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Date : 20040311

Dossier : T-717-02

                                                                                                        Référence : 2004 CF 361

ENTRE :

                                                               MATTEL, INC.

                                                                                                                                  Requérante

ET :

                                                       3894207 CANADA INC.

                      ET LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                                                             Intimés

                                                  MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, (la "Loi") de la décision de la Commission des oppositions ( le "registraire") rejetant l'opposition de la requérante à l'encontre de la demande d'enregistrement de la marque de commerce BARBIE'S & dessin produite par le prédécesseur en titre de l'intimée corporative ("l'intimée") en association avec des restaurants et des services de traiteur. La requérante demande également, par le biais d'une requête pour révision judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, qu'il soit ordonné que Mattel, Inc. soit reconnue de façon rétroactive comme la véritable opposante dans les présentes procédures.

[2]                 Le 14 septembre 1993, la compagnie 2858029 Canada Inc. (prédécesseur en titre de l'intimée) a déposé la demande d'enregistrement no 736,898 pour la marque de commerce BARBIE'S & dessin. Cette demande d'enregistrement a été cédée à l'intimée le 18 octobre 2001.

[3]                 Cette demande d'enregistrement est fondée sur l'emploi de la marque BARBIE'S & dessin depuis le mois d'octobre 1992 en association avec « restaurant services, take-out restaurant services, catering and banquet services » et a été publiée dans l'édition du 10 août 1994 du Journal des marques de commerce.

[4]                 Le 23 juin 1995, Mattel USA, Inc. s'est opposée à cette demande d'enregistrement au motif notamment que la marque faisant l'objet de cette demande d'enregistrement créait de la confusion avec plusieurs marques de commerce BARBIE enregistrées par la requérante en association avec des poupées, accessoires de poupées et autres produits connexes.


[5]                 Dans le cadre des présentes procédures devant la Cour fédérale, il a été déterminé que Mattel USA, Inc. n'avait aucune existence légale et que ce serait par erreur que cette déclaration d'opposition aurait été déposée au nom de Mattel USA, Inc. plutôt qu'au nom de la requérante, Mattel, Inc. Ceci explique le volet contrôle judiciaire dans la présente affaire.

[6]                 Le 5 mars 2002, le registraire a rendu une décision fort bien motivée dans laquelle il a conclu, après avoir analysé l'ensemble de la preuve, que la marque BARBIE'S & dessin de l'intimée ne créait pas de confusion avec la marque de commerce BARBIE de l'opposante et a donc rejeté l'opposition.

[7]                 Pour en arriver à cette conclusion, le registraire, après avoir procédé à une analyse détaillée et approfondie des principes jurisprudentiels applicables en matière d'opposition de marque de commerce, s'est attardé à l'énorme différence qui existe entre le genre de marchandises de la requérante et la nature du commerce de l'intimée. Ainsi, à la page 7 de sa décision il énonçait:

"The nature of the opponent's wares and the applicant's services are quite different. In this regard, the opponent has established that its mark is very well known, if not famous in Canada, in association with dolls and doll accessories. The opponent's target market are children and to some extent adult collectors. By contrast, the applicant is in the restaurant business and its target market are adults."


[8]                 La requérante soumet que le registraire a erré en concluant à l'absence de lien entre les marchandises de la requérante et les services offerts par l'intimée.

[9]                 De plus, la requérante se base sur un sondage effectué par M. Thexton, faisant partie de la preuve nouvelle présentée devant cette Cour, pour argumenter que ce sondage constitue un élément de preuve supplémentaire important relativement à une question pertinente, à savoir la possibilité de confusion entre les deux marques de commerce.

[10]            Les statistiques saillantes du sondage sont les suivantes:

- Pour 57 % des participants, les poupées Barbie sont venues à l'idée lorsqu'ils ont vu le logo du restaurant Barbies.

-36% des participants croyait que la compagnie responsable de la fabrication des poupées Barbie a quelque chose à voir avec le logo du restaurant Barbie.

-99.3% des participants étaient familiers avec les poupées Barbie.


[11]            De son côté, l'intimée soumet qu'à la lumière de la preuve lui ayant été présentée, le registraire a, à bon droit, conclu que l'intimée s'était déchargée de son fardeau de démontrer l'absence de risque raisonnable de confusion entre la marque BARBIE'S & dessin en association avec ses services de restaurant et la marque BARBIE de Mattel, Inc. en association avec des poupées, accessoires de poupées et autres produits connexes.

[12]            De plus, l'intimée prétend que le registraire aurait rendu exactement la même décision s'il avait eu à considérer la preuve additionnelle ayant été soumise par les parties devant la Cour fédérale.

[13]            Pour les besoins du présent appel, les dispositions suivantes de la Loi sont particulièrement pertinentes :

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

56.(5)Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[14]            Par ailleurs, le paragraphe (2) de l'article 6 de la Loi indique quand une marque de commerce peut porter à confusion.    Ce paragraphe se lit ainsi:


6(2).L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

[15]            La jurisprudence a traduit cet article de loi par le test de la première impression et du souvenir imparfait du consommateur moyen. Dans l'arrêt Miss Universe Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, le juge Décary a expliqué certains principes au sujet de la probabilité de confusion entre des marques de commerce :

"9. Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale.

10. En décidant s'il y a vraisemblance de confusion, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris celles visées au paragraphe 6(5) précité.

11. Il appartient toujours à celui qui demande à enregistrer une marque de commerce d'établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce déjà employée et enregistrée."


[16]            Ainsi, le fardeau de démontrer par la prépondérance de preuve qu'il n'existe pas de possibilité raisonnable de confusion entre lesdites marques appartient à l'intimée. En d'autres mots, le doute doit être résolu en faveur de l'opposante, Mattel Inc. en l'espèce.

[17]            Il est nécessaire d'évaluer tous les facteurs pertinents énumérés au paragraphe 6(5) dans chacun des cas et de rendre une décision qui tient convenablement compte de chacun d'eux. L'un des facteurs clés en l'espèce est la différence frappante entre les marchandises. La protection doit être accordée en liaison avec certaines marchandises ou certains services, car la confusion est moins probable lorsque les marchandises sont sensiblement différentes, même lorsque la marque est bien connue.

[18]            Le genre de marchandises comparées afin de déterminer s'il peut y avoir confusion demeure pertinent et, lorsqu'elles sont sensiblement différentes, il faut accorder une importance considérable à ce facteur. C'est précisément ce qui a amené le registraire à rejeter l'opposition.

[19]            En effet, les restaurants de l'intimée sont situés à l'intérieur de la province de Québec et offrent une gamme de plats variés dont du « smoked meat » , des grillades, brochettes de poulet, souvlakis et steaks grillés, côtes levées, fruits de mer, pizzas, etc., ainsi que du vin, des apéritifs, cocktails, bière et diverses boissons alcoolisées.


[20]            Ces restaurants sont destinés à une clientèle adulte. En effet, une partie importante de la superficie de ces restaurants est consacrée au bar et rien dans ces restaurants n'évoque les jouets, les poupées ou le monde de l'enfance.

[21]            De son côté, la marque BARBIE de la requérante jouit d'une très grande réputation mondiale en association avec des poupées et accessoires y étant rattachés et vise de toute évidence le marché des fillettes âgées de 3 à 11 ans. Il y a donc une différence on ne peut plus significative entre le genre de marchandises ainsi que la nature du commerce des deux parties.

[22]            Face à un appel d'une décision d'un registraire, cette Cour ne sera justifiée d'intervenir que si l'appelante démontre que le registraire a erré en droit ou dans l'appréciation des faits en l'espèce. En effet, comme le registraire est un tribunal spécialisé possédant une expertise dans le domaine des marques de commerce, cette Cour doit agir avec retenue. Néanmoins, lorsque de la preuve additionnelle est produite selon le paragraphe 56(5) de la Loi, cette Cour jouit d'une plus grande latitude envers la décision du registraire. En l'instance, l'une et l'autre des parties à cet appel ont produit une preuve additionnelle devant cette Cour.


[23]            Cependant, les nouveaux éléments de preuve doivent être assez importants pour justifier un procès de novo. En d'autres mots, il faut que les nouvelles preuves modifient radicalement la situation de fait pour que la Cour ait toute latitude pour écarter la décision du registraire.

[24]            Dans l'affaire Garbo Group Inc. v. Harriet Brown & Co.[1999] C.A.F. no 1763, le juge Evans énonçait :

"37 Les conséquences à l'égard de la norme de contrôle qu'entraîne le dépôt en appel d'une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l'élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.

38 Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au-delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l'égard de la question sur laquelle porte ces éléments de preuve et, peut-être, si la décision au fond est elle-même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d'appel sera portée à tirer elle-même une conclusion de fait."

[25]            Cette Cour est d'avis que la preuve supplémentaire produite devant elle par la requérante n'ajoute en soi rien de nouveau qui justifierait une révision de la décision du registraire.

[26]            Plus particulièrement, cette Cour est d'avis qu'on ne peut tirer une conclusion significative des résultats du sondage contenu dans l'affidavit de M. Thexton relativement à la question de la confusion.


[27]            En effet, ce sondage, qui avaient pour but d'analyser l'existence d'un risque de confusion entre les marques de commerce en cause, comporte des lacunes flagrantes et déterminantes qui nuisent considérablement à sa pertinence.

[28]            Plus précisément, aucune information sous quelque forme que ce soit n'a été fournie aux répondants dans le cadre du sondage en cause relativement à la nature exacte du commerce et des services de restaurant en association avec lesquels la marque de commerce BARBIE' S & dessin était utilisée.

[29]            Or, le fait que les restaurants de l'intimée soient des restaurants pour adultes (décor pour adultes, section réservée à un bar, vente de vin et de diverses boissons alcoolisées, heures d'ouverture tardives, etc.) constituait une information essentielle qui devait absolument être révélée aux répondants au sondage afin que les résultats de celui-ci puissent avoir une quelconque valeur.

[30]            De plus, il semble illogique d'avoir exclu des répondants admissibles dans le cadre du sondage de M. Thexton les personnes connaissant l'un ou l'autre des restaurants de l'intimée.


[31]            La requérante allègue que ce choix par M. Thexton d'exclure des répondants potentiels au sondage ceux ayant connaissance des restaurants de l'intimée repose sur le fait que le test de la confusion en est un de "première impression". Un tel raisonnement laisse pantois. En effet, l'application du test de la "première impression" ne requiert pas que le consommateur ignore le contexte et la nature exacte des marchandises, services et commerces en association avec lesquels la marque de commerce en cause est utilisée. Ceci reviendrait en effet à faire abstraction de l'existence de l'article 6(5)(c) de la Loi.

[32]            Bien au contraire, ce sont justement les répondants ayant une connaissance de la nature des services de restaurant et du commerce de l'intimée qui auraient été les mieux placés pour nous illuminer sur la probabilité de confusion entre les deux marques de commerce. C'est d'ailleurs ce qui a amené la Cour du Banc de la Reine d'Alberta dans la décision Walt Disney Productions v. Fantasyland Hotel Inc. [1994] A.J. no 484 à ne pas tenir compte d'un sondage réalisé en partie auprès de répondants qui n'avaient jamais fréquenté l'établissement du défendeur (un hôtel), alors qu'il s'agissait de déterminer s'il existait un risque de confusion entre le nom de cet hôtel et la marque de commerce du demandeur. Au paragraphe 271 de son jugement, le juge Rooke énonçait :


"Furthermore, if they do not know of the Hotel they fall outside the requirement of being "prospective customers" within the test set out in the Warnink "Advocaat" case (supra). Rather, it is an ordinary person, making an uninformed guess on no information about the Hotel operated by the Defendant. I note that the Safeway case held (headnote and at 1317-8) that evidence of confusion by persons only casually acquainted with the business is entitled to little weight in determining the likelihood of confusion, and that the target universe must consist of people most likely to purchase the defendant's products - in this case, I would take it to mean people who know of the defendant's business."

[33]            Ainsi, il est fondamental de comprendre que de tels sondages, pour avoir une force probante, ne peuvent avoir lieu dans un vase clos, comme ce fut le cas en l'espèce. On ne peut se contenter de poser des questions dans l'abstrait sans donner le contexte concret qui sous-tend les questions litigieuses. De plus, plusieurs des questions contenues dans le sondage revêtent un caractère suggestif. Or, comme le soulignait le juge Rooke dans l'affaire Walt Disney Productions, supra, la question "should not direct the person answering the question into a field of speculation upon which that person would never have embarked had the question not been put" (par. 271).

[34]            Bref, les lacunes ci-haut mentionnée au niveau de la validité du sondage effectué par M. Thexton rendent les résultats de celui-ci en ce qui concerne les soi-disant liens entre les services de l'intimée d'une part et de la requérante d'autre part, tout à fait inconséquents. Cette inconséquence est d'autant plus flagrante lorsque l'on considère que la requérante n'a pas été en mesure de présenter la moindre preuve d'un quelconque cas concret de confusion et ce sur une période de 10 ans de coexistence entre les marques des parties.


[35]            En effet, depuis le début des présentes procédures d'opposition, le prédécesseur de l'intimée a demandé aux employés des restaurants Barbie's d'être à l'écoute de tout commentaire de la part de la clientèle, le cas échéant, faisant état d'une quelconque confusion avec les poupées de marque BARBIE de la requérante et de faire rapport de ces commentaires, le cas échéant, à l'intimée. Or, aucun commentaire de cette nature n'a été rapporté au prédécesseur de l'intimée. De même, depuis qu'elle est propriétaire de la marque BARBIE'S & dessin, l'intimée a également demandé aux employés des restaurants Barbie's de demeurer vigilants et de lui faire rapport, le cas échéant, de l'existence de tout commentaire de clients qui croiraient en l'existence d'un lien quelconque avec la marque BARBIE de la requérante. Aucun commentaire de la sorte n'a été rapporté à l'intimée.

[36]            Le sondage en l'espèce n'est donc pas concluant et ne saurait établir, en l'absence de preuve d'un quelconque cas concret de confusion entre les deux marques de commerce, l'existence d'un risque véritable de confusion.

[37]            De plus, il importe de souligner qu'en limitant le bassin des répondants à des adultes et excluant ainsi le groupe visé par ses marchandises, soit celui des fillettes âgées de 3 à 11 ans, la requérante elle-même reconnaît implicitement l'implausibilité d'une confusion entre les deux marques de commerce.


[38]            La seule conclusion qu'on puisse tirer du sondage faisant l'objet de l'affidavit de M. Thexton est que la marque BARBIE de la requérante est très connue, voire célèbre, facteur dont le registraire avait évidemment tenu compte dans le cadre de sa décision.

[39]            Or, la célébrité d'une marque n'est que l'un des facteurs devant être pris en considération. Si la célébrité d'un nom pouvait empêcher toute autre utilisation de ce nom, le concept fondamental de l'octroi d'une marque de commerce en liaison avec certaines marchandises perdrait toute sa signification.

[40]            Ce n'est pas parce la marque de la requérante était célèbre qu'il fallait automatiquement présumer qu'il y aurait confusion. Dans les circonstances, si on garde à l'esprit que le critère à satisfaire était la probabilité de confusion (et non la possibilité de confusion), la notoriété de la marque ne saurait constituer un atout de commercialisation propre à éliminer complètement les autres facteurs. En effet, la Cour d'appel fédérale énonçait dans l'affaire Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp. (C.A.) [1998] 3 C.F. 534 :

"44 [...] La protection accrue que confère la notoriété de la marque de l'appelante ne devient pertinente que lorsqu'on l'applique à un lien entre les commerces et services du requérant et ceux de l'opposante. Quelle que soit la notoriété de la marque, elle ne peut servir à créer un lien qui n'existe pas.


45 Dans la décision Playboy Enterprises, Inc. c. Germain [Voir Note 46 ci-dessous], le requérant Germain voulait enregistrer la marque "Playboy Men's Hair Stylist" pour des services définis comme étant un "salon de coiffure pour homme". Le juge Marceau a confirmé la décision du registraire portant que la marque projetée ne créait pas de confusion avec la marque "Playboy" que l'opposante employait en liaison avec des magazines. Il a précisé:

Le Registraire n'a trouvé ni dans ces faits en particulier ni dans la preuve prise dans son ensemble, rien qui permettrait d'établir l'existence d'une renommée ou d'une activité de l'appelante, relativement à des services analogues ou connexes à ceux fournis par l'intimé. Il n'y avait absolument aucune preuve d'une utilisation par l'appelante ou d'une publication par elle de la marque de commerce PLAYBOY, en liaison avec des services de coiffure pour hommes, à quelque époque antérieure à l'adoption par le requérant de sa marque de commerce.

La renommée mondiale de la marque de commerce de l'opposante ne pouvait constituer un facteur si important qu'il rende non pertinentes les différences entre les marchandises et les services."

[41]            La Cour d'appel fédérale a réitéré cette position dans l'affaire Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc. (C.A.) [2001] 2 C.F. 15. Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si la marque "Lexus" que l'appelante souhaitait employer en liaison avec des aliments et des jus en conserve rentrait en confusion avec la marque "Lexus" de l'intimée employée en liaison avec des automobiles. La Cour, sous la plume du juge Linden, énonçait :

"9 Le fait que le juge de première instance se soit appuyé sur la conclusion que la marque "Lexus" était célèbre ou en train de le devenir l'a conduit à vouloir trop la protéger. Bien que la célébrité de la marque puisse fort bien être un facteur significatif à considérer, tout comme la période pendant laquelle elle a été employée, soit les facteurs aux paragraphes 6(5)a) et b), elle n'est pas déterminante. La célébrité à elle seule ne protège pas une marque de commerce de façon absolue. Il s'agit simplement d'un facteur qui doit être apprécié en liaison avec tous les autres facteurs. Si la célébrité d'un nom pouvait empêcher toute autre utilisation de ce nom, le concept fondamental de l'octroi d'une marque de commerce en liaison avec certaines marchandises perdrait toute sa signification[...] Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt Pink Panther [Aux par. 53 et 44.] au sujet de cette marque de commerce:


Conclure en effet qu'un tel lien est suffisant [entre des produits de beauté et des films] en l'espèce étendrait effectivement la protection à tous les domaines d'activités imaginables. Aucun secteur n'échapperait plus à la machine de mise en marché d'Hollywood. Ce n'est pas parce que les mots qui figurent dans le titre d'un film d'Hollywood sont bien connus qu'il devient interdit à tout jamais au monde entier de les employer pour mettre en marché des biens différents.

[...]

Quelle que soit la notoriété de la marque, elle ne peut servir à créer un lien qui n'existe pas."

[42]            Ailleurs dans son jugement, le juge Linden souligne ceci :

"8    [...]    En l'instance, les automobiles sont vendues par des concessionnaires automobiles à travers le monde, habituellement dans des édifices spéciaux prévus à cette fin. Les biens en conserve en question sont principalement vendus à des acheteurs institutionnels dans la province de Québec. On peut difficilement voir comment quelqu'un qui veut acheter des jus de fruits en conserve de l'appelante pourrait même penser que le fabriquant automobile japonais de "Lexus" fournit ces produits. L'enquête mise en preuve montrant que le nom "Lexus" était associé par les personnes interrogées à une automobile n'établit pas qu'il y a eu la moindre confusion entre les deux produits. Elle établit simplement que de nombreuses personnes connaissent l'automobile de luxe fabriquée par l'intimée."

[43]            Le même raisonnement s'applique en l'espèce; il est en effet difficile d'imaginer qu'un individu se pointerait dans un des restaurants de l'intimée avec l'intention de se procurer des poupées.


[44]            Ainsi, la question pertinente n'est pas de savoir s'il existe, dans l'abstrait, une probabilité raisonnable de confusion entre la marque proposée et la marque existante. On doit plutôt se demander s'il est raisonnablement vraisemblable que la marque proposée par l'auteur de la demande incite les consommateurs à penser que les marchandises en liaison avec lesquelles la marque sera employée proviennent de la même source que celles visées par la marque de l'opposante ou sont autrement associées aux marchandises de cette dernière.

[45]            La requérante argumente que rien ne pourrait empêcher l'intimée de décorer les murs de ses restaurants en rose et d'y vendre éventuellement des poupées et que bref, la marque de commerce de la requérante aurait dû être, tout au moins, enregistrée d'une façon plus restrictive.

[46]            Cette Cour ne peut opter pour une telle approche conjecturale et hypothétique sans sombrer dans l'absurde. En effet, un argument similaire a été écarté par le juge MacKay dans l'affaire Joseph E. Seagram & Sons Ltd. v. Canada (Registrar of Trade 33 C.P.R. (3d) 454. L'appelante y avait fait valoir que la tendance générale à la diversification des entreprises amènerait le consommateur à présumer que son entreprise de spiritueux était liée à l'entreprise de courtage immobilier de l'intimée. Le juge MacKay a rejeté cet argument en édictant aux pages 467 et 468 :

"Je ne suis pas d'accord avec cet énoncé: selon moi, l'avenir et les possibilités futures de diversification se limitent à l'expansion possible des activités courantes. Ils n'entrent pas en ligne de compte sous forme de spéculations quant à la diversification de l'entreprise dans des secteurs tout à fait nouveaux, qui supposent de nouvelles marchandises ou entreprises, ou encore de nouveaux services."


[47]            Bref, la décision du registraire était raisonnable et mérite la déférence de cette Cour. Par ailleurs, il ressort clairement de l'ensemble de la preuve analysée devant cette Cour qu'il n'existe aucun risque raisonnable de confusion entre la marque de l'intimée et celle de la requérante.

[48]            Tel que mentionné plus haut, la déclaration d'opposition dans le présent dossier a été déposée au nom de Mattel U.S.A., Inc. et la requérante n'aurait pris connaissance de cet état de fait que dans le cadre du présent appel. La requérante demande que cette situation soit corrigée rétroactivement.

[49]          L'intimée soumet que la compagnie Mattel U.S.A., Inc. n'avait pas l'intérêt requis pour s'opposer à l'enregistrement de la marque de l'intimée, la compagnie Mattel U.S.A., Inc. n'étant pas une "personne" conformément à l'article 38 de la Loi.

[50]            L'article 38 de la Loi sur les marques de commerce prévoit :

38.(1)Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l'annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d'opposition...


[51]            Or, il n'existe aucune compagnie du nom de Mattel U.S.A., Inc. En effet, en aucun temps pertinent une telle compagnie n'a-t-elle existé, incluant au moment de la production de la déclaration d'opposition.

[52]            En l'espèce, Mattel U.S.A., Inc. n'avait clairement aucune existence juridique en aucun temps pertinent, incluant au moment de la déclaration d'opposition, et ne pouvait donc pas avoir l'intérêt requis afin de s'opposer à l'enregistrement de la marque de l'intimée.

[53]            Ceci étant dit, cette Cour est d'avis qu'il serait inéquitable de rejeter la demande de révision judiciaire, pour un motif aussi technique, la situation étant engendrée par l'inadvertance de toutes les parties impliquées, y compris les fonctionnaires travaillant à la Commission des oppositions qui ont procédé à l'enregistrement de la déclaration d'opposition sans se rendre compte du problème.

[54]            Pour ces motifs, la requête en appel est rejetée mais celle en révision judiciaire est accordée.


[55]            Les dépens sont accordés à l'intimée.

ligne

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 11 mars 2004


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-717-02

INTITULÉDE CAUSE :

MATTEL, INC.

                                                                                                                                  Requérante

et

3894207 CANADA INC. et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                                                             Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :         Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 7 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS:                 Le 11 mars 2004

COMPARUTIONS:

Dan Hitchcock                                                                       POUR LA REQUÉRANTE

Sophie Picard                                                                       POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie, & Herbert LLP

Toronto, Ontario                                                                  POUR LA REQUÉRANTE

Desjardins Ducharme Stein Monast

Montréal, Québec                                                                 POUR L'INTIMÉE


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