Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19971209


Dossier : T-742-93

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     LES ENTREPRISES LUDCO LTÉE/

     LUDCO ENTERPRISES LTD.,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'appel interjeté au moyen de la présente action est rejeté avec dépens.

                                 Allan Lutfy

                                         Juge

Traduction certifiée conforme                 
                                 Claire Vallée, LL.B.

Date : 19971209


Dossier : T-743-93

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     BRIAN LUDMER,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'appel interjeté au moyen de la présente action est rejeté. Aucune ordonnance n'est rendue relativement aux dépens.

                                 Allan Lutfy

                                         Juge

Traduction certifiée conforme                 
                                 Claire Vallée, LL.B.

Date : 19971209


Dossier : T-744-93

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     DAVID LUDMER,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'appel interjeté au moyen de la présente action est rejeté. Aucune ordonnance n'est rendue relativement aux dépens.

                                 Allan Lutfy

                                         Juge

Traduction certifiée conforme                 
                                 Claire Vallée, LL.B.

Date : 19971209


Dossier : T-745-93

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     CINDY LUDMER,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'appel interjeté au moyen de la présente action est rejeté. Aucune ordonnance n'est rendue relativement aux dépens.

                             Allan Lutfy

                                     Juge

Traduction certifiée conforme             
                                 Claire Vallée, LL.B.

     Date : 19971209

     Dossier : T-742-93

ENTRE :

     LES ENTREPRISES LUDCO LTÉE/

     LUDCO ENTERPRISES LTD.,

     demanderesse,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     --------------------------------------------------------------------------------------------------

     Dossier : T-743-93

ENTRE :

     BRIAN LUDMER,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse,

     -------------------------------------------------------------------------------------------------

     Dossier : T-744-93

ENTRE :

     DAVID LUDMER,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     --------------------------------------------------------------------------------------------------

     Dossier : T-745-93

ENTRE :

     CINDY LUDMER,

     demanderesse,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

--------------------------------------------------------------------------------------------------

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LUTFY :

[1]      Les demandeurs ont investi 7 500 000 $ pour faire l'acquisition d'actions des sociétés Justinian Corporation S.A. et Augustus Corporation S.A., toutes deux constituées en application des lois du Panama1. L'activité commerciale des deux sociétés consistait à investir dans des valeurs à revenu fixe libellées en dollars canadiens et américains. Les actions ont été acquises dans le cadre de cinq opérations distinctes entre septembre 1977 et juin 1979. Aucune des actions ainsi acquises n'a fait l'objet d'une disposition avant 1985. Les demandeurs ont emprunté la somme de 6 500 000 $ pour financer ces opérations. Pendant la période où ils ont détenu les actions, les demandeurs ont engagé des frais d'intérêt s'élevant à 6 000 000 $ et ont touché des dividendes se montant à 600 000 $. Lorsqu'ils ont disposé de leurs actions en 1985, les demandeurs ont déclaré des gains en capital de 9 200 000 $.

Les questions en litige

[2]      Les demandeurs prétendent que les frais d'intérêt qu'ils ont engagés sont déductibles des autres revenus déclarés pour les années d'imposition 1981 à 1985. Selon eux, les frais d'intérêt de 6 000 000 $ engagés afin de toucher des dividendes de 600 000 $ sont déductibles pour les raisons suivantes : a) les dividendes constituent un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu2 et le critère applicable est lié au revenu, et non au profit ou au revenu net et b) même si le critère est la réalisation d'un profit, en 1977, les demandeurs avaient une expectative raisonnable que (i) le montant des dividendes dépasse un jour celui des frais d'intérêt ou que (ii) les dividendes jumelés aux gains réalisés à la disposition permettent de réaliser le profit qui, dans les faits, a été dégagé.

[3]      La défenderesse ne partage pas ce point de vue. Le dividende annuel de Justinian a toujours été de 1 $ US. Lorsqu'elle le compare aux frais d'intérêt, la défenderesse qualifie le montant total des dividendes versés de " symbolique ", d'" infime " ou de " très bas ". Selon elle, l'objet véritable de l'investissement des sommes empruntées par les demandeurs était de permettre à Justinian d'accumuler ses bénéfices, de sorte que, lors de la disposition subséquente des actions, les profits réalisés par eux soient imposés à titre de gains en capital uniquement. En outre, les sommes empruntées n'ont pas servi à tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, et les demandeurs n'ont jamais eu une expectative raisonnable de profit à l'égard des versements de dividendes.

[4]      En supposant que la défenderesse ait raison et que leurs investissements dans Justinian aient été effectués à la seule fin de réaliser un gain en capital, les demandeurs font valoir à titre subsidiaire et de façon très succincte que leurs opérations ne peuvent être assimilées qu'à un risque de caractère commercial. Par conséquent, les frais d'intérêt seraient déductibles parce qu'ils ont été engagés à l'égard de prêts qui ont servi à produire un revenu d'entreprise.

[5]      Enfin, pour ce qui concerne la thèse fondée sur l'article 245, les demandeurs soutiennent que la défenderesse a omis de prouver que les frais d'intérêt ont été engagés à l'égard d'opérations factices qui ont réduit indûment ou de façon factice leur revenu.

Les étapes de la procédure

[6]      La défenderesse a établi de nouvelles cotisations fondées sur la non-déductibilité des frais d'intérêt engagés par les demandeurs de 1981 à 1985. Les nouvelles cotisations ont été confirmées par un jugement de la Cour canadienne de l'impôt en 19933. Les appels interjetés par les demandeurs relativement à cette décision constituent des procès de novo4. La Cour a ordonné que les quatre appels soient entendus simultanément sur preuve et plaidoirie communes.

[7]      Les demandeurs ont appelé quatre témoins à la barre. Arnold Steinberg a décrit la structure d'entreprise et les objectifs de Justinian et il a précisé quelle avait été sa participation à titre d'actionnaire et d'unique administrateur canadien. Irving Ludmer a expliqué les motifs pour lesquels les demandeurs avaient investi dans Justinian et quelles avaient été leurs attentes. Les professeurs Jacques Bourgeois et To Minh Chau ont témoigné à titre d'experts afin de comparer le rendement de Justinian avec celui de sociétés figurant à l'indice composé 300 de la bourse de Toronto (le " TSE 300 "). Les demandeurs ont également produit le témoignage d'un fonctionnaire de Revenu Canada, John D. Rowe5. Les demandeurs avaient envisagé de faire témoigner un autre actionnaire de Justinian et d'Augustus. Ils ont choisi de ne pas faire entendre ces deux témoins.

[8]      La défenderesse a interrogé trois fonctionnaires du Ministère concernant l'enquête relative aux placements des demandeurs et la déductibilité fiscale des frais d'intérêt engagés par ceux-ci, la consultation intraministérielle y afférente et l'établissement ultérieur des nouvelles cotisations.

[9]      Les parties ont produit plus de 650 documents, dont la plupart avec le consentement de la partie adverse6.

L'organisation de l'entreprise et les objectifs de Justinian

[10]      Pendant quelque trente années, Arnold Steinberg a été directeur financier et membre du conseil d'administration de Steinberg Inc., une chaîne d'alimentation au détail propriétaire de centres commerciaux. Il a cessé d'occuper ces postes lorsque sa famille a vendu ses intérêts dans la société en 1989.

[11]      Au cours des années soixante-dix, M. Steinberg a établi une relation d'affaires avec Ronald Meade, un associé d'une société d'investissement propriétaire de Gestion Altamira Ltée. M. Meade était spécialisé dans la négociation de valeurs à revenu fixe et, de l'avis de M. Steinberg, le meilleur gestionnaire de telles valeurs au Canada. M. Steinberg se fiait aux conseils de M. Meade relativement à la caisse de retraite de Steinberg Inc. et à l'avoir privé de sa famille.

[12]      En 1976, M. Meade a informé M. Steinberg que, pour des raisons personnelles, il allait s'établir aux Bahamas. Il a accepté de demeurer le conseiller en placements de M. Steinberg et d'autres clients triés sur le volet.

[13]      C'est lors de l'établissement de M. Meade aux Bahamas que Justinian a été créée comme véhicule de placement dans des valeurs à revenu fixe au bénéfice de M. Steinberg et des autres actionnaires. M. Meade a présenté M. Steinberg à feu Bruce Verchère, un fiscaliste de Montréal. Maître Verchère a fait état des avantages fiscaux de la détention de telles valeurs par une société de placement non résidante. Signalons que, au cours des années soixante-dix, l'évolution de la situation politique au Québec et, plus particulièrement, l'éventualité d'un contrôle des changes suscitaient une grande inquiétude chez certaines personnes. C'est dans ce contexte que M. Steinberg a participé à la création de Justinian et a investi dans celle-ci. Cependant, pour reprendre ses propres termes, il aurait sans aucun doute maintenu sa relation d'affaires avec M. Meade même en l'absence des avantages fiscaux découlant de placements à l'étranger et du risque de contrôle des changes. Il lui importait surtout de continuer de bénéficier des conseils de cet expert. Il était également conscient des avantages, notamment fiscaux, qui découleraient de l'établissement de son conseiller en placement aux Bahamas et de sa participation aux activités de la société non résidante.

[14]      Des documents, pour la plupart établis par M. Verchère, énumèrent les caractéristiques de Justinian sur le plan fiscal. Le premier des documents rédigés par M. Verchère en septembre 19767 fait état de ces caractéristiques. Les principaux objectifs étaient le report de l'impôt et l'épargne fiscale grâce, essentiellement, au réinvestissement des bénéfices et au rachat des actions lors de la disposition. Justinian devait être constituée au Panama et gérée à l'extérieur du Canada et des États-Unis, de façon que ses revenus et ses profits ne soient pas imposés dans ces pays. Son conseil d'administration devait être constitué principalement de non-résidents.

[15]      En 1976, les dispositions de la Loi concernant le revenu étranger accumulé, tiré de biens (" RÉATB ") sont entrées en vigueur. Elles prévoyaient l'imposition annuelle du revenu sans exploitation active des résidents du Canada qui détenaient des actions de sociétés non résidantes, même si ce revenu n'était pas touché. M. Verchère a recommandé que la participation de chacun des investisseurs dans Justinian soit inférieure à dix pour cent du capital-actions afin d'échapper à l'application des dispositions relatives au RÉATB. Ainsi, le revenu de Justinian pouvait s'accumuler, et l'impôt était reporté.

[16]      L'autre objectif principal était de réduire l'impôt exigible lors de la disposition des actions par les actionnaires de Justinian. Selon M. Verchère, [TRADUCTION] " il était préférable de rapatrier les bénéfices de Justinian par voie de rachat d'actions, notamment parce que les règles relatives au dividende réputé ne s'appliqueraient pas... de sorte que le revenu de placement accumulé par Justinian serait imposé à titre de gain en capital ".

[17]      Ces caractéristiques fiscales sont résumées dans un deuxième document de planification datant de janvier 19778 :

     [TRADUCTION]
     a)      le Fonds ne serait pas assujetti à l'impôt sur le revenu au Canada en ce qui concerne le revenu en intérêts ou les gains réalisés lors de la vente de ses éléments d'actif;         
     b)      les actionnaires canadiens ne seraient assujettis à aucun impôt sur le revenu relativement aux sommes investies dans le Fonds, à l'exception des dividendes touchés ou du produit de la disposition de leurs actions;         
     c)      le produit de la disposition des actions des actionnaires canadiens, par voie de vente ou de rachat, serait imposé à titre de gain en capital.         

[18]      La version révisée de la note explicative confidentielle établie relativement à Justinian en date du 15 août 19779 reprend selon moi les principales caractéristiques fiscales énumérées dans les documents de planification antérieurs. La description du capital-actions prévoit le plafond de 9,9 % applicable à tout détenteur d'actions de catégorie A. Les rubriques portant sur l'assujettissement à l'impôt du Fonds et des actionnaires canadiens énoncent les critères qui permettent à Justinian d'échapper, dans la mesure du possible, à l'imposition au Canada et au Panama. De la sorte, les règles relatives au RÉATB seraient contournées, et le gain réalisé lors de la disposition des actions par voie de rachat ou de vente serait considéré comme un gain en capital et imposé comme tel.

La politique de dividendes de Justinian

[19]      M. Steinberg a investi dans Justinian, dont il était le seul administrateur canadien. Il a participé à la prise des décisions du conseil d'administration de déclarer des dividendes. Dès 1978, Justinian a déclaré un dividende annuel de 1 $ US tout au long de son existence.

[20]      La note explicative énonce la politique de dividendes initiale de Justinian :

     [TRADUCTION] Initialement, la politique du Fonds consiste à accumuler les bénéfices en vue de leur réinvestissement. Si, à tout moment, le conseil d'administration estime qu'il est au mieux des intérêts du Fonds et de ses actionnaires de déclarer et de verser un dividende, le versement a lieu en dollars américains ou en toute autre monnaie choisie par le conseil d'administration du Fonds10.         

[21]      En 1978, le libellé de la politique de dividendes avait légèrement changé :

     [TRADUCTION] Le Fonds accumule la majeure partie de ses bénéfices à des fins de réinvestissement. Cependant, chaque année où le Fonds réalise des bénéfices, il est prévu que le conseil d'administration déclare et verse un dividende aux actionnaires par prélèvement sur une partie des bénéfices du Fonds. Les dividendes sont versés en dollars américains ou en une autre monnaie, au gré du conseil d'administration du Fonds11.         

[22]      En 1981, la politique reflétait la pratique de Justinian depuis 1977 :

     [TRADUCTION] Le Fonds accumule la majeure partie de ses bénéfices à des fins de réinvestissement. Cependant, dans le passé, son conseil d'administration a eu comme politique de déclarer et de verser un dividende aux actionnaires pour les années où le Fonds a réalisé des bénéfices, et les administrateurs devraient demeurer fidèles à cette pratique. Les dividendes sont versés en dollars canadiens ou en une autre monnaie, au gré des administrateurs du Fonds12.         

[23]      M. Steinberg a dit que la politique de dividendes appliquée par Justinian ne différait pas de celle d'autres sociétés ouvertes ou fermées avec lesquelles il avait des liens similaires13. Il était tenu compte des objectifs de la direction et des intérêts divergents des actionnaires. Dès la première année de son existence, Justinian a versé un dividende pour se démarquer des sociétés plus spéculatives qui n'en déclaraient aucun et pour établir une communication avec ses actionnaires. Le rôle de M. Meade a également été déterminant. Selon les termes employés par M. Steinberg, il était évident, compte tenu [TRADUCTION] " ... des réalisations antérieures de M. Meade en matière de placements, que les gens touchant de tels dividendes ne seraient vraisemblablement pas en mesure de faire mieux, et c'est pourquoi d'ailleurs ils lui confiaient leur argent; en outre, ne verser aucun dividende n'aurait pas été approprié pour les motifs que j'ai mentionnés "14. Il n'existait aucune politique préétablie concernant le versement de dividendes15. Le conseil abordait la question chaque année. À titre d'investisseur, toutes autres choses étant égales par ailleurs, il s'était attendu à ce que le montant du dividende augmente progressivement en fonction des bénéfices, mais pas à ce que le taux de rendement des actions s'accroisse16. Au début des années quatre-vingt, la valeur des actions de Justinian s'est accrue, et le montant du dividende versé annuellement est demeuré de 1 $ US. M. Steinberg a justifié la décision du conseil de ne pas majorer alors le dividende versé par la volonté de conserver les bénéfices pour contrer les répercussions néfastes éventuelles de la volatilité des taux d'intérêt qui sévissait alors17.

[24]      Le témoignage de M. Steinberg concernant la politique de dividendes est, de manière générale, tout à fait compatible avec la preuve documentaire. Les motifs qu'il donne pour justifier les versements annuels de dividendes concordent avec la politique de dividendes selon laquelle la plus grande partie des bénéfices de Justinian était accumulée à des fins de réinvestissement. Selon moi, l'inquiétude au sujet de la volatilité des taux d'intérêt est davantage pertinente à l'égard des versements de dividendes en 1981 et en 1982, où la valeur de l'actif de Justinian a atteint un sommet et où les taux d'intérêts ont été les plus élevés. Son incidence sur les dividendes versés les autres années est moins évidente. La politique de dividendes, réénoncée en octobre 1981, lorsque les taux d'intérêt étaient à leur niveau le plus élevé, renvoyait à la politique antérieure de la société et ajoutait que [TRADUCTION] " ... les administrateurs devraient demeurer fidèles à cette pratique ".

[25]      Selon mon appréciation de la preuve, le versement de 1 $ US reflétait la politique de dividendes de Justinian, la confiance en l'expertise de M. Meade pour le réinvestissement des bénéfices, la volonté de différer l'exigibilité de tout impôt jusqu'à la disposition des actions par voie de rachat et, seulement pendant un certain temps, l'inquiétude relative à la volatilité des taux d'intérêt. Les objectifs de Justinian et, apparemment, les intérêts des actionnaires selon le conseil, sont demeurés constants. Tout comme les versements de dividendes. L'objectif énoncé dans la note explicative concernant l'imposition des bénéfices accumulés à titre de gains en capital était compatible avec l'intérêt des actionnaires lié au report de l'impôt. Un rendement supérieur des actions aurait été contraire à cet objectif et à cet intérêt. C'est en quoi la politique de dividendes était constante ou " préétablie ". Il n'est donc pas étonnant que l'application annuelle de cette politique par le conseil d'administration ait donné lieu au versement d'un dividende annuel dont le montant est demeuré invariable.

Les objectifs des demandeurs et les attentes vis-à-vis de Justinian

[26]      Irving Ludmer a été le seul actionnaire de la demanderesse Les Entreprises Ludco Ltée jusqu'en 1981, puis l'actionnaire unique de sa société mère nouvellement créée. Il est le père des demandeurs Brian, David et Cindy Ludmer, pour le compte desquels il a agi relativement à leurs placements dans Justinian.

[27]      Après avoir obtenu un diplôme en génie physique de l'Université McGill en 1957, M. Ludmer a travaillé pour Steinberg Inc. pendant quatorze ans, principalement à titre de directeur de la division immobilière de la société18. En 1971, il a quitté son employeur pour poursuivre sa carrière dans l'immobilier à son propre compte. En 1984, il a réintégré ses fonctions à la division immobilière de Steinberg Inc. pendant une courte période, puis il a occupé le poste de président-directeur général de la société jusqu'à la vente de l'entreprise en 1989.

[28]      C'est Arnold Steinberg qui, le premier, en 1977, a fait connaître à Irving Ludmer les possibilités de placements dans Justinian. Ce n'est que peu avant 1977, par suite de la réussite financière de M. Ludmer dans l'immobilier, que les demandeurs ont eu suffisamment de liquidités pour envisager d'investir dans Justinian19. M. Ludmer n'avait alors aucun courtier attitré20. Son expérience dans l'immobilier aurait dû le rendre très familiarisé avec le financement d'occasions d'affaires et la déductibilité de l'intérêt dans ce domaine. La preuve est moins claire quant à savoir si, dès 1977, il avait la même connaissance des marchés financiers que de l'immobilier, avec lequel, selon ses propres termes, " il était beaucoup plus familiarisé "21. L'aveu des parties selon lequel M. Ludmer a acquis une connaissance et une expérience considérables sur les marchés financiers tout au long de sa carrière chez Steinberg Inc.22 ne permet pas vraiment d'évaluer sa connaissance des marchés financiers en 1977.

[29]      La décision de M. Ludmer d'investir dans Justinian était principalement attribuable aux réalisations antérieures de M. Meade. Les avantages fiscaux23 et les rumeurs concernant un éventuel contrôle des changes ont également joué. M. Ludmer n'a obtenu aucun avis d'expert avant d'investir24. Parmi les documents de planification, il n'a consulté que la note explicative et la lettre faisant état du rendement du fonds à revenu fixe Altamira entre 1971 et 197625. M. Meade était l'un des principaux gestionnaires de portefeuille de ce fonds de valeurs à revenu fixe. M. Ludmer ne connaissait M. Meade que de réputation lorsque les demandeurs ont fait leurs premiers placements dans Justinian en 1977.

[30]      M. Ludmer a clairement dit que les demandeurs n'auraient pas emprunté pour investir dans Justinian s'il avait su que les frais d'intérêt n'étaient pas déductibles du revenu26. Il n'a consulté aucun expert concernant la déductibilité de l'intérêt aux fins de l'impôt lorsque les demandeurs ont investi dans Justinian grâce à des emprunts27. S'il avait su que l'intérêt n'était pas déductible, il aurait fait en sorte que les demandeurs n'investissent que ce qu'ils pouvaient financer par prélèvement sur leurs capitaux propres. Ces réponses obtenues de M. Ludmer confirment que la déductibilité de l'intérêt était le principal facteur supplémentaire quant à la portion de l'investissement financée par voie d'emprunt. Rien n'indique en l'occurrence que l'objectif des demandeurs était de toucher un revenu de dividendes.

[31]      Selon M. Ludmer, la politique de dividendes énoncée dans la note explicative constituait [TRADUCTION] " une sorte de verbiage usuel "28. S'appuyant sur les réalisations antérieures de M. Meade dans la gestion du fonds à revenu fixe Altamira, M. Ludmer prévoyait que le rendement annuel des investissements de Justinian serait de 14 %, ce à partir de quoi il estimait raisonnable de prévoir un taux de rendement des actions de 1 % les cinq premières années, de 3 % les trois années suivantes et de 4 % par la suite29. Les réponses de M. Ludmer quant à la méthode employée pour arriver à de telles prévisions ne sont pas précises30. Aucun document contemporain ne figure au dossier. Il a dit ignorer si Justinian avait une politique préétablie en matière de dividendes31. À son avis, ses attentes étaient compatibles avec la politique de dividendes écrite de la société32.

[32]      J'estime que M. Ludmer a fait preuve d'imprudence en considérant que la politique de dividendes constituait un " verbiage usuel ". Rien n'établit qu'il s'agissait d'un libellé passe-partout. Le lecteur était prévenu que la majeure partie des bénéfices de cette société non résidante qui investissait dans les valeurs à revenu fixe serait réinvestie. Bien que la preuve soit plutôt ténue à cet égard, un investisseur potentiel a bien pu s'attendre, faute d'être informé de la politique de dividendes et des caractéristiques, notamment fiscales, de Justinian, à ce que la plus grande partie des gains provenant des valeurs à revenu fixe soit attribuée chaque année aux actionnaires. Mon hypothèse est confirmée par la politique de dividendes substantiellement différente dont fait état le prospectus établi en 1986 par le fonds de dividende privilégié Altamira et selon laquelle des dividendes seraient versés chaque mois à raison d'un douzième du revenu annuel estimatif du fonds :

             
     [TRADUCTION]         
     ... des dividendes seront versés au plus tard le dernier jour de chaque mois... et leur montant équivaudra, selon le gestionnaire, à un douzième du revenu annuel estimatif de l'initiateur aux fins de l'impôt sur le revenu pour l'année civile. Le montant des dividendes versés sera rajusté par l'initiateur de façon à tenir compte du rendement variable de ses placements de portefeuille et à constituer une provision suffisante pour le paiement de l'impôt, de la rémunération du gestionnaire et des autres éléments de passif, ainsi que pour les éventualités, entre autres. L'initiateur peut également verser d'autres dividendes aux moments que son conseil d'administration détermine à son seul gré33.         

Ce fonds Altamira a été créé lors de la dissolution de Justinian après les modifications apportées aux dispositions relatives au RÉATB en 1985. La nationalité, la résidence, les considérations afférentes aux actions et à l'impôt et, conséquemment, la politique de dividendes différaient considérablement pour l'un et l'autre des fonds. Ces écarts ressortent de la confrontation de la note explicative de Justinian et du prospectus d'Altamira. M. Ludmer ne peut simplement pas faire fi de la politique de dividendes et dire qu'il s'agit de verbiage. La présente affaire est issue en grande partie de l'information donnée dans la note explicative, laquelle résume les principales caractéristiques établies dans les documents de planification.

[33]      En octobre 1977, les enfants de M. Ludmer ont au total fait l'acquisition de 10 000 actions de Justinian au prix de 100 $ US chacune. En juillet 1978, ils ont doublé le nombre de titres détenus. Le coût d'acquisition de leurs placements a totalisé 2 200 000 $. En juillet et en décembre 1978, Les Entreprises Ludco Ltée a investi au total 2 300 000 $ dans Augustus. Ces quatre opérations ont été financées à raison d'environ quatre-vingts pour cent par des emprunts contractés auprès de banques canadiennes à des taux d'intérêt variables de 1 % à 3/4 de 1 % supérieurs au taux préférentiel. Les frais de couverture afférents aux prêts des demandeurs ont augmenté d'environ 10 % à la fin de 1977, ils ont atteint 14 % en 1979 et un sommet, soit 20 %, au début de 1981, avant de se stabiliser à environ 12 % en 1983 et ce, jusqu'à la disposition des actions en 198534. Lors de la cinquième opération des demandeurs, en juin 1979, Ludco a investi 3 000 000 $ dans Justinian. Tous les fonds nécessaires à cette acquisition ont été obtenus grâce à un prêt hypothécaire à long terme garanti par un centre commercial de Ludco, à un taux d'intérêt fixe de 11,5 %.

[34]      En décembre 1980, la demanderesse Les Entreprises Ludco Ltée a voulu acheter 10 000 actions supplémentaires d'Augustus d'une valeur de 1 400 000 $. L'opération devait être entièrement financée grâce à un prêt consenti par une banque à charte canadienne à un taux d'intérêt annuel initial de 19 % ou au taux préférentiel majoré de 3/4 de 1 %. L'offre d'acquisition de ces actions a été rejetée, probablement parce que la participation de Ludco aurait excédé le plafond de 9,9 % établi pour contourner les règles relatives au RÉATB35. Malgré un taux de rendement des actions inférieur à 1 % en 1978, en 1979 et en 198036, M. Ludmer souhaitait acheter d'autres actions parce que les taux d'intérêt élevés offraient à M. Meade [TRADUCTION] " une occasion exceptionnelle "37 de s'adonner avec compétence à la gestion cyclique des valeurs à revenu fixe dans un contexte de volatilité des taux d'intérêt. Selon M. Ludmer, les gouvernements ne pouvaient tolérer des taux d'intérêt de 18 % à 20 % à long terme. Justinian se voyait donc offrir l'occasion de [TRADUCTION] " faire beaucoup d'argent grâce aux obligations "38 et de " réussir un beau coup "39. M. Ludmer n'a jamais prétendu que les rapports mensuels de Justinian sur ses activités de placement permettaient de conclure qu'une telle stratégie était envisagée40. Devant la Cour canadienne de l'impôt, M. Ludmer a reconnu que l'un des motifs justifiant cette tentative d'investissement en 1980 était la diminution du fardeau fiscal de Ludco par la déduction de ses frais d'intérêt41.

[35]      Aucun élément de preuve n'indique que la stratégie d'investissement de Justinian devait changer en décembre 1980 ou peu après et rompre avec la prudence qui l'avait caractérisée jusqu'alors. Partant, et compte tenu du témoignage de M. Ludmer devant la Cour canadienne de l'impôt, j'arrive à la conclusion que les raisons justifiant le projet d'investissement de 1 400 000 $ en décembre 1980, entièrement financé par voie d'emprunt, lorsque les taux d'intérêt atteignaient 19 %, étaient essentiellement les mêmes qu'en 1977, où les frais d'emprunt étaient sensiblement moins élevés, c.-à-d. les réalisations antérieures de M. Meade, l'épargne fiscale prévue dans la note explicative et la croyance de M. Ludmer selon laquelle les frais d'intérêt étaient déductibles. La pertinence de l'inquiétude de certains quant à l'éventualité d'un contrôle des changes est encore moins évidente dans la mesure où les fonds empruntés étaient investis dans une société dont les éléments d'actif demeuraient essentiellement constitués de valeurs libellées en monnaie canadienne42.

[36] Les demandeurs n'ont pas disposé de leurs actions avant 1985 lorsque les règles applicables au RÉATB ont été modifiées pour empêcher leur contournement au moyen de véhicules comme Justinian.

[37] Même si le taux de rendement des actions qu'il avait prévu n'a pas été atteint, M. Ludmer a témoigné que le rendement de Justinian se rapprochait beaucoup de sa prévision de 14 % par année43.

Enquête de Revenu Canada, modification des dispositions relatives au RÉATB et nouvelles cotisations

[38]      La preuve de la défenderesse est documentaire pour la plus grande partie. Trois fonctionnaires ont témoigné au sujet des documents produits.

[39]      Un vérificateur du bureau de district de Revenu Canada à Montréal, M. Herbert Gutenplan, a procédé à l'examen initial des fonds de placement non résidants. Il a enquêté relativement à Justinian et à d'autres sociétés non résidantes du même type en 1980 et en 1981. Sa participation directe à l'enquête semble avoir pris fin quelques mois après la remise de son rapport du 23 juin 1981 à la division de la vérification spécialisée, à Ottawa44. À partir de la preuve dont il disposait, il a conclu que Justinian n'exploitait pas son entreprise au Canada et qu'elle ne pouvait être assujettie à l'impôt canadien. Il a qualifié le dividende annuel de 1 $ US l'action de " symbolique ". Dans un rapport antérieur, il avait jugé le dividende " très bas ". Son avis se fondait sur la comparaison du dividende versé, d'une part et des frais d'intérêt supportés par les actionnaires, du bénéfice total par action susceptible d'être réparti et des frais d'investissement ou de la valeur de l'actif du fonds par action, d'autre part45. M. Gutenplan a dit ignorer l'existence de lignes directrices ministérielles concernant les dividendes " symboliques ". Il a par ailleurs signalé que l'investisseur touchait le bénéfice lors du rachat des actions sous forme de gain en capital imposable comme tel. Enfin, dans son rapport, il a exprimé l'avis que l'intérêt payé à l'égard de prêts contractés pour investir dans des sociétés du même type que Justinian servait à réduire le revenu des contribuables provenant d'autres sources. À partir de ces observations, il a recommandé que les investisseurs ayant déduit des frais d'intérêt à l'égard de tels investissements fassent l'objet de nouvelles cotisations fondées sur la déductibilité de ces frais d'intérêt jusqu'à concurrence du revenu tiré du fonds.

[40]      Le rapport de M. Gutenplan a suscité un débat au sein de Revenu Canada. Les avis étaient partagés quant à la déductibilité de l'intérêt et à l'établissement des nouvelles cotisations préconisées. Un fonctionnaire s'est dit en total désaccord avec M. Gutenplan. Il estimait que la nouvelle cotisation fondée sur la non-déductibilité de l'intérêt en sus du montant des dividendes versés par Justinian serait annulée en cas de contestation46.

[41]      Dans son budget du 12 novembre 1981, le ministre des Finances a proposé de limiter l'intérêt déductible à titre de dépense au cours d'une année d'imposition au montant du revenu tiré du placement au cours de la même année. Cette proposition apparentée à la recommandation de M. Gutenplan n'a pas été adoptée par le Parlement et elle a été abandonnée47.

[42]      En mars 1983, un exposé de principes établi subséquemment concluait que la déduction de l'intérêt pouvait être refusée, les paiements d'intérêt n'étant pas effectués pour gagner un revenu et que si la déduction était permise, ces frais réduiraient indûment ou de façon factice le revenu. L'exposé ne précisait pas si la totalité ou seulement une partie de l'intérêt équivalant au revenu de dividendes serait déductible48.

[43]      En novembre 1983, le directeur de la Division de l'évitement fiscal de Revenu Canada a pris la parole à l'assemblée annuelle de l'Association canadienne d'études fiscales et a affirmé que [TRADUCTION] " la déduction de l'intérêt payé en sus des dividendes touchés serait refusée en application du paragraphe 9(3) et de l'alinéa 20(1)c ) "49.

[44]      Un haut fonctionnaire de la Division de l'évitement fiscal, M. Richard Biscaro, a entrepris un examen indépendant des données rassemblées par M. Gutenplan. Ses préoccupations étaient de deux ordres : la raison d'être des fonds, qui était de contourner l'application des règles relatives au RÉATB et la déductibilité de l'intérêt lorsque le montant des dividendes était, selon ses propres termes, " minime "50. À la fin du mois de décembre 1983, dans le cadre de son examen indépendant, M. Biscaro a indiqué ce qui suit : [TRADUCTION] " La déduction de l'intérêt payé à l'égard d'emprunts contractés pour investir dans les actions de sociétés de placement non résidantes devrait être refusée sur le fondement du paragraphe 9(3) et de l'alinéa 20(1)c ). L'intention des investisseurs est de réaliser un gain en capital, et non de tirer un revenu de biens "51.

[45]      La politique ministérielle a été rendue officielle en juin 1984. La proposition de M. Biscaro a été retenue. La déduction de l'intérêt sur les sommes empruntées pour acquérir des actions de sociétés de placement non résidantes devait être refusée aux termes du paragraphe 9(3) et de l'alinéa 20(1)c) en raison de la politique de certains fonds, comme Justinian, consistant à verser des dividendes " symboliques " et de l'intention des investisseurs de réaliser un gain en capital, plutôt que de tirer un revenu de biens52. Avant que de nouvelles cotisations ne soient établies conformément à la politique désormais applicable, un compromis devait être proposé au contribuable.

[46]      En février 1985, dans le cadre de la mise en oeuvre de cette politique du ministère, M. Franco Tirabasso, du bureau de district de Revenu Canada à Montréal, a rouvert les dossiers des demandeurs. Cette mesure a entraîné l'établissement de nouvelles cotisations et la naissance de la présente affaire. Conformément à la politique ministérielle, une offre de règlement a été faite aux demandeurs en avril 1985, dont voici le libellé :

     [TRADUCTION]         
     Des différences d'opinion ont pu exister dans le passé entre les actionnaires de sociétés de placement et Revenu Canada, Impôt quant au traitement approprié des frais d'intérêt. Partant, et afin de régler la question de manière équitable tant pour les investisseurs canadiens que pour nos services, nous sommes disposés à offrir le règlement qui suit aux actionnaires qui ont déduit des frais d'intérêt :         
     1.      En 1982, les augmentations de la valeur du placement dans des sociétés de placement à partir de la date d'acquisition jusqu'au 31 décembre 1981 seront déclarées et considérées comme un gain en capital aux fins de l'impôt canadien. En outre, l'augmentation de la valeur pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 1982 sera déclarée et considérée comme un revenu.         
     2.      En 1983, l'augmentation de la valeur du placement pour l'année sera déclarée et considérée comme un revenu.         
     3.      En 1984, l'augmentation de la valeur du placement pour l'année sera déclarée et considérée comme un revenu.         
     4.      À la condition que de l'intérêt soit payé ou exigible (selon la méthode habituellement utilisée par le contribuable canadien pour calculer son revenu) en exécution d'une obligation légale et que son montant soit raisonnable dans les circonstances, les frais d'intérêt seront déductibles l'année où ils sont payés ou exigibles.         
     Les investisseurs canadiens qui acceptent l'offre qui précède doivent faire parvenir à Revenu Canada, Impôt un engagement jugé acceptable par chacune des parties.         

L'offre de règlement a été rejetée, et les nouvelles cotisations ont été établies.

[47]      Les fonctionnaires du ministère étaient plus unanimes concernant le contournement des règles relatives au RÉATB par Justinian. Il était nécessaire d'adopter des dispositions législatives pour empêcher les contribuables de reporter l'impôt sur le revenu tiré sans exploitation active afférent à une société non résidante en faisant en sorte que leur participation au capital-actions de celle-ci soit inférieure à 10 %. Cela ne pouvait être accompli par l'établissement de nouvelles cotisations. Dans son budget du 15 février 1984, le ministre des Finances a annoncé une modification visant à empêcher l'évitement ou le report indû de l'impôt sur le revenu par la mise sur pied de fonds non résidants. Cette modification a effectivement sonné le glas de Justinian et d'autres fonds du même genre.

[48]      Les témoins de la défenderesse ont été longuement contre-interrogés concernant les exposés de principes, les feuillets d'information (" questions S.O.S. " ou " questions ligne verte ") et les énoncés de politique, lesquels conféraient tous, selon les demandeurs, une certaine légitimité à leur prétention relative à la déductibilité de l'intérêt. Certains de ces éléments d'information n'étaient pertinents que par analogie avec d'autres circonstances factuelles. Quoi qu'il en soit, aucun d'entre eux, même si leur teneur avait été constante et non contredite, n'est concluant quant aux questions en litige ou ne lie la Cour53.

Les demandeurs avaient-ils une expectative raisonnable que le montant des dividendes dépasse un jour celui des frais d'intérêt?

[49]      MM. Jacques Bourgeois et To Minh Chau sont professeurs en finance à l'École des hautes études commerciales de Montréal. Ni l'un ni l'autre ne prétendent être des experts en matière fiscale. Tous deux ont participé à l'établissement du rapport signé par le professeur Bourgeois. La défenderesse ne s'est pas opposée à ce qu'ils témoignent à titre d'experts au sujet de leur rapport.

[50]      Ils comparent tout d'abord le rendement d'un placement de 100 000 $ à partir de l'indice composé TSE 300, compte tenu d'un financement bancaire intégral à un taux de 1 % supérieur au taux préférentiel, entre 1978 et 1995. Les dividendes sont réinvestis, et l'intérêt est payé annuellement. En supposant en outre que l'intérêt soit déductible, des gains cumulatifs sont réalisés chaque année. Si les frais d'intérêt ne sont pas déductibles, des gains annuels sont néanmoins réalisés, sauf de 1990 à 199254.

[51]      Les auteurs concluent ensuite que le dividende annuel de 1 $ US versé par Justinian entre 1978 et 1985 était dans la norme par rapport au taux de rendement des actions ordinaires de nouvelles sociétés comportant des risques semblables et inscrites à la cote des bourses de Montréal ou de Toronto. Enfin, ils signalent que les taux d'intérêt afférents aux prêts contractés par les demandeurs étaient appropriés et que les prévisions de M. Ludmer concernant les taux de rendement se sont généralement révélées justes55.

[52]      De 1978 à 1985, les frais d'intérêt supportés par les demandeurs ont été supérieurs au revenu versé chaque année par Justinian. Cependant, le montant du dividende annuel prévu aurait dépassé celui des frais d'intérêt dès 1985, soit environ sept ans après l'investissement initial, si le taux de rendement des actions et le taux de croissance de la valeur des actions de Justinian avaient été ceux que M. Ludmer avait prévus56. Tel n'a pas été le cas. Le dividende annuel de Justinian n'a jamais augmenté, et la valeur de l'actif de celle-ci s'est moins accrue que M. Ludmer ne l'avait prévu, du moins pendant les sept premières années.

[53]      Même si les prévisions de M. Ludmer s'étaient toutes révélées exactes, 1985 n'aurait été que l'année où les frais d'intérêt auraient " croisé " les dividendes. Les pertes accumulées parce que les frais d'intérêt étaient supérieurs aux dividendes avant 1985 n'auraient été effacées qu'après un nombre indéterminé d'années et que si les demandeurs n'avaient pas disposé de leurs actions.

[54]      Même si M. Ludmer a pu prévoir, en 1977, à partir des conditions économiques d'alors, que ce nivellement des dividendes et des frais d'intérêt se produirait à un moment donné, rien ne prouve que son intention initiale était de détenir les actions jusqu'en 1985 ni même par la suite. Une telle intention n'aurait pas été réaliste pour la plupart des investisseurs, et M. Ludmer n'a jamais laissé entendre qu'il l'avait eue. En fait, il a reconnu avoir envisagé de disposer des actions avant 198557.

[55]      La preuve relative aux attentes des demandeurs devient encore plus spéculative et moins pertinente dans la mesure où la demanderesse Les Entreprises Ludco Ltée était disposée à effectuer un investissement entièrement financé par voie d'emprunt à hauteur de 1 400 000 $ en décembre 1980, lorsque les taux d'intérêt avaient doublé par rapport à 1977. Même si M. Meade avait vraiment réussi " un beau coup " en tirant avantage, selon M. Ludmer, des taux d'intérêt élevés qui, nécessairement, diminueraient, rien n'établit que les versements de dividendes, et encore moins le taux de rendement des actions, auraient augmenté sensiblement, ni même du tout, malgré la réalisation de tels gains exceptionnels. Les principaux objectifs de Justinian, soit le report de l'impôt et l'épargne fiscale, devaient être atteints essentiellement grâce au réinvestissement de la plus grande partie des bénéfices et au rachat des actions lors de la disposition, et non par le versement de dividendes. C'est ce qui ressort des documents de planification. Le témoignage de M. Steinberg confirme par ailleurs que les détenteurs d'actions de Justinian ne pouvaient faire mieux que M. Meade en ce qui concerne l'investissement des bénéfices de Justinian.

[56]      La Cour se pose deux questions fondamentales concernant le témoignage des professeurs Bourgeois et To et la mesure dans laquelle il peut étayer celui de M. Ludmer.

[57]      Premièrement, la comparaison de Justinian avec les sociétés inscrites au TSE 300 doit être considérée avec grande prudence. Justinian n'était pas une société canadienne. Elle n'était assujettie à l'impôt ni au Canada ni ailleurs. Comme le nombre de ses actionnaires ne pouvait être supérieur à cinquante, elle échappait à l'application des lois canadiennes sur les valeurs mobilières. Ses actionnaires devaient détenir moins de 10 % de son capital-actions pour contourner les règles relatives au RÉATB. La souscription minimale était de 100 000 $ US. La société ne possédait aucune installation et employait très peu de personnes. Ses éléments d'actif se composaient uniquement de valeurs mobilières. Son revenu ne provenait d'aucune exploitation active. Ses actions étaient rachetables au gré des actionnaires. Aucun élément de preuve n'établit qu'un actionnaire a négocié des actions de Justinian avec une autre personne. Justinian a été dissoute après huit années d'existence. Elle n'avait été créée qu'à des fins fiscales. Sa dissolution est imputable à la modification des dispositions relatives au RÉATB. En somme, elle se distinguait nettement de la totalité ou de la quasi-totalité des sociétés inscrites au TSE 300.

[58]      L'autre question est tout aussi capitale. Le professeur Bourgeois a confirmé le caractère raisonnable de la prévision, par M. Ludmer, de taux de rendement des actions de 1 %, de 3 % et de 4 % au cours des premières années d'existence de Justinian58. Il a signalé que le taux moyen de rendement des actions inscrites au TSE 300 avait été de 3,96 % au cours de la même période. Or, dans les principales conclusions de fond du rapport, il indique que le dividende annuel de 1 $ US versé par Justinian était compatible avec la politique de dividendes d'autres entreprises comparables et celle de 77 % des sociétés dont les titres étaient alors négociés aux bourses de Montréal et de Toronto et qui ne versaient aucun dividende ou dont le taux de rendement des actions était inférieur à 1 %59.

[59]      Il importe peu, selon moi, de laisser entendre que les taux de rendement des actions prévus par M. Ludmer étaient raisonnables, qu'ils se comparaient favorablement au taux moyen du TSE 300 et que les versements de dividendes de Justinian étaient dans la norme par rapport à 77 % des sociétés dont les titres étaient cotés en bourse. Dans les deux cas, on compare des pommes et des oranges. Ensemble, les deux comparaisons n'ont aucune signification. Le taux de rendement prévu par M. Ludmer devait être de 1 % au cours des cinq premières années, alors que, dans les faits, le taux de rendement des actions de Justinian a toujours été inférieur à 1 % et décroissant. L'écart entre les taux prévus et ceux obtenus augmentait. Soit que les attentes de M. Ludmer étaient trop grandes, soit que les dividendes de Justinian étaient trop faibles. Les premières n'ont pu être raisonnables, et les seconds dans la norme.

[60]      Après l'examen minutieux du témoignage et du rapport du professeur Bourgeois, j'arrive à la conclusion que sa comparaison des placements des demandeurs dans Justinian et d'un placement semblable dans une société inscrite au TSE 300 n'est pas pertinente. Selon moi, la preuve d'expert offerte par les demandeurs a peu d'utilité, voire aucune, aux fins de résoudre les questions en litige dans la présente affaire.

[61]      En résumé, je reconnais que, en 1977, les demandeurs avaient une expectative raisonnable de toucher des dividendes en conformité avec la politique de dividendes. La prévision selon laquelle le montant des dividendes pourrait augmenter progressivement en fonction des bénéfices, comme l'a mentionné M. Steinberg, ne s'est nullement réalisée par l'augmentation légèrement inférieure à 1 % du taux initial de rendement des actions60. Aucune preuve pertinente n'appuie les attentes qu'auraient eu les demandeurs en 1977, c.-à-d. que le taux de rendement des actions triplerait après cinq ans, quadruplerait après huit ans ou même augmenterait sensiblement à quelque moment. Rien n'établit que le taux de rendement des actions se serait jamais rapproché des taux d'intérêt de 10 % en 1977, et encore moins qu'il aurait atteint les taux d'intérêt supérieurs observés au cours des années suivantes. Rien ne prouve non plus que, en 1977, les demandeurs pouvaient s'attendre à une diminution importante des taux d'intérêt à court terme. L'emprunt contracté par les demandeurs aux taux en vigueur en 1977 et par la suite ne visait pas à toucher un taux de rendement des actions de 1 % ou, pour reprendre les termes du sous-alinéa 20(1)c)(i), à tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[62]      La comparaison établie avec le TSE 300 ne tient pas compte de la politique de dividendes de Justinian, qui était davantage qu'un verbiage usuel, et de l'objectif de la société qui était d'accumuler les bénéfices afin de reporter le paiement de l'impôt exigible de ses actionnaires. Elle n'est pas pertinente aux fins de justifier les taux de rendement prévus par M. Ludmer et censés fonder l'expectative raisonnable de profit des demandeurs.

[63]      En Cour canadienne de l'impôt, M. Ludmer a reconnu qu'il ne s'attendait pas à ce que [TRADUCTION] " les dividendes compensent ses frais d'intérêt et ne s'y être jamais attendu non plus à l'égard de quelque placement subséquent effectué dans l'immobilier ou dans des actions "61. Il a dit que les gens empruntaient pour investir dans des actions parce qu'ils espéraient que [TRADUCTION] " les dividendes jumelés aux gains réalisés lors de la disposition soient supérieurs aux frais d'emprunt "62. Pendant la période considérée, il ne connaissait aucun titre canadien dont le taux de rendement était égal au taux d'intérêt en vigueur63. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je tiens pour véridique le témoignage de M. Ludmer devant la Cour canadienne de l'impôt selon lequel il ne s'attendait pas à ce que les dividendes compensent les frais d'intérêt malgré toute déclaration contraire faite dans le cadre du présent appel de novo64.

[64]      En fait, le taux de rendement des actions de Justinian a chuté constamment. L'écart entre les taux prévus et les taux réels n'a cessé de s'accroître. Aucun élément de preuve n'établit que M. Ludmer ait fait part d'inquiétudes aux membres du conseil d'administration de Justinian, à M. Steinberg, à M. Meade, qui n'a pas témoigné, ou à qui que ce soit d'autre. De fait, les demandeurs étaient prêts à procéder à d'autres acquisitions en juillet 1978, en décembre 1978 et en décembre 1980, tandis que les taux d'intérêt variables afférents à leurs emprunts ont atteint 12 %, 14 % et 19 %, et à conserver leurs placements jusqu'en 1981, où les taux d'intérêt ont dépassé les 20 %. Le fait que les demandeurs aient toujours été disposés à acquérir des actions de Justinian et à les conserver pendant toute cette période me convainc, au-delà de la prépondérance des probabilités, qu'ils n'avaient aucune expectative de profit, raisonnable ou non, dans la mesure où ils ne se sont jamais attendus, ni en 1977 ni par la suite, à ce que le montant des dividendes dépasse celui des frais d'intérêt.

[65]      Leur investissement devenait profitable lors de la disposition des actions. C'est en effet dans cette optique que Justinian avait été mise sur pied. La disposition des actions des demandeurs en 1985 par l'exercice du droit de rachat conféré donnait lieu à un profit qui, comme le précise la note explicative, était imposable à titre de gain en capital.

Les principes juridiques relatifs à la déductibilité de l'intérêt

[66]      L'arrêt qui fait jurisprudence concernant la juste interprétation de l'alinéa 20(1)c) est celui de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32. Après avoir signalé que, n'eût été cette disposition législative, les intérêts payés n'auraient pas été déductibles du revenu, le juge en chef Dickson dit ce qui suit aux pages 45 et 46 :

     Le législateur a conçu le sous-al. 20(1)(c)(i) et lui a donné effet nonobstant l'al. 18(1)(b) pour favoriser l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables. Ce ne sont pas tous les intérêts qui sont déductibles. L'intérêt sur l'argent emprunté pour produire un revenu exempt d'impôt ne l'est pas. L'intérêt sur l'argent emprunté pour acheter des polices d'assurance-vie ne l'est pas. L'intérêt sur les emprunts utilisés à des fins non productives de revenu, telles que la consommation personnelle ou la réalisation de gains en capital, ne l'est pas non plus. La déduction prévue par la loi exige donc qu'on détermine si l'argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu imposable d'une entreprise ou d'un bien, ce qui constitue une utilisation admissible, ou s'il a été affecté à quelqu'une des possibles utilisations inadmissibles. Il incombe au contribuable d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction. Par conséquent, si le contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, il peut ne pas pouvoir réclamer la déduction.         
     La disposition prévoyant la déduction des intérêts exige non seulement la détermination de l'usage auquel ont été affectés les fonds empruntés, mais aussi la détermination de la " fin ". L'admissibilité à la déduction est soumise à la condition que l'argent emprunté soit utilisé pour produire un revenu. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que le point pertinent n'est pas la fin de l'emprunt lui-même. Ce qui est pertinent est plutôt la fin qu'a visée le contribuable en utilisant l'argent emprunté d'une manière particulière.         

     [Caractère italique non employé dans l'original.]

Dans la présente affaire, la fin de l'investissement, par les demandeurs, de la somme de 7 500 000 $ dans Justinian, compte tenu de l'accès à l'expertise de M. Meade, est totalement compatible avec la structure de l'entreprise : reporter l'impôt par l'accumulation des bénéfices et assimiler à un gain en capital le profit réalisé lors de la disposition des actions. En ce qui concerne les 6 500 000 $ empruntés pour procéder à l'investissement, la fin supplémentaire que poursuivaient les demandeurs était la déduction des frais d'intérêt. La somme n'a pas été empruntée aux fins de toucher un dividende dont le montant était sensiblement inférieur à celui de l'intérêt. Comme le dit le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman (à la page 54), les demandeurs n'ont pas convaincu la Cour " ... que la fin réelle [qu'ils visaient] en utilisant les fonds était de gagner un revenu ".

[67]      Dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, le juge Dickson, avant qu'il ne soit nommé juge en chef, parle de " source de revenu " et d'" expectative raisonnable de profit " (aux pages 485 et 486) :

     Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une " source " de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. ...         
     Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive.         

Comme pour remédier à toute confusion qui aurait pu subsister au cours des deux dernières décennies relativement à l'interprétation de l'arrêt Moldowan, la Cour d'appel a récemment repris à son compte les remarques du juge Dickson dans l'affaire Procureur général du Canada c. Mastri, [1997] J.C.F. no 880 (QL), au paragraphe 9 :

     Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, le contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, " on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit " (supra à la p. 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative.         

[68]      Dans la présente affaire, tout comme dans l'instance Mark Resources Inc. c. La Reine (1993), 93 DTC 1004 (C.C.I.), à la page 1012, on ne saurait dire que la fin véritable de l'utilisation des fonds empruntés était de toucher un revenu de dividendes. Les versements de dividendes par Justinian étaient " d'ordre secondaire et incident, compte tenu de l'objectif réel qui était sous-jacent à la mise en oeuvre " de sa politique d'accumulation et de réinvestissement des bénéfices qui, lors de la disposition des actions par voie de rachat, seraient imposés à titre de gain en capital.

[69]      La récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, et la remarque incidente dans le jugement Mark Resources Inc., précité, aux pages 1013 à 1015, ne s'appliquent pas selon moi aux faits de la présente espèce et, plus particulièrement, à la fin véritable des investissements des demandeurs dans Justinian compte tenu de l'objet et de l'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu considérée dans son ensemble.

[70]      L'application des principes susmentionnés à la présente affaire est claire. La preuve révèle en l'espèce que les sommes empruntées n'ont pas été utilisées aux fins de tirer un revenu au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i). Les dividendes ne constituaient pas un profit et ils ne pouvaient justifier une expectative raisonnable de profit en 1977, lorsque le taux d'intérêt supporté par les demandeurs atteignait 10 %, ni à quelque moment par la suite. Comme l'a dit M. Ludmer de façon succincte, les demandeurs n'ont pas emprunté pour perdre de l'argent. Cependant, ils ont réalisé leur gain lors de la disposition de leurs actions. Le profit qu'ils avaient prévu et qu'ils ont réalisé constitue un gain en capital, et non un revenu. Tel est le résultat même envisagé dans la note explicative de Justinian.

[71]      L'autre prétention des demandeurs peut être examinée tout aussi sommairement qu'elle n'est formulée. Tout investissement effectué afin de réaliser un gain en capital ne constitue pas un risque de caractère commercial. Dans la présente affaire, les demandeurs ont disposé de leurs actions par voie de rachat. Les actionnaires pouvaient exiger de Justinian qu'elle rachète leurs actions. Lors de la souscription des actions, les demandeurs ont fait valoir que l'acquisition était faite à des fins de placement. Les demandeurs, dans le cadre de ces investissements, n'exerçaient pas une activité liée à un risque ou à une affaire de caractère commercial.

[72]      Vu les conclusions que je tire relativement aux principales questions en litige, il n'est pas nécessaire d'examiner les prétentions des parties concernant le caractère factice de certaines opérations et l'application de l'article 245.

[73]      Pour ces motifs, les appels sont rejetés, et les dépens sont adjugés à la défenderesse dans l'une des quatre actions.

                             Allan Lutfy

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 9 décembre 1997

Traduction certifiée conforme             
                                 Claire Vallée, LL.B.

     ANNEXE

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63

20.(1)      Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), (b) and (h), in computing a taxpayer's income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:

...

     (c) an amount paid in the year or payable in respect of the year (depending upon the method regularly followed by the taxpayer in computing his income), pursuant to a legal obligation to pay interest on
         (i) borrowed money used for the purpose of earning income from a business or property (other than borrowed money used to acquire property the income from which would be exempt or to acquire a life insurance policy), ...

20.(1)      Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1) a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:

...

     c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur
         (i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou pour prendre une police d'assurance-vie), ...

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :              T-742-93, T-743-93, T-744-93, T-745-93
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LES ENTREPRISES LUDCO LTÉE / LUDCO ENTERPRISES LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE, BRIAN LUDMER c. SA MAJESTÉ LA REINE, DAVID LUDMER c. SA MAJESTÉ LA REINE, CINDY LUDMER c. SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          7 juillet 1997

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Lutfy en date du 9 décembre 1997.

ONT COMPARU:

Me Guy Du Pont     
Me François Barrette                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Pierre Cossette     
Me Nathalie Labbé                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman Phillips & Vineberg

Montréal (Québec)                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Le sous-procureur du Canada,

George Thomson                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

__________________

     1      Ces deux sociétés panaméennes sont appelées ci après " Justinian " et " Augustus ". Les parties reconnaissent que la preuve afférente à l'une de ces sociétés vaut pour l'essentiel à l'égard de l'autre, compte tenu du rajustement nécessaire de certaines précisions. Sauf mention contraire dans les présents motifs, le renvoi à " Justinian " vise les deux entreprises. Les montants n'étant pas en cause, ils sont approximatifs.

     2      S.C. 1970-71-72, ch. 63, modifiée (la " Loi "). Les dispositions pertinentes de l'article 20 sont reproduites à l'annexe jointe aux présents motifs.

     3      (1993), 93 DTC 1351.

     4      Ils sont interjetés sur le fondement de l'article 172 de la Loi, lequel exige la tenue d'un procès de novo : Minister of National Revenue c. Simpson's Limited (1953), 53 DTC 1127, à la p. 1129.

     5      Il s'agit d'un extrait du témoignage de M. Rowe devant la Cour canadienne de l'impôt (pièce P-8) se substituant à son témoignage de vive voix, sous réserve d'une objection de la défenderesse quant à sa recevabilité. L'examen de la transcription révèle que M. Rowe a répondu à des questions se rapportant à trois documents (pièce D-15, onglets 11, 12 et 14) que la défenderesse avait produits dans le cadre de sa preuve devant ce tribunal. En répondant à ces questions, M. Rowe a donné son interprétation de la politique ministérielle. L'objection de la défenderesse à la recevabilité de cet élément de preuve a été rejetée.

     6      La plaidoirie a été reçue le dernier jour de l'audience concernant les documents contestés. En ce qui a trait aux pièces P-12 et P-13 déposées par le professeur To dans le cadre de la courte contre-preuve des demandeurs, je suis arrivé à la conclusion que ces documents, tout comme les pièces P-10 et P-11, renferment le même type d'information que le rapport d'expert des demandeurs (pièce P-6) qui a été admis en preuve sans objection. L'opposition de la défenderesse au dépôt des pièces P-12 et P-13 est rejetée.
     Les demandeurs se sont opposés à la production, par la défenderesse, d'un certain nombre de documents établis par des représentants de la banque à charte qui a consenti les prêts. La défenderesse n'a fait comparaître aucun témoin relativement à ces documents. La preuve de la défenderesse selon laquelle les prêts accordés aux demandeurs par Justinian étaient plus importants que ceux consentis à d'autres actionnaires n'est, selon moi, ni complète ni pertinente. En conséquence, l'objection des demandeurs à la production de l'onglet 34 de la pièce D-1, des onglets 15, 20, 22 et 23 de la pièce D-2 et de l'onglet 29 de la pièce D-14 est accueillie. Les demandeurs ont retiré l'onglet 399 de la pièce P-1.

     7      Pièce P-1, onglet 383.

     8      Pièce P-1, onglet 386, p. 8 et pièce D-1, onglet 4, p. 8.

     9      Pièce P-1, onglet 397 (la " note explicative ").

     10      Pièce P-1, onglet 397, p. 6. Les termes " après avoir dûment tenu compte des conséquences fiscales de la déclaration d'un dividende pour les actionnaires du Fonds " ont été supprimés dans la deuxième phrase lors d'une révision ultérieure de la politique de dividendes. Ces termes sont compatibles avec l'objectif d'optimiser les avantages fiscaux qui ressort des documents de planification de Justinian. Leur suppression, toutefois, a peu d'importance quant à la question de la déductibilité des frais d'intérêt, car aucune preuve directe ne précise de quelles conséquences fiscales pour les actionnaires il était question.

     11      Pièce P-1, onglet 18, p. 6.

     12      Pièce P-1, onglet 16, p. 6. Voir également la pièce P-1, onglet 19, p.6. (La mention de dollars canadiens dans cet extrait de l'onglet 16 pourrait constituer une erreur.)

     13      L'analyse de la politique de dividendes de Justinian par M. Steinberg figure aux pages 179 à 205 de la transcription du 2 juin 1997.

     14      2 juin 1997, p. 184, ll. 21 à 26.

     15      2 juin 1997, p. 181, l. 23 à p. 182, l. 13. La politique de dividendes était en fait " préétablie " et elle est demeurée essentiellement inchangée : supra , notes 10, 11 et 12. Je conclus, à partir du témoignage de M. Steinberg, que le montant de 1 $ US n'était pas " préétabli ". Le dividende versé faisait l'objet d'une révision annuelle par le conseil, mais son montant est demeuré constant.

     16      3 juin 1997, p. 140 et 141, en réponse à la dernière question posée à M. Steinberg. On lui a demandé s'il se rappelait son attente d'un résultat [TRADUCTION] " par voie de rendement des actions ", et il a répondu [TRADUCTION] " Non, je n'en avais aucune en particulier - je supposais qu'avec le temps, toutes autres choses étant égales par ailleurs, le dividende augmenterait en fonction des bénéfices ". Ce n'est pas la preuve d'une attente que le rendement des actions s'accroisse, le cas échéant, substantiellement. L'augmentation éventuelle du dividende versé par Justinian en fonction de ses bénéfices n'entraîne pas l'augmentation du taux de rendement des actions, d'autant plus que la politique constante de la société en matière de dividendes a été de réinvestir la majeure partie de ses gains.

     17      2 juin 1997, p. 191, l. 20 à p. 192, l. 15. En septembre 1979, la politique de Justinian était [TRADUCTION] " de conserver le capital et d'attendre la fin du cycle de fluctuation des taux " (pièce P-1, onglet 174). Cet énoncé datant de septembre 1979 et un autre, semblable, datant de janvier 1983 (pièce P-1, onglet 212), au moment où la valeur de l'actif et le revenu net de la société s'étaient accrus sensiblement, semblent davantage se rapporter à la stratégie d'investissement de Justinian qu'à sa politique de dividendes. Cette interprétation est compatible avec la constance des versements de dividendes au cours de la période.

     18      3 juin 1997, p. 144, l. 25; voir également 2 juin 1997, p. 83, l. 22.

     19      3 juin 1997, p. 148, ll. 5 à 15 et 4 juin 1997, p. 166, ll. 3-24.

     20      4 juin 1997, p. 165, l. 27 à p. 166, l. 6.

     21      3 juin 1997, p. 274, l. 22.

     22      Pièce P-9, par. 6.

     23      4 juin 1997, p. 169, l. 3. Voir également infra , note 26.

     24      3 juin 1997, p. 197, l. 18.

     25      Pièce P-1, onglets 385 et 397; 3 juin 1997, p. 164, ll. 9 à 16.

     26      3 juin 1997, p. 225, l. 27 à p. 226, l. 10 et p. 273, ll. 21 à 24; 4 juin 1997, p. 56, l. 24.

     27      Le 2 août 1977, M. Verchère a écrit à M. Steinberg au sujet de la déductibilité de l'intérêt (pièce P-1, onglet 405). Peu importe sa valeur, cette lettre ne fait pas partie des documents de planification présentés à M. Ludmer en 1977.

     28      3 juin 1997, p. 165, l. 7 et p. 202, l. 27; 4 juin 1997, p. 105, ll. 9 et 14.

     29      3 juin 1997, p. 178, l. 20 à p. 179, l. 26 et p. 180, l. 11.

     30      3 juin 1997, p. 190, l. 5; p. 191, l. 8 à p. 192, l. 8.

     31      3 juin 1997, p. 196., ll. 16 à 29.

     32      3 juin 1997, p. 204, ll. 11 et suivantes.

     33      Pièce P-1, onglet 72, aux p. 9 et 10.

     34      La pièce P-6, graphique 1.2 et la pièce P-4 font état de ces taux d'intérêt. L'estimation de M. Ludmer selon laquelle les frais d'intérêt des demandeurs en octobre 1977 se chiffraient à 8 % (3 juin 1997, p. 225, l. 22) est d'environ 2 % inférieure aux données du graphique 1.2, que je tiens pour plus exactes.

     35      Pièce D-5.

     36      Le premier dividende de 1 $ US de Justinian a été versé le 1er décembre 1978 lorsque la valeur liquidative des actions était de 101,01 $ US chacune (pièce P-1, onglet 165). De 1978 à 1985, les rapports mensuels de gestion de portefeuille indiquent une croissance constante de la valeur des actions (pièce P-1, onglets 152 à 303). Ainsi, le taux de rendement initial des actions de Justinian d'un peu moins de 1 % a constamment diminué au cours des années suivantes du fait que le dividende annuel est demeuré de 1 $ US.

     37      5 juin 1997, p. 50, l. 18.

     38      3 juin 1997, p. 218, l. 21.

     39      4 juin 1997, p. 16, l. 5.

     40      Les premiers rapports font état de la politique d'investissement " prudente " de Justinian. En octobre 1978, cette politique est demeurée défensive. En septembre 1979, les taux d'intérêt à la hausse et la faiblesse du dollar canadien ont [TRADUCTION] " rendu très difficile la réalisation de gains en capital par la gestion active d'éléments d'actif en portefeuille. [...] La meilleure stratégie consistait à conserver le capital et à attendre que prenne fin le cycle de fluctuation des taux ". En novembre 1980, " ... le portefeuille est à nouveau équilibré avec grande prudence ". Voir également le témoignage de M. Steinberg : 2 juin 1997, p. 188, ll.8 à 14.

     41      5 juin 1997, p. 58, ll. 8 à 25.

     42      Ce n'est qu'en mars 1982 que Justinian a décidé de convertir au plus 40 % de son portefeuille en monnaie américaine. Ses placements libellés en dollars américains étaient jusqu'alors minimes. Ces données proviennent des rapports mensuels.

     43      3 juin 1997, p. 234, ll. 24 à 26.

     44      Pièce D-15, onglet 11.

     45      9 juillet 1997, p. 6, ll. 8 à 12. Son témoignage se poursuit jusqu'à la p. 47.

     46      Pièce D-15, onglet 12. Il s'agit de M. Rowe, supra , note 5, qui a déposé que, pour autant qu'il se rappelait, la politique du Ministère voulait que l'intérêt payé relativement à un prêt contracté pour acheter des actions ordinaires soit déductible, même si aucun dividende n'était versé. Dans les mêmes circonstances, le profit réalisé à la disposition était imposable à titre de gain en capital. Il a précisé que la politique visait toutes les actions ordinaires, et non seulement les actions de sociétés minières, de 1977 à 1985 (pièce P-8, aux p. 192 à 198).

     47      Voir la pièce P-1, onglet 354, qui correspond à la résolution no 23 des avis des voies et moyens relatifs à la modification de la Loi de l'impôt sur le revenu par suite du budget du 12 novembre 1981, et la pièce D-15, onglet 13.

     48      Pièce D-15, onglet 16.

     49      Pièce D-15, onglet 18, p. 257.

     50      7 juillet 1997, p. 63, ll. 11 à 20.

     51      Pièce D-15, onglet 19.

     52      Pièce D-15, onglets 24 et 26.

     53      Ludmer et al. c. La Reine (1994), 95 DTC 5311 (C.A.F.) à la p. 5315.

     54      Pièce P-6, paragraphes 30 et 41.

     55      Pièce P-6, paragraphes 43, 66, 67 et 78.

     56      Ces données font l'objet d'un graphique (pièce P-3) préparé par le professeur To et produit en preuve lors du témoignage de M. Ludmer. Selon une hypothèse, les fonds empruntés constituent 80 % de la somme investie. La pièce P-4 correspond à un autre graphique montrant que 100 $ investis en 1970 dans une société inscrite au TSE 300, compte tenu de l'emprunt de 80 % des fonds investis à un taux d'intérêt de 1 % supérieur au taux préférentiel, produisent des dividendes dont le montant excède celui des frais d'intérêt sur une base annuelle dès 1987.

     57      4 juin, p. 184, l. 22 à p. 185, l. 4. En Cour canadienne de l'impôt, M. Ludmer a précisé, du moins en ce qui a trait à la demanderesse Les Entreprises Ludco Ltée, que l'investissement était une mesure temporaire jusqu'à ce qu'une bonne occasion se présente dans l'immobilier (5 juin 1997, p. 91, ll. 16 à 20). En expliquant pourquoi les données graphiques allaient au-delà de 1985, M. Ludmer a qualifié Justinian de [TRADUCTION] " placement à long terme. Rien ne me permettait de savoir qu'elle serait dissoute en 1985 ". (3 juin 1997, p. 196, ll. 10 et 11). Ces propos ne sont pas incompatibles, selon moi, avec le témoignage de M. Ludmer selon lequel il envisageait de disposer des actions des demandeurs avant 1985.

     58      6 juin 1997, p. 53, l. 11 à p. 54, l. 2.

     59      Supra, note 55.

     60      Supra, note 16.

     61      4 juin 1997, p. 211, l. 24 à p. 212, l. 8.

     62      4 juin 1997, p. 214, ll. 7 à 10, p. 217, ll. 19 à 23 et p. 218, ll. 4 à 8.

     63      4 juin 1997, p. 216, ll. 3 à 8. M. Ludmer a dit la même chose relativement au TSE 300 dans le cadre du présent appel : 3 juin 1997, p. 232, ll. 13 à 15.

     64      4 juin 1997, p. 185, ll. 25 à 28.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.