ai « des problèmes résultant d'une transplantation de rein subie par suite d'une insuffisance rénale » . Cela donne l'impression que je suis d'une certaine façon invalide. [...] Les activités énoncées dans ma demande montrent que j'ai été aussi productive, sinon plus, qu'une personne qui n'a pas subi de transplantation rénale.

b.      Veuillez noter que la transplantation de rein s'est déroulée sans incidents, que je suis en bonne santé depuis les 13 dernières années et qu'à l'heure actuelle, je prends une dose minimale d'immunosuppresseurs. Le fardeau, pour les services sociaux et de santé au Canada, serait donc probablement minime.

c.      Je suis en bonne santé, j'ai les compétences voulues et je suis productive. Si j'obtenais le droit de résider en permanence au Canada, je travaillerais, je gagnerais de l'argent et je paierais des impôts, de sorte que je serais en mesure de contribuer aux dépenses des services sociaux et de santé.


d.      Si cela peut aider à réduire le fardeau excessif imposé aux services sociaux et de santé au Canada, je suis prête à m'engager à prendre des dispositions pour obtenir moi-même les immunosuppresseurs dont j'ai besoin.

e.      Les médicaments anti-rejet ne seront peut-être pas toujours aussi coûteux compte tenu des recherches importantes qui sont effectuées en vue de trouver des produits de remplacement bon marché.

[8]                 Le 28 septembre 1999, le docteur J. Saint-Germain a envoyé à l'agente des visas un courriel dans lequel il disait ce qui suit :

[TRADUCTION]

J'ai examiné les nouveaux renseignements ainsi que le dossier médical de la demanderesse ici en cause et j'estime que les nouveaux éléments n'ont pas pour effet de modifier l'évaluation actuelle selon laquelle, pour des raisons d'ordre médical, la demanderesse n'est pas admissible.

Walter G. Waddell, médecin, FRCPS confirme l'avis.

Jacques Saint-Germain

Médecin principal

Services de santé de l'Immigration

[9]                 Le 12 octobre 1999, l'agente des visas a envoyé une lettre à la demanderesse en vue de l'informer qu'elle appartenait à la catégorie non admissible visée au sous-alinéa 19(1)a)(ii) et que, cela étant, la demande qu'elle avait présentée en vue de résider en permanence au Canada était refusée.

Le point litigieux

[10]            L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse imposerait un fardeau excessif aux services de santé canadiens?


Arguments de la demanderesse

[11]            L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse imposerait probablement un fardeau excessif pour les ressources médicales au Canada? L'avis exprimé par le médecin était-il déraisonnable?

La demanderesse affirme que la norme de contrôle à appliquer à la décision d'un agent des visas est celle de la décision raisonnable simpliciter, même si une question de fait et de droit est en cause : Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 208 (C.F. 1re inst.); Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 176 F.T.R. 263 (C.F. 1re inst.) et Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 184 F.T.R. 246 (C.F. 1re inst.). La demanderesse mentionne également la décision Gao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 306 (C.F. 1re inst.) et elle affirme ensuite que l'absence de preuve à l'appui est l'un des motifs indiquant qu'une décision est déraisonnable.


[12]            La demanderesse déclare qu'elle prend une dose minimale d'immunosuppresseurs (elle prend tous les jours de la cyclosporine (Neoral) 50 mg BID (deux fois par jour), de l'azathropine, 150 mg, et de la prednisone, 5 mg). La demanderesse aurait le droit d'obtenir gratuitement des médicaments anti-rejet au Canada. Le médecin a déclaré que la cyclosporine et l'azathropine prises par la demanderesse coûteraient au système de santé canadien environ 2 965 $ par année et que la demanderesse imposerait donc un fardeau excessif aux services canadiens de santé.

[13]            La demanderesse soutient que le médecin n'a pas fourni de preuve indiquant si ces deux immunosuppresseurs sont couverts par le régime provincial d'assurance-maladie. Si l'un de ces médicaments n'est pas ainsi couvert, le coût des médicaments gratuits auxquels la demanderesse aurait droit serait inférieur aux estimations. Selon la demanderesse, le médecin était tenu d'étayer sa conclusion au moyen d'une preuve claire concernant les médicaments couverts par le régime provincial. La demanderesse affirme qu'étant donné que le médecin n'a pas précisé si les deux médicaments ou un seul médicament étaient fournis gratuitement, il est impossible de déterminer si la conclusion que celui-ci a tirée est raisonnable.

[14]            La demanderesse déclare subsidiairement que si les deux médicaments sont gratuits, l'estimation fournie par le médecin n'indique pas que le fardeau serait excessif pour le système de santé. Elle mentionne la décision Jim et autre c. Canada (Solliciteur général) (1993), 69 F.T.R. 252 (C.F. 1re inst.), à l'appui de la thèse selon laquelle le mot « excessif » signifie « en sus de ce qui est normal ou nécessaire » . La demanderesse fait remarquer que dans le jugement Jim, précité, la Cour n'a pas décidé que ce qui est normal ou nécessaire doit être déterminé par rapport à ce qu'il en coûterait pour fournir des soins de santé à la personne « normale » ou « en bonne santé » .


[15]            La demanderesse soutient que le coût des immunosuppresseurs qu'elle prend serait déterminé par rapport au coût de la prestation de services similaires à une personne qui a subi une transplantation rénale. Elle affirme que le coût des médicaments anti-rejet qu'elle prend est de beaucoup inférieur à celui des médicaments que devrait peut-être prendre une personne qui vient de subir une transplantation rénale.

[16]            La demanderesse affirme également que la conclusion que le médecin a tirée est déraisonnable puisque ce dernier n'a pas vraiment tenu compte de l'effet possible de son état de santé sur son employabilité et sur sa productivité. En outre, le médecin ne s'est pas demandé si le coût des médicaments auxquels la demanderesse aurait droit entraînerait un « fardeau excessif » compte tenu de la contribution possible qu'elle apporterait au système de santé en payant des impôts.

Arguments du défendeur

[17]            Le médecin a-t-il commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse imposerait un fardeau excessif aux services canadiens de santé?


Le défendeur soutient que la validité et l'exactitude du diagnostic et du pronostic du médecin, en ce qui concerne les troubles médicaux décelés, découlent directement de l'expertise professionnelle de celui-ci et que des profanes ne peuvent pas examiner ou remettre en question pareil avis. Le défendeur affirme également que l'avis que le médecin a exprimé au sujet du fardeau excessif constitue une décision essentiellement administrative dont le caractère raisonnable doit être établi en fonction de l'état de santé de l'immigrant éventuel.

[18]            Dans son affidavit, le médecin déclare ce qui suit : [TRADUCTION] « Mme Manto serait couverte par le régime provincial à l'égard des médicaments immunosuppresseurs qu'elle prend, et ce, même si elle a proposé de payer elle-même ces médicaments si la chose pouvait faciliter son admission au Canada. » Le défendeur soutient qu'il ressort clairement de cette déclaration que le médecin parlait du coût des deux médicaments pris par la demanderesse.

[19]            Il incombe à la demanderesse de fournir des éléments à l'appui de sa demande. Le défendeur affirme que la demanderesse n'a pas prouvé que la thérapie requise n'était pas couverte par le régime provincial d'assurance-maladie.


[20]            L'article 22 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) prévoit que l'employabilité ou la productivité éventuelle constitue un facteur dont il peut être tenu compte en fonction de la nature, de la gravité ou de la durée probable de l'incapacité. Toutefois, le Règlement ne traite pas de la capacité de la demanderesse de contribuer aux impôts canadiens comme considération pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si elle imposerait un fardeau excessif aux services médicaux.

[21]            Le défendeur fait remarquer que la demanderesse n'a pas mentionné d'arrêts à l'appui de la prétention selon laquelle le médecin aurait dû comparer les autres soins fournis aux personnes qui ont des troubles médicaux similaires afin de déterminer si le fardeau imposé par la demanderesse est excessif. Il affirme que la présente cour a statué que le fardeau excessif est celui qui « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif » . Selon le défendeur, le mot « normal » ne vise pas le cas d'une personne qui a un trouble médical normal (c'est-à-dire un patient qui subit une transplantation rénale normale), mais plutôt le cas d'une personne qui n'est pas atteinte d'un trouble médical ayant pour effet de la rendre non admissible. Les décisions Jim, précitée, et Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 98 F.T.R. 308 ((C.F. 1re inst.), sont mentionnées à l'appui de ces arguments.

Dispositions législatives pertinentes

[22]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sont ainsi libellées :



19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut_:

[. . .]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

. . .

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;

114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement_:

[. . .]

m) établir des critères permettant de déterminer si une personne constitue ou constituera vraisemblablement, pour des raisons d'ordre médical, un danger pour la santé ou la sécurité publiques;

114. (1) The Governor in Council may make regulations

. . .

(m) prescribing the factors to be considered in determining whether, for medical reasons, any person is or is likely to be a danger to public health or to public safety;


[23]            L'article 22 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, prévoit ce qui suit :



22. Afin de pouvoir déterminer si une personne constitue ou est susceptible de constituer un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou si l'admission d'une personne entraînerait ou pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, un médecin doit tenir compte des facteurs suivants, en fonction de la nature, de la gravité ou de la durée probable de la maladie, du trouble, de l'invalidité ou de toute autre incapacité pour raison de santé dont souffre la personne en question, à savoir:

a) tout rapport ayant trait à la personne en question rédigé par un médecin;

b) la mesure dans laquelle la maladie, le trouble, l'invalidité ou toute autre incapacité pour raison de santé est contagieux;

c) si la surveillance médicale est exigée pour des raisons de santé publique;

d) si l'incapacité soudaine ou imprévisible ou un comportement inhabituel peut constituer un danger pour la sécurité publique;

e) si la prestation de services sociaux ou de santé dont cette personne peut avoir besoin au Canada est limitée au point

(i) qu'il y a tout lieu de croire que l'utilisation de ces services par cette personne pourrait empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents, ou

(ii) qu'il est possible qu'on ne puisse offrir ces services ou que ceux-ci ne soient pas accessibles à la personne visée;

f) si des soins médicaux ou l'hospitalisation s'impose;

g) si l'employabilité ou la productivité éventuelle de l'intéressé est compromise; et

h) si un traitement médical prompt et efficace peut être fourni.

22. For the purpose of determining whether any person is or is likely to be a danger to public health or to public safety or whether the admission of any person would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services, the following factors shall be considered by a medical officer in relation to the nature, severity or probable duration of any disease, disorder, disability or other health impairment from which the person is suffering, namely,

(a) any reports made by a medical practitioner with respect to the person;

(b) the degree to which the disease, disorder, disability or other impairment may be communicated to other persons;

(c) whether medical surveillance is required for reasons of public health;

(d) whether sudden incapacity or unpredictable or unusual behaviour may create a danger to public safety;

(e) whether the supply of health or social services that the person may require in Canada is limited to such an extent that

(i) the use of such services by the person might reasonably be expected to prevent or delay provision of those services to Canadian citizens or permanent residents, or

(ii) the use of such services may not be available or accessible to the person;

(f) whether medical care or hospitalization is required;

(g) whether potential employability or productivity is affected; and

(h) whether prompt and effective medical treatment can be provided.


Analyse et décision


[24]            À l'audience, le défendeur a soulevé une nouvelle question; sur consentement, j'ai accordé à la demanderesse le temps nécessaire en vue de répondre par écrit à cette nouvelle question. Le défendeur a affirmé que l'article 22 du Règlement sur l'immigration est ultra vires en ce sens qu'il n'est pas autorisé par le paragraphe 114(1) de la Loi. Monsieur le juge Cullen, de la présente cour, a examiné cet argument dans la décision Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.). Voici ce qu'il a dit aux pages 144 et 145 :

[...] L'alinéa 114(1)m) modifié concerne uniquement les personnes constituant un danger pour le public; il ne fait aucune mention du fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Invoquer le sous-alinéa 3(i) et l'article 19 de la Loi sur l'immigration pour établir le fondement législatif de l'article 22 du Règlement n'est pas justifié si la disposition habilitante ne se trouve pas à l'article 114 de la Loi.

Les prétentions du requérant sont à mon avis fort convaincantes. Le fondement de la législation déléguée découle de la disposition habilitante et on ne peut l'établir en considérant l'esprit général de la loi comme l'intimée le fait valoir. Le législateur n'agit pas de façon capricieuse, et on doit présumer que l'omission de la phrase « si son admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » est délibérée.

Toutefois, je ne crois pas que l'article 22 du Règlement soit entièrement ultra vires de l'alinéa 114(1)m). Cette dernière disposition permet encore que, par règlement, on établisse des critères permettant de déterminer si une personne constituera vraisemblablement, pour des raisons d'ordre médical, un danger pour la santé ou la sécurité publiques, conformément au sous-alinéa 19(1)a)(i) de la Loi. À mon sens, il y a lieu d'interpréter l'article 22 du Règlement comme prescrivant uniquement les facteurs à considérer en matière de santé et de sécurité. Il ne peut être appliqué pour déterminer si l'admission d'une personne entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Dans cette mesure, l'article 22 du Règlement est ultra vires de la Loi sur l'immigration. Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi doit être interprété sans renvoi aux dispositions de l'article 22 du Règlement.

Je souscris à la décision du juge Cullen. Il n'existe tout simplement aucun fondement, à l'alinéa 114(1)m) de la Loi, qui autorise la prise d'un règlement portant sur le fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Je conclus que l'article 22 du Règlement est ultra vires puisqu'il traite du « fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » .


[25]            Il s'agit ici principalement de savoir si l'agente des visas a commis une erreur en concluant que, pour des raisons d'ordre médical, la demanderesse n'était pas admissible au Canada conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi. La décision de l'agente des visas est fondée sur le rapport du médecin. Or, un avis médical valable fondé sur le sous-alinéa 19(1)a)(ii) lie l'agent des visas. Cependant, il en est uniquement ainsi lorsque le rapport médical est valable. Comme Monsieur le juge Heald, de la présente cour, l'a dit dans la décision Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 274 (C.F. 1re inst.), à la page 292 :

À mon avis, l'avis médical valablement émis sous le régime du sous-alinéa 19(1)a)(ii) lie l'agent des visas. Cependant, l'avis fondé sur une erreur de fait manifestement déraisonnable ou inconsistant, incohérent ou formé en contravention des principes de justice naturelle donne lieu à un excès de compétence. Un tel avis ne peut être valable sous le régime du sous-alinéa 19(1)a)(ii). En acceptant un tel avis, l'agent des visas commettrait une erreur de droit, et pour ce motif, sa décision serait susceptible de contrôle par la Cour. Par ailleurs, il importe de souligner que présentement, rien n'empêche une personne touchée de demander le contrôle judiciaire de l'avis médical même.

[26]            Dans la décision Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Wetston, de la présente cour, a dit ce qui suit, à la page 313 :

[...] Les médecins commettent une erreur s'ils omettent d'examiner la question de savoir si le fardeau créé par un état médical déterminé est excessif sans se fonder sur des éléments de preuve portant sur la prestation de ce service social ou de santé précis au Canada.


L'affaire Ma, précitée, se rapportait à l'article 22 du Règlement sur l'immigration, mais j'estime que l'examen de l'alinéa 19(1)a) de la Loi aboutit au même résultat. Lorsqu'il détermine si un trouble médical particulier entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, le médecin doit disposer de certains éléments de preuve se rapportant à la prestation des services sociaux ou de santé au Canada.

[27]            En l'espèce, l'examen du rapport médical révèle que l'appréciation, en ce qui concerne la question du fardeau excessif, était uniquement fondée sur ce qu'il en coûtait pour fournir ces services. L'avis médical du docteur J. Saint-Germain, qui a été confirmé par le docteur W.G. Waddell, est en partie ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Depuis lors, elle est surveillée de près étant donné qu'elle prend de la cyclosporine, un médicament anti-rejet coûteux, qu'elle devra prendre pour une période indéfinie. Si elle était admise au Canada, la demanderesse pourrait obtenir gratuitement des immunosuppresseurs. Or, la chose entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé canadiens.

Il n'est pas fait mention de la disponibilité ou de la fourniture des deux immunosuppresseurs utilisés par la demanderesse. Le défendeur a déposé l'affidavit du docteur W.G. Waddell. Au paragraphe 9 de son affidavit, le docteur Waddell déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme il en est fait mention dans l'avis médical, j'estimais que la thérapie suivie par la demanderesse à la suite de la transplantation rénale qu'elle avait subie entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé canadiens.

Et, aux paragraphes 11, 15, 18 et 20, le docteur Waddell ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION]

11.            À mon avis, il s'agit d'un traitement minime pour une patiente qui a subi une transplantation rénale. Je tiens à ajouter qu'au Canada, les médicaments immunosuppresseurs sont administrés pour une période indéfinie après une transplantation rénale et que le traitement médicamenteux serait continu dans ce cas-ci.


[...]

15.            J'estimais que la thérapie liée aux médicaments immunosuppresseurs suivie par la demanderesse, laquelle coûte chaque année 2 965 $ et doit se poursuivre pour une période indéfinie, entraînerait un fardeau excessif pour les services canadiens de santé. Je note que le montant de 2 965 $ ne comprend pas les frais médicaux additionnels que la demanderesse engagerait, et notamment les frais des examens habituels et les consultations médicales dont les patients qui ont subi une transplantation font l'objet ainsi que les soins médicaux normaux qui doivent être fournis à une jeune femme en santé.

[...]

18.            En réponse à l'affidavit de Mme Manto, je déclare que nous nous sommes bien rendu compte que la demanderesse est jeune et en bonne santé. L'avis selon lequel, pour des raisons d'ordre médical, Mme Manto n'était pas admissible (M5) était fondé sur le coût des agents immunosuppresseurs, et principalement sur le coût de la cyclosporine.

[...]

20.            Mme Manto a soutenu que le coût des médicaments immunosuppresseurs peut diminuer dans l'avenir. Toutefois, au moment où j'ai procédé à l'évaluation, on ne m'avait soumis aucun élément de preuve à ce sujet et je crois que les frais susmentionnés, en ce qui concerne les médicaments que Mme Manto doit prendre, indiquent d'une façon raisonnable les coûts futurs.

[28]            Dans la décision Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 10 Imm.L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Pelletier dit ce qui suit aux pages 83 et 84 :

Dans l'affaire Shan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1103 (QL), le juge Campbell s'est penché sur la question de savoir si l'omission de prendre en compte la question de la disponibilité des services peut faire échec à l'avis donné par le médecin, aux paragraphes 3 à 5 :

Pour ce qui est de la justesse de l'avis, reproduit en italiques dans la déclaration, le juge Heald a décidé, dans l'arrêt Fei c.Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 39 I.L.R. 2d 266 (à la page 280), qu'un avis médical formulé dans les mêmes termes se révélait insuffisant. À partir de la preuve qui lui avait été soumise, le juge Heald a conclu que l'avis médical en cause était fondé uniquement sur le coût des services requis et non sur leur disponibilité. Dans la présente affaire, je suis arrivé à une conclusion semblable.

En l'espèce, j'estime que le point de vue selon lequel « il s'agit là de modalités coûteuses, souvent non accessibles aux autres Canadiens » constitue une affirmation hâtive mettant clairement l'accent sur le coût des services requis tout en se référant de façon vague et marginale à la disponibilité de ces mêmes services.    À ce titre, la décision de l'agent des visas n'est pas suffisamment étayée par la preuve. En effet, il n'y a eu en l'espèce ni examen des problèmes médicaux constatés, ni identification des services sociaux ou de santé appropriés et disponibles dans les circonstances, ni analyse de la question de savoir si un tel traitement entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Or, à mon sens, il s'agit là de conclusions préliminaires essentielles à la prise d'une décision en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii).


En conclusion, j'estime que la décision de l'agent des visas en l'espèce n'était pas suffisamment étayée par la preuve. Elle constitue donc une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire, conformément à l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale. En conséquence, la décision est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue de nouveau sur celle-ci. L'évaluation des troubles médicaux de l'enfant devra se faire à la date du réexamen.

Lorsqu'on examine les rapports médicaux produits en l'espèce, leurs conclusions selon lesquelles le fardeau sera excessif apparaissent être strictement tributaires du coût des services requis. Il ne s'agit pas de l'un des facteurs que les médecins agréés sont tenus d'examiner en vertu de 22 du Règlement sur l'immigration de 1978. Le coût à lui seul ne peut être un facteur déterminant. Si c'était le cas, on s'attendrait à ce que les lois et les règlements fassent mention du coût excessif plutôt que du fardeau excessif. D'un autre côté, la question du coût n'est pas sans pertinence. Des services dispendieux signifient bien souvent des services à forte demande. On n'a qu'à penser au débat public au sujet des cliniques privées spécialisées dans l'IRM pour comprendre que certains services dispendieux constituent aussi des services à forte demande. Comme on l'a fait observer dans l'affaire Ma c. Canada, précitée, on doit tenir compte dans une certaine mesure de la question de la disponibilité des services pour être en mesure de conclure que le fardeau sera excessif. Je ne peux trouver, dans le présent dossier, d'indication selon laquelle on aurait tenu compte de la disponibilité des services.

[29]            Je conclus que le rapport médical est insuffisant en ce sens qu'il n'y est pas question de la prestation des services, mais uniquement du coût. Puisque le médecin n'a pas traité de la question de la fourniture, le rapport médical n'était pas suffisamment étayé par la preuve et il ne constitue pas un avis valable conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi (voir Fei, précité, à la page 292). Étant donné que l'avis de l'agente des visas était fondé sur un rapport médical non valable, cette dernière a commis une erreur de droit et sa décision est donc assujettie à un contrôle devant la présente cour.

[30]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l'agente des visas est annulée. L'affaire est renvoyée à un agent des visas différent et à des médecins différents pour réexamen.


[31]            J'ai examiné la question que les parties m'ont soumise et je ne suis pas prêt à certifier une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[32]            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agente des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent et à un médecin différent pour réexamen.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 1er juin 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         IMM-5841-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Samira Shamin Manto

c.

le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 20 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le 1er juin 2001

ONT COMPARU

Mme Chantal Desloges                                                     POUR LA DEMANDERESSE

M. John Loncar                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mme Chantal Desloges                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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