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Date : 19981001

Dossier : IMM-4099-97

ENTRE :

               PATHMALOSANY SOORIYAKUMARAN,

                                             demanderesse,

                          - et -

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                défendeur.

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

1�    Après avoir identifié la principale question en litige comme étant la possibilité de refuge intérieur, la Section du statut de réfugié est arrivée à la conclusion que la demanderesse sri lankaise n'était pas une réfugiée au sens de la Convention pour le motif qu'elle aurait trouvé un refuge sûr à Colombo.

2�    Persécutés du fait de leur recrutement par les LTTE, les enfants de la demanderesse (deux garçons) ont obtenu le statut de réfugié au Canada en 1995, alors qu'ils étaient âgés de 11 et 13 ans. Ils résident au Canada depuis lors. Peu après son arrivée au Canada en novembre 1996, la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié.

3�    En 1985, le mari de la demanderesse a disparu dans la région de Vavuniya et on ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé. Les parents de la demanderesse sont décédés. Elle n'a pas d'autres parents au Sri Lanka.

4�    En appliquant le critère à deux volets permettant de déterminer s'il existe une possibilité de refuge intérieur, le tribunal a conclu que : a) selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse ne risquait pas sérieusement d'être persécutée à Colombo; et b) à la lumière de toutes les circonstances, y compris celles qui sont particulières à la demanderesse, il n'était pas déraisonnable ou indûment pénible de s'attendre à ce que la demanderesse trouve refuge à Colombo.[1]

5�    Le deuxième volet du critère qui se rapporte à la raisonnabilité de la possibilité de refuge intérieur, compte tenu des circonstances particulières de la demanderesse, a été plus amplement défini par le juge Linden dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) :[2]

... la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

6�    En l'espèce, le tribunal n'a pas tenu compte du statut de réfugié des deux garçons de la demanderesse de même que de leur résidence permanente au Canada. Le tribunal a souligné qu'il était d'accord [TRADUCTION]

« ... avec l'affirmation de l'avocat selon laquelle le fait que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accordé le statut de réfugié aux enfants mineurs de la demanderesse n'a aucun rapport avec la présente affaire » . Le dossier, y compris la transcription de l'audience, ne montre pas que l'avocat de la demanderesse a fait une telle affirmation.

7�    Le bien-fondé de la crainte de persécution de la demanderesse dans la partie nord du Sri Lanka n'était pas en cause devant le tribunal. La crédibilité de la demanderesse de même que les allégations figurant dans son formulaire de renseignements personnels n'ont pas été contestées. La présence au Canada de ses deux enfants mineurs et réfugiés au sens de la Convention constitue le type de circonstance particulière dont le tribunal aurait dû tenir compte pour déterminer si Colombo offre un refuge indûment pénible pour la demanderesse.

8�    La pertinence de la situation des enfants en l'espèce est sans rapport avec l'application du principe de l'unité de la famille ou une demande fondée sur des considérations humanitaires. La situation familiale de la demanderesse constitue tout simplement un facteur humain qu'il ne faut pas exclure dans l'application du deuxième volet du critère permettant de déterminer s'il existe une possibilité de refuge intérieur. Tout récemment, dans Ramanathan c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, le juge Hugessen a affirmé dans le même sens :[3]

... bien qu'elle [la Commission] fût parfaitement consciente des considérations humanitaires importantes qui militaient contre le renvoi du demandeur à Colombo, elle a choisi délibérément de ne pas en tenir compte. Je ne dis pas que si elle avait tenu compte de ces questions, elle aurait nécessairement tiré une conclusion différente. Cependant, il me semble que l'on doit considérer le facteur qui exige qu'une personne âgée, dépendante, et qui ne se sent pas très bien vive seule dans un foyer étatique ou subventionné par l'État, où elle obtiendrait des services de santé et autres types de services sociaux étatiques ou subventionnés par l'État, alors qu'une solution de rechange s'offre déjà à cette personne à l'endroit où elle vit et où elle bénéficie du soutien affectif et familial de membres de sa famille proches, en déterminant si le fait de forcer la personne à quitter ce dernier milieu pour s'installer dans un foyer décrit précédemment serait indûment pénible pour celle-ci.

9�    À juste titre, l'avocate du défendeur maintient avec force que pratiquement aucune preuve ne porte sur les répercussions d'une séparation entre la demanderesse et ses enfants. Le formulaire de renseignements personnels comporte quelques allusions à la situation critique des enfants. À mon sens, l'erreur commise par le tribunal nécessite malgré tout une intervention judiciaire. Le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du lien naturel existant entre une mère et ses enfants mineurs, en particulier lorsque tous les trois ont établi qu'ils craignaient d'être persécutés dans le nord du Sri Lanka. Ce lien spécial parle par lui-même et constitue une circonstance particulière à la demanderesse que le tribunal doit prendre en considération avant de conclure qu'il serait indûment pénible pour la demanderesse de trouver une possibilité de refuge intérieur à Colombo avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

10� Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la valeur des arguments de la demanderesse sur les conclusions du tribunal relativement au premier volet du critère.

11� Pour faire suite à la demande de l'avocate du défendeur, les arguments relatifs à une question certifiée sont à présenter au plus tard le 15 octobre 1998.

« Allan Lutfy »

                                                   

                                        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                  Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                          IMM-4099-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :Pathmalosany Sooriyakumaran c. M.C.I.

                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 17 septembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Monsieur le juge Lutfy

DATE DES MOTIFS :                      le 1er octobre 1998

ONT COMPARU :                     

M. Neil Cohen                          pour la demanderesse

Mme Bridget O'Learypour le défendeur

                                          

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :              

M. Neil Cohen

Toronto (Ontario)pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canadapour le défendeur



     [1]    Voir Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.), p. 711.

     [2]    [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), p. 598-599.

     [3]    [1998] A.C.F. no 1210 (QL) (C.F. 1re inst.), paragraphe 12.

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