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Date : 20040316

Dossier : T-470-02

Référence : 2004 CF 379

ENTRE :                                                                    

                                              AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

                                                  ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                                APOTEX INC. et

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LES FAITS

[1]                Deux brevets canadiens sont visés en l'espèce par la demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), modifié (le Règlement). Les deux brevets revendiquent de nouvelles utilisations pour un composé médicinal bien connu - l'oméprazole ou un de ses sels acceptables en pharmacie (oméprazole).


[2]                Le brevet canadien 2,025,668 (le brevet 668), dont AB Hassle est titulaire, comporte trois revendications concernant l'utilisation. Le domaine de l'invention consiste en une nouvelle utilisation de l'oméprazole à titre d'agent anti-microbien pour le traitement des maladies infectieuses, particulièrement celles causées par la bactérie H. pylori qui s'établit profondément dans les muqueuses gastriques et cause des infections à l'estomac et au tube digestif. L'oméprazole était autrefois connu pour être un inhibiteur de la sécrétion gastrique. La découverte divulguée dans le brevet porte sur les propriétés anti-microbiennes de l'oméprazole ou d'un de ses sels à titre de principe actif contre les bactéries Gram-négatif, particulièrement contre H. pylori.

[3]                Le brevet canadien 2,133,762 (le brevet 762), dont la société Astrazeneca AB est titulaire, comporte soixante-dix-sept revendications et s'intitule « Association synergique d'une substance inhibant la sécrétion d'acide gastrique et d'un antibiotique dégradable en milieu acide » . La nouvelle utilisation du composé associant un inhibiteur de la sécrétion d'acide gastrique (tel que l'oméprazole ou un de ses sels) et un antibiotique dégradable en milieu acide (tel que la pénicilline) est destinée au traitement de la gastrite ou de l'ulcère gastro-duodénal causés, en particulier, par la bactérie H. pylori. L'avantage de la nouvelle association divulguée dans le brevet 762 est sa capacité d'accroître l'efficacité de l'antibiotique (sa biodisponibilité). Les antibiotiques dégradables en milieu acide perdent leur activité au contact de l'acide gastrique dans l'estomac. Un composé bloquant ou un inhibiteur de la sécrétion d'acide gastrique accroît les concentrations plasmatiques de l'antibiotique et, partant, son efficacité thérapeutique, tout en augmentant la quantité d'antibiotique dégradable en milieu acide dans la lumière gastrique et, par conséquent, la quantité d'antibiotique qui traversera l'intestin grêle où il sera absorbé sous sa forme biologiquement active.


[4]                AstraZeneca Canada Inc. est approuvée par les titulaires de brevets à commercialiser les préparations pharmaceutiques divulguées dans les brevets 668 et 762. À cette fin, AstraZeneca Canada Inc. détient un avis de conformité que le ministre fédéral de la Santé (le ministre) lui a délivré pour les comprimés et gélules d'oméprazole qu'elle commercialise sous le nom de LOSEC.

[5]                La présente instance a été introduite par les demanderesses après qu'Apotex Inc. (Apotex), un fabricant de médicament générique bien connu au Canada, ait signifié à AstraZeneca Canada Inc., le 28 janvier 2002, un avis d'allégation, conformément au Règlement, l'avisant qu'elle a déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle pour les comprimés d'Apo-oméprazole à être administrés par voie orale en concentrations de 10 mg, 20 mg et 40 mg. Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l'expiration des brevets 668 et 762.

[6]                L'essence de l'avis d'allégation d'Apotex est qu'il y a absence de contrefaçon. Apotex ne conteste pas la validité de l'un ou l'autre brevet. Elle allègue plutôt :

[traduction] En ce qui concerne les brevets [...] 668 et [...] 762, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ou ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par notre compagnie de ces comprimés. [Non souligné dans l'original.]

[7]                Le fondement juridique et factuel de son allégation concernant le brevet 668 est le suivant :

[traduction] En ce qui concerne le brevet [...] 668, toutes les revendications de ce brevet portent sur l'utilisation du médicament dans le traitement des infections à Campylobacter. Notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter et, plus précisément, nous ne sollicitons pas d'approbation pour cette utilisation et aucune utilisation de ce type ne sera incluse dans la monographie de notre produit. [Non souligné dans l'original.]


[8]                En ce qui concerne le brevet 762, Apotex a exposé le fondement juridique et factuel de son allégation de non-contrefaçon en regroupant les différentes revendications.

[9]                Le premier groupe de revendications réunies par Apotex concernant le brevet 762 sont les revendications 1 à 34 (inclusivement) et les revendications 41 à 57 (inclusivement). Apotex a affirmé que les revendications de ce groupe :

[traduction] ont trait uniquement aux préparations qui associent un inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine ou un inhibiteur de la pompe à protons et un composé antibactérien.

Notre produit ne contrefera aucune de ces revendications du fait qu'il n'est pas une association médicamenteuse, mais comprend seulement de l'oméprazole magnésien comme principe actif unique. [Non souligné dans l'original.]

[10]            Le deuxième groupe de revendications réunies par Apotex concernant le brevet 762 sont les revendications 35 à 40 (inclusivement) et les revendications 58 à 65 (inclusivement). Apotex affirme que celles-ci :

[traduction] [...] portent uniquement sur l'utilisation d'une histamine - inhibiteur des récepteurs H2 ou inhibiteur de la pompe à proton et d'un composé antibactérien pour le traitement de la gastrite et des ulcères gastro-duodénaux causés par le Helicobacter pylori.

Notre produit ne contrefera pas ces revendications parce que :

i) notre produit n'est pas issu d'une combinaison, donc son utilisation ne pourrait contrefaire aucune de ces revendications;

ii) nous ne sollicitons pas l'approbation pour une telle utilisation, et aucune utilisation de ce type ne sera indiquée dans la monographie de notre produit. De plus, notre monographie de produit ne fera aucune mention du Helicobacter pylori [H. pylori] et portera uniquement sur l'utilisation visant à inhiber la sécrétion d'acide gastrique. [Non souligné dans l'original.]

[11]            Le troisième groupe de revendications réunies par Apotex sont les revendications 66 et 67 du brevet 762. Apotex a affirmé que ces revendications :

[traduction] portent uniquement sur l'utilisation de l'oméprazole et sur un antibiotique pour le traitement de la gastrite et des ulcères gastro-duodénaux. [Non souligné dans l'original.]


Notre produit ne contrefera pas ces revendications parce que :

i) notre produit n'est pas une association médicamenteuse (à savoir qu'il ne contient aucun antibiotique), donc son utilisation ne pourrait contrefaire aucune de ces revendications;

ii) nous ne sollicitons pas d'approbation pour une telle utilisation, et aucune utilisation de ce type ne sera indiquée dans la monographie de notre produit. [Non souligné dans l'original.]

[12]            Le quatrième groupe de revendications formé par Apotex est constitué des revendications qui ne font pas partie des autres groupes. Apotex a indiqué qu'elles :

[traduction] [...] portent uniquement sur l'utilisation visant à augmenter la biodisponibilité d'un composé antibactérien.

Notre produit ne constituera pas une contrefaçon parce que nous ne sollicitons pas d'approbation pour cette utilisation et aucune utilisation de ce type ne sera incluse dans notre monographie de produit. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Apotex a joint à sa lettre portant avis d'allégation une copie de la monographie de produit incluse dans la présentation de drogue nouvelle (PDN) qu'elle a déposée auprès du ministre.

[14]            L'avis d'allégation d'Apotex se terminait par la phrase suivante : [traduction] « Compte tenu du rejet de la demande d'ordonnance d'interdiction dans le dossier T-2016-99, une demande visant le présent avis d'allégation serait manifestement frivole » . La décision à laquelle il est fait référence est la décision du juge O'Keefe qui sera analysée plus loin.

[15]            Les demanderesses ont introduit la présente demande le 19 mars 2002. Elles font valoir que les allégations de non-contrefaçon ne sont pas fondées pour plusieurs raisons.


LES REVENDICATIONS DES BREVETS

a)         Le brevet 668

[16]            Tel que mentionné, le brevet 668 comporte trois revendications pour les utilisations suivantes :

[traduction]

(1)           Utilisation [de l'oméprazole ou d'un de ses sels] pour la fabrication d'un médicament servant au traitement des infections à Campylobacter [H. pylori].

(2)           Utilisation [de l'oméprazole ou d'un de ses sels] pour le traitement des infections à Campylobacter [H. pylori].

(3)           Une préparation pharmaceutique destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter [H. pylori] où le principe actif est [l'oméprazole ou un de ses sels].

b)         Le brevet 762

[17]            Pour les besoins de la présente instance, les revendications pertinentes du brevet 762 sont les suivantes :

[traduction]

1.              Une composition pharmaceutique pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal comprenant une quantité thérapeutiquement efficace d'un composé inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine qui accroît le pH intragastrique ou d'un inhibiteur de la pompe à protons qui accroît le pH intragastrique, et une quantité thérapeutiquement efficace d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

2.             Une composition, selon la revendication 1, qui comprend un inhibiteur de la pompe à protons.

3.             Une composition, selon la revendication 2, où l'inhibiteur de la pompe à protons est l'oméprazole ou un sel pharmaceutiquement acceptable de l'oméprazole.

                                                                    [. . .]

11.           Une composition pharmaceutique orale pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal causés par une infection à Helicobacter pylori qui comprend comme principes actifs,


a) une quantité thérapeutiquement efficace d'un composé inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine qui inhibe la sécrétion d'acide gastrique et accroît ainsi le pH intragastrique; ou une quantité thérapeutiquement efficace d'un composé inhibiteur de la pompe à protons qui accroît le pH intragastrique et

b) une quantité thérapeutiquement efficace d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

12.           Une composition, selon la revendication 11, qui comprend un composé inhibiteur de la pompe à protons.

13.            Une composition, selon la revendication 12, où le composé inhibiteur de la pompe à protons est l'oméprazole ou un sel pharmaceutiquement acceptable de l'oméprazole.

                                                                    [. . .]

41.            Une association pharmaceutique synergique d'une quantité thérapeutique d'environ 1 à 200 mg d'un composé inhibiteur de la pompe à protons, qui accroît le pH intragastrique, et d'une quantité thérapeutique d'environ 250 mg à 10 g d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal.

                                                                    [. . .]

47.            Une association pharmaceutique synergique comprenant une quantité thérapeutique d'oméprazole ou d'un sel pharmaceutiquement acceptable de l'oméprazole et une quantité thérapeutique d'un antibiotique de base faible pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal.

                                                                    [. . .]

58.           Utilisation d'un composé inhibiteur de la pompe à protons qui est un inhibiteur de la sécrétion d'acide gastrique et d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal causés par Helicobacter pylori.

                                                                    [. . .]

64.           Utilisation conformément à l'une ou l'autre des revendications 58 à 63 où le composé inhibiteur de la pompe à protons est l'oméprazole ou un sel pharmaceutiquement acceptable de l'oméprazole.

                                                                    [. . .]

66.           Utilisation d'environ 1 à 200 mg d'oméprazole ou d'un sel pharmaceutiquement acceptable de l'oméprazole et d'environ 250 mg à 10 g d'un antibiotique de base faible pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal.

                                                                    [. . .]


68.            Utilisation d'un composé inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine ou d'un inhibiteur de la pompe à protons pour accroître la biodisponibilité d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide.

69.           Utilisation conformément à la revendication 68 de l'oméprazole ou d'un de ses sels pharmaceutiquement acceptable.

                                                                    [. . .]

71.           Utilisation conformément à la revendication 68, 69 ou 70 pour accroître la biodisponibilité d'un antibiotique de base faible. [Non souligné dans l'original.]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]            L'avocat des demanderesses soulève une question concernant le brevet 668, à savoir si, dans les faits, les comprimés d'Apo-oméprazole d'Apotex seront employés par des patients pour le traitement des infections à H. pylori, entraînant ainsi la contrefaçon du brevet et rendant conséquemment l'avis d'allégation d'Apotex non fondé.

[19]            En ce qui concerne le brevet 762, les demanderesses soulèvent deux questions. La première porte sur les revendications 1 à 34 et 41 à 57 (inclusivement) de ce brevet, soit le premier groupe formé par Apotex dans son avis d'allégation. Les demanderesses soutiennent que l'avis d'allégation est entaché d'un vice fatal en ce qu'Apotex a mal interprété ces revendications en affirmant que les comprimés d'Apo-oméprazole ne les contreferaient pas parce que son produit n'est pas une association médicamenteuse mais comprend seulement de l'oméprazole magnésien comme principe actif unique. Elles affirment que leur brevet ne se limite pas à une seule formulation pharmaceutique, soit une préparation sous forme de comprimé unique contenant les deux principes actifs, à savoir l'oméprazole et l'antibiotique. Cela ressort, disent-elles, du paragraphe de la page 5 du brevet 762 où est ainsi décrit ou divulgué l'objet du brevet :


[traduction] L'association réalisée par la présente invention peut l'être en une seule formulation pharmaceutique comprenant les deux principes actifs ou sous forme de deux comprimés ou gélules, de poudre, de mélange, de solutions ou de comprimés effervescents. [Non souligné dans l'original.]

[20]            Apotex, soutiennent les demanderesses, a omis de mentionner que les effets bénéfiques de la nouvelle invention sont également produits par la prise d'un comprimé contenant uniquement de l'oméprazole magnésien combinée à la prise d'un second comprimé contenant uniquement l'antibiotique. Elles soulignent qu'Apotex vend déjà les unités requises d'antibiotiques (érythromycine et pénicilline). Du fait qu'elle vend ainsi les composantes de l'association ou qu'elle a omis d'aborder cette question, l'allégation de non-contrefaçon, même si on la tient pour avérée, n'est pas fondée.

[21]            La deuxième question soulevée par les demanderesses est que les comprimés d'Apo-oméprazole d'Apotex seront utilisés par les patients d'une façon qui constitue une contrefaçon des revendications du brevet 762, à savoir qu'ils seront utilisés comme traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal quelle qu'en soit la cause, mais particulièrement lorsqu'ils sont causés par H. pylori. À ce titre, la deuxième question soulevée par les demanderesses relativement au brevet 762 est identique à l'argument unique qu'elles ont soulevé relativement au brevet 668.


[22]            On retrouve l'essentiel de la jurisprudence récente de la Cour en matière de contrefaçon de brevet par des patients dans les décisions La Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la santé), 2002 CAF 290 (l'affaire Genpharm), de la Cour d'appel fédérale, AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2001), 16 C.P.R. (4th ) 21, du juge O'Keefe, où Apotex avait envoyé l'avis d'allégation, AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2002 CAF 421, de la Cour d'appel fédérale en appel de la décision du juge O'Keefe, et dans la décision AB Hassle c. RhoxalPharma Inc., 2002 CFPI 780, du juge Gibson.

LA PREUVE

a)         La preuve présentée par les demanderesses

[23]            La thèse des demanderesses voulant qu'une version générique de l'oméprazole, tel que l'oméprazole magnésien, non approuvée par les autorités de réglementation pour le traitement des infections à H. pylori, sera dans les faits utilisée par les patients pour le traitement de ces infections compte tenu du fonctionnement du marché pharmaceutique canadien, a été exposée dans les affidavits de MM. Adam Pignataro et Stephen Wilton, qui ont tous deux été contre-interrogés. Les demanderesses ont également produit l'affidavit de M. Peder Oxhammar de la Suède à seule fin de confirmer que les titulaires des brevets 668 et 762 ne disposaient d'aucune information et n'avaient accès à aucune information concernant l'existence, le contenu (notamment les ingrédients, le produit de référence, la nature du mélange, les indications et utilisations visées), la date de dépôt ou l'état actuel de la présentation de drogue nouvelle (PDN) à laquelle Apotex fait référence dans son avis d'allégation du 28 janvier 2002, objet de la présente instance.

[24]            M. Adam Pignataro est un pharmacien ontarien détenteur d'une licence, qui exerce à ce titre depuis 1977 dans une pharmacie de détail et en possède présentement une à Mississauga en Ontario. Il affirme avoir travaillé avec d'autres pharmaciens et, fort de son expérience, de sa formation professionnelle et de ses connaissances pharmaceutiques, il estime détenir une expertise relativement à la pratique de la pharmacie en Ontario.


[25]            M. Pignataro est d'avis que la version générique de l'oméprazole, un médicament sur ordonnance, sera utilisée par des patients pour le traitement d'infections à H. pylori. Il se fonde sur les éléments :

a)         Un grand nombre de patients souffrent d'infections à H. pylori. Ces patients consulteront des médecins qui prescriront probablement un produit contenant de l'oméprazole, que ce soit le médicament d'appellation générique ou de marque.

b)          L'ordonnance du médecin ne précise pas l'indication pour laquelle le médicament est prescrit. Elle peut indiquer le médicament par l'appellation générique (le nom chimique) ou par la marque. Un grand nombre d'ordonnances indiquent l'appellation générique.

c)          Que le médicament soit indiqué selon son appellation générique ou selon sa marque, M. Pignataro affirme qu'un pharmacien prépare normalement le produit le moins dispendieux disponible, donc la version générique du produit innovateur s'il en existe une. Il conclut ainsi : [traduction] « En conséquence, si une marque générique d'oméprazole était disponible sur le marché, un pharmacien préparerait normalement cette marque pour un patient présentant une ordonnance pour de l'oméprazole » .

d)         Il déclare que, de façon générale, les pharmaciens ne sont pas au courant des indications particulières pour lesquelles une marque de médicament est approuvée par les autorités de réglementation, et il conclut ainsi au paragraphe 9 :

[traduction]


9.              En conséquence, dans le cas où un produit générique d'oméprazole est disponible sur le marché, il sera dans les faits préparé pour les patients qui l'utiliseront pour le traitement d'infections à H. pylori, et ce, même si la marque générique particulière n'est peut-être pas approuvée pour cette indication par les autorités réglementaires. Les pharmaciens supposeront que l'oméprazole générique a été approuvé pour les mêmes utilisations que le produit de marque correspondant. Sauf si le fabricant de médicaments génériques prend des mesures spéciales dans le but d'informer les pharmaciens, il n'existe pas de mécanisme par lequel les pharmaciens seraient prévenus des utilisations plus limitées approuvées pour une marque générique par comparaison au produit de marque nominative.

e)         Pour les mêmes motifs que ceux exprimés au paragraphe 9 de son affidavit, il affirme au paragraphe suivant que l'oméprazole générique sera prescrit pour des utilisations liées à d'autres indications que celles approuvées pour le produit de marque nominative (LOSEC), indications pour lesquelles le produit générique n'est pas approuvé. Il indique que [traduction] « certains patients qui suivent une thérapie combinant la prise de l'antibiotique et de l'oméprazole recevront le produit générique de l'oméprazole dans le cadre de celle-ci même si l'utilisation de l'oméprazole générique dans le cadre d'une telle thérapie n'est pas approuvée » .


[26]            M. Stephen Wilton occupe le poste de directeur général, développement de l'entreprise, chez AstraZeneca Canada Inc. où il travaille depuis 1993. Détenteur d'un baccalauréat ès sciences (pharmacie) et d'une maîtrise en administration des affaires (M.B.A.), il est habilité à exercer et exerce la profession de pharmacien en Ontario. Il affirme être familier avec le domaine de la mise en marché et de la promotion des médicaments sur ordonnance au Canada, y compris les produits de marque nominative et les génériques, ainsi qu'avec le marché canadien des médicaments sur ordonnance et le rôle qu'y jouent les professionnels de la santé, particulièrement les pharmaciens. Il confirme que les produits contenant de l'oméprazole sont des médicaments sur ordonnance normalement disponibles uniquement lorsqu'un médecin remet à un patient une prescription concernant un produit spécifique (marque) que le pharmacien doit lui préparer. M. Wilton fait les affirmations suivantes dans son affidavit :

a)         Bien que le ministre de la Santé et le bénéficiaire de l'avis de conformité sachent pour quelles indications précises le produit générique a été approuvé, les médecins, les pharmaciens et les patients ne sont généralement pas au courant ou ne se soucient pas des indications précises pour lesquelles une marque générique a été approuvée.

b)         Le fabricant de médicaments génériques ne fait normalement pas la promotion des indications approuvées pour une marque générique auprès des médecins et des pharmaciens. À son avis, les patients n'ont normalement pas accès aux indications approuvées pour un produit, et les médecins et les pharmaciens se soucient habituellement seulement de savoir si le principe actif est efficace pour le traitement du problème de santé.

c)         Que le médicament prescrit soit de marque ou générique, le patient apportera l'ordonnance dans une pharmacie et recevra un médicament d'une marque quelconque disponible, du moment que celui-ci contient le principe actif indiqué et que le pharmacien est approuvé à le préparer. M. Wilton soutient que le pharmacien prépare normalement le médicament de la marque la moins chère disponible, à moins que le patient ne fasse une autre demande. À son avis, le produit, tel que prescrit au patient, ne contiendra pas de renseignements sur les indications approuvées et, même si le patient disposait de renseignements à ce sujet, il est peu probable qu'il les comprendrait compte tenu de la terminologie médicale très technique normalement employée.


d)         Habituellement, l'étiquette d'un médicament préparé par un pharmacien conformément à une ordonnance ne mentionne aucune indication.

[27]            M. Wilton fait ensuite référence au brevet 668 et cite des extrait de l'avis d'allégation d'Apotex voulant que toutes les revendications du brevet 668 portent sur [traduction] « l'utilisation pour le traitement des infections à Campylobacter » , que son produit [traduction] « ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter » et qu'Apotex [traduction] « ne sollicit[e] pas d'approbation pour cette utilisation et aucune utilisation de ce type ne sera incluse dans la monographie de [son] produit » . M. Wilton indique que le H. pylori est une bactérie [traduction] « connue pour causer des troubles digestifs, notamment des ulcères duodénaux » . Il ajoute, relativement au fonctionnement général du marché pharmaceutique, les commentaires suivants eu égard à l'oméprazole et au traitement des infections à H. pylori :

[traduction]

13.           Les médecins savent que l'oméprazole est efficace dans le traitement de plusieurs troubles digestifs, y compris le traitement des ulcères duodénaux et de l'infection à H. pylori. Les médecins prescriront donc de l'oméprazole, s'il y a lieu, aux patients qui ont besoin d'être traités pour une infection à H. pylori.

14.            Par conséquent, même en présumant qu'Apotex ne vise pas, par sa présentation de drogue nouvelle, à faire approuver son produit à base d'oméprazole pour le traitement des infections à H. pylori, si une quelconque indication est approuvée, le produit à base d'oméprazole d'Apotex sera de fait utilisé pour le traitement des infections à H. pylori. Cela tient au fait qu'un grand nombre de Canadiens souffrent d'infections à H. pylori. Ces personnes consulteront un médecin qui prescrira probablement de l'oméprazole. Au moment de rédiger l'ordonnance, un médecin peut prescrire un médicament générique (oméprazole) ou de marque (LOSEC). Le médecin ne saura pas si une marque particulière d'oméprazole est approuvée officiellement pour le traitement des infections à H. pylori ni ne s'en préoccupera, car c'est une question réglementaire qui n'entre guère dans ses préoccupations.


15. Le pharmacien ne connaît généralement pas la raison ou l'indication particulière pour laquelle le médecin a prescrit un médicament. Par conséquent, même s'il savait que l'oméprazole produit par Apotex n'a pas été officiellement approuvé pour le traitement des infections à H. pylori, le pharmacien ne saurait généralement pas pourquoi l'oméprazole a été prescrit à un patient en particulier et aurait donc tendance à délivrer le produit d'Apotex, vraisemblablement moins cher.

[28]            M. Wilton aborde ensuite la question du brevet 762 et fait référence à l'avis d'allégation d'Apotex où l'on affirme que les revendications 1 à 34 et 41 à 57 [traduction] « ont trait uniquement aux préparations qui associent un inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine ou un inhibiteur de la pompe à protons et un composé antibactérien. » . L'avis indique : [traduction] « Apotex allègue que son produit ne contrefera aucune de ces revendications du fait qu'il n'est pas une association médicamenteuse, mais comprend seulement de l'oméprazole magnésien comme principe actif unique » . À ceci, M. Wilton répond :

[traduction]

17.            Toutefois, les revendications ne visent pas uniquement une formulation pharmaceutique ou un produit (voir par exemple la page 5, aux lignes 5 à 9, et les revendications 41 à 51, 56 et 57 du brevet 762) et donc le seul fondement factuel allégué par Apotex, même si on le tient pour avéré, ne justifie pas l'allégation de non-contrefaçon.

[29]            M. Wilton affirme également que les revendications 35 à 40 et 57 à 77 ne visent pas une formulation pharmaceutique ou un produit unique.

[30]            Il poursuit en faisant référence aux allégations de non-contrefaçon d'Apotex relativement aux revendications 35 à 40 et 58 à 67 qui sont fondées sur le fait qu'elle ne sollicite pas d'approbation concernant des utilisations particulières et qu'aucune telle utilisation ne sera incluse dans sa monographie de produit. Il conclut ainsi :

[traduction]

20.           Toutefois, pour les motifs déjà mentionnés relativement au brevet 668, un produit d'oméprazole générique sera préparé pour des indications pour lesquelles le produit générique n'est pas approuvé, notamment les utilisations décrites dans les revendications du brevet 762.


21.           En particulier, certains patients qui se verront prescrire une thérapie combinant antibiotique et oméprazole recevront un produit d'oméprazole générique à cette fin, même si l'utilisation de l'oméprazole générique n'est pas approuvée dans le cadre d'une telle thérapie. [Non souligné dans l'original.]

[31]            Dans son affidavit, M. Wilton a mentionné certaines pratiques de mise en marché d'Apotex :

a)         Apotex vend actuellement de la pénicilline et de l'érythromycine qui constituent des composés antibactériens au sens du brevet 762. Ce fait est confirmé par le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques 2002 (CPS) que M. Wilton décrit comme [traduction] « un ouvrage de référence classique que consultent régulièrement les professionnels de la santé du Canada, et les pharmaciens en particulier » . Il affirme qu'Apotex contrôle la quantité de renseignements publiés dans le CPS. Selon lui, dans le cas des composés anti-microbiens, Apotex n'y indique pas de limites relativement aux indications. Il conclut en affirmant que [traduction] « il serait conforme aux pratiques antérieures d'Apotex d'inscrire les comprimés d'Apo-oméprazole dans le CPS sans indiquer de limites d'indications ou d'utilisations » .


b)         Après s'être rendu sur le site Web d'Apotex, il indique que celle-ci inscrit l'ensemble de ses produits aux côtés des produits de marques nominatives correspondantes. Il estime que lorsqu'Apotex aura obtenu l'approbation pour les comprimés d'Apo-oméprazole, son produit sera inscrit aux côtés du LOSEC, ce qui donnera au lecteur, qu'il soit pharmacien ou patient, l'impression que l'oméprazole peut être utilisé pour l'ensemble des usages thérapeutiques pour lesquels le LOSEC est utilisé. M. Wilton fait également référence à la liste « Classe thérapeutique » des produits d'Apotex; il affirme, en désignant les produits antibiotiques, que les produits d'érythromycine et de pénicilline d'Apotex sont simplement désignés comme « Antibiotiques » , sans plus de détails concernant les utilisations et les restrictions afférentes, et arrive à la conclusion que lorsque l'Apo-oméprazole sera approuvé, il sera lui aussi inscrit sur le site Web sans restriction quant à son utilisation.

c)         M. Wilton indique que le site Web d'Apotex confirme qu'Apotex emploie des représentants et fournit de la documentation aux pharmaciens et patients, dont de la documentation sur les médicaments utilisés dans le traitement de divers troubles et maladies.

d)         Apotex commercialise ses produits et met sur pied des stratégies pour maximiser ses ventes. Elle doit posséder des documents internes qui expliquent les stratégies de promotion et de mise en marché ainsi que les directives que les employés de ces secteurs doivent suivre. Naturellement, les demanderesses n'ont pas connaissance de ces documents internes d'Apotex.

e)         M. Wilton aborde ensuite le chapitre du projet de monographie de produit d'Apotex intitulé [traduction] « Renseignements pour le patient » et attire l'attention sur la phrase suivante : « L'Apo-oméprazole agit en réduisant la quantité d'acide sécrété par l'estomac. Cela aide à traiter les problèmes liés à l'acidité gastrique et aux bactéries présentes dans l'estomac (dossier des demanderesses, page 104). Il conclut ainsi : [traduction] « Ce passage indique clairement (à un médecin, un pharmacien ou un patient) que les comprimés d'Apo-oméprazole peuvent être utilisés pour le traitement des problèmes digestifs liés aux bactéries, dont H. pylori » .


f)          Il estime que la disponibilité des produits génériques et les renseignements disponibles ou non à leur sujet influeront sur la décision du pharmacien. M. Wilton conclut qu'Apotex est en mesure d'influencer les pharmaciens et les patients pour qu'ils favorisent l'Apo-oméprazole seul ou en combinaison avec l'érythromycine ou la pénicilline d'Apotex (ou encore en combinaison avec les produits antibiotiques d'autres fabricants) pour les utilisations indiquées dans les revendications des brevets 668 et 762.

[32]            En contre-interrogatoire, M. Pignataro :

a)         a confirmé qu'il n'est pas médecin;

b)         a reconnu ne pas être un expert en ce qui concerne les conditions à satisfaire pour l'inscription à la liste d'interchangeabilité en Ontario (voir la réponse à la question 52, dossier des demanderesses, page 158);

c)         a reconnu que la province d'Ontario, dans le formulaire qu'elle publie ou par voie de communiqué distinct, restreint parfois la portée de l'interchangeabilité de certains médicaments et que ces renseignements sont disponibles pour tout pharmacien consciencieux qui, dans l'exercice de sa profession, devrait se tenir au courant de toute information pertinente concernant les médicaments qu'il prépare s'il veut que sa pratique soit conforme à la loi (voir les questions et réponses dans la transcription du contre-interrogatoire, dossier de la demande des demanderesses, pages 156 et 157);


d)         ne savait pas que la province d'Ontario exigeait du fabricant de la deuxième marque ou de la marque subséquente d'un médicament sollicitant le statut d'interchangeabilité qu'il fournisse une copie de la monographie du produit (voir la transcription du contre-interrogatoire, dossier des demanderesses, page 60); au cours de l'argumentation, l'avocat d'Apotex m'a fourni une copie du règlement Ontario Regulation 935 pris conformément à la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation, qui prévoit à l'alinéa 6(1)a) que pour que chaque dosage d'un médicament soit considéré interchangeable, il faut présenter au ministre de la Santé de l'Ontario une copie de la monographie du produit approuvée par Santé Canada;

e)         a confirmé que la monographie d'un produit devrait normalement figurer dans un ouvrage comme le CPS, et donc que les indications approuvées devraient y être énumérées. Un débat entre l'avocat d'Apotex et M. Pignataro s'en est suivi sur la question de savoir si un pharmacien pourrait préparer un produit qui n'est pas approuvé pour une utilisation particulière. Au cours de ce débat, M. Pignataro a reconnu ne pas être familier avec les exigences de la Loi sur les aliments et drogues (voir le dossier des demanderesses, pages 160 à 167);

f)          a affirmé ne pas savoir qu'un fabricant de médicament qui n'a pas obtenu l'approbation du ministre fédéral de la Santé pour une indication particulière d'un produit déterminé n'est pas autorisé par la loi à en faire la publicité ou la commercialisation en ce qui concerne l'utilisation non approuvée, mais il s'est ensuite rétracté et a reconnu qu'un fabricant de médicament ne pouvait en effet pas agir ainsi (dossier des demanderesses, page 166, réponses aux questions 80 et 81) et que la monographie de produit n'indiquerait pas une utilisation non approuvée mais seulement les utilisations approuvées (dossier des demanderesses, pages 166 et 167);


g)         n'est pas familier avec la procédure d'inscription sur le formulaire du régime ontarien de médicaments gratuits (dossier des demanderesses, page 167);

h)         a concédé, dans le dossier des demanderesses à la page 169, qu'il n'avait pas fait d'étude pour étayer son affirmation selon laquelle un nombre appréciable de patients souffrent d'infections à H. pylori;

i)          a confirmé que l'oméprazole est un médicament pouvant être utilisé pour le traitement des infections à H. pylori, qu'une ordonnance pour l'oméprazole ne lui indiquerait pas si le médicament est ainsi utilisé et que si le médecin souhaitait s'assurer que seul le LOSEC soit préparé, il pouvait y inscrire [traduction] « LOSEC, aucune substitution » (dossier des demanderesses, pages 169 et 170);

j)          a reconnu qu'il était pratique courante pour les fabricants de médicaments d'envoyer des communiqués aux pharmaciens en ce qui concerne les indications approuvées de leurs produits.

[33]            Contre-interrogé par l'avocat des demanderesses, M. Pignataro a donné un exemple d'utilisation non approuvée d'un produit dont Apotex avait fait la promotion puis a reconnu qu'il était possible qu'il se soit trompé sur la nature du communiqué d'Apotex (dossier des demanderesses, pages 188, 189 et 190 à 193); il a reconnu, relativement au litige entre Apotex et la province d'Ontario, que l'utilisation de la version générique de la sertraline comportait une restriction; il en était conscient et s'efforcerait de la respecter. Aussi, si une telle restriction était imposée dans le cas de l'oméprazole, il s'efforcerait également de la respecter (transcription produite par les demanderesses, page 193).

[34]            En contre-interrogatoire, M. Wilton    :


a)          a confirmé qu'il n'est pas médecin, qu'il est un pharmacien détenteur d'un permis de l'Ontario, qu'il est familier avec le formulaire ontarien dont tous les pharmaciens de la province ont une copie puisque ce formulaire comporte des renseignements sur les classes thérapeutiques de médicaments, les marques des produits (génériques ou autres) et sur l'interchangeabilité;

b)         a reconnu avoir vu, à l'occasion, des cas où des restrictions à l'interchangeabilité avaient été imposées en raison de l'utilisation d'une marque (dossier des demanderesses, page 261);

c)         a confirmé que l'objet général du brevet 762 était une invention consistant en la combinaison d'une substance qui accroît le pH intragastrique et d'un composé antibactérien dégradable en milieu acide, et visait la combinaison, sous forme posologique unique ou autrement, de substances telles que l'oméprazole et un antibactérien. La décision d'utiliser cette combinaison pour le traitement d'un patient, a-t-il reconnu, relève du médecin (dossier des demanderesses, page 265);

d)         a confirmé, en ce qui concerne le brevet 668, que dans chacune des trois revendications, l'utilisation portait sur le traitement des infections à Campylobacter, donc causées par la bactérie H. pylori;

e)         a reconnu, à le lecture de l'extrait du CPS 2002 concernant le LOSEC, qu'on y faisait référence à plusieurs endroits à l'utilisation combinée, à savoir l'oméprazole avec un antibiotique, et que le gouvernement fédéral avait approuvé cette utilisation du LOSEC pour l'éradication du H. pylori (dossier des demanderesses, pages 268 et 269);


f)          a confirmé que les « Renseignements destinés aux patients » du CPS 2002 concernant le LOSEC indiquaient que l'une des utilisations les plus courantes de ce médicament est d'inhiber la sécrétion d'acide gastrique lorsque nécessaire pour le traitement d'ulcères, dont les ulcères causés par des infections à la bactérie H. pylori, comprenaient une indication relativement à l'éradication de H. pylori et précisaient que le LOSEC pouvait être prescrit en combinaison avec un antibiotique (dossier des demanderesses, page 271, et pages 917 et B142 du CPS citées au dossier des demanderesses, pages 287 et 288);

g)         n'est pas familier avec les pratiques actuelles d'Apotex en ce qui concerne l'inscription de ses nouveaux produits sur la liste, dans les cas où la quantité de renseignements fournis par Apotex dans le CPS était similaire à la quantité de renseignements fournis à l'égard du LOSEC (dossier des demanderesses, pages 272 et 273);

h)         a reconnu que le CPS contenait des monographies de produits abrégées et que le médecin qui souhaitait avoir plus d'information sur un produit particulier pouvait les consulter (dossier des demanderesses, page 274);

i)          a reconnu, à la page 282 du dossier des demanderesses, que seul le médecin, et peut-être le patient s'il lui a dit, saura pourquoi un médicament particulier est prescrit (dossier des demanderesses, page 283).

[35]            En contre-interrogatoire, l'avocat des demanderesses a demandé à M. Wilton combien d'exemples de restrictions à l'interchangeabilité il connaissait en Ontario. Il a répondu : [traduction] « J'en connais probablement deux » .


b)         Preuve présentée par Apotex

[36]            Apotex a présenté un seul affidavit - celui du Dr Bernard Sherman, son président et directeur général, qui a fondé la société en 1972 et qui détient un doctorat en ingénierie des systèmes obtenu en 1967.

[37]            Il a retracé la genèse de la présente instance : sa présentation de drogue nouvelle au ministre et son avis d'allégation aux demanderesses.

[38]            Le Dr Sherman a expliqué le fondement juridique et factuel de l'allégation de non-contrefaçon des brevets 668 et 762 par Apotex en ce qui a trait à la fabrication, l'utilisation ou la vente des comprimés d'Apo-oméprazole.

[39]            En ce qui concerne le brevet 668, il a souligné que les revendications portaient sur l'utilisation - à savoir l'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter - et qu'Apotex ne fabriquerait, n'utiliserait ou ne vendrait pas son produit à une telle fin, ne solliciterait pas l'approbation du gouvernement fédéral pour une telle utilisation et n'indiquerait pas cette utilisation dans sa monographie de produit.


[40]            En ce qui concerne le brevet 762, le Dr Sherman a souligné que les revendications de ce brevet étaient limitées aux combinaisons de l'oméprazole avec un antibiotique ou un composé antibactérien, en plus d'être limitées au traitement de certaines maladies ou à l'augmentation de la biodisponibilité. Il a répété que ses comprimés d'Apo-oméprazole ne constituent pas une association médicamenteuse et qu'Apotex ne sollicitera pas d'approbation pour une telle utilisation de son produit en combinaison avec un antibiotique ou un composé antibactérien. Le Dr Sherman a affirmé qu'Apotex soutenait également qu'elle ne solliciterait pas d'approbation pour l'utilisation de son produit pour le traitement de l'une des maladies énumérées au brevet 762, ou pour l'augmentation de la biodisponibilité, et plus particulièrement, qu'aucune telle utilisation ne sera indiquée dans sa monographie de produit.

[41]            Le Dr Sherman a confirmé que, dans le cadre de sa PDN, Apotex devait produire un projet de monographie de produit établissant les utilisations projetées une fois l'approbation du ministre obtenue. Il a affirmé qu'une fois passé le stade de l'approbation finale, la monographie de produit fera partie intégrante des documents afférents à l'avis de conformité.

[42]            Au paragraphe 16 de son affidavit, il a affirmé que la poursuite des demanderesses est frivole, vexatoire et constitue un abus de procédure pour les motifs qui suivent.

[43]            En ce qui concerne le brevet 668, le Dr Sherman a affirmé que ce brevet ne revendique pas le médicament oméprazole en soi et se limite aux utilisations revendiquées, à savoir l'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter.

[44]            Le Dr Sherman a répété l'engagement d'Apotex et a réaffirmé que sa monographie de produit, une fois l'avis de conformité obtenu, ne comportera pas d'utilisation pour le traitement des infections à Campylobacter, ne fera aucunement mention des infections à Campylobacter et sera limitée à l'utilisation visant à inhiber la sécrétion d'acide gastrique. Il dit que, en conséquence et conformément à la loi, Apotex ne pourra pas conseiller et ne conseillera pas aux médecins ou aux pharmaciens de prescrire ou de délivrer ses comprimés d'Apo-oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter. Il a ajouté ceci au paragraphe 20 de son affidavit :

[traduction]


20.           Malgré ce qui précède, les demanderesses allèguent que, en raison de la possibilité qu'un pharmacien délivre erronément à un patient des comprimés pour le traitement d'une infection à Campylobacter, un tel événement constituerait un acte de contrefaçon par Apotex. Contrairement à ce qu'affirment les demanderesses, en aucunes circonstances, y compris les circonstances mentionnées précédemment concernant la délivrance erronée de comprimés d'Apo-oméprazole d'Apotex, cette dernière ne contrefera le brevet 668.

[45]            En ce qui concerne le brevet 762 et l'allégation d'Apotex, le Dr Sherman a réparti les 77 revendications de ce brevet en huit groupes.

[46]            Il a déclaré que les revendications 1 à 10 revendiquent [traduction] « une association sous la forme d'une composition pharmaceutique » comprenant un composé inhibiteur des récepteurs H2 à l'histamine (l' « inhibiteur des récepteurs H2 » ) ou un inhibiteur de la pompe à protons en plus d'un composé antibactérien, lorsqu'il est utilisé pour le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal, alors que les revendications 11 à 20 sont décrites similairement comme une association sous la forme d'une composition pharmaceutique comprenant les deux mêmes éléments, le composé inhibiteur des récepteurs H2 ou l'inhibiteur de la pompe à protons en plus du composé antibiotique servant au même traitement, mais définissant la cause de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal comme étant H. pylori.

[47]            Selon l'analyse du Dr Sherman, les revendications 21 à 34 et 41 à 46 renvoient à « une association pharmaceutique » comprenant soit l'inhibiteur des récepteurs H2 ou de la pompe à protons en plus d'un composé antibactérien lorsqu'elle est utilisée dans le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal, alors que les revendications 47 à 57 revendiquent une association pharmaceutique comprenant de l'oméprazole ou du lansoprazole (ou un sel pharmaceutiquement acceptable) comme l'inhibiteur de la pompe à protons en plus de l'antibiotique, lorsqu'elle est utilisée dans le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal.


[48]            Le Dr Sherman s'est ensuite attaqué aux revendications 35 à 40 et 58 à 65 qui, selon lui, revendiquent l'utilisation soit de l'inhibiteur des récepteurs H2 ou de la pompe à protons en plus du composé antibactérien dans le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal causés par H. pylori, alors que les revendications 66 et 67 revendiquent l'utilisation de l'oméprazole ou d'un sel pharmaceutiquement acceptable comme le produit inhibiteur en plus de l'antibiotique dans le traitement de la gastrite et de l'ulcère gastro-duodénal.

[49]            Le Dr Sherman a ensuite affirmé que les revendications 68 à 76 portent sur l'utilisation de l'inhibiteur des récepteurs H2 ou de la pompe à protons pour augmenter la biodisponibilité du composé antibactérien tandis que la revendication 77 porte sur l'utilisation de l'oméprazole à cette fin.

[50]            Après avoir effectué cette analyse, le Dr Sherman a dit ceci aux paragraphes 22 et 23 de son affidavit :

[traduction]

22.          Les revendications du brevet 762 qui précèdent voient leur portée limitée d'au moins deux façons. Premièrement, toutes les revendications sont limitées à des combinaisons, que ce soit en tant que composition unique ou autrement, d'oméprazole avec un antibiotique ou un composé antibactérien. Deuxièmement, toutes les revendications sont limitées à l'utilisation de l'oméprazole, en combinaison avec un antibiotique ou un composé antibactérien, pour le traitement de certaines maladies ou pour l'augmentation de la biodisponibilité. [Non souligné dans l'original.]

23.           L'Apo-oméprazole d'Apotex n'est pas une association médicamenteuse et, pour cette raison, il échappe totalement au brevet 762. Plus particulièrement, tel que précisé dans la monographie de produit d'Apotex :

a)              la composition qu'Apotex désire fabriquer et vendre contiendra uniquement de l'oméprazole magnésien, et non de l'oméprazole et un antibiotique ou un composé antibactérien;

b)            l'Apo-oméprazole d'Apotex n'est pas indiqué et ne sera pas approuvé pour être utilisé en combinaison avec un antibiotique ou un composé antibactérien.


[51]            Le Dr Sherman a ajouté que les revendications du brevet 762 ne seront pas contrefaites en ce qu'Apotex ne sollicite pas d'approbation pour les utilisations précises indiquées dans ces revendications (que ce soit pour une utilisation seule ou en combinaison avec un antibiotique ou un composé antibactérien). Il a répété que sa monographie de produit se limite aux indications d'utilisation pour inhiber la sécrétion d'acide gastrique et qu'elle ne comportera pas d'indication pour le traitement de la gastrite et des ulcères gastro-duodénaux, quelle qu'en soit la cause, ou particulièrement ceux causés par H. pylori, ni pour augmenter la biodisponibilité d'un composé antibactérien. Il a ainsi conclu au paragraphe 25 de son affidavit :

[traduction]

25.            Compte tenu de ce qui précède, il est évident qu'aucune revendication du brevet 762 n'établit de prétentions concernant le médicament oméprazole en soi ou ses utilisations ni concernant aucun autre médicament en soi ou ses utilisations. En conséquence, tout fabricant générique est libre de commercialiser et de vendre le médicament oméprazole en soi au Canada et est également libre de commercialiser et vendre un antibiotique ou un composé antibactérien sans contrefaire le brevet 762. La présente procédure frivole n'est fondée que sur l'interaction potentielle et conjecturale entre ces deux produits une fois sur le marché.

[52]            Le Dr Sherman analyse ensuite l'affidavit de M. Wilton pour faire ressortir la nature conjecturale à son avis de la présente instance. Renvoyant particulièrement au paragraphe 33 de cet affidavit, il indique que M. Wilton ne fait que supposer qu'Apotex « sera en mesure » d'induire les médecins, les pharmaciens ou les patients à contrefaire le brevet 762 sur la base de documents ou de matériel promotionnel ou autre qu'il n'a jamais vus. Il ajoute que M. Wilton ne va toutefois pas jusqu'à supposer qu'Apotex fera effectivement la promotion de ses comprimés d'Apo-oméprazole de façon illégale ou contraire aux utilisations pour lesquelles ils auront été approuvés.


[53]            Le Dr Sherman affirme que les demanderesses n'allèguent pas en preuve que, par ses compagnes de promotion, Apotex encouragera ou tentera d'inciter les médecins, les pharmaciens ou les patients à utiliser les comprimés d'Apo-oméprazole en combinaison avec un composé antibactérien quelconque. En conséquence, le Dr Sherman affirme que la contrefaçon alléguée du brevet 762 est manifestement une conjecture.

[54]            Il réaffirme l'engagement d'Apotex de ne pas, par sa promotion, encourager ni tenter d'inciter les médecins, les pharmaciens ou les patients à utiliser les comprimés d'Apo-oméprazole en combinaison avec un antibiotique ou un composé antibactérien.

[55]            Au paragraphe 29 de son affidavit, le Dr Sherman arrive à la conclusion que, en conséquence, le seul motif allégué par les demanderesses pour réfuter les allégations d'Apotex relativement aux revendications, [traduction] « à savoir qu'Apotex " sera en mesure " de contrefaire le brevet ou qu'elle sera " en mesure " de faire en sorte que d'autres personnes le fassent, est sans aucun fondement » .

[56]            Il indique ses conclusions aux paragraphes 31 à 33 de son affidavit :

[traduction]

31.           Il est évident, compte tenu de ce qui précède, que les revendications des brevets 668 et 762 sont toutes limitées à certaines utilisations et que les revendications du brevet 762 sont également limitées aux combinaisons de l'oméprazole avec un antibiotique ou un composé antibactérien.

32.           Il est également évident, compte tenu de ce qui précède, qu'Apotex ne sollicitera pas d'approbation concernant l'une ou l'autre des utilisations revendiquées dans les brevets 668 et 762 et qu'aucune autre utilisation ne sera ajoutée dans sa monographie de produit.

33.           De plus, les demanderesses n'ont soumis aucun élément de preuve établissant qu'Apotex, dans sa promotion, encouragera effectivement les médecins, les pharmaciens ou les patients à contrefaire les brevets visés (et j'ai indiqué dans le présent affidavit qu'Apotex ne le fera pas). En conséquence, la présente demande est frivole, vexatoire et constitue un abus de procédure.


[57]            Le Dr Sherman a été contre-interrogé sur son affidavit. Il a confirmé détenir une expertise en ce qui concerne le système canadien de réglementation des médicaments, brevetés ou non, et les pratiques de médecins et des pharmaciens dans ce contexte.

[58]            Le Dr Sherman a reconnu (dossier des demanderesses, page 200) que les comprimés d'Apotex constitueraient un équivalent thérapeutique du LOSEC s'ils étaient prescrits aux mêmes fins. Il a indiqué que cette équivalence est inhérente au composé et que l'effet du composé, quel qu'il soit, est inhérent et ne dépend de rien d'autre que de ses propriétés intrinsèques.

[59]            Il a confirmé que la monographie de produit présentée comme pièce à l'appui de l'affidavit de M. Wilton est celle que le ministre a actuellement en sa possession, mais que des modifications pourraient y être apportées à la demande de ce dernier (dossier des demanderesses, page 204).

[60]            L'avocat des demanderesses a attiré l'attention du Dr Sherman sur la monographie de produit d'Apotex et, en particulier, sur la phrase suivante de la partie « Renseignements destinés aux patients » à la page 22 de ce document :

[traduction] L'Apo-oméprazole agit en réduisant la quantité d'acide sécrété par l'estomac. Cela aide à traiter les problèmes liés à l'acidité gastrique et aux bactéries présentes dans l'estomac.

[61]            L'avocat a demandé au Dr Sherman si l'expression [traduction] « problèmes digestifs liés aux bactéries » constituait une allusion au H. pylori. Voici un extrait de l'échange (dossier des demanderesses, page 206) :

[traduction]

R.             Il est ici question de la conséquence de la réduction de l'acidité de l'estomac.

Q.            À quelle bactérie fait-on référence?


R.            Je ne sais pas.

Q.            Vous ne savez pas, mais vous savez que H. pylori est une bactérie?

R.            Oui.

Q.            Est-ce la bactérie qui cause les problèmes digestifs dont il est question dans ces brevets?

R.            Je ne sais pas.

Q.            Ai-je raison de dire qu'Apotex a copié la partie « Renseignements destinés aux patients » à partir de la monographie de produit des demanderesses?

R.            Je n'en suis pas certain. C'est possible. En fait, ces documents sont délivrés par le gouvernement en fin de compte. Il s'agit en réalité de ce que le gouvernement veut que nous inscrivions dans la monographie de produit et c'est la même chose pour les deux firmes.

Il est possible que, scientifiquement, l'action d'inhiber l'acidité ait pour effet secondaire de réduire le nombre de bactéries. En fait, la monographie parle de « traiter les problèmes liés aux bactéries présentes dans l'estomac » . Il n'y est pas question de l'éradication des bactéries. Il est question du traitement du problème, à savoir l'ulcère.

Q.            Je suis certain que votre avocat fera plus tard valoir des arguments sur cette question. Je crois que vous avez déjà répondu à mes questions selon vos connaissances en ce qui concerne les usages thérapeutiques et la terminologie employée.

R.            Si vous lisez la partie « Indications » , le produit est recommandé pour réduire l'acidité gastrique, ce qui sert bien sûr également pour le traitement des ulcères. Les ulcères peuvent être d'origine bactérienne, mais cela ne change rien au fait que l'indication porte sur le traitement de l'excès d'acidité gastrique, et c'était la même indication qui apparaissait avant que votre client ne dépose sa demande pour le brevet présentement en cause.

[62]            L'avocat des demanderesses a ensuite interrogé le Dr Sherman pour savoir si Apotex avait publié des documents renvoyant au traitement de l'infection à H. pylori à l'aide de l'oméprazole et, après discussion, deux documents intitulés « Pharmawise - An Info Letter Provided to Caregivers by your Community Pharmacist » , ont été produits comme pièces jointes au contre-interrogatoire du Dr Sherman.


[63]            Le dernier numéro de Pharmawise est le volume 5, n º 1; on y indiquait que des numéros antérieurs de Pharmawise pouvaient être obtenus et on y dressait une liste complète de tous les numéros de Pharmawise déjà publiés [traduction] « que vous pouvez commander par le biais de votre représentant Apotex » . Un de ces numéros antérieurs est le n º 4 du volume 1 de Pharmawise, publié à l'hiver 1997 et intitulé « H. pylori Infection and Peptic Ulcers » . La brochure Pharmawise mentionne que Pharmawise est rédigé et publié par un auteur identifié et est [traduction] « distribué grâce à l'appui de la Pharmacie [un espace est prévu pour indiquer le nom de la pharmacie ayant distribué le document], du Programme de formation continue d'Apotex (PACE), du Conseil consultatif d'Apotex et de votre pharmacien. On peut avoir accès aux articles mentionnés en référence dans cette lettre d'information en communiquant avec le Service des affaires professionnelles d'Apotex » .

[64]            Le numéro d'hiver 1996 de Pharmawise portant sur les infections à H._pylori et les ulcères gastro-duodénaux traite des causes des ulcères gastro-duodénaux et identifie H._pylori comme l'une des causes principales. On y donne un bref aperçu historique du traitement des ulcères gastro-duodénaux, qui consistait au départ en une chirurgie radicale ou en la consommation de quantités massives d'antiacides. On y déclare que tout a changé à la suite de la découverte des inhibiteurs des récepteurs H2 et des inhibiteurs de la pompe à protons, dont trois sont nommés : lansoprazole (Prevacid), oméprazole (LOSEC) et pantoprazole (Pantoloc). Ce document aborde également la question de l'éradication de H._pylori et indique quels patients devraient recevoir le traitement d'éradication de H._pylori et pourquoi.


[65]            Le Dr Sherman a expliqué que Pharmawise est une brochure scientifique publiée à des fins de formation continue par des experts indépendants à l'intention des professionnels de la santé. Il a affirmé qu'Apotex n'en est ni l'auteur, ni l'éditeur et n'a pas de contrôle sur le contenu. Il a ajouté que le numéro d'hiver 1997 de Pharmawise ne faisait pas même référence au produit d'Apotex; il faisait référence au LOSEC, le produit des demanderesses.

[66]            Au cours de son contre-interrogatoire, le Dr Sherman a confirmé à plusieurs occasions qu'Apotex ne faisait pas la promotion de son produit auprès des médecins qui rédigent les ordonnances. Apotex ne distribue pas sa monographie de produit aux médecins. Le Dr Sherman a indiqué que les pharmaciens constituent sa clientèle, mais que ceux-ci ne rédigent pas d'ordonnances.

[67]            Il a affirmé qu'il arrive, en de rares occasions, que le public contacte Apotex directement pour déposer une plainte et a assuré que les employés du Service des affaires professionnelles d'Apotex ne donnent aucune consultation médicale aux membres du public qui appellent chez Apotex. La personne doit être référée à son médecin ou son pharmacien.

[68]            Le Dr Sherman a reconnu que si Apotex recevait l'approbation demandée pour ses comprimés d'Apo-oméprazole, elle publierait un communiqué qu'elle enverrait à tous les pharmaciens du Canada pour les aviser de la mise en vente des comprimés. Il est possible que des renseignements soient également envoyés dans les hôpitaux.

[69]            Le Dr Sherman a indiqué que les activités de commercialisation d'Apotex visaient principalement à ravir les parts de marché d'autres fabricants de médicaments génériques et non de fabricants de médicaments brevetés.


[70]            On a demandé au Dr Sherman s'il était au courant de l'existence d'une loi quelconque prévoyant qu'un médecin peut uniquement prescrire des médicaments pour des utilisations approuvées. Il a répondu par la négative en indiquant que les lois ne font que restreindre la capacité des sociétés pharmaceutiques de faire la promotion de leurs produits, tandis que le médecin est libre de faire ce qu'il veut en ce concerne ses patients dans la mesure où il respecte les considérations déontologiques, les limites que lui imposent les lois de sa province et les règles de pratique du Collège des médecins. Le Dr Sherman ne pensait pas que les lois en matière de brevets entravaient en quoi que ce soit la façon dont le médecin traite ses patients.

[71]            En réponse aux engagements fournis en contre-interrogatoire, Apotex a confirmé que 1 018 copies de l'édition d'hiver 1997 de Pharmawise avaient été distribuées à des pharmaciens de pratique privée, dans des hôpitaux et dans des établissements universitaires au Canada.

[72]            Apotex a également confirmé qu'aucun document n'avait été ou ne serait distribué au public en ce qui touche le traitement de H. pylori ou de Campylobacter ou encore le traitement des ulcères gastro-duodénaux, et qu'aucun document ou communiqué interne, quel qu'il soit, ne circulait chez Apotex concernant des projets ou des stratégies de commercialisation pour les comprimés d'Apo-oméprazole.

ANALYSE

a)         La jurisprudence


[73]            Au cours des dernières années, une jurisprudence abondante a été établie par notre Cour et par la Cour d'appel fédérale relativement aux procédures en matière d'avis de conformité et, plus précisément, sur la portée et les circonstances dans lesquelles la contrefaçon indirecte par les pharmaciens ou les patients peut être établie de façon suffisante pour conclure au mal-fondé de l'allégation de non-contrefaçon par le fabricant générique, de sorte qu'une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer l'avis de conformité au fabricant générique puisse être rendue.

[74]            Il faut considérer l'ordre dans lequel les décisions ont été rendues, et les questions examinées, pour pouvoir en comprendre les motifs.

[75]            La première décision que je vais examiner est La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 1151, rendue par le juge McKeown le 23 octobre 2001. La question de la contrefaçon indirecte y a été soulevée mais n'a pas été considérée. Le juge McKeown a estimé que l'avis d'allégation de Genpharm était frappé d'un vice fatal parce que celle-ci n'avait pas dit que son produit ne serait pas utilisé dans le cadre d'une thérapie cyclique intermittente pour le traitement de l'ostéoporose, et donc qu'aucune revendication du brevet détenu par P & G ne serait contrefaite advenant la délivrance d'un avis de conformité.

[76]            La décision suivante, AB Hassle, précitée, a été rendue le 16 novembre 2001 par le juge O'Keefe. Dans cette affaire, Apotex demandait au ministre de délivrer un avis de conformité pour des gélules d'Apo-oméprazole. Le brevet 668 était visé et les deux avis d'allégations étaient identiques.


[77]            Les demanderesses, AB Hassle et AstraZeneca Canada Inc., ont prétendu qu'elles n'ont pas à prouver la contrefaçon du brevet 668 par Apotex, mais qu'elles sont en droit d'obtenir la délivrance d'une ordonnance d'interdiction si elles démontrent, suivant la prépondérance de la preuve, qu'il y aura contrefaçon en général advenant la délivrance d'un avis de conformité à Apotex. Le juge O'Keefe a examiné plusieurs questions, notamment celle de savoir si les demanderesses avaient démontré, compte tenu de la preuve, qu'Apotex inciterait ou amènerait à commettre une contrefaçon du brevet 668 si un avis de conformité était délivré.

[78]            La thèse des demanderesses dans cette affaire était similaire à celle présentée devant moi en l'espèce (voir le paragraphe 70 des motifs de l'ordonnance du juge O'Keefe). Dans cette affaire, les demanderesses ont produit trois affidavits, le premier de Mme Murphy, une dirigeante d'AstraZeneca Canada, le deuxième du Dr Pinto, médecin, et le troisième de Mme Samuel, pharmacienne. Le juge O'Keefe a conclu que les demanderesses n'avaient pas réussi à démontrer, compte tenu de la preuve, qu'une contrefaçon directe serait forcément commise par les pharmaciens, médecins, patients et autres tiers si un avis de conformité était délivré à Apotex et que, par conséquent, elles n'avaient pas prouvé le mal-fondé de l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex.

[79]            Le 8 juillet 2002, la Cour d'appel fédérale a rendu sa décision sur l'appel interjeté par Genpharm de la décision du juge McKeown. En dépit du fait que le juge McKeown n'avait pas tranché la question de la contrefaçon indirecte, le juge Rothstein a examiné cette question et a conclu en faveur de P & G Canada, la titulaire du brevet.


[80]            Quelques jours plus tard, soit le 12 juillet 2002, le juge Gibson a rendu sa décision dans l'affaire AB Hassle, précitée. Les demanderesses sollicitaient une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à RhoxalPharma à l'égard des comprimés d'oméprazole administrés par voie orale jusqu'à l'expiration du brevet 668. Les déposants des demanderesses étaient les mêmes que ceux dont l'affidavit avait été produit devant le juge O'Keefe, mais aucun d'eux n'a été contre-interrogé. RhoxalPharma a déposé l'affidavit de M. Len Arsenault, son directeur des affaires en matière de réglementation, lequel a été contre-interrogé. Se fondant sur les faits qui lui avaient été présentés, le juge Gibson est arrivé à une conclusion différente de celle du juge O'Keefe. Il a estimé, au paragraphe 43 de ses motifs, qu'un lien avait été établi entre RhoxalPharma et les utilisateurs du médicament pour lequel RhoxalPharma demandait l'avis de conformité. Il a tranché en faveur des demanderesses et a délivré l'ordonnance d'interdiction demandée.

[81]            En post-scriptum à ses motifs d'ordonnance, le juge Gibson a examiné l'arrêt Genpharm, précité, de la Cour d'appel fédérale qui venait tout juste d'être rendu et que l'avocat des demanderesses lui avait fourni. Il n'a pas jugé utile de réouvrir l'audience pour entendre leurs observations à la lumière de cet arrêt parce qu'il était raisonnablement convaincu que, quelles que soient ces observations, elles ne modifieraient pas le résultat de son analyse.

[82]            Le 1er novembre 2002, la Cour d'appel fédérale a rendu la décision AB Hassle, précitée, en appel de la décision du juge O'Keefe en date du 16 novembre 2001. Elle a rejeté l'appel.

[83]            Après que j'ai pris la présente affaire en délibéré, l'avocat des demanderesses m'a fait parvenir une copie de la décision de la juge Layden-Stevenson en date du 22 décembre 2003. Les demanderesses dans cette affaire étaient les mêmes que dans la présente affaire. La défenderesse était Genpharm Inc. Les brevets visés étaient notamment les brevets 668 et 762 pour lesquels Genpharm avait présenté un avis d'allégation où elle alléguait la non-contrefaçon. Dans cette affaire, Genpharm alléguait également l'invalidité de deux autres brevets.


[84]            Dans sa décision, publiée sous la référence 2003 CF 1443, la juge Layden-Stevenson a estimé, relativement au brevet 668, que si un avis de conformité était délivré et que Genpharm vendait ses comprimés d'oméprazole, les patients contreferaient la nouvelle utilisation visée par le brevet d'Astra. En ce qui concerne le brevet 762, elle a conclu que Genpharm n'avait pas traité de certaines revendications du brevet et qu'elle n'avait pas produit dans son énoncé détaillé les faits pertinents quant aux revendications touchant la prise de l'oméprazole avec un antibiotique, mais non sous forme posologique unique. La juge a estimé que, ce faisant, Genpharm n'avait pas avancé les faits nécessaires pour soutenir son allégation de non-contrefaçon de ces revendications particulières et que, par conséquent, son avis d'allégation ne pouvait être considéré comme fondé. Elle a également conclu que, dans l'hypothèse où elle ferait erreur à ce sujet, ses conclusions de fait sur la preuve relative au brevet 668 s'appliqueraient aux revendications du brevet 762 touchant le H. pylori et que l'allégation de Genpharm ne serait pas fondée non plus en raison de la contrefaçon de brevet qui aurait lieu.

[85]            Aussi, en l'espèce, l'avocat d'Apotex m'a fait parvenir, alors que j'avais pris l'affaire en délibéré, deux décisions récentes de mes collègues les juges Russell et Snider, dont je n'ai pas tenu compte.

[86]            En ce qui concerne la décision de la juge Layden-Stevenson dans Genpharm, précitée, je n'y ai pas eu recours pour fonder mon analyse, mais l'ai simplement lue pour en dégager les conclusions de fait.


b)          Examen et conclusions

(i)         Question no 1 - L'avis d'allégation d'Apotex est-il entaché d'un vice?

[87]            À l'appui de son allégation de non-contrefaçon des revendications 1 à 34 et 41 à 57 du brevet 762, Apotex a fait valoir que ses comprimés d'Apo-oméprazole ne sont pas une association médicamenteuse puisque leur principe actif unique est l'oméprazole.

[88]            Selon les demanderesses, cette affirmation est fondée sur une interprétation erronée du brevet, à savoir que les revendications se limitent à un produit unique (comprimé) comportant deux principes actifs - l'oméprazole et l'antibiotique -, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque la combinaison peut être produite en deux comprimés séparés, chacun comprenant un des deux principes actifs nécessaires. Je ne partage pas l'avis des demanderesses.

[89]            Il n'y a pas de doute que la nouveauté ou la découverte divulguée dans le brevet 762 est obtenue par la combinaison, à savoir l'assemblage, l'association ou le mélange de l'oméprazole et de l'antibiotique, dans le but de rendre l'antibiotique plus efficace pour l'éradication du H. pylori.

[90]            En affirmant que l'Apo-oméprazole n'est pas une association médicamenteuse, Apotex a énoncé comme un fait que son comprimé ne constituerait pas une association ou un mélange de l'oméprazole et d'un antibiotique, affirmation qui vise à la fois le comprimé unitaire, les formes posologiques séparées ou les deux comprimés. Si cette affirmation s'avère exacte, cet énoncé de fait justifie son allégation.


[91]            L'objet de l'énoncé détaillé exigé par le Règlement est d'aviser le titulaire du brevet des motifs allégués par le fabricant générique à l'appui de son allégation de non-contrefaçon (voir les motifs du juge Stone dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (CAF), aux paragraphes 16 à 19, et SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (2000), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.).

[92]            De plus, une partie à une instance en matière d'avis de conformité ne peut ajouter de faits nouveaux à l'avis d'allégation délivré, mais elle peut fournir des éléments de preuve à l'appui des faits indiqués dans cet avis (voir les motifs du juge Stone dans AB Hassle, précitée, au paragraphe 25).

[93]            Les demanderesses étaient parfaitement au courant qu'Apotex avait inscrit les deux formules (voir son avis d'allégation au paragraphe 16) et ont présenté des éléments de preuve pour démontrer l'argument auquel le Dr Sherman a répondu.

[94]            Pour le cas où mon raisonnement sur cette question serait erroné, je vais me prononcer sur le fond du litige pour le même motif que le juge Rothstein dans Genpharm, précitée, puisqu'il ressort clairement du brevet 762 que l'utilisation constitue un élément essentiel de toutes les revendications.

(ii)        Question no 2 - L'utilisation par les patients contrefera-t-elle l'un ou l'autre des brevets 688 ou 762?

[95]            Pour répondre à cette question, il faut examiner les arrêts de la Cour d'appel fédérale La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, précité, en date du 8 juillet 2002, et AB Hassle, précité, en date du 1er novembre 2002.

[96]            Le juge Rothstein s'est prononcé au nom de la Cour dans l'affaire Genpharm. La formation de la Cour était complétée par les juges Linden et Sharlow.


[97]            Le juge Rothstein a confirmé la décision du juge McKeown en ce qui concerne le vice fatal entachant l'avis d'allégation de Genpharm et a rejeté l'appel en se fondant sur ce motif. Bien que le juge McKeown ne se soit pas prononcé sur le fond, le juge Rothstein a estimé approprié de se prononcer de novo sur le fond étant donné qu'une ordonnance d'interdiction fondée sur un vice de procédure pouvait peut-être amener Genpharm à signifier un autre avis d'allégation qui ne soit pas entaché d'un tel vice. P & G pourrait alors présenter une autre demande d'interdiction et la question serait décidée au fond. Comme cela n'aurait été d'aucune utilité, et pour prévenir un litige inutile, le juge Rothstein a choisi d'examiner l'affaire au fond puisque les parties avaient elles-mêmes abordé le fond de l'affaire dans leurs affidavits et contre-interrogatoires ainsi que dans leur plaidoirie devant la Cour.

[98]            L'affaire Genpharm, précitée, mettait en cause une ancienne utilisation par opposition à une nouvelle. L'étidronate disodique était utilisé pour le traitement de deux maladies relativement rares, et le produit de P & G pour traiter ces maladies était le Didronel. L'invention faisant l'objet du brevet 376 comportait l'utilisation de l'étidronate disodique en cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. Ce produit de P & G était le Didrocal.

[99]            Le juge Rothstein expose, au paragraphe 31 de ses motifs, les éléments de preuve étayant les arguments d'AB Hassle selon lesquels son brevet serait contrefait par la vente de Gen-étidronate par Genpharm :

¶ 31       P & G prétend que ses revendications du brevet 376 pour l'utilisation en cycles intermittents d'un polyphosphonate, à savoir l'étidronate disodique, pour le traitement de l'ostéoporose, seraient contrefaites advenant la vente par Genpharm de son produit d'étidronate disodique. P & G invoque les éléments de preuve suivants à l'appui de cette prétention.

1. Genpharm utilise 14 comprimés de Gen-étidronate contenant de l'étidronate disodique, emballés sous alvéoles thermoformées et présentés en bandes, ce qui correspond au traitement intermittent et cyclique de l'ostéoporose décrit dans le brevet 376. C'est le même emballage que celui utilisé par P & G pour son produit Didrocal.


2. Genpharm se propose de vendre son produit Gen-étidronate à la fois en comprimés de 200 mg et de 400 mg, bien que le Didronel de P & G, l'équivalent sur le marché pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité, ne soit disponible que dans le format de 200 mg. Le format de 400 mg est le même que celui du produit Didrocal de P & G pour le traitement de l'ostéoporose. Si Genpharm voulait uniquement rendre son produit disponible pour la maladie de Paget et l'hypercalcémie de malignité, elle ne devrait se proposer de vendre son produit qu'en format de 200 mg.

3. Dans sa monographie du produit Didronel, P & G fait une mise en garde contre l'utilisation de ses produits Didronel ou Didrocal pour l'ostéoporose sans suivre la thérapie intermittente cyclique. Par contre, dans sa monographie du produit Gen-étidronate, Genpharm ne formule aucune précaution contre l'utilisation du produit pour le traitement de l'ostéoporose.

4. Genpharm a inclus dans la monographie de son produit des études qui comparent la biodisponibilité de son produit avec celle de l'étidronate disodique de Didrocal, le produit de P & G pour le traitement de l'ostéoporose, plutôt que celle de Didronel, le produit de P & G pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité.

5. Genpharm a désigné Didrocal comme produit de référence canadien. Un avis de conformité pour le produit de Genpharm indiquera le nom du produit de référence canadien et constituera une déclaration d'équivalence entre le produit Gen-étidronate de Genpharm et Didrocal. À ce titre, le produit de Genpharm, prétendument pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité, sera considéré comme l'équivalent de Didrocal, le produit utilisé pour le traitement de l'ostéoporose.

6. Le marché pour l'utilisation de l'étidronate disodique pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité est petit et déclinant alors qu'il est beaucoup plus étendu pour le traitement de l'ostéoporose.

[100]        Au paragraphe 37, le juge Rothstein s'est reporté au contre-interrogatoire des déposants de Genpharm. Il a écrit :

¶ 37       En contre-interrogatoire, les déposants de Genpharm ont :

1. refusé de confirmer que le produit de Genpharm ne serait pas interchangeable avec le Didrocal de P & G sur le marché;

2. confirmé que l'intention de Genpharm était de commercialiser son produit pour les indications énumérées dans sa PADN, que l'une de ces indications était le traitement de l'ostéoporose et que le schéma posologique de 14 jours pour les comprimés de 400 mg était le schéma posologique pour l'ostéoporose;


3. indiqué que si quelqu'un affirmait que son produit était utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, Genpharm ne prendrait aucune mesure pour prévenir une telle utilisation;

4. reconnu que le marché canadien pour l'utilisation de l'étidronate disodique dans le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité était petit et déclinant et que c'était son utilisation pour le traitement de l'ostéoporose qui en faisait un produit d'importance.

[101]        Le juge Rothstein a, aux paragraphes 38 et 39, a renvoyé à d'autres témoignages :

¶ 38       Le Dr Alan Tennenhouse, directeur du Centre des maladies osseuses de l'Université McGill et directeur de la Division du métabolisme osseux de l'Hôpital Général de Montréal, a déclaré, au paragraphe 64 de son affidavit, que le produit de Genpharm serait utilisé pour le traitement de l'ostéoporose:               

[traduction] Même si le comprimé de 400 mg de Genpharm est indiqué pour le traitement de la maladie osseuse de Paget ou de l'hypercalcémie de malignité, le produit pourrait être utilisé, et le serait en certains cas, pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose, selon le schéma cyclique mentionné ci-dessus.

¶ 39       Peter A. Cook, pharmacien licencié en Colombie-Britannique, a déclaré que si les comprimés génériques de 400 mg d'étidronate disodique n'étaient pas désignés comme non interchangeables avec le Didrocal par le College of Pharmacists de la Colombie-Britannique, il donnerait aux patients le choix entre une ordonnance de Didrocal ou de comprimés en vrac d'étidronate disodique:

[traduction] Si les comprimés génériques de 400 mg d'étidronate disodique n'étaient pas désignés comme étant non interchangeables avec DIDROCAL par le College of Pharmacists de la Colombie-Britannique, alors, pourvu que l'ordonnance ne spécifie pas que DIDROCAL ne devrait pas être substitué, j'offrirais à tout patient qui se présente avec une ordonnance de DIDROCAL le choix d'une ordonnance de DIDROCAL ou d'une ordonnance de comprimés en vrac d'étidronate disodique et peut-être aussi des suppléments de calcium. Sur demande, j'emballerais les comprimés prescrits sous alvéoles thermoformées, même si je n'offrirais pas ce service sur une base régulière.

[102]        Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le juge Rothstein a conclu au paragraphe 40 :

¶ 40       Les éléments de preuve susmentionnés me convainquent que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à l'utilisation de son produit d'étidronate disodique, le Gen-étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose si elle obtient les avis de conformité qu'elle demande. [Non souligné dans l'original.]


[103]        Le juge Rothstein a ensuite examiné les arguments de Genpharm portant que, même si la preuve établit que son produit, le Gen-étidronate, sera utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, cela ne constitue pas en soi une contrefaçon suivant le Règlement puisque celui-ci envisage la contrefaçon du point de vue du fabricant générique et non de celui des patients qui utiliseront le produit de Genpharm. Cette dernière a affirmé, en s'appuyant sur l'arrêt AB Hassle, précité, du juge O'Keefe, que la seule façon d'établir qu'elle a contrefait le brevet 376 est de déterminer qu'elle a incité les patients à la contrefaçon.

[104]        Le juge Rothstein a rejeté cet argument en soulignant que les revendications en cause dans l'appel étaient des revendications pour l'utilisation. Il a renvoyé à l'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets qui porte sur la contrefaçon directe ou indirecte d'un brevet au moment, notamment, de la délivrance d'un avis de conformité. Il a également renvoyé au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, ce qui l'a amené aux conclusions suivantes aux paragraphes 44 et 45 de ses motifs :

¶ 44       Dans le cas d'un brevet d'utilisation, si la vente d'un produit du fabricant de génériques a pour effet la contrefaçon du brevet par des patients qui font de ce produit une utilisation protégée, il y aura contrefaçon du brevet pour les fins du Règlement. Le lien entre le fabricant de génériques et la contrefaçon par le patient est la vente du produit par ce fabricant.

¶ 45       L'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifié [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2], qui autorise le gouverneur en conseil à prendre le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , prévoit qu'un règlement peut être pris concernant les circonstances où la délivrance d'un avis de conformité peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet. L'alinéa 55.2(4)e) dispose :

55.2 (1) [...]

                (4) Afin d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre du Règlement, notamment:

[...]


e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Lorsque la contrefaçon est celle d'un patient dans le cas d'un brevet pour l'utilisation, on peut considérer que la délivrance de l'avis de conformité a pour effet la contrefaçon du brevet, sinon directement, du moins indirectement. C'est la conclusion du juge Richard (tel était alors son titre) dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.), à la page 203. J'estime que cette conclusion était fondée et je la fais mienne dans la présente instance.

[105]        En conclusion, le juge Rothstein a écrit ceci aux paragraphes 48, 49 et 50 de ses motifs :

¶ 48       L'objet du Règlement semble manifeste. Si un fabricant de génériques vend un produit et que cela a pour effet la contrefaçon d'un brevet par quiconque utilise le produit, c'est la contrefaçon que le Règlement vise à empêcher. Rien n'exige que le fabricant de génériques ait incité ou amené des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet.

¶ 49       Pour ce motif, j'estime que, dans le cas de revendications pour l'utilisation, il n'est pas nécessaire que le titulaire d'un brevet établisse que, par ses actions, le fabricant de génériques incitera ou amènera des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet. Dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu'aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d'autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l'allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d'interdiction doit être rendue.

¶ 50       En l'espèce, si un patient utilise le produit de Genpharm pour l'ostéoporose, les revendications pour l'utilisation que comporte le brevet 376 de P & G seraient contrefaites. C'est la vente de son produit par Genpharm qui aurait pour effet la contrefaçon. La preuve établit de façon écrasante qu'il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen-étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l'ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l'invention suivant le brevet 376.

[106]        Dans l'affaire AB Hassle, précitée, la formation de la Cour d'appel fédérale était constituée des juges Linden, Sexton et Evans, le juge Sexton rédigeant les motifs du jugement de la Cour. Comme je l'ai mentionné, il s'agissait dans cette affaire d'un appel de la décision du juge O'Keefe. Le juge Sexton a également eu l'occasion de se pencher sur l'arrêt Genpharm, précité, de la Cour d'appel fédérale. L'appel a été rejeté.


[107]        Le juge Sexton a dit que le seul brevet en cause, le brevet 668, contenait trois revendications portant sur l'utilisation et conférait des droits exclusifs d'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter; il ne contenait aucune revendication à l'égard du composé chimique même de l'oméprazole. Il a écrit ceci aux paragraphes 10 et 11 de ses motifs :

¶ 10       Dans le cadre de sa présentation de drogue nouvelle, chaque fabricant doit inclure un projet de monographie de produit qui expose les utilisations envisagées pour le produit lorsqu'il aura reçu l'approbation du ministre. Cette approbation obtenue, la monographie de produit définitive est publiée par le ministre comme partie intégrante des documents de l'avis de conformité. Cette monographie de produit ne fait pas partie du dossier soumis à la Cour, mais Apotex s'est engagée à ce que la monographie du produit pour lequel elle obtiendra une approbation n'inclue pas d'usage pour le traitement des infections à Campylobacter. La monographie ne fera pas mention des infections à Campylobacter et se limitera à l'usage visant la réduction des sécrétions d'acide gastrique.

¶ 11       La preuve produite par les appelantes ne contient aucun élément établissant qu'Apotex avait l'intention de vendre son médicament pour l'usage interdit par le brevet 668, soit le traitement des infections à Campylobacter. En fait, Apotex affirme même le contraire et souligne dans son avis d'allégation que son produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter.

[108]        Il a estimé que l'essentiel de la décision du juge O'Keefe réside dans sa conclusion qu'il n'a pas été démontré qu'Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre son médicament pour l'usage spécifique breveté par les appelantes dans leurs trois revendications pour l'utilisation du médicament.

[109]        Le juge Sexton a exposé ainsi la thèse centrale que les demanderesses ont soumise au juge O'Keefe :

¶ 19       De manière spécifique, le juge O'Keefe a conclu que les appelantes avaient allégué et étaient tenues d'établir la thèse suivante : le pharmacien ne connaît généralement pas la raison ou l'utilisation particulière pour laquelle le médecin a prescrit un médicament. Par conséquent, même s'il savait que l'oméprazole générique produit par Apotex n'a pas été formellement approuvé pour le traitement des infections à Campylobacter, le pharmacien ne saurait généralement pas pourquoi l'oméprazole a été prescrit au patient et aurait donc tendance à délivrer le produit générique, qui coûte vraisemblablement moins cher.


¶ 20       À l'appui de cette thèse, les appelantes ont déposé trois affidavits, exposant chacun leur opinion sur les deux points suivants : 1) le médecin prescrirait vraisemblablement le médicament oméprazole sous sa forme générique pour le traitement des infections à Campylobacter et 2) le pharmacien aurait tendance à délivrer au patient le produit générique à moindre coût, ce qui entraînerait une contrefaçon du brevet 668.

[110]        Poursuivant son analyse des conclusions de fait du juge O'Keefe, le juge Sexton a conclu que les demanderesses ne s'étaient pas acquittées de leur fardeau en ce qu'elles n'avaient pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, qu'il se produira des contrefaçons. À son avis, le bien-fondé de leur thèse n'a pas été établi suivant la prépondérance de la preuve. Aux paragraphes 37 à 43, il a identifié ainsi les lacunes de cette thèse :

¶ 37       La preuve par affidavit des appelantes est entachée de nombreuses faiblesses qui contribuent à leur incapacité de s'acquitter du fardeau de la preuve. En premier lieu, les appelantes n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour que les auteurs des affidavits soient considérés comme des témoins experts sur le sujet pour lequel on leur demandait leur opinion. Par conséquent, la preuve des auteurs des affidavits n'a pas d'autre valeur que celle d'une opinion individuelle. On n'a posé aucun fondement pour établir que le Dr Pinto pouvait témoigner sur les pratiques des autres médecins. Pour la même raison, Mme Samuel, pharmacienne qualifiée, ne peut témoigner des pratiques et des connaissances des autres pharmaciens et médecins parce qu'elle n'a fourni aucun fondement à sa déclaration. Enfin, Mme Murphy n'est ni un médecin ni une pharmacienne et elle ne fournit aucune autre base de connaissances susceptible d'établir qu'elle est qualifiée pour s'exprimer avec autorité sur les pratiques de ces professions.

¶ 38       En deuxième lieu, outre leur défaut général de qualification, les trois auteurs des affidavits ne fournissent aucun élément de preuve sur la façon dont ils se sont formé ces opinions qui fondent leurs déclarations générales. Par exemple, le Dr Pinto a limité ses déclarations en les reliant à sa propre expérience : [traduction] « Selon mon expérience, quand les produits génériques sont disponibles, ils sont délivrés » . Parlant des pharmaciens qui ne respectent pas les prescriptions, il déclare : [traduction] « Je pense seulement que c'est la pratique » . [Non souligné dans l'original].

¶ 39       En troisième lieu, même si la preuve des auteurs des affidavits au sujet des pratiques d'autres personnes était admissible, les auteurs des affidavits ont fait des aveux en contre-interrogatoire qui affaiblissent l'autorité de leurs généralisations et le poids à accorder à leur témoignage. En particulier, Mme Murphy a convenu que le ministre n'approuverait que les utilisations qui auraient fait l'objet d'une demande d'approbation de la part d'un fabricant de médicaments. Le Dr Pinto a admis la même chose.

¶ 40       Par conséquent, le juge O'Keefe a accordé peu de valeur et, en fin de compte, a rejeté la preuve par affidavit étayant la thèse des appelantes. Sans le fondement de cette preuve, leur thèse ne tient pas.


¶ 41       Au demeurant, la preuve des auteurs des affidavits est entachée d'autres faiblesses. Au moment de souscrire son affidavit, Mme Murphy était dirigeante chez Astra Pharma Inc., l'une des appelantes dans la présente instance, et son témoignage d' « opinion » pouvait être considéré comme la déclaration partiale ou intéressée d'une partie intéressée.

¶ 42       Certains aspects ont affaibli davantage le témoignage du Dr Pinto, notamment : 1) il a reconnu que le patient fait confiance au médecin pour la connaissance des maladies que peut traiter le médicament prescrit; 2) il a été incapable de donner des exemples d'incidents où des pharmaciens avaient illicitement délivré des médicaments génériques alors que la mention « aucune substitution » était indiquée et 3) il n'avait pas d'expérience de cas où un médicament générique est approuvé exclusivement pour des utilisations limitées, son expérience se limitant aux médicaments approuvés comme interchangeables dans toutes les utilisations. Par conséquent, le Dr Pinto ne peut parler avec autorité des utilisations nouvelles et limitées d'un composé existant. Sa thèse constitue donc une simple conjecture sur ce qui pourrait se passer dans des circonstances qui dépassent son niveau d'expérience.

¶ 43       Le témoignage de Linda Samuel a été davantage affaibli lorsqu'il est devenu manifeste, au contre-interrogatoire, qu'elle n'était pas au courant de nombreux aspects du régime réglementaire régissant l'approbation et la distribution des médicaments au Canada : elle ne pouvait citer le titre de la loi qui régit l'interchangeabilité des médicaments en Ontario et ne connaissait pas les conditions de l'interchangeabilité; elle ne savait pas quel ministère approuve l'innocuité et l'efficacité d'un produit pharmaceutique; elle ne savait pas qu'un fabricant de médicaments devait exposer les utilisations spécifiques pour lesquelles il cherchait à obtenir l'approbation de son produit; et elle n'était pas informée du fait qu'une fois que le gouvernement fédéral est convaincu de l'innocuité et de l'efficacité d'un produit, il délivre un avis de conformité et une monographie de produit au fabricant de médicaments qui a présenté la demande.

[111]        Le juge Sexton a conclu ainsi son analyse aux paragraphes 45 et 46 :

¶ 45       La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, qu'une partie qui produit une preuve d'expert a « l'obligation d'établir, au moyen d'éléments de preuve régulièrement recevables, les faits sur lesquels se fondent ces opinions. Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion. » Aussi, même si les auteurs des affidavits en l'espèce peuvent être considérés comme des « experts » , ils ne fournissent nulle part de preuve susceptible de fonder leurs déclarations générales sur la pratique des médecins et des pharmaciens. Il n'a été présenté aucune étude indépendante ou enquête dûment réalisée.

¶ 46       Par conséquent, pour accueillir le présent appel, il faudrait conclure que le juge de première instance, en l'occurrence le juge O'Keefe, a commis une erreur manifeste et dominante au sujet des faits en question et des inférences de fait. Or il n'a commis aucune erreur de cette nature. Les appelantes ne peuvent établir le bien-fondé de leur cause sur un fondement aussi fragile.


[112]        Le juge Sexton s'est ensuite penché sur les conclusions de la Cour d'appel fédérale dans Genpharm, précitée, en affirmant que le noeud de l'argumentation était que la contrefaçon par les seuls patients, sans autre preuve que le simple fait que le fabricant du générique vendait le produit initialement, suffisait à justifier le prononcé d'une ordonnance d'interdiction aux termes du Règlement. Il a distingué l'affaire Genpharm, précitée, sur les faits en affirmant au paragraphe 54 :

¶ 54       En premier lieu, l'arrêt Genpharm se distingue de l'espèce au plan des faits. La Cour a déclaré :

Les éléments de preuve susmentionnés me convainquent que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à l'utilisation de son produit d'étidronate disodique, le Gen-étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose si elle obtient les avis de conformité qu'elle demande.

En l'espèce, aucun élément de preuve de cette nature n'a été produit, ce qui serait essentiel, à mon avis, pour conduire aux mêmes conclusions.

[113]        Puis, il a examiné la monographie du produit de Genpharm et a écrit au paragraphe 55 :

¶ 55       En outre, pour être en mesure de conclure au sujet des intentions de Genpharm, la Cour a pu examiner la monographie de produit de Genpharm. Au moment où il obtient l'approbation du gouvernement, le fabricant de médicaments reçoit un avis de conformité accompagné d'une monographie de produit. La monographie de produit expose notamment les indications du produit pharmaceutique, soit les utilisations pour lesquelles le gouvernement a approuvé le produit. Par conséquent, la monographie de produit limite les indications du produit et elle est disponible dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS). Le CPS est un ouvrage de référence largement consulté par les pharmaciens et médecins, qui dresse la liste des posologies, ingrédients et modes d'emploi applicables à certains médicaments. Il convient de répéter encore une fois que la monographie de produit d'Apotex n'était pas disponible dans la présente procédure. Apotex a cherché à produire des éléments de preuve, mais elle l'a fait tardivement et sa demande de prolongation de délai, à laquelle les appelantes ont fait opposition, a été refusée par le juge McKeown. Cependant, au cours de l'audience sur le présent appel, les représentants d'Apotex ont déclaré qu'Apotex avait fourni sa monographie de produit aux appelantes dans le cadre d'un contre-interrogatoire. Les appelantes n'ont pas déposé ce document auprès de la Cour et, par conséquent, la Cour n'a pu en tenir compte, alors que ce document avait joué un rôle clé dans l'affaire Genpharm en fournissant à la Cour une indication des intentions du fabricant de génériques et de la vraisemblance de la contrefaçon.

[114]        Le juge Sexton a ensuite examiné certains passages des motifs du juge Rothstein, à savoir ceux contenus aux paragraphes 47 à 50 de sa décision dans l'affaire Genpharm, précitée.

[115]        Il a écrit ceci en ce qui concerne la décision du juge Rothstein :


Il faut souligner, toutefois, que la Cour a fait ces déclarations après avoir conclu que la preuve dans l'affaire Genpharm établissait de façon écrasante que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à la contrefaçon. En l'espèce, aucune conclusion de cette nature n'a pu être établie, ce qui distingue le présent appel de l'arrêt Genpharm. Je ne considère pas que l'arrêt Genpharm établisse que la simple vente par le fabricant d'un générique, sans plus, d'un médicament faisant l'objet d'un brevet d'utilisation suffit à constituer une contrefaçon aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(iv). [Non souligné dans l'original.]

et a conclu ses motifs par les propos suivants aux paragraphes 57, 58 et 59 :

¶ 57       Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d'obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu'elle vendra de l'oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S'il y avait une quelconque possibilité qu'un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l'approbation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu'un, quelque part, utilise le médicament pour l'objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Le titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d'un composé existant, mais le composé lui-même, même si celui-ci n'est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu'ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l'avantage des nouveaux modes d'utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.

¶ 58       De plus, Apotex ne peut être tenue responsable à l'égard de poursuites en contrefaçon intentées en vertu de la Loi sur les brevets si, contrairement à la preuve présentée à l'audience sur l'avis de conformité, des tiers commettent des actes de contrefaçon après la délivrance de l'avis de conformité, à moins qu'Apotex soit elle-même impliquée dans ces actes, par exemple en incitant ou amenant les tiers à les commettre. L'arrêt Genpharm ne s'applique pas à la responsabilité du fabricant de génériques aux termes de la Loi sur les brevets à l'égard de toute contrefaçon de brevet par un tiers qui surviendrait après la délivrance de l'avis de conformité.

¶ 59       Les appelantes n'ont pas établi que, dans le cas où un avis de conformité serait délivré à Apotex et où elle vendrait de l'oméprazole, les patients ou d'autres tiers contreferaient le brevet d'utilisation des appelantes. Dans une procédure d'interdiction, si la première personne ne parvient pas à établir que des contrefaçons se produiront si l'avis de conformité est délivré, elle ne peut obtenir l'interdiction en se fondant sur le sous-alinéa 5(1)b)(iv), quelle que soit la définition du lien nécessaire entre le fabricant de génériques et la contrefaçon.


[116]        Comme le juge Sexton l'a indiqué dans AB Hassle, précité, où des revendications portant sur l'utilisation étaient visées, un fabricant générique comme Apotex ne peut être empêché d'obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu'il vendra la version générique d'un médicament dont le brevet d'utilisation n'est pas expiré. La preuve doit être plus éloquente. Toutefois, le juge Rothstein, toujours dans le contexte des revendications concernant l'utilisation, a conclu que la délivrance d'un avis de conformité à un fabricant générique doit être interdite lorsqu'il a été démontré, suivant la prépondérance de la preuve, que les patients qui consomment le médicament breveté contreferont celui-ci. La thèse sous-tendant la contrefaçon indirecte d'un brevet par un patient suppose nécessairement l'étude du marché canadien des médicaments sur ordonnance.

[117]        Le fonctionnement du marché réglementé des médicaments sur ordonnance s'articule autour du comportement des médecins, des pharmaciens et des fabricants de médicaments, de la procédure d'approbation fédérale de la mise en marché des médicaments et des dispositions provinciales régissant l'inscription des médicaments sur la liste du Formulaire.

[118]        En ce qui concerne les médecins, l'étude du fonctionnement du marché des médicaments sur ordonnance nécessite de se pencher sur la façon dont ceux-ci prescrivent un médicament à un patient, sur la maladie visée, le choix d'un médicament par rapport à son concurrent, leurs connaissances des indications approuvées et sur la mesure dans laquelle ils peuvent participer à la prescription de médicaments non approuvés.


[119]        En ce qui concerne les pharmaciens, des questions similaires se posent : quelles connaissances possède le pharmacien des raisons et du but motivant la prescription d'un médicament, quels facteurs l'influencent au moment de la préparation d'une ordonnance lorsque deux ou plusieurs médicaments concurrents sont disponibles, quelles connaissances il a des indications approuvées et quels renseignements peuvent influencer ses choix.

[120]        Le fonctionnement du marché canadien des médicaments sur ordonnance est évalué selon la preuve présentée et selon les conclusions raisonnables qui peuvent en être tirées.

[121]        Après avoir examiné la jurisprudence sur la question de la contrefaçon indirecte par un patient pouvant justifier d'interdire au ministre d'accorder un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques, il m'est apparu que la preuve présentée dans chacune des affaires examinées diffère grandement et explique pourquoi les tribunaux sont arrivés à des conclusions différentes alors que les mêmes brevets, mais des parties différentes étaient en cause.

[122]        La revue de la jurisprudence démontre clairement la grande différence entre la preuve dont disposait le juge Rothstein dans Genpharm, précitée, celle dont le juge O'Keefe disposait dans AB Hassle, précitée, affaire examinée par le juge Sexton, et celle soumise dans la récente affaire tranchée par la juge Layden-Stevenson.

[123]        Mon examen de la jurisprudence en l'espèce m'amène à conclure que les demanderesses n'ont pas présenté de preuve suffisante pour établir, de façon prépondérante, qu'il y aurait contrefaçon du brevet 668 ou du brevet 762 si Apotex se voyait délivrer un avis de conformité par le ministre pour ses comprimés d'Apo-oméprazole. De fait, la preuve produite devant moi par les demanderesses est de nature semblable à celle produite devant le juge O'Keefe et acceptée par le juge Sexton. Cette preuve, correctement appréciée, ferait en sorte qu'Apotex ne pourrait obtenir d'avis de conformité en raison de la simple vente de ses comprimés d'Apo-oméprazole. Or la loi exige qu'Apotex fasse quelque chose de plus. La preuve de ce « quelque chose de plus » n'a pas été faite.


[124]        Le même pharmacien a témoigné dans les deux affaires. M. Pignataro a décrit la façon d'agir des pharmaciens lors de la préparation d'ordonnances.

[125]        Bien que les témoins d'AstraZeneca Canada n'aient pas été les mêmes dans les deux affaires, ils ont présenté des affidavits similaires relativement au fonctionnement du marché canadien des médicaments sur ordonnance.

[126]        En l'espèce, les demanderesses n'ont produit aucun témoignage de médecin.

[127]        J'arrive, pour les mêmes motifs que ceux exprimés par les juges O'Keefe et Sexton, à la conclusion que la preuve des demanderesses dans la présente affaire souffre des mêmes lacunes que celles décelées par ces deux juges. J'estime également que la preuve produite devant moi est plus faible que celle produite devant le juge O'Keefe dans sa décision portant sur le brevet 668. Dans la présente affaire, les demanderesses n'ont pas présenté de témoignage d'un médecin et je n'ai donc en ma possession aucun élément de preuve concernant les facteurs influant sur les habitudes de prescription des médecins canadiens. Cette lacune de la preuve est importante parce que, si je comprends bien la thèse des demanderesses, le fonctionnement du marché des médicaments sur ordonnance et les conclusions de contrefaçon indirecte par les patients en raison de l'utilisation dépendent de la façon dont les médecins prescrivent les médicaments.


[128]        Les déficiences du témoignage de M. Pignataro sont manifestes. Il n'a effectué aucune enquête ou étude indépendante. Il n'est pas médecin et son expérience de travail comme pharmacien se limite à l'Ontario. J'estime que son affirmation selon laquelle [traduction] « il a travaillé avec d'autres pharmaciens » est insuffisante pour lui permettre de témoigner comme expert sur le mode de préparation des ordonnances par les pharmaciens en Ontario. De plus, il n'a fourni aucun curriculum vitae. J'accepte cette preuve uniquement en ce qui concerne sa méthode personnelle, mais je conclus que, même dans ce cas, la preuve produite est trop faible pour étayer ou établir l'allégation des demanderesses relativement à la contrefaçon indirecte par les patients susceptibles d'utiliser l'Apo-oméprazole une fois ce produit sur le marché.

[129]        Les réponses qu'il a fournies en contre-interrogatoire ont entaché son témoignage. M. Pignataro a démontré qu'il était peu familier avec les lois fédérales et provinciales en matière de médicaments. Il a admis l'existence de limites à l'interchangeabilité en ce qui concerne les utilisations non approuvées dans certaines circonstances et a confirmé qu'il s'y conformerait si l'Apo-oméprazole y était assujetti.

[130]        Le témoignage de M. Wilton était insuffisant, à mon avis, pour étayer l'argumentation des demanderesses. L'idée maîtresse de son témoignage était de démontrer les « actes et les intentions » d'Apotex, pour reprendre les termes employés par le juge Rothstein dans l'arrêt Genpharm, précité.

[131]        L'argument qu'il a le mieux défendu portait sur la phrase suivante des Renseignements destinés aux patients du projet de monographie de produit d'Apotex « [c]ela aide à traiter les problèmes liés [...] aux bactéries présentes dans l'estomac » , qu'il estimait constituer une référence directe à l'utilisation de l'Apo-oméprazole pour le traitement des infections causées par le H. pylori.


[132]        À mon avis, la preuve ne permet pas à M. Wilton d'arriver raisonnablement à cette conclusion. Nulle part dans le projet de monographie de produit d'Apotex il n'est indiqué que les comprimés d'Apo-oméprazole sont utiles à l'éradication du H. pylori et ce n'est pas ce que dit la phrase citée (contrairement à la monographie du LOSEC qui indique l'utilité de celui-ci pour l'éradication de H. pylori particulièrement en association avec des antibiotiques (dossier des demanderesses, pages 285 et 286)).

[133]        Aussi, la phrase citée par M. Wilton doit être interprétée dans son contexte. M. Wilton a ignoré la phrase précédente dans laquelle Apotex affirme que l'Apo-oméprazole agit en « réduisant la quantité d'acide sécrété par votre estomac » . Il s'agit d'une référence claire à l'ancienne utilisation connue de l'oméprazole - la réduction de la sécrétion d'acide gastrique. Le Dr Sherman a fait valoir ces observations en contre-interrogatoire.

[134]        M. Wilton n'est pas médecin et je ne peux donc accorder de poids à ses déclarations (particulièrement aux paragraphes 13 et 14 de son affidavit) quant à la façon dont les médecins prescriront l'oméprazole aux patients ayant besoin d'un traitement contre H. pylori.

[135]        Certaines des conclusions contenues dans l'affidavit de M. Wilton m'apparaissent de nature conjecturale ou non fondées en preuve. C'est le cas notamment de l'inférence tirée de l'inscription possible des comprimés d'Apo-oméprazole aux côtés du LOSEC sur le site Web d'Apotex, ce qui donnerait aux pharmaciens et aux patients « l'impression » que ce produit peut être utilisé pour les mêmes usages thérapeutiques que le LOSEC. M. Wilton a admis en contre-interrogatoire que les indications approuvées sont indiquées dans le CPS, lequel est abondamment consulté par les pharmaciens.

[136]        Un autre exemple est l'allégation par M. Wilton voulant que la disponibilité des produits génériques et les renseignements disponibles ou non à leur sujet influenceront la décision du pharmacien. Il a admis en contre-interrogatoire ne pas être au courant des pratiques actuelles d'Apotex quant à l'importance des renseignements qu'elle fournit dans le CPS sur ses nouveaux produits.


[137]        En contre-interrogatoire, M. Wilton a admis que la province d'Ontario avait, à quelques occasions, imposé des limites à l'interchangeabilité.

[138]        À mon avis, le contre-interrogatoire du Dr Sherman n'a pas fait avancer la thèse des demanderesses. Je songe ici au numéro de la publication Pharmawise concernant spécifiquement H. pylori et l'oméprazole. Il s'agit d'un vieux numéro qui ne fait ni référence à Apotex ni à l'Apo-oméprazole, mais au LOSEC et à AstraZeneca. De toute façon, le Dr Sherman s'est engagé à retirer ce numéro de la circulation.

[139]        De plus, en réponse à un engagement qu'elle a pris en contre-interrogatoire, Apotex a confirmé qu'aucun document n'a été distribué ou ne sera distribué au public en ce qui touche le traitement de H. pylori ou de Campylobacter ou encore les ulcères gastro-duodénaux. Aussi, Apotex a confirmé qu'aucun document interne, mémo ou autre communiqué de cette nature ne circulait chez Apotex concernant des projets ou des stratégies de commercialisation pour les comprimés d'Apo-oméprazole.

[140]        L'appréciation de l'ensemble de la preuve m'amène à conclure que la preuve produite par les demanderesses n'est pas suffisante pour démontrer que l'avis d'allégation d'Apotex n'est pas fondé.

[141]        Pour ces motifs, la demande d'ordonnance d'interdiction des demanderesses est rejetée avec dépens.

                                                                            « François Lemieux »        

Juge     

OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 mars 2004


traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL. B.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-470-02

INTITULÉ :                                                                AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et ASTRAZENECA CANADA INC.

c.

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LES 2 ET 3 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE LEMIEUX

DATE :                                                                        LE 16 MARS 2004

COMPARUTIONS :

                                                                                   

Gunars Gaikis                                                    POUR LES DEMANDERESSES

Harry Radomski                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Andrew Brodkin

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GUNAR GAIKIS                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

GOODMANS                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)


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