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                                                                                                                                  Date : 20010202

                                                                                                                             Dossier : T-2388-00

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 9

Entre :

                       MARSHA GORDON en son nom personnel et au nom de tous les

MEMBRES NON RÉSIDENTS DE LA

                            BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PASQUA NO 79

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                          SA MAJESTÉ LA REINE représentée par

le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadienet la

                            BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PASQUA NO 79

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Bien que la mesure de redressement sollicitée dans l'avis de requête soit reprise sous plusieurs points différents de son exposé des faits et du droit, la demanderesse soutient que [TRADUCTION] « la mesure de redressement sollicitée en l'espèce peut être perçue comme une demande visant l'obtention d'une injonction interlocutoire sous forme d'exemption, soit le fait d'exempter la bande de l'application du paragraphe 74(4) et de l'article 75 de la Loi sur les Indiens » et d'empêcher, par conséquent, la bande de la Première nation de Pasqua no 79 (la bande) de présenter des candidats ou de tenir des élections de façon conforme à ces dispositions de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi sur les Indiens).


[2]         En effet, la présente action et la requête à laquelle elle a donné lieu équivalent à une contestation de la validité constitutionnelle des dispositions précédemment mentionnées de la Loi sur les Indiens, au motif que celles-ci portent atteinte à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) en ce qu'elles obligent les personnes qui souhaitent présenter leur candidature à titre de conseiller de bande à « réside[r] ordinairement sur la réserve » .

Les faits

[3]         La demanderesse Marsha Gordon appartient à la bande, qui se composait de 1 492 membres en novembre 2000. De ce nombre, 929 membres étaient inscrits comme résidant hors de la réserve et 536 membres étaient inscrits comme résidant au sein de la réserve. Les 27 autres membres vivaient dans d'autres réserves. La bande siège dans la réserve de Pasqua, située à environ une heure de route de Regina (Saskatchewan).

[4]         La demanderesse ne réside pas dans la réserve, que le paragraphe 74(4) de la Loi sur les Indiens définit comme une section électorale. Elle ne peut par conséquent exercer la charge de conseillère de bande.

[5]         Même si on se réfère à la demanderesse comme étant « MARSHA GORDON en son nom personnel et au nom de tous les MEMBRES NON RÉSIDENTS DE LA BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PASQUA NO 79 » , l'avocat de la demanderesse convient qu'aucun élément de preuve n'étaye la proposition selon laquelle Marsha Gordon serait autorisée à agir pour le compte d'autres personnes qu'elle dans le présent dossier et que, par conséquent, « Marsha Gordon en son nom personnel » est l'unique demanderesse pour les fins de l'espèce.


[6]         Les candidatures pour le poste de conseiller et de chef de bande devaient être déposées au plus tard le 22 janvier 2001, en vue de l'élection qui devait initialement être tenue le 2 mars 2001 et qui aujourd'hui est reportée au 5 mars 2001.

[7]         Avant mai 1999, conformément à l'article 77 de la Loi sur les Indiens, les membres de la bande qui ne « résid[aient] ordinairement » pas dans la réserve n'avaient pas qualité pour voter ou pour prendre part au processus électoral.

[8]         En mai 1999, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, pour remédier en partie à la situation. L'arrêt Corbiere accorde aux membres hors réserve des bandes indiennes le droit de vote, invalidant de ce fait l'article 77 de la Loi sur les Indiens au motif que celui-ci est inconstitutionnel au regard de l'article 15 de la Charte. La Cour suprême du Canada a suspendu la déclaration d'invalidité pour une période de 18 mois afin de permettre au gouvernement fédéral d'agir et de corriger la situation.


[9]         Par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère) a amorcé de vastes consultations avec les Premières nations du Canada relativement à la modification du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, en vue de faciliter l'exercice du droit de vote par tous les membres de la bande âgés de plus de 18 ans, peu importe leur lieu de résidence. Avant et après l'entrée en vigueur de ces modifications, dont la référence est DORS/2000-391, le ministère a travaillé de concert avec les Premières nations afin d'instaurer un nouveau système pour élire les chefs et les conseillers de bande conformément au nouveau règlement. Pour mettre en oeuvre ce système, on a prévu mettre sur pied une campagne de publicité pour aviser les membres hors réserve de leur droit de vote dans le cadre des élections au sein des bandes, offrir un programme de formation à l'intention des agents électoraux, offrir des séances d'information à l'intention des dirigeants de la bande et dégager au besoin des fonds additionnels pour la tenue de l'élection.

[10]       Ces activités s'inscrivent dans le cadre de la première étape du processus en deux étapes qu'entreprend le ministère pour mettre en oeuvre les principes immédiats et plus généraux dégagés par l'arrêt Corbiere quant au paragraphe 77(1) et à la Loi sur les Indiens dans son ensemble. Dans la seconde étape du processus, le ministère tiendra d'autres consultations avec les organisations des Premières nations et avec ses dirigeants de bande, ses dirigeants provinciaux et ses dirigeants nationaux quant à la manière de promouvoir davantage la participation des membres non résidents des bandes à la gouverne de celles-ci et à leurs autres mécanismes démocratiques, y compris au moyen de modifications potentielles de nature législative et réglementaire.

[11]       Le ministre concerné a annoncé aux Canadiens que son ministère était en train de travailler sur ce qui aboutira à d'autres modifications importantes aux procédures électorales prescrites par la Loi sur les Indiens et par le règlement. Cette démarche fait suite elle aussi à l'arrêt Corbiere et abordera en outre la question de la candidature des membres non résidents des bandes. Le processus de consultation doit toutefois être terminé avant que les modifications puissent être apportées. Le processus de consultation ne sera pas terminé avant l'élection au sein de la bande prévue pour mars 2001.


[12]       De plus, les membres de la bande ont travaillé à l'élaboration d'un code électoral fondé sur la coutume (Custom Election Code). Une fois que le code sera finalisé et ratifié par une majorité appropriée de membres de la bande, on demandera au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer une ordonnance en vertu du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens afin de suspendre l'application, à l'égard de la bande, du mécanisme électoral prévu dans la Loi sur les Indiens. L'ordonnance visée au paragraphe 74(1) permettra ainsi la prise d'effet du code et habilitera la bande à contrôler désormais son propre processus électoral. Cependant, cette démarche complexe se poursuit encore et il ressort des éléments de preuve qu'on ne pourra finaliser et ratifier le code à temps avant l'expiration du mandat du chef et du conseil de bande actuels. Il est par conséquent nécessaire que la bande tienne au moins une élection de plus sous l'égide de la Loi sur les Indiens.

[13]       Comme la bande défenderesse n'a produit aucun dossier de requête, seule l'autre défenderesse à l'instance (Sa Majesté la Reine représentée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) s'est opposée à la présente requête.

Les questions en litige

[14]       La présente affaire soulève deux questions :

­            S'agit-il d'une situation qui justifie que la Cour accorde une mesure de redressement provisoire par voie d'ordonnance déclaratoire ou par voie d'injonction, compte tenu du fait que la mesure de redressement sollicitée met en cause la constitutionnalité d'une loi?

­            Quoi qu'il en soit, la demanderesse satisfait-elle au critère quant à savoir s'il y a lieu d'accorder une mesure de redressement provisoire?

Les dispositions législatives pertinentes

[15]       Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens prévoient :



74. (1) Lorsqu'il le juge utile à la bonne administration d'une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu'à compter d'un jour qu'il désigne le conseil d'une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d'élections tenues selon la présente loi.

(2) Sauf si le ministre en ordonne autrement, le conseil d'une bande ayant fait l'objet d'un arrêté prévu par le paragraphe (1) se compose d'un chef, ainsi que d'un conseiller par cent membres de la bande, mais le nombre des conseillers ne peut être inférieur à deux ni supérieur à douze. Une bande ne peut avoir plus d'un chef.


74. (1) Whenever he deems it advisable for the good government of a band, the Minister may declare by order that after a day to be named therein the council of the band, consisting of a chief and councillors, shall be selected by elections to be held in accordance with this Act.

(2) Unless otherwise ordered by the Minister, the council of a band in respect of which an order has been made under subsection (1) shall consist of one chief, and one councillor for every one hundred members of the band, but the number of councillors shall not be less than two nor more than twelve and no band shall have more than one chief.


(3) Pour l'application du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements prévoyant :

a) que le chef d'une bande doit être élu :

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,

(ii) soit à la majorité des votes des conseillers élus de la bande désignant un d'entre eux,

le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller;

b) que les conseillers d'une bande doivent être élus :

(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,


(3) The Governor in Council may, for the purposes of giving effect to subsection (1), make orders or regulations to provide

(a) that the chief of a band shall be elected by

(i) a majority of the votes of the electors of the band, or

(ii) a majority of the votes of the elected councillors of the band from among themselves,

but the chief so elected shall remain a councillor; and

(b) that the councillors of a band shall be elected by

(i) a majority of the votes of the electors of the band, or



(ii) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande demeurant dans la section électorale que le candidat habite et qu'il projette de représenter au conseil de la bande.

(4) Aux fins de votation, une réserve se compose d'une section électorale; toutefois, lorsque la majorité des électeurs d'une bande qui étaient présents et ont voté lors d'un référendum ou à une assemblée spéciale tenue et convoquée à cette fin en conformité avec les règlements, a décidé que la réserve devrait, aux fins de votation, être divisée en sections électorales et que le ministre le recommande, le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements stipulant qu'aux fins de votation la réserve doit être divisée en six sections électorales au plus, contenant autant que possible un nombre égal d'Indiens habilités à voter et décrétant comment les sections électorales ainsi établies doivent se distinguer ou s'identifier.

75. (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

(ii) a majority of the votes of the electors of the band in the electoral section in which the candidate resides and that he proposes to represent on the council of the band.

(4) A reserve shall for voting purposes consist of one electoral section, except that where the majority of the electors of a band who were present and voted at a referendum or a special meeting held and called for the purpose in accordance with the regulations have decided that the reserve should for voting purposes be divided into electoral sections and the Minister so recommends, the Governor in Council may make orders or regulations to provide for the division of the reserve for voting purposes into not more than six electoral sections containing as nearly as may be an equal number of Indians eligible to vote and to provide for the manner in which electoral sections so established are to be distinguished or identified.

75. (1) No person other than an elector who resides in an electoral section may be nominated for the office of councillor to represent that section on the council of the band.



(2) Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d'une bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées.


(2) No person may be a candidate for election as chief or councillor of a band unless his nomination is moved and seconded by persons who are themselves eligible to be nominated.


Analyse

[16]       En ce qui a trait à la première question, je suis d'avis que, parce qu'elle met en cause la validité constitutionnelle du paragraphe 74(4) et de l'article 75 de la Loi sur les Indiens, loi que le Parlement a dûment adoptée pour exprimer la volonté démocratique des citoyens canadiens, la question est de par sa nature trop importante pour faire l'objet de la présente procédure interlocutoire. Dans l'arrêt Gould c. Canada (Procureur général), [1984] 2 R.C.S. 124, confirmant (1984), 54 N.R. 232 (C.A.F.), la Cour suprême du Canada a confirmé que le droit électoral était trop important pour qu'on [TRADUCTION] « prenne une décision à la hâte » et pour qu'on en détermine la constitutionnalité de façon sommaire, sans que les éléments de preuve disponibles et les arguments ne soient dûment soupesés, et sans que l'objet et l'incidence de la loi ne soient soigneusement examinés. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a confirmé les motifs du juge Mahoney, J.C.A., qui s'est exprimé en ces termes au nom des juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale aux pages 233 et 234 :


L'ordonnance rendue autorise l'intimé à se conduire et exige qu'il soit traité comme si la règle de droit qu'il cherche à faire annuler était désormais nulle même si elle reste en vigueur et qu'elle le demeurera jusqu'à ce que, après instruction, le jugement déclaratoire demandé ait été obtenu. Elle allait beaucoup plus loin que de conclure qu'il existe une question sérieuse à trancher. Elle demandait plus que de simplement conclure, comme lorsqu'il s'agit de statuer sur une demande d'injonction interlocutoire, que la répartition des inconvénients dicte que le statu quo soit maintenu ou que le statu quo antérieur soit rétabli en attendant le jugement sur l'action après l'instruction. L'ordonnance équivalait à conclure, avant même que son action ait été instruite, que l'intimé a le droit d'agir et d'être traité comme s'il avait gagné sa cause. L'ordonnance laisse entendre que l'intimé possède, en réalité, le droit qu'il revendique et que l'alinéa 14(4)e) [de la Loi électorale du Canada] est nul dans la mesure invoquée. Cela constitue un jugement déclaratoire provisoire sur un droit qui, en toute déférence, ne peut être rendu à bon droit avant l'instruction. Le défendeur dans une action a droit tout autant que le demandeur à une instruction équitable et complète, et il en est de même lorsque le litige est de nature constitutionnelle. Le but d'une injonction interlocutoire est de maintenir ou de rétablir le statu quo, et non d'accorder son redressement au demandeur, jusqu'au moment de l'instruction.

[17]       Dans une décision subséquente, Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la page 132, la Cour suprême du Canada a une fois de plus confirmé les motifs du juge Mahoney, en prenant soin de qualifier la démarche appropriée comme étant une démarche de « prudente réserve » qui « respecte le droit des deux parties à une instruction complète » .

[18]       Dans l'arrêt Harper c. Canada (Directeur général des élections), [2000] A.C.S. no 58, la Cour suprême du Canada a récemment affirmé, au paragraphe [9] :

Les tribunaux n'ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérantes avant d'avoir fait l'objet d'un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile.

[19]       De plus, dans l'affaire Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] A.C.F. no 1445, au paragraphe [37], mon collègue le juge Pelletier a suivi l'arrêt Gould, précité, et s'est exprimé en ces termes à cet égard :

Il ressort clairement des motifs de la Cour d'appel que les élections auraient lieu avant que la demande de contrôle judiciaire ne soit entendue. En conséquence, l'issue de la demande d'injonction aurait pour effet de trancher la demande. Dans le cas où Gould obtiendrait le droit de voter en vertu de l'injonction interlocutoire mais que sa demande de contrôle judiciaire ne serait pas accueillie, son vote ne pourrait être retiré. Par conséquent, Gould obtiendrait la réparation qu'il cherchait à obtenir avant que la Cour n'examine le bien-fondé de sa demande.

Le juge Pelletier a ajouté, au paragraphe [49] :


J'estime donc que le principe de Gould s'applique à la présente demande en ce sens qu'il est très probable qu'elle tranche définitivement l'affaire, qu'elle aura une incidence sur des droits de personnes autres que les parties à l'instance, et qu'en conséquence, elle ne doit pas faire l'objet d'un jugement interlocutoire.

[20]       Le dernier extrait cité s'applique directement au présent dossier aussi, étant donné que deux cent soixante Premières nations au Canada sont visées par le même paragraphe 74(4) et le même article 75 de la Loi sur les Indiens. La mesure de redressement sollicitée aura des incidences à leur égard, plus particulièrement à l'égard de celles qui sont sur le point de tenir des élections pour former leur conseil de bande ou celles dont les élections sont déjà amorcées.

[21]       En l'espèce, l'avocat de la défenderesse fait observer à juste titre que, même si la demanderesse se fonde considérablement sur l'arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême du Canada s'est prononcée uniquement sur la question du droit de tous les membres de la bande, y compris des membres non résidents, de voter lors de l'élection du conseil de bande aux termes du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens. Cette question de la validité constitutionnelle du paragraphe 74(4) et de l'article 75 de la Loi sur les Indiens, de même que la contrainte relative à la résidence pour les fins de la mise en candidature, constitue une question distincte et nouvelle qui n'a été tranchée par aucune cour.

[22]       En outre, il est manifeste que si on faisait droit à la mesure de redressement sollicitée par la demanderesse, celle-ci obtiendrait réparation immédiatement après le dépôt de sa déclaration et avant que n'ait lieu la communication des documents entre les parties, et avant l'interrogatoire préalable et l'instruction de l'affaire. En effet, un tel scénario, dans le cadre d'une requête interlocutoire, irait considérablement plus loin que ce que la Cour suprême du Canada était prête à accorder dans l'arrêt Corbiere, précité, et ce au terme d'une instruction complète et du dépôt de deux appels.


[23]       En ce qui concerne la seconde question, je suis tenu d'appliquer le fameux triple critère dégagé par les arrêts RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 312, et Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [1997] 3 C.F. 643 (C.A.F.). Je ne peux faire droit à la mesure de redressement provisoire sollicitée tant que je ne suis pas convaincu qu'il y a une question sérieuse à juger, que la partie qui cherche à obtenir la mesure de redressement subira un préjudice irréparable si elle ne l'obtient pas et que la prépondérance des inconvénients favorise que la demande soit accordée.

[24]       La demanderesse satisfait au premier volet du critère, comme en convient la défenderesse, puisque la validité constitutionnelle du paragraphe 74(4) et de l'article 75 de la Loi sur les Indiens constitue une question sérieuse à juger et que la présente affaire mérite à première vue d'être examinée par la Cour.

[25]       Quant au second volet du critère, la demanderesse ne m'a pas convaincu qu'elle subira un préjudice irréparable si elle ne peut poser sa candidature ou si elle ne peut voter en faveur d'un candidat non résident lors des élections de mars 2001. Tout au plus, la demanderesse ne sera pas autorisée à poser sa candidature et ne sera pas en mesure de voter en faveur d'un membre non résident lors des élections. Cependant, si elle obtient gain de cause au terme du procès, on ne pourra pas l'empêcher de se présenter comme candidate en raison de son lieu de résidence ou de voter en faveur d'un candidat non résident dans le futur. En outre, comme le fait observer la défenderesse, même si la demanderesse n'obtenait pas gain de cause au terme du procès, ou si elle se désistait de la présente action, il est toujours possible que son but soit néanmoins atteint grâce aux démarches actuellement en cours entre le ministère, les organisations des Premières nations et les bandes, notamment par l'élaboration d'un code électoral fondé sur la coutume pour la bande.


[26]       Enfin, en ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, je suis d'avis qu'il est dans l'intérêt du public de permettre en l'espèce que les processus de consultation déjà entamés se poursuivent, libres de toute intervention judiciaire. Dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, la Cour a déclaré à la page 343 :

L'arrêt Metropolitan Stores, établit clairement que, dans tous les litiges de nature constitutionnelle, l'intérêt public est un « élément particulier » à considérer dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, et qui doit recevoir « l'importance qu'il mérite » [...].

[27]       Je fais mien le point de vue de la défenderesse selon lequel, bien que la demanderesse ait tenté de caractériser son action comme étant une demande d'exemption plutôt qu'une demande de suspension de la loi, il s'agit véritablement en l'espèce d'un cas de suspension de la loi, comme l'a décrit le juge Beetz dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, à la page 146 :

. . . Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentiellement dans la même situation et on court alors le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.

(Non souligné dans l'original.)


[28]       Comme je l'ai mentionné précédemment, plusieurs bandes des Premières nations sont en train d'élire de nouveaux conseils de bande ou le feront prochainement. Si la Cour faisait droit à la demande de redressement sollicitée en l'espèce, la décision interlocutoire qu'elle rendrait relativement au paragraphe 74(4) et à l'article 75 de la Loi sur les Indiens aurait des incidences à l'égard de toutes les bandes dont le processus électoral est déjà amorcé. Cela créera subitement de la confusion quant à savoir les procédures qu'elles doivent suivre. Même si on accordait une exemption, au sens où l'entendait le juge Beetz, cette exemption constituerait un précédent incontournable et ferait en sorte qu'il sera très difficile pour les tribunaux au pays de ne pas accorder de mesure de redressement interlocutoire analogue.

[29]       La prépondérance des inconvénients ne favorise donc pas que la Cour rende une décision sommaire à l'égard de cette importante question.

Conclusion

[30]       Pour les motifs qui précèdent, la requête déposée par la demanderesse est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 février 2001

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                                                                                                                  Date : 20010202

                                                                                                                             Dossier : T-2388-00

                                                                                                                      Référence : 2001 CFPI 9

Ottawa (Ontario), le 2 février 2001

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                       MARSHA GORDON en son nom personnel et au nom de tous les

MEMBRES NON RÉSIDENTS DE LA

                            BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PASQUA NO 79

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                          SA MAJESTÉ LA REINE représentée par

le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadienet la

                            BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PASQUA NO 79

                                                                                                                                    défenderesses

VU LA REQUÊTE présentée par la demanderesse pour :

1.                   L'obtention d'une injonction interlocutoire ou permanente de nature prohibitive pour empêcher la bande de la Première nation de Pasqua no 79 (la bande) de présenter des candidats ou de tenir des élections conformément aux articles 74 et 75 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi sur les Indiens).

2.                   L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que la bande est constitutionnellement exemptée de l'application du paragraphe 74(4) et de l'article 75 de la Loi sur les Indiens.

3.                   Subsidiairement, l'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que les articles 74 et 75 de la Loi sur les Indiens sont invalides.

4.                   L'obtention d'une injonction enjoignant à la bande de permettre à Marsha Gordon et à tout membre non résident de la bande de Pasqua (tout membre non résident) de soumettre leur candidature au poste de conseiller de bande.

5.                   L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que Marsha Gordon et tout membre non résident ont le droit de soumettre leur candidature au poste de conseiller de bande.


6.                   L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que la bande ne pourra légitimement présenter des candidats ou tenir une élection pour le poste de conseiller de bande sans permettre à Marsha Gordon et à tout membre non résident de soumettre leur candidature pour ce poste.

7.                   L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que la bande ne pourra légitimement présenter des candidats ou tenir une élection pour le poste de conseiller de bande sans permettre à Marsha Gordon et à tout membre non résident de voter en faveur d'un candidat non résident.

8.                   L'obtention d'une injonction enjoignant à la bande de permettre à Marsha Gordon et à tout membre non résident de voter en faveur d'un candidat non résident pour le poste de conseiller.

9.                   L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que Marsha Gordon et tout membre non résident ont le droit de voter en faveur d'un candidat non résident pour le poste de conseiller.

10.               L'obtention d'une ordonnance déclaratoire portant que Marsha Gordon et tout membre non résident ont le droit de s'impliquer dans la présentation d'un candidat pour le poste de conseiller.

11.               L'obtention d'une injonction enjoignant à la bande de permettre à Marsha Gordon et à tout membre non résident de s'impliquer dans la présentation d'un candidat pour le poste de conseiller.

12.               Toute autre mesure de redressement que son avocat peut estimer indiquée et que la Cour peut juger bon d'accorder.

                                                                ORDONNANCE

La requête déposée par la demanderesse est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                

       JUGE

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             T-2388-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                MARSHA GORDON c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 REGINA (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 30 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE PINARD

EN DATE DU :                                                 2 février 2001   

ONT COMPARU :

Bob Hrycan                                                       POUR LA DEMANDERESSE

James Gunvaldsen-Klaassen                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Balfour Moss                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Regina (Saskatchewan)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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