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Date : 20010131


Dossier : IMM-1073-00


    

Entre :

     AMAR LATRACHE

     Demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA

     CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX :


A)      Introduction


[1]      Le demandeur, un citoyen d'Algérie, recherche une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur de décider sa demande de droit d'établissement déposée le 12 juillet 1996 après une décision favorable de la Section du statut le 2 février 1996 lui accordant reconnaissance comme réfugié.

[2]      Pour une personne reconnue réfugiée, la résidence permanente au Canada découle des dispositions de l'article 46.04 de la Loi sur l'immigration (la Loi) qui, au paragraphe 46.04(6), prévoit que l'agent de l'immigration rend sa décision sur une telle demande « le plus tôt possible et en avise par écrit l'intéressé » .

B)      Les faits


[3]      Suite au dépôt de la demande du droit d'établissement au Canada par le demandeur, le défendeur entame une vérification afin d'établir si le demandeur avait une fiche pénale.

[4]      Le défendeur est avisé le 23 juillet 1996 par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que leur vérification ne soulève aucune inquiétude. Cependant, le 15 octobre 1996, le demandeur est mis en accusation pour assaut avec arme et est trouvé coupable le 11 juin 1997.

[5]      Le demandeur, du fait de sa condamnation, devient inadmissible au Canada en vertu de l'article 19 de la Loi et ceci jusqu'à ce qu'il purge sa peine en 1998.

[6]      Entretemps, le 3 décembre 1996 le défendeur est avisé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) que le demandeur ne pose aucun risque de sécurité; cette recommandation n'est valide que pour un an.

[7]      Le 19 mars 1997, le défendeur requiert du demandeur l'original de sa pièce d'identité et une copie certifiée du dispositif de la Cour sur sa mise en accusation.

[8]      Après vérification à Paris et à Rabat, le défendeur, le 21 juillet 1998, se dit satisfait de l'identité du demandeur.

[9]      La cote de sécurité du demandeur étant devenue périmée, le défendeur, le 5 janvier 1999, demande au SCRS une mise à jour et à cette fin, le demandeur est convoqué le 30 novembre 1999.

[10]      Depuis ce temps, le dossier certifié indique aucune activité de la part du défendeur; il attend toujours la recommandation du SCRS.

C)      L'optique du défendeur


[11]      S'appuyant sur l'arrêt Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] 4 C.F. 661, le procureur du défendeur fait valoir que le délai n'est pas de cinq ans mais de deux ans puisque la condamnation du demandeur a eu comme résultat d'interrompre son admissibilité au Canada, et ce, jusqu'à ce que sa peine soit purgée, soit en 1998.

[12]      Il invoque les arrêts de cette Cour dans Singh c. Canada (M.C.I.) (1998), 47 Imm. L.R. (2d) 83, et Chaudhry c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 213 pour soutenir que la condamnation du demandeur justifie une enquête plus approfondie en matière de sécurité et que le défendeur ne peut prendre une décision sans avoir reçu le rapport du SCRS.

D)      Analyse


[13]      Le juge Linden dans Khalil, précité, réitère les conditions nécessaires pour l'octroi d'une ordonnance de mandamus. Elles sont :

         [11] [traduction] L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity. La Cour ne l'accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), sont réunies:
             a) il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public dans les circonstances de la cause;
             b) l'obligation doit exister envers le demandeur;
             c) il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, et notamment, le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
             d) le demandeur n'a aucun autre recours;
             e) l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;
             f) dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé; et
             g) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[14]      Eu égard aux articles 9 et 19 de la Loi, avant qu'il purge sa peine, le demandeur ne pouvait exiger du défendeur l'octroi d'un droit d'établissement au Canada puisque toutes les conditions préalables n'étaient pas présentes.

[15]      Cependant, en l'espèce, le demandeur ne recherche pas, comme dans Khalil, un mandamus pour l'octroi de son statut de résidence permanente; ce qu'il veut c'est que le défendeur prenne une décision.

[16]      Le défendeur voudrait que je fasse abstraction de la période entre 1996 et 1998 afin de me persuader qu'il n'y a pas, dans le traitement du dossier du demandeur, un délai déraisonnable.

[17]      À mon avis, le calcul, afin de statuer sur la raisonnabilité du délai, est la date du dépôt de la demande de résidence permanente du demandeur nonobstant sa condamnation en 1997.

[18]      Les faits du dossier démontrent que le défendeur poursuivit son enquête durant la période 1996/1998 et que d'importantes vérifications à Paris et à Rabat ont été faites dans ce contexte.

[19]      Les arrêts Singh et Chaudhry, précités, ne sont pas applicables en l'espèce. Dans ces deux causes, le défendeur avait reçu le rapport du SCRS, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[20]      J'en viens à la conclusion que le délai encouru dans le traitement de la demande du droit d'établissement du demandeur est déraisonnable dans les circonstances. Ce qui m'inquiète surtout est l'inactivité pendant deux ans de la part du SCRS et aucune explication à la Cour à cet effet.

[21]      Comme je l'ai dit dans Bouhaik c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-1074-00, 31 janvier 2001) une ordonnance de mandamus est un remède ciblé afin d'assurer qu'une autorité publique accomplisse son devoir.

[22]      J'ai souscrit dans l'arrêt Bouhaik, précité, au besoin de flexibilité jugé nécessaire par le juge Strayer dans Bhatnager c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 315, à la page 317.

[23]      De plus, en l'espèce, je ne vois aucune raison spéciale prévue à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration qui me permettrait d'accorder au demandeur des frais sur une base procureur-client.

Dispositif

[24]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens. Le défendeur doit rendre une décision sur la demande de résidence permanente du demandeur avant le 30 juin 2001 sauf si une prorogation est accordée par cette Cour sur requête du défendeur appuyée par affidavit justifiant la prorogation. Aucune question n'est certifiée.




     François Lemieux

    

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 31 janvier 2001

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