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     Date : 19990427

     Dossier : IMM-2787-98

Ottawa (Ontario), le 27 avril 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     ROBERTO FLORES SERRANO,

     FLOR MARIA CLAU RIOS ROMERO,

     HAYDEE FLORES RIOS, ERICA FLORES RIOS

     et CLAUDIA FLORES RIOS,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Les questions suivantes sont certifiées :

1.      Les " citoyens du Mexique respectueux de la loi " constituent-ils un " groupe social " au sens de la Convention?

2.      Une revendication du statut de réfugié peut-elle être accueillie sur la foi d'une crainte fondée de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social qui est une famille, si le membre de la famille qui est principalement visé par la persécution n'est pas victime de persécution pour un motif énoncé dans la Convention?

     Karen R. Sharlow

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990427

     Dossier : IMM-2787-98

ENTRE :

     ROBERTO FLORES SERRANO,

     FLOR MARIA CLAU RIOS ROMERO,

     HAYDEE FLORES RIOS, ERICA FLORES RIOS

     et CLAUDIA FLORES RIOS,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a statué que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sont M. Roberto Flores Serrano, son épouse Flor Maria Clau Rios Romero, de même que leurs trois filles. Tous sont des citoyens du Mexique qui risquent, disent-ils, d'être tués ou gravement blessés s'ils retournent dans ce pays.


[3]      M. Serrano exploitait une petite entreprise de camionnage à Acapulco. En avril 1996, il a engagé un nouveau chauffeur, qui l'a présenté à certaines personnes qui voulaient louer son camion. Ayant des raisons de croire que ces personnes voulaient le camion pour une affaire de drogue illicite, il a refusé de traiter avec elles. Quelques jours plus tard, son camion a été retrouvé abandonné et endommagé, et le chauffeur avait disparu. M. Serrano a appris que le véhicule avait en fait servi à transporter de la drogue.

[4]      M. Serrano et sa famille ont ensuite commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants. Ils ont aussi reçu une lettre de menaces. M. Serrano croit que ces menaces étaient imputables au fait qu'il n'avait pas accepté qu'on se serve de son camion pour transporter de la drogue. Les menaces n'ont pas été signalées à la police. M. Serrano croyait que cette dernière était particulièrement corrompue dans son État d'origine car c'est là où se trouve Attoyac, un centre bien connu, semble-t-il, pour la production de drogues illicites.

[5]      M. Serrano a déclaré qu'un ami à lui, qui possédait une entreprise de transport, avait accepté de travailler pour des trafiquants de drogue et avait été tué après avoir changé d'avis. Le beau-frère de M. Serrano, qui travaillait lui aussi dans le domaine du transport, a été assassiné en 1994. M. Serrano ignore pourquoi ou par qui.

[6]      M. Serrano a quitté le Mexique en juin 1996 et est arrivé au Canada. Son épouse et ses enfants l'ont suivi un mois plus tard, après la fin de l'année scolaire. Par souci de sécurité, ils ont déménagé de maison en maison à Acapulco, mais les enfants n'ont pas changé d'école. Ils n'ont pas reçu d'appel de menaces durant cette période car ils avaient indiqué aux gens chez qui ils vivaient de ne leur transmettre aucun appel, sauf ceux de la famille.

[7]      M. Serrano et son épouse n'ont pas envisagé de déménager ailleurs au Mexique car, à cause du degré élevé de corruption dans la police, ils avaient peur.

[8]      Les revendications initiales des demandeurs reposaient sur une crainte de persécution du fait de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. La SSR a rejeté les revendications fondées sur ces deux motifs.

[9]      La seule question qui m'est soumise est celle de savoir si la SSR a commis une erreur en concluant qu'aucun des demandeurs n'appartenait à un groupe social1. La partie applicable de la définition d'un réfugié au sens de la Convention est libellée comme suit :

     " Réfugié au sens de la Convention " Toute personne :         
     a)      qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :         
         (i)      soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...]         

[10]      Si la SSR a conclu avec raison qu'en droit, les demandeurs n'appartiennent pas à un " groupe social ", cela signifie qu'ils ne sont pas des réfugiés, indépendamment de l'existence d'une crainte fondée de persécution, et que la décision de la SSR doit être maintenue. Si la SSR a tort, il faudra réexaminer la revendication du statut de réfugié car, étant arrivée à une conclusion sur un point de droit qu'elle considérait comme déterminant, la SSR n'a tiré aucune conclusion de fait.

[11]      Lorsqu'il est question du sens d'un " groupe social ", l'arrêt déterminant est Canada (Procureur général) c. Ward , [1993] 2 R.C.S. 689, une affaire où il était question d'une revendication du statut de réfugié de la part d'une personne qui avait été membre d'un groupe terroriste paramilitaire en Irlande du Nord, appelé l'INLA. La personne en question craignait d'être persécutée par ce groupe, qu'elle avait trahi en laissant quelques otages s'échapper. Il a été admis que la police ne voulait ou ne pouvait pas la protéger. Sa revendication était donc fondée en partie sur la question de savoir si sa crainte de persécution était liée à son appartenance à un groupe social, soit l'INLA.

[12]      Le jugement de la Cour a été écrit par le juge La Forest. Après une longue analyse de la jurisprudence applicable au Canada et ailleurs, ce dernier a conclu ce qui suit (p. 739 du recueil) :

     Le sens donné à l'expression " groupe social " dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers2, Cheung3 et Matter of Acosta4, précités, permettent d'établir une bonne règle pratique en vue d'atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :         
         (1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;         
         (2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et         
         (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.         
     La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie.         

[13]      Dans l'arrêt Ward, il a été décrété que l'INLA ne constituait pas un groupe social5. Dans le contexte des trois catégories susmentionnées, seule la deuxième aurait peut-être pu s'appliquer au vu des faits, et l'objectif de l'INLA, qui était d'atteindre des objectifs politiques par la voie du terrorisme, n'a pas été considéré comme essentiel à la dignité humaine de ses membres.

[14]      En l'espèce, l'avocat des demandeurs fait valoir que ses clients appartiennent à un groupe social que l'on peut décrire comme étant celui des " citoyens mexicains respectueux de la loi " ou, subsidiairement, dans le cas de tous les demandeurs à l'exception de M. Serrano, un groupe social formé de la famille de M. Serrano.

Les " citoyens du Mexique respectueux de la loi " en tant que groupe social

[15]      Les demandeurs font valoir que le fait d'être respectueux des lois est une valeur morale ou spirituelle qui comporte une caractéristique humaine innée ou immuable, ce qui les rangerait dans la première catégorie dont il est question dans l'arrêt Ward. Il est allégué aussi qu'une norme morale élevée est un aspect fondamental de la dignité humaine et qu'il convient de considérer que celle-ci est digne d'être protégée en vertu de la Convention même si elle ne se cadre pas parfaitement avec l'une quelconque des catégories mentionnées dans l'arrêt Ward.

[16]      La décision Ward permet d'utiliser la catégorie générique - le groupe social - pour étendre la protection de la Convention aux personnes qui sont persécutées pour des motifs non précisés dans la Convention. Le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle sont acceptés comme entrant dans la catégorie d'un " groupe social " car l'expérience nous apprend que le fait de posséder ces caractéristiques suscite des abus des droits de la personne de la nature de ceux que la Convention a été conçue pour traiter.

[17] Je suis d'accord avec l'avocat des demandeurs que le passage extrait de la décision Ward n'est présenté qu'à titre indicatif, qu'il s'agit d'une règle de travail comme l'a indiqué le juge La Forest, qui n'empêche pas d'accepter des catégories supplémentaires de " groupe social ". Le juge La Forest en a dit autant dans le jugement dissident qu'il a rendu dans l'affaire Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1995] 3 R.C.S. 593, à la p. 642. Cependant, toute extension de cette nature doit respecter l'objet de la définition, que décrit le juge La Forest dans Ward (p. 739 du recueil) : " [les] thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés ".

[18]      Les demandeurs font valoir, essentiellement, que les " citoyens respectueux de la loi " d'un pays forment un segment supplémentaire d'un " groupe social " (en supposant, et je crois que cela est implicite dans l'argumentation des demandeurs, que le pays n'assure aucune protection efficace aux citoyens respectueux de la loi). Selon moi, il n'y a rien dans la décision Ward qui justifierait que l'on reconnaisse cette nouvelle catégorie.

[19]      Il me semble que l'opinion contraire correspond davantage aux commentaires que fait le juge La Forest dans Ward (pages 731 et 732 du recueil) :

     [...] le droit international relatif aux réfugiés était destiné à servir de " substitut " à la protection nationale si celle-ci n'était pas fournie. C'est pourquoi le rôle international était assujetti à des limitations intrinsèques. Ces mécanismes restrictifs montrent que la communauté internationale n'avait pas l'intention d'offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent. Par exemple, la " persécution " nécessaire pour justifier la protection internationale entraîne l'exclusion de suppliques comme celles des migrants économiques, c'est-à-dire des personnes à la recherche de meilleures conditions de vie, ou des victimes de catastrophes naturelles, même si l'État d'origine ne peut pas les aider, quoique les personnes dans ces deux cas puissent sembler mériter l'asile international.         

[20]      À mon sens, les " citoyens du Mexique respectueux de la loi " ne sont pas un " groupe social " au sens de la Convention.

[21]      Me confortent dans cette conclusion plusieurs décisions par laquelle la présente Cour a rejeté l'idée que les victimes d'acte criminel constituent un groupe social. Chaque affaire concernait des faits différents, de sorte que la description proprement dite du groupe en question varie en conséquence. Je ne commenterai que deux de ces affaires.

[22]      Dans l'arrêt Mason c. Canada (Secrétariat d'État), [1995] F.C.J. No 815 (QL) (1re inst.), un groupe censément composé de [TRADUCTION] " personnes d'une grande force morale qui s'opposent au commerce de la drogue " a été considéré comme ne constituant pas un " groupe social ". La crainte du demandeur découlait du fait qu'il avait informé la police d'une activité liée à la drogue. La SSR avait conclu que les actes du demandeur faisaient de lui la cible d'une activité criminelle et que, de ce fait, le groupe présumé, si tant est qu'il y en avait un, n'existait pas avant la persécution, et n'avait vu le jour qu'en réponse à cette dernière. Selon le juge Simpson, la SSR n'avait pas commis d'erreur susceptible de contrôle en tirant cette conclusion parce que celle-ci cadre avec les arrêts Ward (précité) et Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1993] 3 C.F. 675 (C.A.F.)6.

[23]      L'avocat des demandeurs met en doute la validité du principe énoncé dans l'arrêt Mason, à savoir qu'un groupe social doit exister avant qu'ait lieu la persécution. Le principe me semble valable. L'idée qu'un groupe social puisse être identifié uniquement par la persécution dont il est victime ne donnerait aucun effet aux mots " du fait de " qui figurent dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Je suis d'accord avec le commentaire suivant qu'a fait le juge McHugh dans la décision A. v. Minister for Immigration and Ethnic Affairs (1997), 142 A.L.R. 331, à la p. 358 du recueil :

     [TRADUCTION]         
     La seule persécution qui soit pertinente est celle qui est commise pour des motifs d'appartenance à un groupe, ce qui signifie que ce dernier doit exister indépendamment de la persécution et ne pas être défini par elle [...]         

[24]      Dans la décision Calero c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J. No. 1159 (QL) (1re inst.), il était question des revendications du statut de réfugié de deux familles qui s'étaient enfuies de l'Équateur après avoir été menacées de mort par des trafiquants de drogue. La SSR a conclu que les victimes du crime organisé ne constituent pas un groupe social, et qu'il n'existe donc pas de lien entre la crainte de persécution et un motif énoncé par la Convention. Le juge Wetston a conclu qu'il s'agissait là d'un énoncé de principe exact, d'après Ward. L'avocat du demandeur a fait valoir que, dans cette affaire, il est davantage question de la protection de l'État que du sens d'un " groupe social ". Ce n'est pas ainsi que j'interprète cette affaire. Le juge Wetston a déclaré que les commentaires de la SSR sur la protection de l'État posaient des difficultés, mais il ne les a pas analysés plus avant à cause du sens qu'a, selon lui, un " groupe social ".

[25]      D'autres causes portant sur la mesure dans laquelle les victimes d'actes criminels peuvent s'en remettre à la Convention sont Cutuli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J. No. 1156 (Q.L.) (1re inst.); Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] F.C.J. No. 1036 (Q.L.) (1re inst.); Valderrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 135. Toutes ces affaires rejettent l'argument selon lequel la crainte qu'a une personne d'être persécutée par des criminels peut servir de fondement à une revendication du statut de réfugié valide.

[26]      Pour ces motifs, je conclus que la SSR a eu raison de statuer que les demandeurs ne pouvaient fonder une revendication du statut de réfugié sur l'appartenance à un groupe formé des " citoyens du Mexique respectueux de la loi ". La demande de M. Serrano est rejetée.

[27]      Cela règle la revendication de M. Serrano, mais non celle des autres demandeurs. Le fondement subsidiaire de leur revendication est analysé ci-après.

La famille en tant que groupe social

[28]      Mme Rios Romero et ses enfants soutiennent, subsidiairement, qu'elles craignent d'être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social, c'est-à-dire la famille de M. Serrano.

[29]      En supposant que les faits mentionnés ci-dessus sont véridiques, Mme Romero et ses enfants craignent d'être persécutées parce qu'elles ont reçu des menaces d'un groupe criminel désireux d'obtenir que M. Serrano collabore à leurs activités criminelles. La persécution de Mme Romero et de ses enfants est une réaction de ce groupe criminel devant la résistance de M. Serrano.

[30]      Il est bien établi qu'une famille peut être un " groupe social ". L'avocat des demandeurs fait valoir que si la " famille " est un groupe social, comme le disent les décisions, il s'ensuit qu'une crainte fondée de persécution qui est liée d'un point de vue causatif au fait d'appartenir à une famille constitue, sans plus, un motif valable pour revendiquer le statut de réfugié. Si cela est exact, le motif de la persécution des membres de la famille importe donc peu.

[31]      Le défendeur allègue que les familles ne sont pas toutes un " groupe social ". La " famille " en tant que catégorie de " groupe social " est plutôt un aspect forcément connexe; il doit s'agir d'un sous-ensemble de l'un des autres motifs énoncés dans la Convention. Si tel est le cas, cela signifie qu'une revendication du statut de réfugié valide ne peut être fondée sur l'appartenance à une famille à moins que le membre de la famille qui est la cible ultime de la persécution ait une revendication du statut de réfugié qui soit valide. Par souci de commodité, je donnerai à cette personne le nom de " membre principal de la famille ". Si le défendeur a raison, l'échec de la revendication de M. Serrano doit entraîner celui des revendications de son épouse et de ses enfants.

[32]      L'avocat du défendeur se fonde sur les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bakhshi (1994), 190 N.R. 228 (C.A.F.) et Castellanos c. Canada (Procureur général du Canada), [1995] 2 C.F. 190 (1re inst.). Selon moi, aucune de ces deux affaires n'étaye la thèse qu'avance le défendeur, encore qu'elles soient compatibles avec cette dernière.

[33]      Il existe toutefois deux causes plus récentes qui soutiennent la thèse du défendeur. Dans Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. No. 1246 (QL) (1re inst), la revendicatrice appartenait à un groupe familial qui avait été pris pour cible à cause de ses activités illicites liées à la drogue. Sa revendication a été rejetée. Dans Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 148 F.T.R. 69 (1re inst.), les demandeurs - un homme et son épouse - disaient avoir été victimes de persécution parce que l'époux s'était plaint de la corruption généralisée des fonctionnaires de l'État. La revendication de l'époux était fondée sur plusieurs motifs, dont une crainte fondée d'être persécuté parce qu'il appartenait à un groupe social appelé les " hommes d'affaires "; la revendication de son épouse était fondée sur l'appartenance à sa famile. Les deux revendications ont été rejetées parce que ni l'un ni l'autre des demandeurs n'étaient membres d'un " groupe social " au sens de la Convention. Le juge Rothstein a déclaré ce qui suit, au paragraphe 11 :

     ...le tribunal a conclu à bon droit que lorsque la victime principale d'une persécution ne répond pas à la définition du réfugié au sens de la Convention, toute revendication connexe fondée sur l'appartenance au groupe de la famille ne saurait être accueillie.         

[34]      En revanche, il est possible de considérer que des remarques incidentes formulées dans d'autres décisions appuient d'une certaine manière le demandeur. Une de ces décisions est Rojas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] F.C.J. No. 296 (QL) C.A.F.). Il était question dans cette affaire de la revendication du statut de réfugié d'une femme et de ses enfants qui disaient craindre d'être persécutés pour deux raisons, dont l'une était sa relation avec son époux, qui avait reçu des menaces après avoir congédié des employés. La revendication a finalement été rejetée, faute de preuves que la protection de l'État était insuffisante; toutefois, la Cour d'appel fédérale a déclaré aussi que la revendication fondée sur l'appartenance à un groupe social est :

     ...un motif de persécution qui peut être invoqué isolément et qui n'a pas à être lié à un autre motif reconnu par la Convention.         

[35]      Cela doit être considéré comme une référence au groupe social de la " famille ", non seulement parce qu'il s'agit là du sujet de l'affaire, mais aussi parce que si l'énoncé a un sens plus étendu, il est probablement incompatible avec Ward .

[36]      L'avocat des demandeurs fait également référence à de nombreuses autres affaires, dont les suivantes : Al-Busaidy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 16 Imm. L.R. (2d) 119 (C.A.F.); Hristova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 1994), 23 Imm. L.R. (2d) 278 (1re inst.); Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 767 (1re inst.)7; Velasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] F.C.J. No 1982 (Q.L.)(1re inst.). Il signale, avec raison, que dans chacune de ces affaires, la validité de la revendication du demandeur à titre de membre d'une famille a été déterminée sans commentaire aucun sur le statut de réfugié réel ou éventuel du membre principal de la famille dont les activités avaient attiré la persécution.

[37]      En revanche, dans chacune de ces causes, mais pas la dernière, les faits peuvent soutenir une inférence selon laquelle le membre principal de la famille aurait pu avoir une revendication du statut de réfugié capable de soutenir une revendication connexe de la part de sa famille; il s'avérait toutefois que le membre principal de la famille n'était pas un revendicateur. Dans deux de ces causes, le membre principal en question était décédé.

[38]      Al-Busaidy était l'affaire d'un Ougandais qui, a-t-il été conclu, craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses liens avec son père, qui était lui-même persécuté en tant que dissident et qui avait fini par être assassiné par une faction de l'armée ougandaise. Dans Hristova, le membre principal de la famille était recherché par la police en Bulgarie parce qu'il avait menacé d'exposer un incident dans lequel la police avait tué deux Turcs. Il avait pris la fuite au Canada. Les revendicateurs étaient son épouse et son fils, restés en Bulgarie. L'épouse soutenait qu'elle avait été persécutée dans une tentative pour l'obliger à faire revenir son époux à domicile. Dans Pour-Shariati, la revendicatrice disait avoir été persécutée du fait de sa relation avec son fils, qui avait été mêlé à des activités antigouvernementales.

[39]      La dernière affaire, Velasquez, ne peut étayer une telle inférence car les faits en cause ne sont pas exposés entièrement. Il y est dit qu'une femme qui craignait d'être persécutée à cause de menaces et de tentatives d'assassinat, mais qui ne pouvait pas prouver que ces faits étaient liés de quelque manière à l'assassinat de son époux, pourrait avoir une revendication du statut de réfugié valide. Toutefois, l'affaire a été renvoyée à la SSR parce que celle-ci n'avait pas mis en lumière les faits pertinents. Il est donc impossible de savoir si l'époux aurait pu être victime ou non de persécution pour des motifs énoncés dans la Convention.

[40]      En l'absence de pouvoirs exécutoires sur ce point, il est nécessaire de revenir aux principes exposés dans Ward pour déterminer si la " famille " est une catégorie distincte de " groupe social ", comme le prétend l'avocat des demandeurs, ou simplement un groupe connexe à une autre catégorie reconnue, comme le soutient le défendeur.

[41]      Selon Ward, un " groupe social " est une catégorie générique qu'il est possible d'étendre à des groupes non expressément mentionnés dans la Convention, mais non au-delà de ce qui est nécessaire pour refléter " les thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés " (Ward , le juge La Forest, p. 739 du recueil).

[42]      Le demandeur voudrait que je décrète que tous ceux qui craignent d'être persécutés juste à cause d'un lien familial peuvent avoir droit à la protection de la Convention. Je crois que l'on étendrait ainsi la catégorie d'un " groupe social " bien au-delà des limites qui lui conviennent. Je ne souscris pas à l'idée qu'un lien familial est une caractéristiques qui requiert la protection de la Convention, en l'absence d'un motif sous-jacent, énoncé dans la Convention, pour la persécution alléguée. Je conclus que dans le contexte des faits de l'espèce, la position du défendeur traduit mieux les objectifs de la Convention que celles des demandeurs.

[43]      Pour cette raison, les revendications de Mme Romero et de ses enfants ne peuvent être retenues. La demande de contrôle judiciaire de leurs revendications est rejetée.

Questions certifiées

[44]      Il m'a été demandé de certifier des questions sur les deux points analysés plus tôt, et je

suis d'accord qu'il est justifié de le faire en l'espèce. Les questions sont les suivantes :

1.      Les " citoyens du Mexique respectueux de la loi " constituent-ils un " groupe social " au sens de la Convention?
2.      Une revendication du statut de réfugié peut-elle être accueillie sur la foi d'une crainte fondée de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social qui est une famille, si le membre de la famille qui est principalement visé par la persécution n'est pas victime de persécution pour un motif énoncé dans la Convention?

     Karen R. Sharlow

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFFE :                  IMM-2787-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ROBERTO FLORES SERRANO, FLOR MARIA CLAU RIOS ROMERO, HAYDEE FLORES RIOS, ERICA FLORES RIOS et CLAUDIA FLORES RIOS, c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 14 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                  27 avril 1999

ONT COMPARU :

M. CHARLES R. DARWENT          POUR LE DEMANDEUR

Mme LORRAINE NEILL              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DARWENT LAW OFFICE              POUR LE DEMANDEUR

CALGARY (ALBERTA)

M. MORRIS ROSENBERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

1 La décision de la SSR au sujet des opinions politiques n'est pas contestée dans la présente demande.

2 Mayers c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 97 D.L.R. (4th) 729 (C.A.F.)

3 Cheung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] 2 C.F. 314 (C.A.F.)

4 (1985) 19 I. & N. 211 (Décision provisoire 2986, 1985 WL 56042) (B.I.A.)

5 Je signale que la décision Ward étaye également la thèse selon laquelle la définition d'un " groupe social " pourrait englober même des groupes criminels. La raison à cela n'est pas inhérente à la définition, mais découle du contexte de la Loi sur l'immigration , qui comporte de nombreux mécanismes permettant d'exclure les revendicateurs indésirables. Ces mécanismes montrent que le législateur a décidé de ne pas considérer un passé criminel comme un motif pour empêcher un revendicateur d'obtenir le statut de réfugié.

6 Confirmé pour d'autres raisons : [1995] 3 R.C.S. 593.

7 Confirmé pour des motifs différentes dans Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.)

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