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Date : 19980624


Dossier : T-776-98

ENTRE

    

     LE CHEF ROBERT HOPE ET

     LE CONSEIL DE BANDE DE LA

     BANDE INDIENNE YALE, AU NOM DE

     LA BANDE INDIENNE YALE, AUTREMENT

     APPELÉE LA NATION INDIENNE YALE,

     demandeurs,

     et

     LA BANDE INDIENNE AITCHELITZ,

     LA BANDE INDIENNE CHAWATHIL,

     LA BANDE INDIENNE CHEAM,

     LA BANDE INDIENNE CHEHALIS,

     LA BANDE INDIENNE KATZIE,

     LA BANDE INDIENNE KWAW-KWAW-A-PILT,

     LA BANDE INDIENNE LAKAHAHMEN,

     LA BANDE INDIENNE KWANTLEN,

     LA BANDE INDIENNE MATSQUI,

     LA BANDE INDIENNE OHAMIL,

     LA BANDE INDIENNE PETERS,

     LA BANDE INDIENNE POPKUM,

     LA BANDE INDIENNE SCOWLITZ,

     LA BANDE INDIENNE SEABIRD ISLAND,

     LA BANDE INDIENNE SKAWAHLOOK,

     LA BANDE INDIENNE SKOWKALE,

     LA BANDE INDIENNE SKWAH,

     LA BANDE INDIENNE SKWAY,

     LA BANDE INDIENNE SOOWAHLIE,

     LA BANDE INDIENNE SQUIALA,

     LA BANDE INDIENNE SUMAS,

     LA BANDE INDIENNE TZEACHTEN,

     LA BANDE INDIENNE UNION BAR,

     LA BANDE INDIENNE YAKWEAKWIOOSE,

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

     ET SUSAN FARLINGER,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      La zone de pêche des Premières Nations, située près de Yale (Colombie-Britannique), juste en aval du canyon du Fraser, a toujours revêtu une importance vitale car elle se trouve dans une région qui donne un maximum de rendement pour un effort donné : il est beaucoup plus facile d"attraper du saumon dans les endroits relativement étroits et dans les remous s"étendant sur les quelques milles immédiatement en aval du canyon du Fraser que dans les étendues plus larges du bas du Fraser.

[2]      Au moyen de la présente requête, le Fisheries Council of British Columbia (le Council) cherche à intervenir dans une instance dans laquelle la bande indienne Yale conteste le droit du ministre des Pêches de délivrer un permis de pêche au saumon communautaire des Autochtones qui a pour effet de permettre à la bande Yale et à vingt-quatre bandes indiennes du bas du Fraser (les bandes du bas Fraser), qui sont les défenderesses en l"instance, de pêcher dans la partie du Fraser couvrant les deux côtés de Yale en utilisant des méthodes de pêches traditionnelles. La bande Yale prétend que cette pêche des bandes du bas Fraser a lieu dans une zone située sur son territoire traditionnel, de sorte qu"il y aurait atteinte à son titre aborigène par le gouvernement et par les bandes du bas Fraser.

[3]      Le Council est un intervenant expérimenté : il est intervenu dans plusieurs instances concernant des affaires liées aux pêches par le passé et y a apporté des opinions et des connaissances utiles pour la Cour et, ce qui est plus important encore, pour la gestion de différentes pêches en tant que ressources publiques.

[4]      Dans la présente instance, il ne s"agit pas d"un litige portant sur une ressource publique de saumons et concernant le contrôle, le partage ou la conservation du saumon, étant donné que la bande Yale ne conteste pas le droit du ministre des Pêches de gérer le saumon du Fraser. Il s"agit plutôt d"un litige privé dans lequel la bande Yale prétend qu"elle devrait être la seule à se voir accorder le droit de pêcher, pour sa part de la quantité de saumon accordée à l"ensemble de la pêche autochtone, sur son territoire traditionnel. À toutes fins pratiques, la bande Yale exige du ministre des Pêches qu"il démontre le caractère raisonnable des dispositions habilitantes du permis de pêche communautaire rédigées au bénéfice des bandes du bas Fraser, comme cela a été fait, par exemple, dans l"arrêt R. v. Nikal [1996] 3 C.N.L.R. 178, à la page 210 (C.S.C.). Simplement exposée, les bandes du bas Fraser ont adopté la position selon laquelle elles ont le droit de pêcher, pour la part du saumon qui leur a été accordée aux termes du permis communautaire, dans les principales zones de pêche de la partie du Fraser se trouvant près de Yale.

[5]      Il revient à celui qui demande le statut d"intervenant de démontrer qu"il a un intérêt légitime dans le résultat et qu"il peut apporter à l"instance des opinions, une compréhension et des connaissances spécialisées pertinentes, différentes ou nouvelles que les autres parties n"ont pas et qui permettraient à la Cour de juger l"affaire de manière exhaustive et efficace.

[6]      En l"espèce, étant donné que la question de la modification du partage des prises dans cette zone de pêche autochtone en particulier ou celle du contrôle dans son ensemble de la pêche autochtone sur le Fraser par le ministre des Pêches ne se posent pas, l"intérêt du Council n"est pas évident : sans un intérêt légitime raisonnablement clair, il ne devrait pas être permis au Council de s"approprier le procès des parties, qui souhaitent résoudre un litige privé. De plus, il sera question, d"une part, des droits et obligations historiques et actuels de la bande Yale et, d"autre part, de ceux des bandes du bas Fraser, relativement à cette zone de pêche particulière. Je ne vois pas quelles opinions, compréhension ou connaissances spécialisées différentes ou nouvelles le Council pourrait apporter qui seraient de nature à améliorer les présentes procédures et à aider la Cour à remplir ses fonctions.

[7]      C"est pourquoi j"ai rejeté la demande d"intervention du Council. Ce qui suit est l"examen approfondi de la question.

LES FAITS PERTINENTS

[8]      La bande Yale prétend détenir, en tant que Première Nation Yale, un droit ancestral et un titre aborigène relativement à une pêcherie de saumon située dans la partie du Fraser se trouvant à peu près entre Hope et un point localisé en amont de Yale. Les défenderesses, soit les bandes du bas Fraser, contestent le droit et le titre que la bande Yale prétend avoir relativement à une pêcherie dans la partie du fleuve Fraser en question, et affirment qu"elles et la bande Yale ne forment qu"un seul peuple possédant un genre de droit conjoint d"utilisation à des fins de pêches de la partie du Fraser se trouvant près de Yale. La bande Yale affirme être un peuple distinct et, bien qu"elle admette que, d"un point de vue historique, des membres des bandes du bas Fraser ont parfois pêché sur le territoire qu"elle revendique, elle prétend que cela a toujours eu lieu en vertu de permissions accordées pour des motifs exceptionnels, notamment en raison de liens familiaux individuels particuliers.

[9]      Le droit de pêcher dans la principale zone près de Yale a donc donné lieu à un litige en raison du permis de pêche communautaire délivré aux Premières Nations du bas Fraser, soit aux demandeurs et aux bandes du bas Fraser, permis en vertu duquel toutes les bandes du bas Fraser peuvent pêcher la quantité qui leur a été accordée dans la partie située entre Strawberry Island, à mi-chemin entre Hope et Yale, et Sawmill Creek, en amont de Yale. Il s"agit d"une partie de la zone sur laquelle la bande Yale affirme avoir exercé historiquement une occupation qui lui confère des droits ancestraux et un titre aborigène.

[10]      Sous réserve d"une ambiguïté figurant dans l"un des paragraphes de l"avis de requête introductive d"instance que j"aborderai un peu plus loin, la bande Yale ne réclame pas le contrôle des pêches sur le territoire visé, mais affirme plutôt que le ministre des Pêches, par l"intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans, ne peut délivrer un permis de pêche au saumon communautaire autorisant une bande à pêcher dans les lieux traditionnels de pêche et sur le territoire d"une autre bande. En effet, la Première Nation Yale affirme que le fait de permettre une telle intrusion sur son territoire, soit, en l"espèce, dans sa zone de pêche, constitue une atteinte prima facie à son droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Je souligne ici que le permis communautaire est conçu dans ces buts : il ne s"agit pas d"un permis commercial aux termes duquel le saumon peut être pêché et vendu. L"avis de requête introductive d"instance demande le contrôle de la délivrance du permis de pêche communautaire pour mai 1998. Il semble que la délivrance ultérieure de permis de pêche communautaires, à laquelle le résultat de la présente instance peut s"appliquer, soit prévue. Les réparations demandées comprennent une interdiction faite au ministre des Pêches de délivrer des permis de pêche communautaires aux bandes du bas Fraser relativement à la région comprise entre Strawberry Island et Sawmill Creek.

[11]      Le paragraphe 6 de l"avis de requête introductive d"instance n"est pas facile à lire et est peut-être ambigu. La bande Yale demande :

     [TRADUCTION]

     6.      Une injonction interdisant aux défendeurs collectivement et individuellement d"appliquer les dispositions réglementaires en matière de pêche contre la bande indienne Yale, autrement appelée la Première Nation Yale, ou contre les membres de la bande indienne Yale lorsque ces membres pêchent comme le prévoient les lignes directrices proposées par la bande indienne Yale, autrement appelée la Première Nation Yale.         

Si je comprends bien le paragraphe 6, celui-ci cherche à empêcher le ministre des Pêches d"appliquer la réglementation sur les pêches contre les membres de la bande Yale tant et aussi longtemps que ces derniers pêchent en conformité avec les lignes directrices proposées par la bande. J"ai mentionné à l"avocat que cela pouvait être interprété comme donnant à la bande Yale carte blanche pour permettre à ses membres de pêcher sans tenir compte de la réglementation établie par le ministre des Pêches afin de gérer convenablement la ressource du saumon. L"avocat de la bande Yale n"interprète pas le paragraphe 6 de cette manière, mais a offert, par voie de requête verbale, de la radier de l"avis de requête introductive d"instance car la bande Yale ne conteste pas en l"espèce le droit du ministre de gérer la ressource du saumon par l"intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans. La bande Yale exige plutôt du ministre des Pêches qu"il cesse de permettre à des tiers de pêcher le saumon qui leur est accordé. En somme, les bandes du bas Fraser devraient attraper le poisson qui leur est accordé dans leur propre territoire, en aval sur le Fraser. Afin d"éclaircir cette demande et de dissiper toute impression que la bande Yale désire gérer la pêcherie située entre Strawberry Island et Sawmill Creek, le paragraphe 6 de l"avis de requête introductive d"instance est radié.

LA REQUÊTE DE L"INTERVENANT

[12]      L"intervenant, qui est fortement représentatif de l"industrie de la pêche commerciale, fait valoir qu"il a besoin d"un accès continu à la pêche au saumon, en tant que bien commun. Ainsi, il compte sur l"autorité du ministère des Pêches et des Océans pour que la ressource du saumon soit gérée convenablement. L"intervenant soumet qu"il a un intérêt direct dans l"existence d"un titre aborigène sur un territoire comprenant une zone de pêche fluviale et dans tout droit de pêche ancestral exclusif. L"intervenant s"inquiète de toute exigence qui obligerait le gouvernement à obtenir un consentement, ce qui serait de nature à entraver son autorité administrative et son pouvoir discrétionnaire relativement à la gestion de la pêche autochtone. L"intervenant se préoccupe de l"existence d"un droit de pêche autochtone à des fins commerciales.

[13]      L"intervenant croit qu"un certain nombre de questions de droit découlent de l"instance, dont l"application des principes énoncés par la Cour suprême dans l"arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique (1998) 153 D.L.R. (4th) 193, et leurs conséquences sur une zone de pêche fluviale; le consentement requis du détenteur de droits de pêche ancestraux, présumément dans le cadre de la gestion par le ministre des Pêches; l"existence, la portée et les conséquences d"un droit de pêche ancestral à des fins alimentaires; le pouvoir conféré au ministre quant à la délivrance de permis de pêche communautaires autochtones; et la conciliation, quant au fond et quant à la procédure, du droit relatif aux droits ancestraux et de la jurisprudence traditionnelle régissant le contrôle judiciaire de l"action administrative.

EXAMEN

[14]      La règle 109 confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d"autoriser une personne à intervenir dans une instance. La règle elle-même n"offre aucune ligne directrice quant à l"exercice de ce pouvoir discrétionnaire, quoiqu"il existe une jurisprudence abondante, découlant de l"ancienne règle 1716, qui peut s"appliquer.

[15]      Si, dans la présente instance, il ne s"agissait pas seulement d"une rivalité, d"une friction ou d"une dispute entre des bandes indiennes sur l"endroit où ils peuvent attraper le saumon qui leur est accordé, le Fisheries Council of British Columbia pourrait fort bien avoir sa place à titre d"intervenant et faire valoir une opinion différente, à la fois potentiellement divergente de la position autochtone et non restreinte par les obligations et responsabilités que la Couronne a tant envers les Premières Nations qu"envers le public, à titre de fiduciaire et de conservateur responsable de la gestion de la pêche au saumon en tant que ressource publique1. Toutefois, un intervenant doit prendre une instance dans l"état où elle est et, de plus, il ne doit pas introduire de nouvelles questions en litige.

Un point de vue différent sur les mêmes questions en litige :

[16]      Dans le cas présent, l"instance ne porte pas sur un contrôle judiciaire requérant l"application des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêt Delgamuukw , (précité), R.. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, R.. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, R.. v. Adams (1996) 138 D.L.R. (4th) 657, et d"autres cas similaires : ces principes sont bien établis et pourraient certainement entrer en jeu lors de litiges ultérieurs relatifs au partage du poisson et à la priorité de pêche pour différents usages, mais ce n"est pas le cas en l"espèce car les quantités de poisson accordées constituent une donnée non contestée. L"avocat du Council soumet que rien, dans la présente instance, n"indique que les quantités de saumon accordées demeureront les mêmes : inversement, rien n"indique qu"elles devraient changer au détriment des membres du Council. D"ailleurs, l"avocat de la bande Yale avance que (quoique l"on puisse qualifier le tout de spéculation), en relâchant la pression exercée sur le saumon se trouvant dans la partie étroite du Fraser située juste en aval du canyon, le ministère des Pêches et des Océans pourrait mieux contrôler les prises, ce qui résulterait en une meilleure gestion des saumons qui atteignent les frayères et, par conséquent, en un avantage pour les intérêts commerciaux représentés par le Council.

[17]      Toujours sur le concept qu"un intervenant prend l"instance telle qu"elle est, bien qu"il puisse y apporter de nouvelles opinions et une connaissance particulière, il faut préciser qu"il ne peut y apporter de nouvelles questions en litige. L"avocat de la bande Yale a fait référence à l"intéressant principe de portée générale, tiré de la décision rendue dans MacDonald's Restaurants of Canada Ltd. v. Etobicoke (1977) 5 C.P.C. 55, selon lequel si les intérêts de toutes les parties sont les mêmes, il est bien difficile de concevoir ce qu"un intervenant pourrait apporter de plus à une affaire. Cette affaire pourrait être distinguée de l"espèce, vu l"admission de l"intervenant éventuel qu"il avait adopté essentiellement la même position que l"une des parties, ce qui avait poussé la cour à exercer son pouvoir discrétionnaire et à refuser l"autorisation d"intervenir. En l"espèce, le Council ne partage pas la même opinion, de sorte que l"on doit retourner à certains principes plus fondamentaux pour soutenir la proposition selon laquelle un intervenant ne peut introduire de nouvelles questions en litige.

[18]      Dans l"affaire Canada (A.G.) v. Aluminum Co. of Canada [1987] 3 W.W.R. 193, la Cour d"appel de la Colombie-Britannique, se fondant sur différentes décisions selon lesquelles il ne devrait pas être permis aux intervenants de remanier les questions en litige et d"obliger ainsi les parties à débattre de questions autres que les leurs, a souligné :

     [TRADUCTION]

     Il ne devrait pas être permis aux intervenants de s"approprier le procès de ceux qu"il touche directement. Les parties à un procès devraient pouvoir établir les questions en litige et rechercher la résolution des affaires qu"elles jugent appropriées de soumettre. Elles ne devraient pas se voir obligées d"aborder des questions soulevées par d"autres (p. 206).         

Le juge Wakeling, dans Canada (A.G.) v. Saskatchewan Water Corp. [1991] 2 W.W.R. 614 (C.A. Sask.), a adopté cette position, l"interprétant comme signifiant que [TRADUCTION] " [...] un intervenant ne peut tenter d"ajouter des questions que les parties elles-mêmes n"ont pas incluses dans l"action " et que :

     [TRADUCTION]

     Permettre aux intervenants de produire des éléments de preuve que les parties elles-mêmes se seraient vu interdire de produire aurait manifestement pour effet de créer une distorsion dans le processus, d"étendre les faits en litige au-delà de ceux que le juge de première instance avait à trancher et de faire dévier l"attention sur des questions autres que les questions principales faisant l"objet de l"appel. Pour ce motif, le rôle que les intervenants tentent de jouer a pour effet de compliquer plutôt que de faire avancer ou d"améliorer le processus d"appel (ibid , p. 616).         

[19]      En l"espèce, est également pertinente l"affaire British Columbia Telephone Company v. Telecommunications Workers Union (1985) 65 B.C.L.R. 96 (C.S.C.-B.), dans laquelle le juge Gould a souligné le fait qu"il ne devrait pas être permis aux intervenants de transformer une demande relativement simple en une affaire complexe portant sur une nouvelle cause d"action et que, plutôt que de faire subir cela aux parties, les intervenants potentiels devraient intenter leurs propres procédures pour réaliser leurs propres ambitions :

     [TRADUCTION]

     Les demandeurs veulent prendre part au litige pour contester la validité de la disposition d"atelier fermé contenue dans la convention collective conclue entre les parties à la requête, soit B.C. Tel et le syndicat. S"il leur est permis d"intervenir, leurs arguments vont s"appuyer sur la Charte et vont introduire des questions compliquées n"ayant aucune relation avec les questions en litige entre les parties à la requête. Permettre l"intervention aurait pour effet de transformer une demande relativement simple d"annulation d"une sentence arbitrale en une affaire constitutionnelle complexe portant sur une nouvelle cause d"action. Pourquoi les parties à la requête devraient-elles subir le désir des demandeurs d"engager un litige sur la question plus large de la validité du concept d"atelier fermé en vertu de la Charte alors que leur litige porte sur des questions n"ayant aucun rapport avec la Charte? Les demandeurs devraient intenter leurs propres procédures s"ils veulent réaliser leur propre ambition de faire un procès (p. 101).         

Le juge Gould a conclu en faisant sien un bref extrait de la décision rendue dans Re Clark et al. and Attorney-General of Canada (1978) 81 D.L.R. (3d) 33, à la page 38 (H.C. Ont.) :

     [TRADUCTION]

     Lorsque l"intervention servirait seulement à étendre la portée du litige entre les parties ou à introduire une nouvelle cause d"action, l"intervention ne devrait pas être accueillie.         

[20]      En l"espèce, le litige entre les parties porte sur l"endroit où elles peuvent pêcher les quantités de saumon du fleuve Fraser qui leur sont accordées et sur la question de savoir si le ministre des Pêches peut, sans consultation ni autorisation, permettre aux bandes du bas Fraser de pêcher sur le territoire réclamé par la bande Yale. Introduire les questions que l"intervenant considère pertinentes, soit les conséquences de l"arrêt Delgamuukw sur une zone de pêche fluviale, le consentement requis du détenteur de droits de pêche ancestraux, l"existence, la portée et les conséquences d"un droit de pêche ancestral à des fins alimentaires, la latitude conférée au ministre quant à la délivrance de permis de pêche communautaires des Autochtones et la conciliation, quant au fond et quant à la procédure, du droit relatif aux droits ancestraux et de la jurisprudence traditionnelle régissant le contrôle judiciaire de l"action administrative, aurait pour effet d"étendre la portée de l"instance bien au-delà de ce qui a été prévu par les parties et d"entraîner pour celles-ci des frais bien supérieurs à ce qui a pu être prévu par elles. Je refuse de permettre au Council d"intervenir et d"ainsi étendre le litige entre les parties et introduire de nouvelles considérations, mais il existe également d"autres motifs en l"espèce pour lesquels le Council ne devrait pas voir accueillie sa demande d"être ajouté à titre d"intervenant.

Conditions préalables à l"intervention

[21]      La décision devant être prise en l"espèce ne porte pas sur une évaluation de la gestion et de la conservation des stocks de saumon dans le fleuve Fraser, ce qui constituerait une entreprise énorme et complexe, mais bien, comme je l"ai dit, sur un litige d"une dimension beaucoup plus simple entre des Premières Nations indiennes relativement à la partie du Fraser où elles peuvent attraper une quantité donnée de poisson et à la compétence du ministre des Pêches d"obliger que l"ensemble de cette pêche soit effectuée sur le territoire réclamé par une bande sans consultation ou autorisation.

[22]      Tout d"abord, et il s"agit d"un lieu commun en matière de demandes d"intervention, il incombe à l"intervenant de convaincre la Cour que l"intervention aurait pour effet d"améliorer les procédures : voir, par exemple, M. v. H. (1994) 20 O.R. (3d) 70, une décision de la Cour de l"Ontario (Division générale), à la page 77. L"avocat de la bande Yale a fait valoir un certain nombre de facteurs devant être pris en considération dans l"évaluation de la question de savoir si l"intervention du Council aurait pour effet d"améliorer les procédures. De façon plus simple, le juge Rothstein, dans Conseil canadien des ingénieurs c. Memorial University of Newfoundland (1998) 135 F.T.R. 211, se fondant sur Fédération canadienne de la faune inc. et al. c. Canada (Ministre de l"Environnement) et Saskatchewan Water Corp. (1989) 26 F.T.R. 241, à la page 243, a énoncé trois conditions devant être lues en conjonction :

     [1]      L"intervenant proposé a-t-il un intérêt en ce qui concerne l"issue du procès?         
     [2]      Le procès portera-t-il gravement atteinte aux droits de l"intervenant proposé?         
     [3]      L"intervenant proposé ferait-t-il valoir devant le tribunal un point de vue différent de celui du défendeur?         

Ces critères apparaissent, sous une forme ou une autre, dans la jurisprudence de la Cour fédérale : voir, par exemple, Edmonton Friends of the North Environmental Society v. Canada (1990) 73 D.L.R. (4th) 653, aux pages 660 et 661 (C.A.F.), et BBM Bureau of Measurement v. Director of Investigation (1982) 63 C.P.R. (2d) 63 (C.A.F.). Toutefois, l"idée que ces critères devraient être appliqués en conjonction, c"est-à-dire que celui qui demande le statut d"intervenant devrait les satisfaire à eux tous, ne me sourit guère, car, comme la Cour d"appel l"a souligné dans l"arrêt Edmonton Friends of the North Environmental Society , la Cour s"est montrée disposée à accepter l"intervention d"une partie au seul motif que ses droits étaient directement touchés. La solution à ce problème réside peut-être dans le concept de pondération des intérêts divergents, une approche qu"a fait valoir l"avocat de la bande Yale. Dans M. v. H. (précité), le juge Epstein, à la page 77, a comparé entre, d"une part, la contribution que les intervenants pouvaient apporter et, d"autre part, le dérangement, l"augmentation de la grosseur et de la complexité du cas, la longueur des procédures et l"augmentation des coûts. Il s"agit, à toutes fins pratiques, d"une analyse coûts-bénéfices pour voir si l"intervention améliorerait éventuellement la procédure.

[23]      J"aborde premièrement la question de l"intérêt que l"intervenant pourrait avoir dans ce litige privé, soit l"exercice d"un droit à la prise d"une quantité donnée de saumons, droit qui a été conféré aux termes d"un permis de pêche communautaire à un grand nombre de personnes qui constituent ce que j"ai appelé les bandes du bas Fraser, dans une partie du Fraser réclamée par la bande Yale en vertu d"un titre aborigène, en tant que territoire historique et actuel. L"avocat du Council a invoqué un principe judicieux tiré de l"arrêt Kruger et autre c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104, dans lequel la Cour suprême a abordé la question relative à la nature du titre aborigène et, aux pages 108 et 109, a souligné que :

     [...] il convient de suivre une règle bien fondée selon laquelle les questions relatives à des titres ne doivent être tranchées que si elles sont directement en cause. Les parties intéressées doivent avoir la possibilité de présenter une preuve détaillée relative à la solution du point en litige particulier. Les revendications de titres aborigènes reposent aussi sur l"histoire, les légendes, la politique et les obligations morales. Si l"on doit traiter la revendication de certaines terres par une bande indienne comme un problème juridique et non politique, on doit donc l"examiner en fonction des faits particuliers relatifs à la bande et aux terres en question, et non de façon générale.         

Cette reconnaissance par la Cour suprême du Canada que les parties intéressées devraient avoir l"occasion de produire, quant au titre aborigène, des éléments de preuve portant sur l"histoire, les légendes, la politique et les obligations morales pourrait fort bien être applicable en l"espèce, mais seulement entre les parties elles-mêmes, car le Council ne semble pas pouvoir apporter quelque expertise particulière sur l"histoire, les légendes, la politique et les obligations morales qui autrement ne serait pas disponible au moyen de la preuve faite par les parties actuelles.

[24]      Je dois ensuite examiner la question de savoir si les droits du Council seront sérieusement touchés par le résultat du présent litige. Rien n"indique que la bande Yale et les bandes du bas Fraser demandent une plus grande part du saumon du Fraser en l"espèce. La bande Yale ne demande pas non plus le droit de gérer le poisson passant par son territoire. Ni l"accès prioritaire au poisson ni l"existence, l"étendue ou les conséquences d"une zone de pêche autochtone à des fins alimentaires ne sont en litige.

[25]      S"il s"agissait de la question en litige, le Council pourrait avoir un certain intérêt relativement au pouvoir du ministre des Pêches de délivrer un permis de pêche communautaire, mais cet élément, en soi, ne requiert aucun approfondissement car la question ne concerne pas le pouvoir du ministre des Pêches de délivrer un tel permis, mais plutôt celle de délivrer à un groupe un permis de pêcher, jusqu"à un certain point, sur le territoire d"un autre.

[26]      Le Council fait valoir un intérêt quant à la conservation et à l"empêchement possible de la sélection naturelle à Yale, endroit où le saumon peut se reposer dans les remous et ainsi devenir une proie facile pour la pêche alimentaire. Comme M. Hunter, président du Council, l"exprime dans son affidavit du 6 mai 1998 :

         [TRADUCTION]

     13.      En 1992, les résultats de la stratégie de pêche autochtone du ministère des Pêches et des Océans, et particulièrement de sa composante de ventes pilotes, ont démontré que le saumon du pacifique se trouvant à Yale était très vulnérable à la pêche. Le saumon ayant évité la mort naturelle pendant une période de 4 ans et ayant survécu aux pêcheries, de l"Alaska jusqu"au bas du Fraser, il est capital de s"assurer que ce processus de sélection naturelle et de pêche ne soit pas abandonné lorsque le poisson atteint Yale.         

On se demande jusqu"à quel point la sélection naturelle, plutôt que la chance, joue dans l"arrivée du saumon à Yale. Cependant, la pêche sur le Fraser à la hauteur de Yale relève de la gestion du ministre des Pêches : dans le cas présent, ni la bande Yale ni les bandes du bas Fraser ne contestent ce droit, soit celui de gérer la ressource.

[27]      Il y a sûrement des éléments, parmi les facteurs qu"a fait valoir le Council, qui devraient être approfondis, et qui le seront très probablement, dans le cadre de litiges ultérieurs, mais qui ne devraient pas être examinés au prix d"ajouter à l"instance entre la bande Yale et les bandes du bas Fraser des questions à ce point éloignées de ce qui en fait l"objet. Bref, si l"on se place dans le contexte de l"impact du résultat dans la présente action, la prépondérance va fortement à l"encontre du Council.

[28]      Le troisième critère à examiner est la question de savoir si le Council pourrait introduire dans les présentes procédures une opinion différente de celle des défendeurs, une opinion pertinente et utile sans laquelle tant la Cour que sa décision pourraient bien être appauvries.

[29]      Il est compréhensible que les choix de prises de position possibles s"offrant à la Couronne soient limités car elle a des devoirs et obligations envers les bandes indiennes ayant des prétentions divergentes de même que relativement à la gestion du saumon, et elle doit peut-être soupeser toute atteinte aux droits territoriaux de la bande Yale en tenant compte d"autres facteurs, comme une gestion relativement plus facile des pêcheries si l"ensemble de la pêche alimentaire a lieu à un seul endroit. Par contre, la Couronne peut porter ces éléments à l"attention de la Cour.

[30]      Comme je l"ai mentionné, il est fort possible que le Council ait des opinions différentes sur la nature du titre aborigène, son empiétement sur une zone de pêche fluviale et sur l"étendue et les conséquences d"une zone de pêche autochtone à des fins alimentaires. Mais, celles-ci ne font pas l"objet du litige. Imposer l"existence d"une opinion relativement à la conciliation, quant au fond et quant à la procédure, du droit relatif aux droits ancestraux et de la jurisprudence traditionnelle régissant le contrôle judiciaire de l"action administrative, élément que le Council considère important, aurait pour effet de compliquer les procédures et pourrait fort bien faire en sorte que la Cour s"enlise dans un débat inutile ou, comme l"a exprimé le juge Rothstein dans Conseil canadien des ingénieurs , précité :

     La Cour doit veiller au déroulement rapide et efficace de l"instance en essayant constamment d"être équitable envers les parties et les intervenants proposés. Les considérations de célérité et d"équité sont, à mon sens, au coeur des conditions que les intervenants proposés doivent respecter. Lorsque le procès ne porte pas atteinte aux droits des intervenants et qu"il n"est pas établi que ceux-ci peuvent accorder un nouveau point de vue en ce qui concerne les questions en litige, la Cour ne peut se permettre de s"enliser dans un procès comptant une multitude de participants. Bien que certaines autorités affirment que les règles de pratique peuvent être invoquées pour éviter ou réduire les délais et les frais, il n"en demeure pas moins que, d"un point de vue pratique, l"ajout de participants compliquera presque inévitablement le procès et entraînera des délais et des frais supplémentaires (p. 213).         

[31]      Je ne vois pas comment le Council pourrait apporter des opinions nouvelles et utiles aux fins des présentes procédures.

CONCLUSION

[32]      C"est toujours un plaisir d"entendre une affaire bien plaidée par tous les avocats. Cependant, il y a un prix pour cela au moment de rendre décision.

[33]      Il s"agit manifestement d"un cas où je me dois de faire preuve de prudence avant de permettre une intervention à une action portant sur des droits privés. En l"espèce, malgré l"excellent travail d"avocat effectué par M. Lowes, on ne m"a pas convaincu que le Fisheries Council of British Columbia a un intérêt suffisant dans le résultat et dans les questions de droit privé soulevées ou qu"il a une façon différente et pertinente de voir les questions en litige, de sorte qu"il pourrait apporter une contribution utile à la solution de l"affaire. Il pourrait apporter une contribution importante dans le cadre d"autres affaires, mais pas dans la présente, vu sa portée restreinte. Au mieux, la contribution du Council serait très limitée. Cela doit être soupesé en tenant compte du dérangement qui serait causé dans l"action. Je ne vois pas comment le Council pourrait avantageusement cadrer avec la présente affaire.

[34]      Il ne devrait pas être permis au Council d"intervenir, d"introduire de nouvelles questions en litige, de compliquer la poursuite et de la rendre plus coûteuse, ce qui aurait pour effet de lui permettre de s"approprier le litige des parties. La requête pour intervention présentée par le Council est rejetée.

                             " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire

Vancouver (British Columbia)

Le 24 juin 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L"AUDIENCE :      Le 19 juin 1998

NO DU GREFFE :              T-776-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LA BANDE INDIENNE YALE ET AUTRES

                     c.
                     SMR ET AUTRES

    

LIEU DE L"AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

en date du 24 juin 1998.

COMPARUTIONS :

     M. Keith Lowes              pour l"intervenant potentiel
     M. Rory Morahan              pour les demandeurs
     Mme Louise Mandell, c.r.          pour les bandes Sto:lo
     M. Harry Wruck, c.r.          pour Sa Majesté la Reine

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Keith Lowes              pour l"intervenant potentiel
     Barrister and Solicitor
     M. Rory Morahan              pour les demandeurs
     Morahan & Aujla
     Mme Louise Mandell, c.r.          pour les bandes Sto:lo
     Mandell Pinder
     M. Morris Rosenberg          pour Sa Majesté la Reine
     Sous-procureur général du Canada
__________________

1      L"avocat du Council a attiré mon attention sur un chapitre intéressant, portant sur les droits publics, de l"ouvrage Water Law in Canada: The Atlantic Provinces , de Gérard La Forest, c.r. (plus tard juge à la Cour suprême du Canada), publié en 1973 par le ministère de l"Expansion économique régionale, Ottawa. Il y existe certainement un droit public traditionnel de pêcher dans les eaux à marée et, ce qui est peut-être unique au Canada par opposition à l"Angleterre, un droit public de pêcher dans les eaux sans marée navigables et dans les eaux sans marée dont le lit appartient à la Couronne (p. 196). Bien que la Couronne soit, en tant que parens patriæ, fiduciaire de ce droit public (ibid , p. 197), on se demande ce qui en reste vu le régime législatif actuel de permis administré par le ministre des Pêches.

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