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     Date : 20000517

     Dossier : IMM-3841-98


Entre

     MOHAMMED ISRAFIL

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge PINARD


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 8 juin 1998 par laquelle Raymond Gabin, agent des visas en poste au consulat général du Canada à Buffalo (New York), a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions prévues pour l'immigration au Canada.

[2]      Dans sa demande de résidence permanente datée du 29 avril 1997, le demandeur, citoyen bangladais, donnait pour profession envisagée celle de traiteur en indiquant qu'il l'exerçait à New York de juillet 1988 à avril 1997.

[3]      Une agente des visas, C. Wittenberg, l'a informé par lettre en date du 12 janvier 1998 qu'il ne remplissait pas les conditions de sélection à titre de traiteur (cuisinier), comme suit :


     [TRADUCTION]

     Je vous informe que vous ne satisfaites pas aux conditions de sélection à titre de traiteur (cuisinier). J'ai cherché en vain à avoir confirmation de votre expérience professionnelle auprès du Four Seasons Hotel. J'ai parlé en premier lieu avec quelqu'un du service de restauration, qui m'a dit qu'il y travaillait depuis longtemps mais ne connaissait personne sous votre nom ou du nom de Michael Nicoleson, qui a signé votre attestation. J'ai parlé ensuite au service des ressources humaines, qui m'a dit que M. Michael Nicoleson n'y travaille pas et qu'il n'y a d'ailleurs jamais eu personne de ce nom dans ce service. Ressources humaines a fait savoir aussi qu'il n'y a aucune trace de votre emploi à l'hôtel, à quelque titre que ce soit. J'ai aussi essayé d'appeler Belan's Kitchen, où vous dites avoir été aide-traiteur, mais le numéro de téléphone indiqué sur cette lettre a été débranché et, selon Assistance-annuaire, n'a pas été remplacé par un autre numéro. Je ne suis donc pas convaincue que vous justifiiez du minimum d'une année d'expérience dans la profession de cuisinier. Je vous demande de m'envoyer dans les 60 jours tout renseignement ou document dont vous pensez qu'il pourrait dissiper mes réserves. Je dois également vous informer que faute par vous de dissiper mes réserves, votre demande pourrait être rejetée.

[4]      En réponse, le demandeur a envoyé à Mme Wittenberg une lettre de Babu, directeur du « fabulous cafe » à New York, selon laquelle le demandeur travaillait comme cuisinier à plein temps depuis le 22 juin 1997.

[5]      Par la suite, l'agent des visas Gabin a conclu que le demandeur n'était pas admissible par application de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Voici ce qu'on peut lire dans sa décision :

     [TRADUCTION]

         J'ai examiné vos qualifications professionnelles au regard à la fois de la Classification canadienne descriptive des professions et de la Classification nationale des professions. Vous avez demandé à être évalué dans la profession suivante [note de bas de page occultée] : Cuisinier, CCDP 6121-121 et CNP 6242.0.
         Après avoir soigneusement examiné les renseignements donnés dans votre demande sur votre formation et votre expérience dans la profession susmentionnée, j'ai conclu que vous n'avez pas les qualités requises pour l'exercer au Canada, puisque vous ne justifiez pas des conditions minimales prescrites dans la Classification canadienne descriptive des professions et la Classification nationale des professions. La CCDP requiert quatre à dix années de formation, et un programme d'apprentissage de trois ans pour cuisiniers, ou une formation spécialisée de cuisinier en milieu scolaire, ou encore plusieurs années d'expérience comme cuisinier commercial, sont exigés. Par la lettre du 12 janvier 1998, nous vous avons fait part de nos réserves au sujet de vos références et de notre conclusion au sujet de votre travail au Four Seasons Hotel. Vous n'avez répondu à aucune de ces réserves, mais nous avez envoyé une attestation du Fabulous Cafe, selon laquelle vous y avez travaillé comme cuisinier depuis le 22 juin 1997. Cela ne fait qu'une année d'expérience. J'en ai donc conclu que vous n'avez pas les qualités requises pour être sélectionné en tant que cuisinier.
         En conséquence, j'ai examiné votre demande au regard de la profession d'aide-traiteur, CCDP 6125-130 et CNP 6642.1, profession à l'égard de laquelle vous avez visiblement les qualités requises. Il n'y a cependant pas de demande dans cette profession au Canada. Le paragraphe 11(2) du Règlement interdit de délivrer le visa d'immigrant aux demandeurs de la catégorie dont vous vous réclamez, s'ils n'obtiennent aucun point pour le facteur professionnel. Le facteur professionnel pour les aides-traiteurs est zéro à l'heure actuelle.

[6]      Un agent des visas n'a pas pour obligation de consulter ou de conseiller, mais il est tenu « d'examiner pleinement les observations et les renseignements présentés par le demandeur » (Cf. Saggu c. Canada (M.C.I.) (1994), 87 F.T.R. 137, page 142 (C.F. 1re inst.)). En outre, l'agent des visas qui doute que le demandeur ait les qualités requises, est tenu au devoir d'équité de lui donner la possibilité de dissiper ses réserves (Cf. Muliadi c. Canada (M.E.I.), [1986] 2 C.F. 205, page 215 (C.A.F.)). Ainsi que l'a fait observer le juge Rothstein dans Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al. (1993), 65 F.T.R. 73, en page 76 :

     je ne laisse pas entendre que l'agent des visas doit tenir avec chaque requérant un colloque sur les exigences de la Loi sur l'immigration ou des Règlements ou en effet formuler les questions en utilisant toujours des expressions ou des mots particuliers. Toutefois, lorsque les exigences auxquelles il faut satisfaire en vertu de la Loi ou des Règlements sont assez simples et que l'agent des visas craint que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises, je ne crois pas que ce soit trop demander à l'agent des visas de traiter chaque exigence séparément et d'obtenir des réponses de sorte qu'il soit possible d'évaluer clairement si le requérant est visé par la définition pertinente de la Loi ou du Règlement

[7]      En l'espèce, le demandeur a été évalué à titre de cuisinier au regard de la CCDP et de la CNP. Dans la CNP, les traiteurs sont regroupés sous la classification 6242.0 « Cuisiniers » , pour laquelle les conditions d'études et de formation sont « un programme d'apprentissage de trois ans pour cuisiniers ou une formation spécialisée de cuisinier en milieu scolaire ou plusieurs années d'expérience comme cuisinier commercial » . Le demandeur a produit une lettre de la Dhaka Catering School attestant qu'il avait suivi une cours de cuisinier de six mois.

[8]      Mme Wittenberg considérait qu'il avait une formation suffisante pour satisfaire aux conditions prescrites pour la classification CNP 6242.01. Voici ce qu'elle a noté à ce sujet :

     [TRADUCTION]

     PUISQUE LA PROFESSION DE TRAITEUR IMPLIQUE UNE PPS DE 18 POINTS D'APPRÉCIATION ET REQUIERT UNE FORMATION ALLANT D'UN MINIMUM DE 4 ANNÉES JUSQU'À 10 ANNÉES (À NOTER QUE LA CCDP PRESCRIT UN PROGRAMME UNIVERSITAIRE DE 4 ANS EN MOYENNE, ÉQUIVALENT À QUELQUE 2 ANNÉES DE PPS), IL EST CLAIR QUE LE DEMANDEUR N'A PAS UNE FORMATION SUFFISANTE POUR SE QUALIFIER AU REGARD DE LA CCDP.
     CEPENDANT, QUAND ON EXAMINE SON CAS AU REGARD DE LA PROFESSION ÉQUIVALENTE DE « CUISINIER » SELON LA CNP (CNP 6242.0), LE FACTEUR ÉTUDES/FORMATION TOMBE À 7 POINTS, CE QUI FAIT QUE LE DEMANDEUR A LA FORMATION NÉCESSAIRE POUR SATISFAIRE À CETTE CONDITION.
     CEPENDANT, LA QUESTION DE L'EXPÉRIENCE DEMEURE UN OBSTACLE

                                 [non souligné dans l'original]

[9]      À mon avis, l'emploi par Mme Wittenberg de l'adverbe « cependant » à la dernière ligne du passage ci-dessus indique que par « expérience » , elle voulait dire « expérience acquise dans la profession » qu'est le facteur 3 de l'annexe I. Je veux dire par là que pour elle, il ne s'agissait pas de cette condition d'études et de formation de la classification CNP 6242.0 : « plusieurs années d'expérience comme cuisinier commercial » . Selon Mme Wittenberg donc, le demandeur avait les qualités requises pour être cuisinier, mais n'a justifié d'aucune expérience dans la profession, ce qui l'aurait disqualifié par application du paragraphe 11(1) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-1722.

[10]      Par contre, rien dans le dossier n'indique que M. Gabin ait examiné si le cours de cuisinier suivi par le demandeur satisfaisait aux conditions d'études et de formation de la classification CNP 6242.0. Bien que selon le défendeur, l'agent des visas ait conclu que le cours de cuisinier suivi par le demandeur ne représentait pas une « formation spécialisée de cuisinier en milieu scolaire » , il n'y aucune preuve de raisonnement de ce genre de la part de M. Gabin. En fait, la seule fois où il mentionne ce cours de cuisinier, c'est dans son affidavit, à propos des documents produits dans le cadre du recours.

[11]      Il est vrai que l'attestation de la Dhaka Catering School ne donne aucun détail sur le cours de cuisinier suivi par le demandeur, mais rien n'indique que M. Gabin ait exprimé quelque réserve que ce fût à ce sujet. Il semble plutôt qu'il a totalement ignoré ce cours et ne s'est penché que sur la question de savoir si le demandeur avait « plusieurs années d'expérience comme cuisinier commercial » . Dans ce contexte, il a pris en compte l'expérience d'une année du demandeur au « fabulous cafe » et en a conclu que celui-ci n'avait pas les qualités requises au regard de la classification CNP 6242.0.

[12]      À mon avis, M. Gabin n'a pas pleinement examiné les observations présentées par le demandeur, comme le prescrit la jurisprudence Saggu susmentionnée. Qui plus est, il n'a ni fait part de ses réserves au demandeur ni passé en revue avec celui-ci les conditions de la classification CNP 6242.0 de façon à faire une appréciation claire de la demande, ainsi que l'exigent les précédents Muliadi et Chen susmentionnés. En conséquence, il a manqué à son devoir d'équité envers le demandeur.

[13]      Par ces motifs, la Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire.

     Signé : Ivon Pinard

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 17 mai 2000


Traduction certifiée conforme,



Martine Brunet, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              IMM-3841-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mohammed Israfil c. M.C.I.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto


DATE DE L'AUDIENCE :          6 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PINARD


LE :                      17 mai 2000



ONT COMPARU :


M. B. Glustein                  pour le demandeur

M. Stephen H. Gold                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Borden & Elliot                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada




     Date : 20000517

     Dossier : IMM-3841-98

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2000

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre

     MOHAMMED ISRAFIL

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE


     La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire, annule la décision en date du 8 juin 1998 de Raymond Gabin, agent des visas en service du consulat général du Canada à Buffalo (New York), et renvoie l'affaire pour nouvelle instruction par un autre agent des visas.

     Signé : Ivon Pinard

     ________________________________

     Juge


Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet, LL. L.

__________________

1      Dossier du tribunal, page 3, notes SITCI du 12 janvier 1998.

2      Le paragraphe 11(1) prévoit ce qui suit :      11.(1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :          a) n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience; ou          b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposé à le faire.

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