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Date : 20010102


Dossier : T-787-00



ENTRE :

     GILLES AYOTTE

     Demandeur


     - et -


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ :


[1]          Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue à son encontre le 21 mars 2000, au nom du Commissaire du Service correctionnel du Canada, à l'effet que la cote de sécurité du demandeur était haussée de moyenne à élevée et qu'il était transféré de l'Établissement Cowansville, un établissement à sécurité moyenne, à l'Établissement Donnacona, un établissement à sécurité élevée.



1. Faits



[2]          Le demandeur purge une peine d'emprisonnement à vie depuis 1979 pour les délits de meurtre au second degré, vol par effraction et possession d'outils de cambriolage. Depuis le début de sa sentence, il a bénéficié de quatre semi-libertés qui se sont soldées par des échecs. En 1992, le demandeur a été frappé d'une autre sentence de huit ans à la suite d'une condamnation de meurtre commis lorsqu'il était en liberté illégale.



[3]          Le 12 mars 1999, le demandeur a pris la fuite lors d'une permission de sortie avec escorte ("PSAE") pour être arrêté 67 jours plus tard. Il fait présentement l'objet d'une accusation de vol qualifié avec arme chargée commis durant une période de liberté illégale.



[4]          Le 22 septembre 1999, le demandeur a été placé en isolement préventif au cours d'une enquête à la suite de la réception d'information à l'effet qu'il avait l'intention de s'évader. Le 29 septembre 1999, lors de la révision du cas d'isolement du demandeur, l'information a été confirmée par la police et la source jugée très fiable par les autorités.



[5]          Le demandeur a logé un grief aux trois paliers et ses griefs ont été rejetés. C'est la décision au troisième palier qui fait l'objet de sa demande de contrôle judiciaire.




2. Question en litige



[6]          Il s'agit de déterminer si la décision attaquée est bien fondée dans le sens que l'information communiquée au demandeur était suffisante pour lui permettre de présenter des observations dans le but de réfuter les allégations portées contre lui.


3. Arguments du demandeur



[7]          Le demandeur prétend que l'information relativement au projet d'évasion était beaucoup trop générale et superficielle pour lui permettre de présenter ses observations. La seule information communiquée à ce sujet est la suivante:

En date du 1999-09-14, nous avons reçu de l'information de source policière (SPCUM) à l'effet que Gilles Ayotte avait des projets d'évasion. La source est considérée comme très fiable.
(Pièce GA-2, Dossier du demandeur, pp. 13-14)



[8]          La Directive du Commissaire 540 concernant les transfèrements de détenus est explicite sur le devoir d'agir équitablement et de communiquer tous les renseignements pertinents:

12. Il faut respecter rigoureusement les principes du devoir d'agir équitablement et de justice fondamentale selon lesquels le délinquant doit avoir la possibilité de répondre à l'avis de transfèrement en pleine connaissance de cause. Il s'agit de déterminer si les renseignements qui ont été communiqués au délinquant sont suffisants pour lui permettre de répondre aux allégations qui pèsent contre lui, et non d'établir s'il existe des motifs valables de ne pas communiquer certains renseignements.
15. Il faut communiquer au délinquant tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la prise de décision, y compris autant que possible les renseignements protégés et les renseignements sur la sécurité préventive lorsque ceux-ci influent sur une demande de transfèrement sollicité ou seront pris en considération dans la recommandation d'un transfèrement non sollicité. On doit assurer un équilibre entre le droit du délinquant de savoir ce qu'on lui reproche et la protection des sources de renseignements confidentiels. Lorsque seul l'essentiel des renseignements peut être communiqué au délinquant en raison de leur caractère confidentiel, le décideur doit être sûr qu'il ne pourrait lui fournir aucun autre élément d'information sans révéler des renseignements sur la sécurité ou sur un informateur. [...]
(mon soulignement)



[9]          De même, l'instruction permanente 700-01 concernant la communication des renseignements stipule à l'article 12 précité que:

L'essentiel communiqué au délinquant doit comprendre suffisamment de détails pour lui permettre de répondre de façon significative aux allégations faites contre lui. Il ne suffit pas de faire une déclaration générale, par exemple : « on vous transfère parce qu'on vous soupçonne de faire entrer des drogues dans l'établissement » , Cette allégation doit être étayée de détails concrets. Il faut en effet communiquer l'essentiel des renseignements dans lequel on fournit des détails concrets à l'appui de l'allégation. L'essentiel doit présenter les faits pertinents, y compris :
a)      les dates et lieux d'incidents précis;
b)      la façon dont les autorités en ont eu connaissance, et
c)      tout autre élément de preuve de la culpabilité inférée du délinquant.



[10]          Le demandeur se replie sur une décision de la Cour d'appel fédérale dans Demaria c. Comité régional de classement des détenus1. L'appelant dans cette affaire a été transféré d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale pour avoir introduit du cyanure dans une prison. Le détail des allégations le concernant ne lui a pas été transmis au motif que tous les renseignements visés étaient confidentiels. La Cour d'appel a déterminé que l'appelant avait été traité de façon inéquitable. Même si les autorités sont justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignements confidentiels, il devrait être possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Le paragraphe suivant sous la plume du juge Hugessen reflète bien la pensée du Tribunal, aux pages 76-77:

Selon moi, il ne fait tout simplement aucun doute que l'appelant n'a pas bénéficié du traitement équitable auquel il avait droit. [...] Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on n'entend pas tenir une audience ni conférer à la personne en cause le droit d'être mis directement en présence de la preuve présentée contre elle, il est particulièrement important que l'avis soit le plus détaillé possible; sinon le droit d'y répondre devient tout à fait illusoire. L'espèce illustre parfaitement de quelle façon un avis insuffisant peut rendre un tel droit inopérant. On fait savoir à l'appelant qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il a introduit du cyanure dans la prison. Aucune indication ne lui est fournie sur la nature de ces motifs. Les allégations formulées à son sujet ne comportent aucun détail significatif. Où? Quand? Comment? D'où provenait le poison? Comment avait-il été obtenu? Pour quelles fins? Quelle en était la quantité? [...] Les questions s'enchaînent presque à l'infini.

4. Arguments du défendeur



[11]          Le défendeur soumet que les autorités correctionnelles ont évalué l'ensemble des facteurs que l'on retrouve à l'article 17 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition2 relativement à la hausse de sa cote de sécurité exigeant en l'espèce un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.



[12]          En l'espèce, l'équipe de gestion du cas du demandeur a complété un document intitulé « Évaluation en vue d'une décision » , dans lequel la hausse de sa cote de sécurité de moyenne à élevée ainsi que son transfèrement dans un établissement à sécurité élevée étaient recommandés. L'évaluation globale se lit ainsi:

Gilles Ayotte a un lourd dossier institutionnel et criminel. On parle de plus d'une victime décédée à plusieurs années d'intervalle, d'implication dans la consommation et le trafic de stupéfiants en établissement à différentes périodes au cours de son incarcération, d'une liberté illégale en 1989 (du CRC Prosper Boulanger), de manquements lors de semi-libertés, d'une évasion récente en 1999 et d'une cause en suspens de vol qualifié lequel serait survenu pendant sa période de liberté illégale.
Il s'est impliqué dans différents programmes institutionnels et malgré qu'il s'est mérité une cote minimale et qu'il soit demeuré au Minimum pendant près de dix-sept mois, les décisions qu'il a prises suite à son audience de janvier 1999 nous démontrent qu'il n'a pas encore intégré les différents apprentissages qu'il a faits et il semble que le risque de comportement violent soit toujours présent. La dernière information en rapport avec ses projets d'évasion nous amène à le recommander pour un établissement à sécurité plus élevée, le risque qu'il représente pour un établissement à sécurité modérée n'est plus assumable. Sa cote de sécurité a été révisée et elle est évaluée à maximale avec le facteur dérogatoire du projet d'évasion. Donc, nous recommandons un transfèrement vers un établissement à sécurité plus élevée, soit Donnacona. Sa liste d'antagonistes a été vérifiée et aucun ne se trouve à cet établissement.



[13]          Les services correctionnels ont alors fait parvenir au demandeur des avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité faisant état des soupçons qui pesaient contre lui quant à ses intentions d'évasion. Le demandeur a répondu à chacun de ces avis. Il est important de noter que le document « Évaluation en vue d'une décision » était joint à ces avis, de sorte que le demandeur était au courant, non seulement des soupçons d'évasion, mais aussi du poids global de son dossier carcéral. C'est donc à tort que le demandeur prétend ne pas avoir été en mesure de faire des représentations adéquates.



[14]          Quant au manque de détails relativement à l'information obtenue concernant le projet d'évasion, le défendeur souligne que l'affaire Demaria visait une décision disciplinaire et non une décision de transfèrement et que les deux cas ne doivent pas être traités de la même façon.



[15]          Dans une décision subséquente à l'affaire Demaria, la Cour d'appel fédérale dans Gallant v. Canada3 s'est penchée sur un jugement de première instance (le mien) annulant le transfèrement de l'intimé d'un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité maximale supérieure au motif que l'avis des motifs de transfèrement était trop vague pour permettre à l'intimé de répondre. La décision majoritaire de la Cour d'appel est à l'effet que la Loi sur les pénitenciers4 donne au Commissaire et à ses délégués le pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu d'un établissement à un autre. Il n'y a pas raison d'exiger que le détenu dispose de la même quantité de détails que celle requise dans le cas d'une décision imposant une sanction pour une infraction. Le passage suivant du juge Marceau résume bien sa pensée à ce sujet, aux pages 342-43:





Il me semble que pour apprécier les conséquences pratiques du principe audi alteram partem il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur les détenus en milieu carcéral, qu'elles soient rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de révocation de libération conditionnelle ou par les comités de discipline à la suite d'infractions pénales pouvant entraîner différentes peines, jusqu'à la ségrégation, ou par les autorités carcérales approuvant, comme en l'espèce, le transfèrement des détenus d'un établissement à un autre pour des motifs d'ordre administratif et de sécurité. Ces décisions sont non seulement différentes en ce qui a trait aux droits, privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut entraîner différentes normes en matière de garanties procédurales, mais également, et c'est encore plus important, quant à leurs objectifs et à leur raison d'être, ce qui ne peut qu'influer sur le genre de renseignements que le détenu doit connaître afin que sa participation au processus décisionnel ait une portée réelle. Dans le cas d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, les règles d'équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l'infraction. Il n'en est pas de même dans le cas d'une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l'établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n'y a pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. En effet, dans le premier cas, ce qu'il faut vérifier est la commission même de l'infraction et la personne visée devrait avoir la possibilité d'établir son innocence; dans le second cas, c'est uniquement le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée, et la participation de la personne visée doit être rendue pleinement significative pour cela, mais rien de plus. En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de savoir si les renseignements reçus des six sources différentes représentaient des préoccupations assez importantes pour justifier son transfèrement.



[16]          Par la suite, ce même juge fait ressortir les différences fondamentales des circonstances qui ont motivé le juge Hugessen dans Demaria et celles de l'affaire Gallant, aux pages 343-44:

a)      Dans Demaria le transfèrement était fondé sur la croyance que le détenu avait introduit du cyanure dans la prison; il s'agissait donc d'un acte, d'une opération qui avait déjà eu lieu et ne se répéterait probablement pas. En l'espèce, il est fondé sur la croyance que des détenus participaient à un système d'extorsion qui existe peut-être encore ou qui pourrait refaire surface.



b)      Dans Demaria, il n'y avait pas de raison directe de croire que la sécurité des autres détenus était en cause; il n'y avait pas de victimes claires des actes reprochés. Ici, au contraire, l'extorsion par voie de menaces implique nécessairement l'existence de victimes et met en danger la sécurité d'autrui.
c)      Dans Demaria la police avait fourni des preuves indépendantes. En l'espèce, toute la preuve venait d'indicateurs qui avaient de bonnes raisons de craindre les représailles des prétendus extorqueurs.
d)      Dans Demaria, presque aucun renseignement n'avait été divulgué, ce qu'on avait simplement voulu justifier par l'affirmation générale, reprise par le juge Hugessen [à la page 78], que « "tous les renseignements concernant la sécurité préventive" [étaient] confidentiels et [ne pouvaient] être communiqués » . En l'espèce, d'une part, beaucoup plus de renseignements ont été divulgués, y compris le rapport intégral sur l'évolution du cas du détenu, la portée des préoccupations du directeur et les raisons qui justifient le refus de communiquer d'autres détails. D'autre part, les autorités carcérales ont clairement affirmé sous serment qu'aucun autre renseignement ne pouvait être révélé sans danger, notamment dans la déclaration du directeur qui, comme l'affirme avec raison le juge de première instance, [aux pages 271 C.R.; 153 F.T.R.] « connaît mieux les conditions carcérales que la Cour et peut évaluer de façon plus réaliste ce que des détenus sont capables de déduire de renseignements donnés.

4. Analyse



[17]          Les règles d'équité en matière de procédure varient selon les circonstances. En l'espèce, l'avis ne reposait pas seulement sur un projet d'évasion mais sur l'ensemble de l'historique criminel du demandeur, son cheminement carcéral, ses échecs en semi-liberté, les actes commis pendant les semi-libertés, les libertés illégales et les accusations pendantes.



[18]          Le demandeur possédait déjà toute l'information disponible quant à son historique globale. Le déclenchement de son transfèrement est sans doute dû à l'information récente relativement à son évasion. Mais, il faut retenir qu'il ne s'agit pas ici d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, ce qui aurait nécessité plus de détails, tel que décidé dans l'affaire Demaria, pour permettre au demandeur de se défendre contre une allégation d'infraction précise. Il s'agit plutôt ici d'un transfèrement rendu nécessaire pour le bon fonctionnement de l'établissement. Dans la présente affaire, comme dans l'affaire Gallant, la divulgation de détails quant à des renseignements confidentiels obtenus au sujet du projet d'évasion mettrait en péril la sécurité des autres personnes impliquées.



[19]          Dans une décision plus récente de la Cour suprême du Canada, R. c. Leipert5, l'appelant Leipert a fait valoir qu'il avait droit à un document relatant l'information communiquée par l'indicateur en raison de son droit à une défense pleine et entière, telle que garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a déterminé que la règle du privilège relatif aux indicateurs de police est d'une importance si fondamentale pour le fonctionnement du système de justice criminelle qu'elle ne saurait être soupesée en fonction d'autres intérêts relatifs à l'administration de la justice. Le privilège relatif aux indicateurs de police ne souffre qu'une exception, celle concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé.





[20]          Dans ses motifs, la juge McLachlin de la Cour suprême (maintenant juge en chef) se reportait au principe suivant établi dans l'affaire Bisaillon c. Keable6: "... les renseignements relatifs à l'identité des indicateurs de police forment, à cause de leur contenu, une classe de renseignements qu'il est dans l'intérêt public de garder secrets et que cet intérêt l'emporte sur la nécessité de rendre une justice plus parfaite".



[21]          Comme l'écrivait le juge Marceau dans l'affaire Gallant, il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur des détenus en milieu carcéral. Une décision en matière de transfèrement en est une de nature administrative, prise en vue de maintenir le bon ordre dans le pénitencier et de veiller à la protection du public. À ce titre, l'équité procédurale n'exige pas que le demandeur dispose d'autant de détails que dans le cas d'une accusation disciplinaire. En l'espèce, le caractère raisonnable et sérieux de la totalité des motifs sur lesquels la décision est fondée a suffisamment démontré que le transfèrement du demandeur était justifié.



[22]          En conséquence, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


OTTAWA, Ontario

le 2 janvier 2001

    

     Juge

__________________

1      [1987] 1 C.F. 74.

2      DORS/92-620.

3      [1989] 3 C.F. 329.

4      S.R.C. 1970, chap. P-6.

5      [1997] 1 R.C.S. 281.

6      [1983] 2 R.C.S. 60.

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