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Date : 19981229


Dossier : T-34-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     NOËL AYANGMA,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     Par jugement sommaire, il est donné gain de cause à la défenderesse. La requête en jugement sommaire présentée par le demandeur est rejetée. La défenderesse aura droit aux dépens.

J.E. DUBÉ

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19981229


Dossier : T-34-98

ENTRE :

     NOËL AYANGMA,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DUBÉ :

[1]      Il s'agit en l'occurrence de deux requêtes en jugement sommaire, présentées en vertu de la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998). La première requête est formulée par la défenderesse, Sa Majesté la Reine, qui sollicite de la Cour la radiation de la déclaration déposée par le demandeur. Dans la seconde requête, le demandeur, M. Noël Ayangma, sollicite la radiation de la défense produite par la défenderesse.

1. Les faits

[2]      Le demandeur avait rempli, le 23 mars 1994, une demande d'emploi à Transports Canada en vue d'un poste de contrôleur de la circulation aérienne et de spécialiste de l'information de vol. Le 7 août 1994, il obtient 100 p. 100 à l'examen écrit de contrôleur de la circulation aérienne. Il est alors convoqué à une entrevue de sélection qui se révèle pour lui un échec. Le comité d'entrevue est présidé par John S. Navaux, et comprend aussi, parmi ses deux autres membres, Yves Aubry. Invoquant la discrimination raciale, le demandeur porte plainte contre Transports Canada auprès de la Commission des droits de la personne et de la Commission de la fonction publique.

[3]      Le 9 janvier 1995, le demandeur dépose la déclaration, contestée en l'espèce, dans laquelle il fait état des [traduction] " commentaires diffamatoires " faits par M. John S. Navaux de Transports Canada à Anick Hébert, le 11 novembre 1996, dans le cadre de l'enquête de la Commission canadienne des droits de la personne. Les commentaires dont il est fait état sont reproduits au paragraphe 10 de la déclaration sous la forme suivante :

                 Q.      " Comment expliquez-vous que le plaignant ait obtenu une note parfaite à l'examen oral mais qu'il ait obtenu une note si faible à l'entrevue de sélection "                 
                 R.      " Ne sait pas c'est la première fois qu'il voit un si grand écart. Habituellement, quand quelqu'un réussit très bien à l'écrit il va bien réussir à l'oral ".                 
                      " Il croit (et c'est seulement son opinion personnelle) que le plaignant a peut-être eu accès au test d'aptitude ".                 
                      " Le plaignant a déjà travaillé dans un ministère dans le passé qui a déjà administré les tests d'aptitude ".                 
                      " C'est pratiquement impossible d'avoir 100 % ".                 

[4]      Au paragraphe 9 de sa défense, la défenderesse conteste l'allégation du demandeur et déclare, au paragraphe 26, que le 11 novembre 1996, John S. Navaux et Yves Aubry avaient déjà quitté son service. Le paragraphe 26 est libellé en ces termes :

                 [traduction]                 
                 26. Répondant à la déclaration, la défenderesse affirme que le 1er novembre 1996, John Navaux et Yves Aubry avaient cessé d'être à son service et étaient devenus des employés de Nav Canada, une société privée, constituée en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes pour reprendre certaines des fonctions antérieurement exercées par Transports Canada et exposées de manière plus complète dans la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20. La défenderesse affirme que c'est Nav Canada qui était l'employeur de John Navaux et de Yves Aubry à l'époque où ils furent interviewés par Anick Hébert et la défenderesse refuse d'admettre que sa responsabilité soit engagée du fait d'autrui pour ce qui est des incidents invoqués dans la déclaration.                 

[5]      Dans l'affidavit déposé à l'appui de la requête de la défenderesse, M. Navaux affirme que, de juin 1988 au 31 octobre 1996, il était employé de Transports Canada en tant que gestionnaire du Centre régional de contrôle. M. Navaux, M. Aubry et d'autres employés passèrent à l'emploi de Nav Canada ltée et cessèrent d'être des employés de la défenderesse le 1er novembre 1996. M. Navaux a été employé par Nav Canada ltée jusqu'au 10 janvier 1997, date à laquelle il a repris un emploi auprès de la défenderesse.

[6]      Les deux requêtes en jugement sommaire se fondent sur les mêmes faits. Chacune, cependant, soulève des questions différentes. Comme à l'audience, je commencerai par la requête présentée par la défenderesse.

2. La requête présentée par la défenderesse en vue de la radiation de la déclaration

[7]      Il s'agit essentiellement de savoir si M. Navaux et M. Aubry étaient des préposés de l'État à l'époque où furent tenus les propos allégués, ou s'ils n'étaient que de simples témoins appelés à témoigner devant la Commission canadienne des droits de la personne?

[8]      Le demandeur affirme qu'un commettant et son préposé sont solidairement responsables des délits civils commis par le préposé. La ou les parties ayant subi un préjudice peuvent donc poursuivre soit le commettant, soit le préposé, ou les deux. Même si la défenderesse prétend que sa responsabilité ne saurait être engagée du fait des propos tenus par M. Navaux et M. Aubry, ces deux personnes représentaient Transports Canada, agissant comme ses préposés et pour son compte à l'époque où ils furent interrogés par la Commission canadienne des droits de la personne. Lors de cette entrevue, ce n'est pas eux-mêmes qu'ils représentaient, pas plus qu'ils ne représentaient Nav Canada ltée. La défenderesse affirme que M. Navaux et M. Aubry étaient donc des préposés de l'État à l'époque où furent tenus les propos allégués.

[9]      À l'audition de la présente requête, le demandeur a prétendu que Transports Canada avait non seulement avalisé les actions de M. John Navaux et de M. Aubry, mais aussi organisé leur comparution devant Mme Hébert. Il soutient que la défenderesse n'a rien fait pour se désolidariser d'eux.

[10]      La défenderesse, elle, soutient que MM. Navaux et Aubry n'étaient pas des préposés de l'État à l'époque où furent tenus les propos allégués. Elle prétend que rien ne lie ces deux messieurs à Transports Canada, dont ils ne seraient aucunement les mandataires.

[11]      La Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif1 prévoit, à l'alinéa 3a), que :

                 3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour :                 
                 a) les délits civils commis par ses préposés;                 

[12]      À l'article 2 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, " préposé " (de l'État) est assimilé au mandataire. Ainsi, le préposé de l'État est toute personne employée par l'État ou agissant pour lui en tant que mandataire.

[13]      Le texte législatif autorisant le ministre des Transports à céder les droit que Sa Majesté possédait sur certains biens, précisément désignés, relevant des services de navigation aérienne civile, à la société (Nav Canada ltée), est la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile2, qui prévoit clairement, en son article 8, que :



         8. La société n'est pas mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et ne peut prétendre fournir des services de navigation aérienne civile en son nom.                 
         (non souligné dans l'original)                 

[14]      Par conséquent, ni Nav Canada ltée ni ses employés ne pouvaient être considérés comme des mandataires ou préposés de l'État alors qu'ils assuraient des services de circulation aérienne. Il y a maintenant lieu de se demander si messieurs Navaux et Aubry peuvent, en leur capacité propre, être considérés comme ayant été engagés en tant que préposés de l'État lors de leur comparution devant la Commission canadienne des droits de la personne.

[15]      Ils auraient été des préposés de l'État si Transports Canada les avait engagés pour régler, en son nom, une plainte en matière de droits de la personne. Si Transports Canada leur avait délégué le pouvoir de régler la plainte en question, d'engager des négociations avec le demandeur et de parvenir, au nom de Transports Canada, à un règlement, M. Navaux et M. Aubry auraient effectivement été liés à Transports Canada par un mandat. Rien ne permet cependant de l'affirmer. En l'espèce, la Commission canadienne des droits de la personne avait demandé à interviewer M. Navaux et M. Aubry à propos d'événements qui s'étaient produits lorsqu'ils étaient employés par Transports Canada. À l'époque où eut lieu l'entrevue, ils n'étaient pas employés de Transports Canada et n'agissaient aucunement en tant que préposés de leur ancien employeur dans le cadre d'un mandat le liant.

[16]      Le contre-interrogatoire de M. Navaux à propos de son affidavit3, mené par le demandeur, le démontre très clairement :

                 [traduction]                 
                 Q. ...M. Navaux, le jour de votre entrevue avec Mme Anick Hébert, étiez-vous employé par la défenderesse, Sa Majesté la Reine du Canada et le ministère fédéral des Transports?                 
                 R. Non.                 
                 ...                 
                 Q. M. Navaux, est-il juste de dire qu'en tant qu'employé permanent de Transports Canada, vous bénéficiez d'une sorte de droit de rétention sur le poste de gestionnaire du Centre régional de contrôle à Transports Canada?                 
                 R. ...la réponse est non4.                 

[17]      La Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile5 confirme, en son article 58, le statut de ses nouveaux employés :

                 58. Les employés désignés qui acceptent, avant la date de cession, l'offre d'emploi de la société cessent d'être employés dans la fonction publique immédiatement avant cette date.                 

[18]      Il me faut donc conclure que le 11 novembre 1996, M. Navaux et M. Aubry n'étaient pas des préposés de l'État selon la définition qu'en donne l'alinéa 3a) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Ainsi, aucune action ne peut en l'occurrence être intentée contre l'État pour un délit civil que les intéressés auraient éventuellement pu commettre alors qu'ils étaient interviewés en tant que témoins.

3. Décision

[19]      En conséquence, étant donné que l'auteur des prétendus propos diffamatoires n'était, à l'époque des faits, ni un préposé ni un mandataire de l'État, il n'y a en l'occurrence pas de véritables questions litigieuses et, en vertu de la règle 216, la Cour rend un jugement sommaire donnant gain de cause à la défenderesse. La requête en jugement sommaire présentée le demandeur est rejetée. La défenderesse aura droit aux dépens.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 décembre 1998

     J.E. DUBÉ

     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-34-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      NOËL AYANGMA c.

     SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :      CHARLOTETOWN (Î.-P.-É.)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 26 OCTOBRE 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE DUBÉ

DATE :      LE 29 DÉCEMBRE 1998

ONT COMPARU :

NOËL AYANGMA          AGISSANT EN SA PROPRE CAUSE

MICHAEL DONOVAN          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NOËL AYANGMA          AGISSANT EN SA PROPRE CAUSE

CHARLOTTETOWN (Î.-P.-É.)

M. MORRIS ROSENBERG          POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-50.

2      L.C. 1996, ch. 20.

3      Transcription du contre-interrogatoire, par M. Noël Ayangma, de M. John Navaux sur son affidavit, qui a eu lieu le 10 août 1998 à Charlottetown (Queens County), province de l"Île-du-Prince-Édouard.

4      Ibid, aux pp. 8 et 9.

5      Supra, note 2, article 58.

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