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Date : 20040921

Dossier : T-1131-03

Référence : 2004 CF 1287

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                JEAN MARTEL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le « Tribunal » ) rendue le 23 mai 2003 après réexamen d'une décision antérieure datée du 25 mai 2000 par laquelle le Tribunal avait refusé de reconnaître au demandeur le droit à une pension intégrale d'invalidité pour une lésion à son genou droit. Dans sa décision du 25 mai 2000, le Tribunal avait accordé au demandeur les trois cinquièmes du droit à pension, pour la partie de l'invalidité, ou pour l'aggravation de cette dernière, consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix, selon ce que prévoit le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6.

LES FAITS

Historique du service : de janvier 1979 jusqu'au 25 septembre 1997

[2]                Le demandeur a été membre des Forces armées canadiennes de 1979 à 1997. Son service a consisté en affectations à Petawawa, en Colombie-Britannique, à Ottawa et en Israël.

[3]                De 1982 à 1987, il a été membre du 764e Escadron des communications et a participé à un programme obligatoire de culture physique appelé Programme des prix du général Wylie. Dans ce programme, les membres devaient s'inscrire à certaines activités autorisées, par exemple ski de fond et squash, afin de conserver une forme physique acceptable et d'accumuler des points de qualification en vue d'une accréditation dans le programme. Quand des membres s'adonnaient à ces activités, ils étaient réputés « en service commandé » . Le Programme des prix du général Wylie est reconnu comme un volet du programme EXPRES des Forces canadiennes (le « programme EXPRES FC » ), c'est-à-dire le programme de culture physique que doivent obligatoirement suivre les membres des forces armées.


Les blessures - 1985, 1990 et 1995

[4]                Le 29 décembre 1985 ou vers cette date, alors qu'il était en randonnée de ski de fond, le demandeur s'est infligé une lésion au genou droit et, le 31 décembre 1985, il subissait une opération chirurgicale destinée à réparer une déchirure du ligament cruciforme antérieur (le « LCA » ).

[5]                Après l'opération, le demandeur a pris un congé de maladie de deux mois et demi. Par la suite, il a dû suivre un traitement comprenant l'application d'un plâtre durant cinq mois, une physiothérapie durant plus de 12 mois et des exercices individuels personnalisés à faire chez soi. On lui a dit de consulter son médecin traitant, le Dr Smallman, tous les six mois environ, durant deux à trois ans.

[6]                Le 23 septembre 1986, le Dr Smallman recommandait que le demandeur s'abstienne de participer jusqu'au printemps au cours de chef subalterne.

[7]                Malgré la recommandation du Dr Smallman, le demandeur a été envoyé au cours de chef de combat, qui est l'équivalent du cours de chef subalterne, et cela à compter de janvier 1987, et il a participé durant ce cours à un entraînement prolongé au combat pendant une période de 12 semaines.


[8]                Cet entraînement prolongé au combat était contraire aux directives du médecin traitant du demandeur, qui avait recommandé que le demandeur soit placé dans une catégorie temporaire durant le temps requis pour sa rééducation. Dans son rapport du 30 avril 1987, le Dr Smallman reconnaissait que le demandeur avait eu quelques difficultés à la fin de son entraînement, de janvier à mars 1987. Le Dr Smallman indiquait aussi dans son rapport que le demandeur n'était pas totalement rééduqué et qu'on aurait dû l'affecter à une catégorie temporaire et le laisser « s'entraîner plusieurs mois, voire jusqu'à un an, pour qu'il puisse revenir à une forme physique optimale » .

[9]                En juin 1987, le demandeur fut affecté à une catégorie médicale temporaire durant six mois, au cours desquels il exécuterait des tâches légères et aurait accès à des soins médicaux.

[10]            Malgré ces restrictions médicales, le demandeur fut transféré en août 1987 à Petawawa et il a participé à des exercices complets de combat au cours des trois années suivantes, sans que son état ait été pris en compte.

[11]            Le 7 avril 1990, le demandeur se blessait de nouveau au genou au cours d'une activité non liée au service, blessure pour laquelle il a subi une arthroscopie avec reconstruction du LCA.

[12]            Le 27 janvier 1995, le demandeur s'infligeait une blessure à l'épaule gauche alors qu'il participait à une randonnée de ski inscrite à son programme de culture physique.


La réclamation

[13]            Le 24 avril 1998, le demandeur déposait, en application du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, une première demande de droit à pension pour les blessures qu'il s'était infligées au genou droit et à l'épaule gauche. Plus exactement, les réclamations se rapportaient « à une déchirure du ligament cruciforme du genou droit (opération effectuée), ayant entraîné une arthrite post-traumatique et un syndrome de conflit sous-acromial, ainsi qu'à une bursite de l'épaule gauche/tendinite de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche » .

[14]            Le 29 octobre 1998 ou vers cette date, le ministère des Affaires des anciens combattants (le « ministère » ) se prononçait sur la demande de pension d'invalidité déposée par le demandeur. Le ministère rejetait sa réclamation concernant la blessure au genou droit, au motif que cette blessure ne donnait pas droit à pension en application du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Selon le ministère, le demandeur n'avait pas subi la blessure quand il était « en service commandé » . Quant à la blessure à l'épaule, le ministère a jugé qu'il avait droit à une pension d'invalidité, à compter du 29 avril 1998, pour cette blessure, et que son pourcentage d'invalidité était de 10 p. 100.

[15]            Dans sa décision du 29 octobre 1998, le ministère refusait une pension d'invalidité au demandeur pour sa blessure au genou droit parce qu'il n'existait « aucune preuve attestant que la blessure au genou droit était consécutive ou rattachée à son service militaire, ni qu'elle était en permanence aggravée par son service militaire » .


[16]            Le 27 janvier 1999 ou vers cette date, le demandeur produisait des preuves additionnelles auprès du Tribunal afin de contester la décision du ministère de lui refuser une pension d'invalidité pour son genou droit. Après examen de la question, le Tribunal décidait le 18 mars 1999 de confirmer la décision du ministère et concluait que la blessure subie par le demandeur au genou droit « n'était pas consécutive ni directement rattachée au service militaire en temps de paix » .

[17]            Le 25 mai 2000, par l'entremise de son représentant à l'époque, le demandeur présentait au Tribunal des preuves nouvelles en vue de l'appel, dont l'audition s'est déroulé à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard. Se fondant en partie sur ces preuves nouvelles, le Tribunal a jugé que la blessure que le demandeur s'était infligée au genou droit le 29 décembre 1985 alors qu'il faisait du ski avait « contribué d'une manière significative à l'état actuel du demandeur » et il a accordé au demandeur « un droit à pension de trois cinquièmes, pour la partie de l'invalidité, ou pour l'aggravation de cette dernière, qui était consécutive ou directement rattachée » au service militaire du demandeur en temps de paix. Le Tribunal a refusé d'accorder les deux cinquièmes restants du droit à pension au titre de la blessure subie le 6 avril 1990, laquelle, selon lui, n'était pas liée au service. Le pourcentage d'un état qui est lié au service militaire est habituellement exprimé en cinquièmes, et l'évaluation ultérieure du degré de cette invalidité est exprimée en pourcentages qui vont de 0 p. 100 à 100 p. 100.

[18]            Le 22 août 2000, le ministère attribuait une évaluation conditionnelle de 10 p. 100 à l'invalidité du genou droit du demandeur. En conséquence des décisions du Tribunal se rapportant au droit du demandeur et à l'évaluation du degré de son invalidité par le ministère, l'évaluation donnant au demandeur droit à pension pour son genou est de 6 p. 100 (3/5 x 10 %).

[19]            Le 4 avril 2003, le comité d'examen des évaluations d'Ottawa (Ontario) augmentait de 10 p. 100 à 20 p. 100 l'évaluation conditionnelle de l'invalidité du genou du demandeur, rétroactivement au 26 septembre 1997. Dans son évaluation du degré d'invalidité du demandeur, le Tribunal prenait en compte et acceptait le rapport médical du Dr Michel Petit, psychiatre, daté du 28 mars 2002.

[20]            Le 27 février 2003, le demandeur priait le Tribunal de réexaminer sa décision du 25 mai 2000, par laquelle il avait accordé au demandeur un droit à pension de trois cinquièmes pour sa blessure au genou. Dans cette demande de réexamen, le demandeur présentait le même rapport médical du Dr Michel Petit en date du 28 mars 2002 qu'il avait produit au soutien de l'appel à l'encontre de l'évaluation conditionnelle de son invalidité entraînée par sa blessure au genou.


[21]            Dans son rapport, auquel se réfère expressément le Tribunal, le Dr Petit concluait qu'il y avait un lien entre les deux blessures de 1985 et de 1990, c'est-à-dire que selon lui le genou du demandeur n'était pas encore complètement guéri ni tout à fait rééduqué lorsque la deuxième lésion s'était produite. Il en avait résulté une prédisposition à de nouvelles blessures. Le Tribunal a rejeté cette conclusion, affirmant que rien ne prouvait que la rééducation du genou ne s'était pas faite normalement.

[22]            Le Dr Petit concluait que la deuxième lésion subie par le demandeur à son genou droit n'aurait pas entraîné une déchirure aussi grave si le genou du demandeur avait été pleinement rééduqué. Le Dr Petit s'appuyait sur plusieurs facteurs pour arriver à cette conclusion, à savoir les suivantes :

a)              au cours des consultations postopératoires, le Dr Smallman, se rendant compte que le genou du demandeur ne montrait pas une rééducation totale, avait recommandé que le demandeur ne soit pas affecté, pendant une période allant jusqu'à un an, à des exercices de combat et qu'il soit affecté à une catégorie temporaire pour faciliter sa rééducation;

b)              le demandeur a été affecté à une catégorie temporaire, mais les restrictions n'ont pas été suffisantes, en ce sens qu'elles auraient dû être plus précises en ce qui a trait à des activités telles que la course, la position immobile, les sports nécessitant un pivotement, etc. La catégorie temporaire attribuée ne précisait pas que le demandeur ne devait pas faire des exercices de combat, ainsi que l'avait recommandé le Dr Smallman;

c)              le demandeur a été transféré à Petawawa, où il devait faire des exercices complets de combat;

d)              bien que le demandeur eût accès à une physiothérapie, ce traitement était sporadique, à cause de la nature et des exigences des exercices de combat et de l'entraînement.

LA DÉCISION CONTESTÉE


[23]            Dans sa décision du 23 mai 2003, le Tribunal a confirmé sa décision antérieure, maintenu l'attribution d'un droit à pension de trois cinquièmes pour la blessure au genou et rejeté la preuve du Dr Petit au motif qu'il n'était pas établi que la rééducation du genou du demandeur ne s'était pas déroulée normalement.

LOI APPLICABLE

[24]            Toute demande de pension aux termes de la Loi sur les pensions requiert de répondre à deux questions :

(1) le demandeur a-t-il droit à une pension? et

(2) s'il y a droit, quelle est l'évaluation (exprimée en pourcentage de la mesure de l'invalidité qui résulte de la blessure, eu égard à la table des invalidités et à l'annexe A de la Loi sur les pensions)?

[25]            Les décisions de premier niveau sont rendues par des arbitres du ministère, qui examinent les demandes écrites et en disposent. Se fondant sur les renseignements apparaissant dans la demande et dans les documents médicaux militaires du réclamant, l'arbitre rend une décision sur divers aspects entourant le droit à pension, ainsi que sur l'étendue de l'invalidité qui selon lui donne droit à pension.

[26]            Si le réclamant n'est pas satisfait de la décision de l'arbitre, il peut la faire réviser par un comité de révision du Tribunal, comme le prévoit l'article 84 de la Loi sur les pensions. Le réclamant peut se faire représenter, comme ce fut le cas ici, et il peut produire des témoignages ou assigner des témoins.

[27]            Même après que le comité de révision a rendu sa décision, il peut, en vertu de l'article 23 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (la « LTAC » ), rouvrir l'affaire de son propre chef s'il juge qu'une erreur a été commise dans les conclusions factuelles ou dans l'interprétation du droit. Le Tribunal est autorisé à revoir ses propres décisions, et il peut soit confirmer une décision, soit la modifier ou l'annuler s'il juge qu'une erreur a été commise.

[28]            Si le réclamant n'est pas satisfait de la décision rendue par le comité de révision, il peut en appeler. Une audience en règle est convoquée, et le réclamant peut se faire représenter, produire des preuves documentaires et exposer des arguments, mais aucune preuve orale n'est recevable dans un appel.

[29]            Selon l'article 31 de la LTAC, la décision du comité d'appel est définitive et exécutoire. Cependant, le comité d'appel est autorisé à réexaminer sa décision en application du paragraphe 32(1) de la LTAC, si l'appelant a des preuves nouvelles à produire, ou si le comité constate, de son propre chef ou à la requête de quiconque, qu'une erreur a été commise dans une conclusion factuelle ou dans l'interprétation du droit. Après réexamen, le comité d'appel peut confirmer, modifier ou annuler sa décision initiale.


[30]            Le paragraphe 32(1) de la LTAC établit un recours extraordinaire. Il ne s'agit pas simplement d'un autre niveau d'appel. Ce pouvoir de réexamen autorise le comité d'appel à revoir sa propre décision et à se demander, à la lumière de preuves nouvelles ou d'arguments juridiques nouveaux, si sa décision initiale aurait été différente compte tenu des preuves et arguments en question.

POINTS LITIGIEUX

[31]            Le demandeur soulève les points suivants :

Quelle est la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer?

Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit parce qu'il aurait fondé sa décision sur une conclusion manifestement déraisonnable, celle selon laquelle le demandeur n'avait pas droit à une pleine pension d'invalidité?

Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit parce qu'il n'a pas accepté la preuve médicale non contredite présentée par le demandeur et parce qu'il a négligé de tirer de la preuve toutes les conclusions raisonnables qui favorisaient le demandeur?

Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit parce qu'il n'a pas appliqué le bon critère de réexamen?


ARGUMENTS

Demandeur

Norme de contrôle

[32]            Sauf en ce qui a trait aux erreurs de compétence, le demandeur dit que la norme de contrôle à appliquer ici est celle de la décision manifestement déraisonnable. Par conséquent, l'intervention de la Cour est justifiée si le demandeur réussit à établir que la décision du Tribunal du 23 mai 2003 renferme une erreur de droit ou qu'elle est si déraisonnable, arbitraire ou absurde qu'elle a été rendue au mépris des documents que le Tribunal avait devant lui (UES, Section locale 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la page 1086, le juge Beetz; MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (1re inst.); Wood c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 52 (1re inst.); Hunt c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1998] A.C.F. no 377 (1re inst.)).

[33]            Un tribunal administratif perd sa compétence uniquement si sa décision est manifestement déraisonnable. Lorsqu'il s'agit cependant de la violation d'une disposition législative qui limite les pouvoirs d'un office, alors « une simple erreur lui fera perdre sa compétence » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557).


Erreurs de compétence

[34]            Selon le demandeur, le Tribunal a commis une erreur de compétence quand il a négligé de tirer de la preuve les conclusions les plus favorables possible au demandeur et quand il a négligé d'accepter une preuve non contredite, en contravention des articles 3 et 39 de la LTAC, et d'une manière incompatible avec les articles 2 et 21 de la Loi sur les pensions.

[35]            L'article 3 de la LTAC dit que ses dispositions doivent être interprétées d'une manière libérale, qui favorise le demandeur. L'alinéa 39b) de la LTAC prévoit que le Tribunal doit accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente le demandeur et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence. Les alinéas 39a) et c) obligent le Tribunal à tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur et à trancher toute incertitude en faveur du demandeur.

[36]            L'article 39 de la LTAC a pour effet de donner au réclamant le bénéfice de tout doute raisonnable :

Bien que les alinéas a), b) et c) de cette disposition ne puissent avoir pour effet d'inverser le fardeau de la preuve en exigeant que le défendeur établisse que la blessure ou l'état pathologique de l'ancien combattant n'est pas attribuable au service militaire, ils vont largement en ce sens; ils prévoient, en effet, qu'il convient de trancher toute incertitude raisonnable en faveur des demandeurs.

Metcalfe c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 22 (1re inst.), au paragraphe 17.

[37]            Le droit à une pension d'invalidité découle des dispositions des articles 2 et 21 de la Loi sur les pensions :



2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

...

...

21(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

21(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

21(2.1) En cas d'invalidité résultant de l'aggravation d'une blessure ou maladie, seule la fraction - calculée en cinquièmes - du degré total d'invalidité qui représente l'aggravation peut donner droit à une pension.

21(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

a) d'exercices d'éducation physique ou d'une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu'ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l'intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;


[38]            Dans sa décision du 25 mai 2000, le Tribunal écrivait :

[traduction] Après examen de l'ensemble de la preuve, le Tribunal est arrivé à la conclusion que la blessure subie par le demandeur le 29 décembre 1985 alors qu'il faisait du ski a contribué d'une manière significative à l'état actuel du demandeur, et il accordera un droit à pension de trois cinquièmes pour la partie de l'invalidité, ou pour l'aggravation de cette dernière, qui était consécutive ou directement rattachée au service militaire de l'appelant en temps de paix. Le Tribunal refuse d'accorder les deux cinquièmes restants du droit à pension au titre de la blessure subie le 6 avril 1990, laquelle n'était pas liée au service.

Le Tribunal a commis une erreur de compétence

[39]            Le demandeur dit qu'il a produit une preuve médicale non contredite qui établissait un lien direct entre la première lésion subie en décembre 1985 et la lésion subie en avril 1990. Selon le rapport du Dr Petit, le genou du demandeur ne présentait pas une rééducation satisfaisante ou optimale, de telle sorte que la deuxième lésion, bien que plus bénigne, fut tout aussi traumatique et grave que la première, en raison de la prédisposition du genou droit du demandeur aux lésions.


[40]            Le demandeur dit que, en application de l'article 39 de la LTAC, le Tribunal doit accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente le demandeur et qu'il juge crédible en l'occurrence. Selon l'article 39, toute preuve crédible et non contredite doit être acceptée comme une preuve disposant de la question. Eu égard au fait que le Tribunal a jugé que le rapport du Dr Petit était crédible dans le contexte de l'évaluation de l'invalidité, le demandeur dit que le Tribunal ne peut ignorer ou annuler cette preuve en l'absence d'une preuve contraire ou d'une conclusion défavorable sur sa crédibilité (Re Hornby, [1993] A.C.F. no 431 (1re inst.); King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)), [1997] A.C.F. no 1517 (1re inst.); Moar c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1555 (1re inst.); Rivard c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1072 (1re inst.); Mackay c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 495 (1re inst.)).

[41]            Si la preuve n'est pas contredite et si elle est jugée crédible, le Tribunal doit l'accepter. Ce point a été confirmé par le juge MacKay dans la décision Wood, au paragraphe 28 :

Le Tribunal peut rejeter la preuve soumise par le demandeur lorsqu'il dispose d'une preuve médicale contradictoire. Toutefois, même s'il n'existe peut-être pas de preuve sous la forme de documents médicaux précis au sujet de la blessure en cause, le Tribunal commet une erreur qui touche la compétence... lorsqu'il n'existe pas de preuve contradictoire et que le Tribunal n'accepte pas la preuve présentée par le demandeur, et ce, sans donner d'explications à ce sujet. Une décision dans laquelle le Tribunal commet une erreur dans l'exercice de sa compétence est déraisonnable et justifie l'intervention de la Cour. À mon avis, la norme relative à la décision manifestement déraisonnable ne s'applique pas si l'erreur se rapporte à l'exercice par le Tribunal de sa compétence.

[42]            Si le Tribunal estimait que le rapport du Dr Petit n'était pas crédible, il aurait dû le dire et exposer ses motifs. En l'espèce, le Tribunal n'a tiré aucune conclusion du genre si ce n'est pour dire qu'il n'avait pas la preuve que la rééducation du genou du demandeur ne s'était pas déroulée normalement. Le demandeur dit que, puisque le Tribunal n'a pas tiré une conclusion motivée de cette nature, alors la décision qu'il a rendue dépassait sa compétence et devrait être annulée.


[43]            Dans sa décision du 23 mai 2003, le Tribunal s'est fondé sur le rapport du Dr Smallman en date du 30 avril 1987, dans lequel le médecin écrivait que le demandeur connaissait des difficultés dans les activités d'entraînement et qu'il « présente d'assez bons résultats jusqu'à maintenant » . En confirmant sa décision antérieure et en refusant au demandeur le droit à une pleine pension d'invalidité, le Tribunal s'est fondé sur cette partie du rapport du Dr Smallman et sur le fait que le dossier n'indiquait nulle part que le demandeur s'était plaint de cette blessure entre l'accident survenu en 1985 et la blessure survenue en 1990.

[44]            Selon le demandeur, le Tribunal n'a pas pleinement tenu compte du rapport du Dr Smallman du 30 avril 1987. Dans ce rapport, lorsque le Dr Smallman dit que le demandeur « présente d'assez bons résultats jusqu'à maintenant » , il s'exprime sur l'amélioration que présente l'état du demandeur à la suite de la « réparation primaire de son ligament cruciforme antérieur » , c'est-à-dire à la suite de l'opération subie par le demandeur en décembre 1985. Cependant, le Dr Smallman écrit ensuite que la rééducation du demandeur n'est pas complète et que le demandeur devrait être affecté à une catégorie médicale temporaire.

[45]            Le demandeur dit que, dans la mesure où le rapport du Dr Smallman recommandait que le demandeur soit affecté à une catégorie médicale temporaire pour qu'il « puisse revenir à une forme physique optimale » , son rapport s'accorde avec celui du Dr Petit et confirme le droit du demandeur à une pleine pension d'invalidité.


[46]            Le demandeur fait observer que le rapport du Dr Petit est la seule preuve médicale en la possession du Tribunal qui intéressait la question du lien de causalité entre ses deux blessures et son invalidité. Il n'existe aucun autre avis médical contredisant l'avis du Dr Petit, et le Tribunal ne s'est pas exprimé sur la crédibilité du rapport du Dr Petit. Puisque le Tribunal n'a pas mis en doute la crédibilité du rapport du Dr Petit, il aurait dû l'accepter. Il ne l'a pas fait, et cela constitue une erreur de compétence. Le Tribunal n'a pas accompli son obligation de prendre en compte la preuve ou de la rejeter selon son niveau de crédibilité et selon qu'elle était raisonnable ou non (Moar c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 1555 (1re inst.); Wood c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 52 (1re inst.); Cundell c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 38 (1re inst.); Brychka c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 124 (1re inst.); Weare c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1145 (1re inst.)).

[47]            Le point à décider ici concerne des questions médicales. La LTAC habilite le Tribunal à obtenir des avis médicaux impartiaux concernant toute affaire dont il est saisi. Par conséquent, le Tribunal ne commande pas la retenue judiciaire dont bénéficient habituellement les tribunaux administratifs qui, en raison de leur mandat particulier, possèdent des connaissances spécialisées. En l'espèce, le Tribunal n'a demandé aucun avis médical indépendant sur la question dont il était saisi (Moar, précité; Mackay, précité; Brychka, précité; Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), précitée, article 38).

[48]            Selon le demandeur, le Tribunal n'a pas analysé la décision antérieure ni le fondement de l'avis du Dr Petit, et il n'a pas dit que l'avis du Dr Petit n'était pas crédible ou raisonnable. Le Dr Petit n'a aucun doute sur le lien qui existe entre les première et deuxième lésions au genou droit du demandeur et l'invalidité du demandeur.

[49]            Partant, de dire le demandeur, le Tribunal a commis une erreur de compétence et a agi en contravention des articles 3 et 39 de la LTAC parce qu'il n'a pas tiré de la preuve les conclusions qui lui étaient favorables (jugement Mackay, précité).

La décision du Tribunal est manifestement déraisonnable

[50]            Le demandeur fait aussi valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit parce qu'il a fondé sa décision sur une conclusion manifestement déraisonnable, celle selon laquelle le demandeur n'avait pas droit à une pleine pension d'invalidité.

[51]            Eu égard à la preuve produite par le demandeur et compte tenu des directives données au Tribunal par le législateur, il n'était pas raisonnable pour le Tribunal de conclure que le demandeur n'avait pas établi qu'il avait droit pour son invalidité à une pension intégrale. En refusant au demandeur une pension intégrale, le Tribunal n'a pas tiré de la preuve toutes les conclusions raisonnables qui favorisaient le demandeur, il n'a pas tenu pour véridique, crédible et digne de foi la preuve produite par le demandeur, et, dans l'appréciation de la preuve, il n'a dissipé aucun doute d'une manière qui eût favorisé le demandeur.


[52]            Si un ancien combattant souffre d'une invalidité causée par une blessure ou maladie consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix, une pension peut être accordée. Par ailleurs, si la blessure ou maladie initiale n'a pas entraîné une invalidité, mais plutôt un état qui a ensuite conduit à une invalidité, une pension peut néanmoins être accordée (jugement MacDonald).

[53]            En l'espèce, le demandeur a subi deux blessures au genou droit au cours d'une période de cinq ans. La preuve produite par le demandeur a montré qu'au moins deux ans après la première blessure, le genou du demandeur n'était pas complètement rééduqué. Le demandeur a été affecté aux exercices ordinaires de combat bien que le Dr Smallman eût recommandé qu'il soit « dispensé d'exercices de combat » , qu'il soit affecté à une catégorie temporaire et qu'on le laisse « s'entraîner plusieurs mois, voire jusqu'à un an, pour qu'il puisse revenir à une forme physique optimale » .

[54]            Le Tribunal a conclu qu'il n'avait devant lui aucune preuve montrant que la rééducation du genou du demandeur ne s'était pas faite normalement. Mais, selon le demandeur, le Tribunal disposait bel et bien d'une preuve qui montrait que les mises en garde de son médecin n'avaient pas été respectées, ainsi que du témoignage du Dr Petit, pour qui le genou du demandeur était prédisposé à une nouvelle blessure parce que sa rééducation demeurait inachevée. Malgré ces éléments de preuve, le Tribunal a conclu, en alléguant une absence de preuve, que la rééducation du genou du demandeur s'était déroulée normalement. Selon le demandeur, cette conclusion était manifestement déraisonnable.


[55]            Le Tribunal a jugé que le demandeur avait droit à une indemnité d'aggravation pour sa première blessure. Selon le demandeur, une indemnité d'aggravation, au sens de la Loi sur les pensions, concerne une lésion préexistante qui n'était pas liée au service militaire et qui est aggravée par le service militaire. En l'espèce, le Tribunal a estimé que la blessure initiale du demandeur avait aggravé une blessure qui s'était produite plus tard. Le Tribunal s'est fondé expressément sur la blessure ultérieure pour refuser au demandeur les deux cinquièmes de son droit à une pleine pension d'invalidité au titre de son genou droit. Le demandeur dit que, en l'absence d'une preuve versée dans le dossier qui permettrait de conclure à l'aggravation d'une blessure préexistante non rattachée au service, la décision du Tribunal est manifestement déraisonnable (Kozak c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 220 (1re inst.)).

[56]            Le demandeur fait observer que, selon la Loi sur les pensions, lorsqu'un ancien combattant est réputé avoir souffert d'une invalidité, il peut demander que soit réexaminée l'évaluation de la pension d'invalidité lorsque l'invalidité s'est aggravée. Dans les évaluations de ce genre, le Tribunal ne retient aucun pourcentage du droit à pension si la raison pour laquelle l'invalidité s'est aggravée n'est pas rattachée au service militaire (King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)), [2001] A.C.F. no 850 (1re inst.)).

[57]            Le demandeur dit aussi que, si des états multiples produisent des effets qui chevauchent, il convient de tenir compte du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions. Cette disposition prévoit le versement de prestations supplémentaires de pension lorsque le réclamant souffre d'une invalidité supplémentaire qui résulte en totalité ou en partie de la blessure ou maladie donnant droit à pension.


Réexamen

[58]            Le Tribunal n'est pas tenu d'exposer une conclusion écrite sur chacun des éléments qui le conduisent à sa décision ultime, mais, dans une procédure de réexamen, il a l'obligation, lorsque des preuves nouvelles et crédibles sont produites, de considérer et d'apprécier les preuves en question et de tirer toute conclusion raisonnable pouvant favoriser le demandeur (jugement MacDonald).

[59]            La décision contestée résultait du réexamen d'une décision antérieure du Tribunal. En application du paragraphe 32(1) de la LTAC, le Tribunal peut réexaminer une décision antérieure pour deux motifs généraux, à savoir : (i) sur demande, lorsqu'il existe des preuves nouvelles; ou (ii) sur demande de quiconque ou de sa propre initiative, lorsque sont alléguées des erreurs de fait ou de droit. La LTAC ne définit pas ce que sont des preuves nouvelles, mais l'article 39 établit des principes généraux régissant la manière dont le Tribunal doit disposer de la preuve. Ainsi, l'article 39 prévoit que, lorsque des preuves nouvelles et crédibles sont présentées au cours d'une procédure de réexamen, le Tribunal est tenu de considérer et d'apprécier les éléments de preuve d'une manière qui favorise le demandeur (jugement Mackay).


[60]            Le demandeur prétend que le Tribunal n'a pas bien appliqué le critère de réexamen d'une décision antérieure. L'article 32 de la LTAC décrit le processus de réexamen. En l'espèce, le Tribunal a simplement ignoré les preuves nouvelles et confirmé sa décision antérieure sans faire expressément référence à une absence d'erreurs de fait ou de droit dans sa décision antérieure. Le Tribunal semble avoir conclu que, contrairement aux facteurs exposés dans l'article 32 de la LTAC, il ne pouvait réformer la décision antérieure parce que les preuves nouvelles ne modifiaient pas ni ne réduisaient à néant les preuves médicales déjà examinées. Selon le demandeur, en concluant de la sorte, le Tribunal a commis une erreur de droit parce qu'il a fondé sur un facteur hors de propos l'exercice de son pouvoir de réexamen. Pour que le Tribunal exerce validement le pouvoir qui lui est conféré par l'article 32, il doit se demander si la décision antérieure qu'il réexamine renferme de possibles erreurs de fait ou de droit et s'interroger sur son bien-fondé (jugement Mackay; Dalton c. Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels (1982), 36 O.R. (2d) 394, à la page 397 (Haute Cour de justice de l'Ontario)).

[61]            Outre les erreurs de compétence et erreurs de droit susmentionnées, le demandeur dit que le Tribunal a appliqué un mauvais critère en ce qui concerne l'article 32 de la LTAC, et selon lui cela suffit à justifier le contrôle judiciaire de sa décision.

Défendeur

Résumé de la preuve


[62]            Selon le défendeur, cette demande de contrôle judiciaire repose sur une preuve de portée étroite. Le demandeur a produit l'avis du Dr Petit selon lequel il y avait une « relation directe entre » la première blessure et la seconde. Le Tribunal avait également devant lui le rapport du Dr Smallman, l'orthopédiste du demandeur, un rapport daté d'avril 1987 dans lequel le Dr Smallman écrivait, à propos de la réparation primaire du ligament cruciforme antérieur du demandeur, que « le demandeur présente d'assez bons résultats jusqu'à maintenant » . Le Tribunal avait aussi devant lui un rapport ultérieur du Dr Smallman, daté du 1er octobre 1987, où le médecin écrivait : « Ce patient s'est extrêmement bien rétabli et il a repris tout à fait sa forme. On peut lui donner une catégorie de G202 et il peut reprendre toutes ses tâches. Il ne m'est pas nécessaire de le revoir à moins que des problèmes n'apparaissent » . Puis, dans un rapport postérieur à la seconde blessure au genou survenue en 1990, le Dr Marshall écrivait que le demandeur « s'était amélioré jusque trois jours avant son admission, après avoir fait une chute et s'être infligé une douleur au genou droit » . Il y a aussi le rapport d'intervention chirurgicale daté du 10 avril 1990, qui décrivait l'opération nécessitée par la deuxième blessure au genou. Ce document indiquait que la seconde blessure avait provoqué une déchirure du ménisque médian.

[63]            Au vu de ces documents ainsi que d'autres, le Tribunal a conclu, malgré l'avis du Dr Petit selon lequel il y avait une relation directe entre la première blessure et la seconde, et cela parce que la rééducation du genou du demandeur n'avait pas été optimale, qu'il n'était pas établi que la rééducation du genou ne s'était pas déroulée normalement.

[64]            Le défendeur dit que le Tribunal avait devant lui des documents qui l'autorisaient à tirer les conclusions factuelles suivantes :

[traduction]

La première blessure au genou était une déchirure du ligament cruciforme antérieur, lequel s'enchevêtre dans le genou et tient ensemble les divers éléments. Cette déchirure a été réparée par une opération effectuée le 31 décembre 1985;

Le demandeur a été renvoyé de l'hôpital, avec un plâtre complet à la jambe. Son plâtre a été enlevé le 6 février 1986, puis on lui a posé une attelle à charnière. La blessure s'est guérie et la suture a été enlevée;


Le Dr Smallman a indiqué ce qui suit le 30 avril 1987 (environ 16 mois après la première blessure) : « Il présente d'assez bons résultats jusqu'à maintenant » . Le Dr Smallman a ordonné qu'une catégorie temporaire de G3T6 04T6 soit assignée au demandeur pour lui permettre de s'entraîner durant plusieurs mois, voire une année, afin qu'il puisse reprendre une forme physique optimale;

Le 3 juin 1987, le Dr Jawahir recommandait que le demandeur soit affecté (durant six mois) à la catégorie G304. G3 comportait l'obligation d'obtenir des soins médicaux, mais pas nécessairement les services d'un médecin. G4 consistait en tâches légères ne requérant pas d'efforts indus ou prolongés;

Malgré ces mises en garde médicales, le demandeur a continué de prendre part à des exercices complets de combat, sans que soient prises des dispositions tenant compte de son état;

Le demandeur a vu le Dr Smallman le 23 septembre 1986, lequel lui a recommandé de ne pas participer jusqu'au printemps au cours de chef subalterne. Malgré cela, cependant, lorsque le Dr Smallman a vu le demandeur le 1er octobre 1987, il a indiqué que : « Ce patient s'est extrêmement bien rétabli et il a repris tout à fait sa forme. On peut lui donner une catégorie de G202 et il peut reprendre toutes ses tâches. Il ne m'est pas nécessaire de le revoir à moins que des problèmes n'apparaissent » ;

Le Dr Marshall a déclaré que le demandeur « s'était amélioré jusque trois jours avant son admission, après avoir fait une chute et s'être infligé une douleur au genou droit » ;

La preuve concernant la cause de la chute du demandeur était contradictoire;

La deuxième blessure au genou était une déchirure du même ligament cruciforme antérieur, PLUS une nouvelle déchirure du ménisque médian jusqu'à la corne postérieure extrême, un coussin charnu situé dans la rotule, ce qui a compliqué encore davantage la symptomatologie du genou et accentué le niveau d'invalidité;

Le demandeur s'est blessé à l'épaule gauche dans un accident de ski en avril 1995;

Se fondant sur un récit que le Dr Michel Petit avait recueilli du demandeur, le demandeur a produit un rapport du Dr Petit selon lequel il y avait une « relation directe entre » la première blessure et la seconde.

[65]            Ainsi, selon le Tribunal, et en dépit de l'avis du Dr Petit, la preuve montrait que, à l'époque de la deuxième blessure en 1990, la guérison de la blessure subie au genou en 1985 était pour ainsi dire totale.

[66]            Accordant au demandeur le bénéfice du doute, cependant, le Tribunal a jugé en appel que la première blessure, liée au service militaire, pouvait être considérée comme l'origine d'une portion importante, soit les trois cinquièmes, de l'invalidité totale, les deux cinquièmes restants de l'invalidité étant imputables selon lui à la blessure non liée au service.

La première blessure au genou, en décembre 1985

[67]            La première blessure s'est produite au cours d'un accident de ski survenu le 29 décembre 1985. Le demandeur fut opéré pour une déchirure de son ligament cruciforme antérieur, qui s'était presque complètement détaché de son support fémoral. Une arthrotomie fut pratiquée dans la partie antéro-médiane. Le ligament collatéral médian fut détaché à son insertion distale. L'os ici fut rendu rugueux et on laissa le ligament se cicatriser. Des cavités ont été placées le long de la ligne du ligament cruciforme antérieur, au travers du condyle fémoral latéral, à partir du sommet et latéralement. Une petite incision cutanée fut faite pour isoler les cavités.

[68]            Le demandeur a été renvoyé de l'hôpital, avec un plâtre complet à la jambe. Son plâtre a été enlevé le 6 février 1986, puis on lui a posé une attelle à charnière. La blessure s'est guérie et la suture a été enlevée. Le demandeur a vu le Dr Smallman le 23 septembre 1986, lequel lui a recommandé de ne pas participer jusqu'au printemps au cours de chef subalterne.

[69]            Le 30 avril 1987, le Dr Smallman a vu le demandeur pour faire le suivi de la réparation primaire de son ligament, et il avait écrit ce qui suit :

[traduction]

Il présente d'assez bons résultats jusqu'à maintenant. S'agissant des constatations faites pour l'instant, il lui manque quelques degrés d'extension, mais il fléchit le genou complètement. Le genou est stable en extension. Il ouvre moins de 5 º , à 30 º de flexion. Ce n'est pas une mesure de McIntosh.

Il a eu quelques difficultés à la fin de son entraînement en janvier, février et mars. Elles sont survenues à la fin du cours et pour la plupart étaient imputables à des exercices excessifs. Sa rééducation n'est pas encore totale, et je crois que, pour le dispenser d'une affectation de campagne, nous devrions lui assigner une catégorie temporaire G3T604T6 et le laisser s'entraîner au cours des prochains mois, voire durant une année, pour qu'il puisse revenir à une forme physique optimale.

[70]            Le 3 juin 1987, le Dr Jawahir écrivait que le demandeur avait eu des problèmes au genou de janvier à mars, en raison d'efforts excessifs du genou, et il disait qu'il pourrait s'écouler jusqu'à un an avant que le genou ne soit de nouveau apte à supporter des exercices physiques. Il a recommandé que le demandeur soit affecté (pour six mois) à la catégorie G304. G3 comportait l'obligation d'obtenir des soins médicaux, mais pas nécessairement les services d'un médecin. G4 consistait en tâches légères ne requérant pas d'efforts indus ou prolongés.

[71]            Puis, le 1er octobre 1987, le Dr Smallman présentait le rapport suivant concernant le demandeur :

[traduction]

Ce patient est examiné pour donner suite à la réparation primaire de son ligament cruciforme antérieur, lequel a été augmenté d'une semi-tendonosis.

Il a véritablement un genou stable, avec test de Lachman de 0,5 centimètre. Aucune manoeuvre de McIntosh. Il ouvre la jambe en position postéro-médiane, à 30 º de flexion. Il n'y a pas d'affusion. Ce patient s'est extrêmement bien rétabli et il a retrouvé sa forme. On peut lui donner une catégorie G202 et il peut reprendre toutes ses tâches. Il ne m'est pas nécessaire de le revoir, à moins que des problèmes n'apparaissent.


La deuxième blessure au genou, en avril 1990

[72]            Le défendeur dit que le dossier ne renferme rien, si ce n'est les propres déclarations du demandeur, qui donne à entendre que sa blessure au genou l'a fait souffrir entre octobre 1987 et avril 1990, lorsqu'il s'est blessé au genou pour la seconde fois. Au contraire, le Dr Marshall a dit que le demandeur « s'était amélioré jusque trois jours avant son admission, après avoir fait une chute et s'être infligé une douleur au genou droit » .

[73]            Le 7 avril 1990, le demandeur s'est bagarré avec le caporal Curtis à l'extérieur du Sassy's Bar, et la rixe a pris fin lorsque le demandeur s'est retrouvé au sol, souffrant d'une nouvelle blessure au genou droit. On ne sait trop comment le demandeur est tombé par terre. Il est clair que l'incident n'était pas lié au service, mais le demandeur affirme que le caporal Curtis était l'agresseur et qu'il l'a fait tomber. Le caporal Curtis et son témoin affirment quant à eux que le demandeur avait saisi le caporal Curtis et lui avait fait une prise de tête et que tous deux étaient tombés par terre.

[74]            Lors de la première visite médicale du demandeur le 8 avril 1990, le Dr Kirkpatrick avait observé qu'il souffrait d'une hémarthrose aiguë, avec ouverture médiane. Le Dr Kirkpatrick n'a pu par ailleurs procéder à l'examen, et le demandeur fut transféré à la clinique du ministère de la Défense nationale pour une ortho-évaluation.

[75]            Le demandeur a été admis le 7 avril 1990 pour une arthroscopie, qui a révélé une déchirure du cartilage interne de la section antérieure du membre, outre une chondromalicia de la rotule (ramollissement du cartilage). Le cartilage et les tissus ont été réparés, les tissus à l'aide d'une reconstruction utilisant le tendon rotulaire inférieur. On a constaté que le demandeur présentait un important relâchement du ligament latéral interne du genou en flexion. Alors qu'il était positionné en extension complète simple, on a constaté qu'il présentait une stabilité raisonnable du ligament latéral interne. Il présentait une réparation de catégorie 2 ½ du ligament latéral interne. Il présentait aussi une importante manoeuvre de McIntosh et une importante manoeuvre de Lachman, ce qui attestait une déficience ou déchirure complète du ligament cruciforme antérieur. Dans le compartiment médian, il y avait une importante ouverture qui permettait une excellente visualisation du ménisque médian jusqu'à la corne postérieure extrême. Il y avait une petite déchirure périphérique de la corne postérieure longitudinale, sur la surface supérieure. Cette déchirure était cependant stable à l'examen. C'était évidemment une déchirure nouvelle. Elle se trouvait dans une portion vasculaire et, en raison du fait qu'elle était stable, on a pensé qu'elle guérirait. On n'a pas trouvé que cet état bénéficierait d'une autre suture. Ce n'était pas une déchirure complète, et elle était stable. Il y avait cependant, à l'extrême antérieur, un lambeau de ménisque, qui a été excisé par arthroscopie, puis envoyé à la pathologie.


[76]            Le défendeur fait observer que la deuxième blessure au genou comportait deux éléments : (1) une déchirure du ligament cruciforme antérieur, PLUS (2) une nouvelle petite déchirure périphérique de la corne postérieure longitudinale du ménisque médian, et une autre déchirure du ligament cruciforme antérieur, qui ont été réparées par chirurgie. Le lendemain, le genou était très sensible et enflé, et le demandeur avait une très faible liberté de mouvement.

La blessure à l'épaule gauche, en janvier 1995

[77]            Il est capital pour les arguments du demandeur que la première blessure et la deuxième soient reliées parce que la première n'avait jamais pu guérir convenablement. Cela n'a pas empêché le demandeur de continuer de s'adonner au ski alpin jusqu'en janvier 1995, lorsqu'il se blessa à l'épaule gauche dans un accident de ski.

[78]            En dépit d'une rééducation postopératoire, le diagnostic du Dr Violette au 12 avril 1998 était que le demandeur souffrait d'une arthrite post-traumatique modérée (affection de l'articulation du genou droit). Le demandeur a présenté en avril 1998 une demande de pension pour son épaule et pour son genou.

Le demandeur a présenté une demande de pension au ministère


[79]            Le demandeur n'a pas prétendu au départ que la seconde blessure au genou était liée au service. Il a plutôt fait valoir que l'accident avait pu se produire parce que son genou droit n'avait pas reçu, après la première blessure, les soins médicaux adéquats et le suivi nécessaire. Il a dit qu'il avait été affecté à Petawawa et qu'il occupait un poste d'encadrement au quartier général et à l'Escadron des communications, et cela contre sa volonté, parce que son genou ne présentait pas l'état requis par la nature des tâches qu'il pourrait être appelé à exécuter. Il a été affecté à une unité de combat et il devait faire des exercices physiques matinaux et parfois se soumettre à un entraînement rigoureux, notamment à des courses de fond et à de nombreux exercices de combat. Il disait que son genou n'avait jamais pu guérir convenablement.

[80]            Par une décision du 29 octobre 1998, le ministère a fait droit à la réclamation concernant l'épaule, mais a rejeté la réclamation concernant le genou droit au motif qu'elle n'était pas liée au service. L'accident de ski survenu en 1985 n'était pas attribuable au service car, selon le ministère, il ne s'était pas produit durant l'accomplissement d'obligations militaires ou durant des séances d'éducation physique organisées conformément aux directives du service. La blessure de 1990 n'avait pas elle non plus été subie durant l'accomplissement d'obligations militaires.

Appel au Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

[81]            Le demandeur a fait appel au Tribunal pour sa blessure au genou. Dans ses conclusions adressées au Tribunal le 27 janvier 1999, il a fait valoir que les deux blessures étaient liées au service. Il a aussi prétendu que la première blessure n'avait jamais eu le temps de guérir convenablement.

[82]            Par une décision datée du 18 mars 1999, le Tribunal a jugé que la déchirure du ligament cruciforme antérieur du genou droit qui avait entraîné une arthrite post-traumatique n'était pas consécutive ni n'était rattachée directement au service en temps de paix. Essentiellement, le Tribunal a jugé que le premier accident de ski était un accident de ski alpin, non un accident de ski de fond. Ce n'était pas du tout la même chose, étant donné que le ski alpin n'était pas un sport autorisé par les instances militaires, contrairement au ski de fond. Le Tribunal a aussi rejeté l'affirmation du demandeur selon laquelle sa première blessure n'avait pas eu le temps de guérir, estimant que, dans la mesure où il participait encore à des activités qui pouvaient le blesser au genou, il s'agissait d'activités sportives auxquelles il s'adonnait de son plein gré et pour son propre plaisir. La deuxième blessure n'était manifestement pas liée au service, puisqu'elle était le résultat de la rixe survenue dans un bar.

L'appel concernant le droit à pension


[83]            Le demandeur a alors fait appel concernant son droit à pension. Au cours de cette procédure, il a produit des preuves nouvelles sur les circonstances qui avaient entouré l'accident de ski de 1985. Plus précisément, il a produit des preuves tendant à montrer que l'officier concerné avait falsifié le rapport initial sur les blessures, pour prouver que la blessure s'était produite au cours de l'accomplissement des obligations militaires du demandeur et qu'elle était donc imputable à son service. Le demandeur a aussi fait valoir que, en raison de cette blessure liée à son service, et en raison de problèmes ultérieurs associés à ses obligations militaires et concernant une blessure au genou qui n'avait pas guéri complètement, il devrait bénéficier d'une pleine pension d'invalidité pour la déchirure du ligament cruciforme antérieur au genou droit (opérée), qui avait entraîné une arthrite post-traumatique. Il contestait aussi l'affirmation du Dr Marshall selon laquelle il s'était bien rétabli entre 1987 et 1990.

[84]            Dans sa décision en appel datée du 25 mai 2000, le Tribunal a accepté les preuves nouvelles relatives aux circonstances de la première blessure et a jugé qu'elle avait résulté de l'accomplissement des obligations militaires de l'appelant, plus exactement d'un entraînement physique organisé et autorisé. Le Tribunal a jugé aussi que la deuxième blessure n'était pas attribuable au service. Puis il a jugé ensuite que la blessure de 1985 « avait contribué d'une manière significative à l'état actuel du demandeur » , et il a accordé à l'appelant un droit à pension représentant les trois cinquièmes de l'invalidité qui était consécutive ou directement rattachée au service militaire du demandeur en temps de paix. Le Tribunal a cependant refusé d'accorder les deux cinquièmes restants de la pension au motif que la seconde blessure, qui selon le Tribunal n'était pas liée au service, avait contribué à l'invalidité globale du demandeur.


[85]            Puis, en février 2003, le demandeur avait sollicité le réexamen de la décision rendue en appel par le Tribunal. Cette fois, il a fait valoir que la deuxième blessure n'était pas distincte et indépendante de la blessure de 1985. Il voulait, ce faisant, corriger le problème des conclusions antérieures de 1998, 1999 et 2000, selon lesquelles la blessure de 1990 ne s'était pas produite dans un contexte lié au service, car, s'il pouvait rattacher les deux blessures, il serait en mesure de soutenir que, puisque la première blessure était désormais considérée comme une blessure liée au service, la seconde pourrait elle aussi être vue comme une blessure liée au service parce qu'elle n'était qu'un prolongement de la première. Il a produit un avis du Dr Petit daté du 3 avril 2003, pour affirmer que, du point de vue médical, il y avait un lien direct entre les deux incidents.

[86]            Le Tribunal a examiné l'avis du Dr Petit, qui reposait sur la version obtenue du demandeur. Le Tribunal a aussi examiné les autres documents versés dans le dossier. Il a cité les principales conclusions du Dr Petit, puis s'est exprimé ainsi :

Le tribunal a très attentivement examiné toute la preuve devant lui, y compris les documents attachés à la lettre de l'appelant en date du 3 mai 2002. Le Tribunal note que le rapport du docteur Smallman en date du 30 avril 1987 indique que 1 appelant a eu des problèmes à la fin de son cour de perfectionnement en ce qui concerne son genou, vraisemblablement le mois de mars 1987. Dans le même rapport, le docteur déclare "He has had a reasonable result thus far". Il n'y a pas d'autre plainte en ce qui concerne l'affection à l'étude entre l'accident de 1985 et celui de 1990. Le Tribunal remarque qu'il n'y a pas d'autre preuve documentée en ce qui concerne le genou à l'étude.

Le Tribunal conclut que, malgré la thèse du docteur Petit en ce qui concerne un manque de rééducation optimale du genou de 1'appelant, il n'est pas établi que la rééducation du genou ne s'est pas déroulée normalement.

Le Tribunal confirme les décisions antérieures et retient deux cinquièmes à cause de la blessure du 6 avril 1990 subie par l'appelant en dehors de son service militaire.

[87]            Le défendeur admet que, avant que la décision du Tribunal ne puisse être annulée, il doit être prouvé que la décision est manifestement déraisonnable ou qu'elle révèle une erreur de droit.


La compétence du Tribunal dans un réexamen

[88]            L'article 39 de la LTAC énonce une série de directives dont l'objet est de faciliter la tâche d'un demandeur lorsqu'il présente sa preuve. Cependant, après que le Tribunal a rendu sa décision, en ayant respecté comme il convient lesdites directives, alors, en application de l'article 31 de la LTAC, la décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal, et cette décision est définitive et exécutoire.

[89]            Le paragraphe 32(1) de la LTAC confère au Tribunal son pouvoir de réexamen et elle l'autorise à ignorer la règle selon laquelle la décision rendue en appel est définitive et exécutoire. Le même comité est invité à réexaminer sa décision antérieure à la lumière de preuves nouvelles ou de considérations juridiques nouvelles.


[90]            Il est dans la nature du réexamen d'une décision qui de par la loi est définitive et exécutoire que la décision initiale ne puisse être infirmée que sur la foi de preuves particulièrement convaincantes et uniquement si le décideur arrive à la conclusion que la décision initiale aurait fort bien pu être différente s'il avait eu cette preuve devant lui lorsqu'il l'a rendue. Ce sera à plus forte raison le cas si le demandeur bénéficie d'une assistance professionnelle et si l'on peut présumer qu'il a présenté les meilleurs arguments possible au vu de la preuve. Ainsi que l'expliquait le juge en chef Mansfield dans l'arrêt Blatch v. Archer (1774), 1 Cowp. 63 at p. 64, 98 E.R. 969 (K.B.), [traduction] « Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l'une des parties était en mesure de produire et que l'autre partie était en mesure de réfuter » . Cet aphorisme n'est pas à strictement parler un principe juridique, mais il énonce la règle concrète selon laquelle un demandeur doit considérer non seulement les faits dont il se trouve qu'il a connaissance, mais également les faits qu'il est dans son pouvoir de connaître et qui par conséquent auraient dû être allégués. Nulle directive du législateur ne saurait se substituer à la règle du bon sens d'après laquelle celui qui établit un fait doit être persuadé de la véracité du fait qu'il allègue. Affirmer le contraire, c'est prétendre qu'il y a droit à pension dès lors qu'il existe un indice infime de son existence.

Une décision peut être confirmée à la lumière de l'ensemble du dossier

[91]            Le Tribunal est nommé par le gouverneur en conseil. Ses membres viennent de toutes conditions sociales. Certains ont pu recevoir une formation juridique, mais beaucoup n'ont pas reçu une telle formation. Le défendeur admet que la décision du Tribunal n'est pas rédigée aussi minutieusement et habilement qu'elle aurait pu l'être si elle avait été rendue par un juge. Elle est cependant acceptable en tant qu'exposé motivé de la conclusion du Tribunal. Ainsi que l'expliquait le juge Cullen dans l'affaire MacDonald, un tribunal administratif n'est pas tenu de s'exprimer sur chacun des éléments qui le conduisent à sa décision ultime; on présume en effet qu'il a examiné tous les documents qui lui ont été soumis.


La décision du Tribunal n'est pas manifestement déraisonnable

[92]            Selon le défendeur, la décision du Tribunal ne saurait être déclarée manifestement déraisonnable. Le Tribunal devait choisir entre, d'une part, l'avis d'expert du Dr Petit, qui avait examiné le demandeur et qui forcément a dû, pour prononcer un diagnostic, s'en remettre au récit qu'il lui avait fait, et, d'autre part, les autres éléments de preuve que le Tribunal avait devant lui et qui amoindrissaient l'avis du Dr Petit. Certains de ces autres éléments de preuve méritaient d'obtenir un poids au moins égal, puisqu'ils venaient de spécialistes qui avaient aux époques pertinentes examiné et traité le demandeur pour ses blessures. Le demandeur ignore à cet égard les éléments de preuve cruciaux qui suivent :

[traduction]

Il est vrai qu'en avril 1987, le Dr Smallman avait dit que le demandeur devrait être affecté à des tâches légères, mais, au 1er octobre 1987, il avait pu écrire dans son rapport que « Ce patient s'est extrêmement bien rétabli et il a repris tout à fait sa forme. On peut lui donner une catégorie de G202 et il peut reprendre toutes ses tâches. Il ne m'est pas nécessaire de le revoir à moins que des problèmes n'apparaissent » . L'exactitude de cette allégation, en octobre 1987 (et non plus tard), n'avait jamais été contestée;

Juste après que le demandeur se fut infligé la seconde blessure en 1990, le Dr Marshall a déclaré que le demandeur « s'était amélioré jusque trois jours avant son admission, après avoir fait une chute et s'être infligé une douleur au genou droit » . La conclusion est que le Dr Marshall a obtenu cette admission du demandeur au moment où il recueillait son récit. Cette allégation a été contestée, mais le demandeur n'a produit aucune preuve indépendante pour la réfuter;

Il y avait deux aspects distincts concernant la blessure que le demandeur a subie au genou en 1990 : une autre déchirure du ligament cruciforme antérieur, et une déchirure du ménisque médian. Cela a compliqué encore davantage la symptomatologie du genou et le calcul du degré d'invalidité;

La blessure subie à l'épaule par le demandeur alors qu'il faisait du ski alpin en 1995 est survenue à une époque où, selon ses dires, il n'était pas dans un état qui lui permettait de se livrer à ce genre d'activités;


Il convient aussi de mentionner qu'une question se pose sur la propre crédibilité du demandeur à la lumière de la preuve contradictoire relative à sa bagarre avec le caporal Curtis en 1990. Le Dr Petit devait naturellement compter sur la pleine sincérité du demandeur lorsqu'il a écouté son récit.

[93]            Le demandeur ignore aussi les déductions que pouvait faire le Tribunal. Il avait en effet réorganisé ses arguments lors du réexamen de manière à soutenir que les deux blessures étaient liées. S'agissant de la crédibilité du demandeur, on pourrait dire que les récits contradictoires concernant sa bagarre avec le caporal Curtis en 1990 ont joué contre le demandeur puisque dès lors il n'était plus un témoin totalement digne de foi. Il y avait aussi le fait que le rapport du Dr Petit avait été produit tardivement. Il ne s'agit pas ici d'une nouvelle blessure ou invalidité apparaissant après l'événement. Pourquoi le demandeur n'avait-il pas le rapport du Dr Petit lorsqu'il a présenté sa demande de pension en avril 1998? Ou lors de l'appel interjeté par lui en mars 1999 concernant son droit à pension? Ou en mai 2000? Pourquoi le demandeur n'a-t-il pas avancé dès le début ses meilleurs arguments? Le demandeur n'a jamais répondu à ces questions.


[94]            Le défendeur dit que cela dispose complètement de l'affirmation du demandeur pour qui la preuve du Dr Petit balayait toutes les preuves antérieures et pour qui il n'existait aucune preuve contradictoire. On ne saurait dire que le Tribunal a accordé un poids excessif au rapport du Dr Smallman d'avril 1987, rapport selon lequel le demandeur était en bonne voie de guérison, alors que c'est la conclusion même à laquelle est arrivé le Dr Smallman en octobre 1987, conclusion qui a aussi été confirmée par le Dr Marshall en 1990. Le Tribunal ne saurait non plus être accusé de ne pas dire pourquoi il n'a pas été persuadé par le rapport du Dr Petit, puisqu'il a fait expressément état du rapport du Dr Smallman d'avril 1987. Il eût été préférable que le Tribunal se réfère expressément dans sa décision à ces autres éléments de preuve. Il ne l'a pas fait, mais cela n'est pas une raison qui justifie l'annulation de sa décision. Quoi qu'il en soit, la preuve du Dr Marshall avait été soulignée devant le Tribunal lors de son audience de mai 2000, encore que dans le contexte d'une contestation de l'affirmation du Dr Marshall selon laquelle le demandeur s'était amélioré jusqu'à sa deuxième blessure au genou. Partant, le Tribunal a bien été attentif à la preuve concernant cet aspect.

[95]            Le défendeur dit que, vu ces éléments et les conclusions qui pouvaient être tirées de la manière dont le demandeur avait réorganisé ses arguments et avait, si tardivement, présenté des preuves nouvelles, il était loisible au Tribunal de conclure que, malgré l'avis du Dr Petit, la preuve montrait que, au moment de la seconde blessure en 1990, la guérison de la blessure subie au genou en 1985 était pour ainsi dire achevée. Fort de ce constat, le Tribunal a rejeté la thèse du Dr Petit selon laquelle il y avait un lien direct entre les deux incidents.

[96]            Vu que les deux blessures n'étaient pas liées, se posait alors la question évidente du droit à pension, une question qui porte sur la répartition du lien de causalité entre un événement donnant droit à pension et un événement ne donnant pas droit à pension. Le Tribunal n'avait devant lui aucune preuve sur ce point. Mais, si le Tribunal partait du principe selon lequel il y avait eu guérison quasiment complète de la blessure subie au genou en 1985, il restait à savoir comment cette répartition devait se faire.

[97]            Accordant cependant au demandeur le bénéfice du doute, le Tribunal a jugé en appel que la première blessure, liée au service, pouvait être considérée comme l'origine de la portion principale, soit les trois cinquièmes, de l'invalidité globale, les deux cinquièmes restants étant considérés comme le résultat de la blessure non liée au service.

[98]            Le défendeur dit que cette conclusion est elle aussi clairement défendable. Il n'y a rien d'incompatible entre le fait de dire que la première blessure avait guéri en 1990, mais avait donné lieu au possible développement d'une arthrite post-traumatique dans le genou droit du demandeur, et le fait de dire que, en présence d'une deuxième blessure, et s'agissant du lien de causalité, la première avait eu sur l'invalidité un effet plus grand que la seconde. Par analogie avec le principe de la vulnérabilité de la victime, il n'est pas inéluctable que le demandeur allait avoir pour toujours un mauvais genou. Mais, avec le second incident, et une nouvelle blessure, l'invalidité du genou s'est aggravée. Le Tribunal a donc été forcé de répartir le lien de causalité entre les deux incidents.

[99]            Selon le défendeur, il n'est pas possible de dire que, au vu des éléments qu'il avait devant lui, le Tribunal a rendu une décision déraisonnable, voire irrationnelle, lorsqu'il a refusé au demandeur les deux cinquièmes du droit à pension, comme le prévoit le paragraphe 21(2.1) de la Loi sur les pensions, pour tenir compte de la portion de l'invalidité du demandeur qui était réputée résulter de la blessure non liée au service.

[100]        Le défendeur dit aussi que le Tribunal ne saurait être accusé de ne pas avoir tiré de conclusions raisonnables ou de ne pas avoir donné au demandeur le bénéfice du doute. Eu égard à ce que l'on peut déduire du propre raisonnement du Tribunal, il semblerait qu'il était loisible au Tribunal de n'attribuer que deux cinquièmes à la première blessure (la blessure liée au service). Mais le Tribunal a donné au demandeur le bénéfice du doute et a attribué plus de la moitié du lien de causalité à la blessure liée au service.

[101]        Le défendeur fait valoir que la difficulté majeure à laquelle se heurte le demandeur pour persuader la Cour que la décision du Tribunal est manifestement déraisonnable est le fait que, selon le demandeur, les membres du Tribunal n'ont pas saisi l'importance du rapport du Dr Petit et n'ont pas été en mesure intellectuellement d'appliquer d'une manière favorable au demandeur les directives du législateur. Mais c'est le même comité qui avait à l'origine décidé que sa première blessure au genou était effectivement liée au service. Cette dernière décision n'était manifestement pas une décision irrationnelle pour autant que soit concerné le demandeur. Comment donc un comité qui est compétent une journée peut-il devenir si incompétent le lendemain au point que soit justifiée l'affirmation selon laquelle sa décision était irrationnelle? Selon le défendeur, poser la question, c'est y répondre.


[102]        Selon le défendeur, le Tribunal ne s'est pas écarté de sa compétence lorsqu'il est arrivé à sa décision. Puisque la décision est défendable au vu de la preuve, la conclusion incontournable est que le Tribunal a obéi à son obligation de favoriser le demandeur et de considérer en conscience la preuve sous son meilleur jour à l'égard du demandeur. Le noeud de la présente affaire est que le Tribunal n'a pas été persuadé par l'opinion du Dr Petit, préférant plutôt les autres éléments de preuve versés dans le dossier. Ce n'était pas là une décision irrationnelle au point d'être manifestement déraisonnable. Cela revient aussi à dire que le Tribunal a agi dans le respect de sa compétence.

Il n'y a aucune autre erreur de droit

[103]        Le demandeur soutient que, une fois établi le droit à pension, le pensionné peut faire réévaluer son invalidité. Dans le contexte de la présente demande, cela est hors de propos. La question ici était le droit à pension, c'est-à-dire le point de savoir si le demandeur avait droit à une pension pour la portion de son invalidité qui résultait de la deuxième blessure. L'évaluation du degré d'invalidité, exprimée en pourcentage selon les tables de l'annexe A de la Loi sur les pensions, est une toute autre affaire. Le point à décider dans cette demande de réexamen était le droit à pension, non l'évaluation de l'invalidité.

[104]        Le demandeur fait aussi valoir que le paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions aurait dû être pris en compte.


[105]        Cet argument est lui aussi sans rapport avec un quelconque élément dont était saisi le Tribunal dans ce réexamen. Selon l'article 18 de la LTAC, le Tribunal a compétence exclusive pour réviser toute décision rendue en vertu de la Loi sur les pensions et statuer sur toute question liée à la demande de révision. Selon l'article 26 de la LTAC, le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel interjeté en vertu de l'article 25, ou sous le régime de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ou de toute autre loi fédérale, ainsi que sur toute question connexe.

[106]        Cependant, avant que le Tribunal ne puisse être saisi d'une affaire en application du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions, une demande doit d'abord être présentée au ministère. Ici, la question de savoir si le rapport du Dr Petit apporte la preuve d'une aggravation n'a jamais été soumise au ministère. La compétence du Tribunal n'est donc pas engagée.

ANALYSE

[107]        Dans le contexte d'une demande de réexamen, le caractère raisonnable ou non de la décision du Tribunal doit être jugé à la lumière de la preuve que le Tribunal avait devant lui, et à la lumière des dispositions législatives applicables. Il demeure vrai qu'il incombe aux réclamants de prouver leur droit à pension, mais ils sont considérablement aidés par les dispositions spéciales de l'article 39 de la LTAC, qui obligent le Tribunal à tirer de la preuve les conclusions les plus favorables au réclamant, à accepter comme vraisemblable et digne de foi tout élément de preuve produit par le réclamant et à trancher en faveur du réclamant toute incertitude sur l'appréciation d'un élément de preuve.

[108]        En outre, le réclamant bénéficie aussi évidemment de l'article 3 de la LTAC, qui prévoit que les pouvoirs et fonctions du Tribunal doivent être interprétés d'une manière libérale, propre à reconnaître la dette du Canada envers ses anciens combattants.

[109]        L'article 21 de la Loi sur les pensions précise que, si un ancien combattant souffre d'une invalidité causée par une blessure ou maladie consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix, une pension peut lui être accordée et, même si la blessure ou maladie initiale n'a pas entraîné l'invalidité, mais a plutôt entraîné un état qui a conduit à une invalidité, une pension peut néanmoins être accordée. Ce point de vue a été confirmé par le juge Cullen dans l'affaire MacDonald, précitée, au paragraphe 8.

[110]        Il semblerait, au vu des brefs motifs figurant dans la décision du Tribunal, que le Tribunal avait connaissance de ce cadre législatif et que le demandeur avait soulevé une question légitime justifiant le réexamen de sa pension.

[111]        La thèse du demandeur en faveur d'un réexamen figurait dans le rapport du Dr Petit. Le Dr Petit était arrivé à la conclusion qu'il y avait un lien entre la blessure subie par le demandeur en 1990 et celle qu'il avait subie plus tôt en 1985. Il était d'avis que, après la blessure de 1985 et lorsque s'est produite la deuxième blessure, le genou du demandeur ne présentait pas un niveau adéquat de guérison et de rééducation. La lésion présentait donc une prédisposition à réapparaître.

[112]        Le Tribunal cite dans sa décision d'importantes conclusions du Dr Petit :

À mon avis, il y a une relation directe entre le premier incident et le deuxième. De nombreux éléments au dossier me portent en effet à conclure que le genou de M. Martel n'avait pas été réhabilité de façon optimale suite à la première chirurgie.

...

Ce que ceci a entraîné à mon avis, ce sont des problèmes toujours d'instabilité, de manque de proprioception au niveau du genou, un manque de récuperation totale de la force musculaire pour amener encore une fois une stabilité optimale et ceci l'a directement pré-disposé aux blessures subites lors du deuxième accident.

[113]        La manière dont le Tribunal traite ensuite le rapport du Dr Petit est au coeur de cette demande de contrôle judiciaire. Voici les propos du Tribunal :

Le tribunal a très attentivement examiné toute la preuve devant lui, y compris les documents attachés à la lettre de l'appelant en date du 3 mai 2002. Le Tribunal note que le rapport du docteur Smallman en date du 30 avril 1987 indique que 1 appelant a eu des problèmes à la fin de son cour de perfectionnement en ce qui concerne son genou, vraisemblablement le mois de mars 1987. Dans le même rapport, le docteur déclare "He has had a reasonable result thus far". Il n'y a pas d'autre plainte en ce qui concerne l'affection à l'étude entre l'accident de 1985 et celui de 1990. Le Tribunal remarque qu'il n'y a pas d'autre preuve documentée en ce qui concerne le genou à l'étude.

Le Tribunal conclut que, malgré la thèse du docteur Petit en ce qui concerne un manque de rééducation optimale du genou de 1'appelant, il n'est pas établi que la rééducation du genou ne s'est pas déroulée normalement.

[114]        Le Tribunal a donc estimé que, « malgré la thèse du docteur Petit » , il avait devant lui d'autres éléments de preuve et, en particulier, le rapport du Dr Smallman du 30 avril 1987, qui l'autorisaient à conclure qu' « il n'est pas établi que la rééducation du genou ne s'est pas déroulée normalement » .

[115]        Les conclusions du Tribunal sur ce point essentiel suscitent divers problèmes. D'abord, le rapport du Dr Smallman du 30 avril 1987 auquel se réfère le Tribunal renferme également les propos suivants sur l'état des blessures du demandeur en 1987 :

[traduction]

Il a eu quelques difficultés à la fin de son entraînement en janvier, février et mars. Elles sont survenues à la fin du cours et pour la plupart étaient imputables à des exercices excessifs. Sa rééducation n'est pas encore totale, et je crois que, pour le dispenser d'une affectation de campagne, nous devrions lui assigner une catégorie temporaire G3T604T6 et le laisser s'entraîner au cours des prochains mois, voire durant une année, pour qu'il puisse revenir à une forme physique optimale.

[116]        Le Tribunal ne se réfère pas expressément à un rapport ultérieur du Dr Smallman, daté du 1er octobre 1987, dans lequel le Dr Smallman était allé beaucoup plus loin :

[traduction]

Ce patient est examiné pour donner suite à la réparation primaire de son ligament cruciforme antérieur, lequel a été augmenté d'une semi-tendonosis.

Il a véritablement un genou stable, avec test de Lachman de 0,5 centimètre. Aucune manoeuvre de McIntosh. Il ouvre la jambe en position postéro-médiane, à 30 º de flexion. Il n'y a pas d'affusion.

Ce patient s'est extrêmement bien rétabli et il a retrouvé sa forme. On peut lui donner une catégorie G202 et il peut reprendre toutes ses tâches. Il ne m'est pas nécessaire de le revoir, à moins que des problèmes n'apparaissent.

[117]        Le défendeur fait remarquer que, outre cette conclusion du Dr Smallman selon laquelle « ce patient s'est extrêmement bien rétabli et a retrouvé sa forme » , d'autres éléments de preuve autorisaient les conclusions du Tribunal, même s'ils ne sont pas expressément mentionnés dans sa décision.

[118]        Ainsi, le dossier ne donne nullement à entendre, si ce n'est les propres déclarations du demandeur, que sa blessure au genou l'a fait souffrir entre octobre 1987 et avril 1990, moment où il s'est blessé au genou pour la deuxième fois. Et qui plus est, il y a dans le rapport du Dr Marshall l'affirmation selon laquelle le demandeur « s'était amélioré jusque trois jours avant son admission, après avoir fait une chute et s'être infligé une douleur au genou droit » . Il y a aussi le fait que la deuxième blessure au genou du demandeur comportait deux éléments. Outre une déchirure du ligament cruciforme antérieur, il y avait aussi une nouvelle déchirure périphérique de la corne postérieure longitudinale du ménisque médian, et une autre déchirure du ligament cruciforme antérieur, qui toutes deux ont été réparées par chirurgie.

[119]        Il y a aussi le fait que le demandeur a continué de s'adonner au ski alpin jusqu'en janvier 1995, lorsqu'il s'est blessé à l'épaule gauche dans un accident de ski.

[120]        Mais le point essentiel ici est que, malgré l'avis du Dr Petit selon lequel « il y a une relation directe entre le premier incident et le deuxième » , le Tribunal est arrivé à la conclusion qu'il n'était pas établi que la rééducation du genou du demandeur ne s'était pas déroulée normalement.

[121]        Cela donnerait à entendre que, écartant l'avis du Dr Petit, le Tribunal a cru que l'avis du Dr Petit était éclipsé, au plan médical, par les évaluations du Dr Smallman de 1987.

[122]        Sachant le solide travail que fait le Tribunal dans ces cas, il m'est difficile de voir comment il a pu arriver à la conclusion qu'il a tirée. Il était évidemment tout à fait libre de rejeter l'avis du Dr Petit, en exposant pour ce faire des motifs raisonnables fondés sur la preuve. Mais, même si nous présumons que le Tribunal s'est fondé sur les deux avis du Dr Smallman et que l'avis d'octobre 1987 a été pris en compte, il reste que l'avis du Dr Smallman ne dit rien du point que soulevait l'avis du Dr Petit et sur lequel le Tribunal était prié de s'exprimer dans le cadre du réexamen. Le Dr Smallman ne dit rien du lien entre la blessure de 1985 et celle de 1990, pour la simple raison que, lorsqu'il a donné son avis, la blessure de 1990 n'avait pas eu lieu.

[123]        À mon avis, le Tribunal n'avait devant lui aucune preuve médicale concernant le lien entre les deux blessures, si ce n'est l'avis du Dr Petit. Le Tribunal n'a nulle part mis en doute la crédibilité du rapport du Dr Petit. Il a alors demandé que des preuves contradictoires soient produites, pour finalement rejeter le rapport du Dr Petit. Je suis donc d'avis que, en rejetant ainsi le rapport du Dr Petit, le Tribunal a commis une erreur dans sa manière d'appliquer l'article 39 de la LTAC et a manqué à ses obligations énoncées dans cet article. Cela constitue à mon avis une erreur de compétence qui entache l'intégralité de sa décision. Voir le jugement Rivard c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1072 (1re inst.), 2001 CFPI 704, aux paragraphes 43 et 44.


[124]        En outre, dans la mesure où l'on peut considérer que la preuve contraire à la position du demandeur (en particulier l'avis du Dr Smallman selon lequel le demandeur était complètement remis en 1987 de sa blessure de 1985) répond à l'avis capital du Dr Petit selon lequel « il y a une relation directe entre le premier incident et le deuxième » , j'arrive à la conclusion que la décision du Tribunal était manifestement déraisonnable parce qu'elle était fondée sur une simple hypothèse du Tribunal, sans aucune preuve médicale à l'appui, hypothèse selon laquelle une blessure qui pouvait sembler guérie en 1987 ne peut pas entraîner une prédisposition et devenir la cause directe d'une blessure au même genou en 1990. Encore une fois, à mon avis, le Tribunal n'a pu arriver à sa conclusion qu'en appliquant erronément l'article 39 de la LTAC, parce que le demandeur a produit (sous la forme de l'avis du Dr Petit) une preuve crédible suffisante du lien entre les deux blessures.

[125]        Le Tribunal est libre de mettre en doute et de rejeter le rapport du Dr Petit, mais il doit le faire en se fondant sur une preuve médicale qui répond aux points soulevés dans l'avis du Dr Petit, et en conformité avec les dispositions particulières de l'article 39 de la LTAC.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.          L'affaire est renvoyée à un autre comité du Tribunal, pour autant que cela soit possible;

3.          Les dépens de cette demande sont adjugés au demandeur.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   T-1131-03

INTITULÉ :                  JEAN MARTEL c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:                LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

JAMES CAMERON                                        POUR LE DEMANDEUR

GEOFFREY LESTER                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON, BALLANTYNE ET YASBECK

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR


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