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Date : 20020128

Dossier : T-1695-01

Référence neutre : 2002 CFPI 85

ENTRE :

                          NORMAND MARTINEAU

                                                                demandeur

                                    et

                     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                    

                                                                défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                 Il s'agit d'une requête visant à obtenir une ordonnance cassant la décision du protonotaire Morneau datée du 11 décembre 2001 et visant particulièrement à obtenir une ordonnance de la Cour déclarant que le demandeur ne peut être contraint par le défendeur ou tout autre partie au litige de témoigner dans la présente instance.

[2]                 Rappelons brièvement les faits. Le demandeur, en date du 25 septembre 2001, a déposé une déclaration en vertu de l'article 135 de la Loi sur les douanes.

[3]                 Le demandeur demande que la décision ministérielle du défendeur dans la cause ayant le numéro d'appel CS 6098/I-MO-QC-167-A soit modifiée et remplacée par un jugement annulant l'avis de confiscation compensatoire dans le dossier portant le numéro QC-0167, daté du 25 juin 1996. Le défendeur Ministre du Revenu national souhaite interroger le demandeur en vertu de la règle 236(2) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[4]                 Cette demande a été soumise au protonotaire, lequel a accueilli favorablement ladite demande dans sa décision du 11 décembre 2001.

[5]                 Le demandeur invoque particulièrement l'alinéa 11 c) de la Charte canadienne des droits et libertés qui prévoit :

11. Tout inculpé a le droit :

c) ... de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;

[6]                 Bien que le procureur du défendeur n'ait pas cru bon de soulever cet aspect, la Cour a décidé d'office de soulever les dispositions de la règle 82 des Règles de la Cour fédérale, lesquelles se lisent comme suit :

Utilisation de l'affidavit d'un avocat

82. Sauf avec l'autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l'auteur d'un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

Use of solicitor's affidavit

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

   

[7]                 Le demandeur a eu l'occasion de faire sa présentation au complet et de présenter ses prétentions à la Cour basées sur l'affidavit qu'il avait signé lui-même. Le procureur du demandeur a reconnu que les arguments présentés à la Cour, fondés sur cet affidavit, étaient en contravention de l'article 82, mais qu'il souhaitait rétroactivement demander l'autorisation de la Cour.

[8]                 Le demandeur n'a cependant pas été en mesure de fournir des raisons ou des motifs pouvant justifier qu'il soit à la fois l'auteur de l'affidavit et qu'il présente lui-même à la Cour les arguments fondés sur cet affidavit.

[9]                 Dans l'ouvrage D. Sgayias et al. intitulé Federal Court Practice, éd. 2002 (Toronto: Carswell, 2001) à la page 380, il est précisé sous la règle 82:


Rule 82 is new. While there was no corresponding provision in the former Rules, the jurisprudential rule against a solicitor both giving an affidavit and appearing as counsel was well-established: Nissho Iwai Corp. v. Paragon Grand Carriers Corp. (1987), 11 F.T.R. 134 (T.D.); College Marketing & Research Can. (CMRC) Corp. v. Volkswagenwerk A.G. (1980), 53 C.P.R. (2d) 37 (Fed. T.D.). What remains to be seen is the extent to which the exceptions to the jurisprudential rule against solicitors' affidavits survive the express prohibition of new rule 82.

                                                                         [ .... ]

Gajic v M.N.R. (1998), [1998] 3 C.T.C. 235, 98 D.T.C. 6389, 148 F.T.R. 198 (Proth.); affirmed 150 F.T.R. 81, 98 D.T.C. 6586, [1998] 4 C.T.C. 189 (T.D.); affirmed [2000] 2 C.T.C. 300, 254 N.R. 324, 2000 D.T.C. 6143 (Fed. C.A.); leave to appeal to S.C.C. refused (2000), 262 N.R. 394 (note)(S.C.C.) - The Court refused to consider counsel's own affidavit. While counsel had believed that the affidavit was not contentious, the other party took issue with some of the material thereby risking a situation where the weight to be attached to counsel's statements would be discussed before the Court.

Shilling v. M.N.R., [1998] 4 C.T.C. 46, 98 D.T.C. 6399, 149 F.T.R. 136 (Proth.) - Applying rule 82, the Court ignored written submissions of a counsel whose affidavit had been submitted in support of the motion.

[10]            Le procureur du demandeur suggère que le contenu de son affidavit porte essentiellement sur des questions de droit et qu'il devrait être autorisé à signer cet affidavit au soutien de sa requête en appel de la décision du protonotaire.

[11]            Bien que la Cour reconnaisse que la décision du protonotaire et les motifs invoqués pour en demander la révision sont en bonne partie des questions de droit, il n'en demeure pas moins que la règle existe et que la jurisprudence, tant antérieure à cette règle qui est en place depuis 1998 que subséquente à l'entrée en vigueur de la présente règle, est largement en faveur d'une application stricte de la règle dont le procureur du demandeur n'a pas été en mesure de fournir suffisamment de motifs qui justifieraient de s'éloigner.


[12]            Par ailleurs, le défendeur m'a fait la démonstration que lesdites dispositions des articles 161, 162 et 163 de la Loi sur les douanes, lesquelles prévoient les recours en matière pénale ne pouvaient trouver application puisqu'elles se prescrivent par trois ans à compter de leur perpétration et que les faits sur lesquels portent les questions en litige datent de 1996; à cet effet, les articles 161, 162 et 163 se lisent comme suit:

161. Toute personne qui contrevient aux dispositions de la présente loi non mentionnées à l'article 160 encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de deux mille dollars et minimale de deux cents dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l'une de ces peines.

  

162. La poursuite d'une infraction à la présente loi peut être intentée, entendue ou jugée au lieu de la perpétration de l'infraction, au lieu où a pris naissance l'objet de la poursuite, au lieu où l'inculpé est appréhendé ou en tout lieu où il se trouve.

  

163. Les poursuites par procédure sommaire visant des infractions à la présente loi ou des infractions prévues par elle se prescrivent par trois ans à compter de leur perpétration.

161. Every person who contravenes any of the provisions of this Act not otherwise provided for in section 160 is guilty of an offence punishable on summary conviction and liable to a fine of not more than two thousand dollars and not less than two hundred dollars or to imprisonment for a term not exceeding six months or to both fine and imprisonment.

162. A prosecution for an offence under this Act may be instituted, heard, tried or determined in the place in which the offence was committed or in which the subject-matter of the prosecution arose or in any place in which the accused is apprehended or happens to be.

163. Proceedings may be instituted by way of summary conviction in respect of offences under this Act at any time within but not later than three years after the time when the subject-matter of the proceedings arose.

  

[13]            Le demandeur prétend que même s'il doit déposer une action à l'encontre du défendeur, il s'agit en définitive d'un recours de type pénal et qu'en conséquence, la protection conférée par l'article 11c) de la Charte et par les articles 2, 4 et 5 de la Loi sur la preuve au Canada seraient applicables à cette situation.

[14]            Les deux parties ont abondamment fait référence à la décision R. v. Amway Corp., [1989] 1 S.C.R. 21. Parlant pour la Cour, le juge Sopinka précise aux paragraphes 14 et 25:

14. Upon examining the authorities, it is apparent that a defendant in actions for forfeitures and penalties enjoyed three rights at common law:

1.             to resist an order for discovery in forfeiture actions;

2.             to resist an order for discovery in penalty actions;

3.             to remain silent in the face of any question put to the defendant on discovery or at trial which tended to incriminate the defendant or subject the defendant to a forfeiture or penalty.

                                                                         [ ... ]


25. In my opinion none of the three rules has any basis in our law. They were grounded in a policy from a bygone era, a policy which does not exist in Canada today. With respect to actions of forfeiture, the rules applied only to forfeiture of land or [page 36] an interest in land. Any policy against actions for forfeiture is contained in various statutory provisions empowering the Court to grant relief from forfeiture and penalties. Section 111 of the Courts of Justice Act, 1984, S.O. 1984, c. 11, is one example of such a provision. Actions by informers are extinct and in any event this is not an action by an informer but by the Crown. Moreover the enforcement of the first two rules against discovery in actions for forfeitures and penalties is out of keeping with the practice in our courts to widen all avenues of discovery. This policy is reflected in the Federal Court Rules, including Rule 465, which does not contain any exception which would exempt an officer of a corporation from being examined for discovery in an action for forfeiture or penalty. Indeed, it does not contain such an exception in the case of an individual. As for the third rule, as noted above, the privilege of a witness against self-incrimination was replaced by s. 5 of the Canada Evidence Act. For these reasons, I am prepared to find, as did the High Court of Australia in that country, that any shadowy existence which these rules may have enjoyed in Canada was terminated by the broad discovery provisions of Rule 465 of the Federal Rules and s. 5 of the Canada Evidence Act.

[15]            Bien qu'il puisse paraître étrange qu'ayant été modifiée, la loi, maintenant, prévoit que pour en appeler d'une décision ministérielle qui consiste en un avis de confiscation compensatoire, un contribuable doit le faire par action; le demandeur n'a pas réussi à me convaincre qu'il s'agissait d'un recours de nature pénale, que le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l'article 11c) de la Charte et qu'il puisse être dispensé d'être interrogé dans une action où il est lui-même demandeur.

[16]            J'ai examiné avec attention les motifs rendus par le protonotaire Morneau et je suis d'accord avec lui qu'il serait inconcevable que le demandeur, dans une action, ne puisse être l'objet d'un interrogatoire au préalable alors que la décision du Ministre est un avis de confiscation compensatoire et ne peut en aucun cas être assimilée à une mesure pénale et qu'au surplus, les mesures pénales prévues par la Loi sur les douanes aux articles 161 et suivants ne peuvent plus être entreprises à l'encontre du demandeur, puisque prescrites.

[17]            Accueillir les prétentions du demandeur irait carrément à l'encontre des dispositions de la règle 236 qui vise avant tout à ce que les parties puissent être adéquatement préparées et permettre à la Cour de rendre une décision éclairée.

[18]            Dans Canada v. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à la page 454, la Cour précise:

J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants:

a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

Dans ces deux catégories de cas, le juge des requêtes ne sera pas lié par l'opinion du protonotaire; il reprendra l'affaire de novo et exercera son propre pouvoir discrétionnaire.

  

[19]            Manifestement, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que l'ordonnance rendue par le protonotaire était manifestement erronée, soit que le protonotaire ait utilisé son pouvoir discrétionnaire en se basant sur le mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits ou encore que le protonotaire aurait mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question qui aurait une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans ce dossier.


[20]            En conséquence, j'en conclus que l'affidavit de l'avocat soumis au soutien de la présente requête en appel n'est pas acceptable dans les circonstances et compte tenu de l'absence d'un affidavit valable au soutien de la requête, ladite requête ne peut être acceptée à sa face même et que même si ladite requête avait été appuyée d'un affidavit valable, les motifs allégués à son soutien ne permettent pas de conclure que l'ordonnance rendue par le protonotaire est manifestement erronée, que le protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits ou encore que le protonotaire aurait mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question qui aurait une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans le présent dossier.

[21]            Pour tous ces motifs, la présente requête en appel de la décision du protonotaire est rejetée avec dépens.

      

Pierre Blais                                       

Juge

   

OTTAWA, ONTARIO

Le 28 janvier 2002


COUR FEDERALE DU CANADA

SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: T-1695-01 INTITULE

Normand Martineau -et­ Le Ministre du Revenu National

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Quebec)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 14 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS DATE DES MOTIFS: Le 28 janvier 2002

COMPARUTIONS

Me Frederic Hivon POUR LE DEMANDEUR

Me Jacques Savary POUR LE DEFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lacombe, Hivon POUR LE DEMANDEUR Montréal (Quebec)

Morris Rosenberg POUR LE DEFENDEUR Sous-procureur general du Canada

Ottawa (Ontario)

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