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Date : 20000629

Dossier : T-1252-99

Toronto (Ontario), le jeudi 29 juin 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

JEANNINE MORIN, en son propre nom

et au nom d'une catégorie de personnes ayant le même intérêt,

décrite plus précisément dans l'appendice « A » de la déclaration

                                                                                          demandeurs

                                                  - et -

                                SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                        défenderesse

JUGEMENT

En réponse à la question de droit qui suit :

La Loi de 1997 sur la protection des locataires, L.O. 1997, s'applique-t-elle aux baux visés par la présente action tels que les décrit la déclaration des demandeurs et auxquels le bail type s'applique, tel que le précise le paragraphe 1 de l'Exposé conjoint des faits déposé par les parties?


LA COUR STATUE QUE :

La Loi sur la protection des locataires de l'Ontario, bien qu'elle constitue une loi d'application générale valablement édictée par la législature de l'Ontario, ne s'applique pas aux baux visés dans la présente action, soit les baux touchant des terres indiennes conclus entre les demandeurs et Sa Majesté la Reine.

          « E. Heneghan »         

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


Date : 20000629

Dossier : T-1252-99

ENTRE :

JEANNINE MORIN, en son propre nom

et au nom d'une catégorie de personnes ayant le même intérêt,

décrite plus précisément dans l'appendice « A » de la déclaration

                                                                                          demandeurs

                                                  - et -

                                SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                        défenderesse

                               MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HENEGHAN

[1]         Il s'agit d'une requête visant à trancher une question de droit à titre préliminaire. Cette question de droit et la présente requête découlent d'une ordonnance prononcée le 17 avril 2000 par monsieur le juge Hugessen. Dans cette ordonnance, le juge Hugessen a écrit :

[Traduction] 1. La question de droit suivante doit être tranchée en vertu de la règle 220 :


« La Loi de 1997 sur la protection des locataires, L.O. 1997, s'applique-t-elle aux baux visés par la présente action tels que les décrit la déclaration des demandeurs et auxquels le bail type s'applique, tel que le précise le paragraphe 1 de l'Exposé conjoint des faits déposé par les parties? »

2. Cette question sera tranchée à partir d'un dossier constitué des éléments suivants : 1) l'exposé conjoint des faits déposé par les parties et 2) la présente ordonnance.

[2]         La règle 220 des Règles de la Cour fédérale, (1998), à laquelle renvoie l'ordonnance susmentionnée du juge Hugessen dispose :



220. (1)A party may bring a motion before trial to request that the Court determine

(a) a question of law that may be relevant to an action;

(b) a question as to the admissibility of any document, exhibit or other evidence; or

(c) questions stated by the parties in the form of a special case before, or in lieu of, the trial of the action.

(2) Where, on a motion under subsection (1), the Court orders that a question be determined, it shall

(a) give directions as to the case on which the question shall be argued;

(b) fix time limits for the filing and service of motion records by the parties; and

(c) fix a time and place for argument of the question.

(3) A determination of a question referred to in subsection (1) is final and conclusive for the purposes of the action, subject to being varied on appeal.

220. (1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l'instruction, demander à la Cour de statuer sur :

a) tout point de droit qui peut être pertinent dans l'action;

b) tout point concernant l'admissibilité d'un document, d'une pièce ou de tout autre élément de preuve;

c) les points litigieux que les parties ont exposés dans un mémoire spécial avant l'instruction de l'action ou en remplacement de celle-ci.

(2) Si la Cour ordonne qu'il soit statué sur l'un des points visés au paragraphe (1), elle:

a) donne des directives sur ce qui doit constituer le dossier à partir duquel le point sera débattu;

b) fixe les délais de dépôt et de signification du dossier de requête;

c) fixe les date, heure et lieu du débat.


Les faits

[3]         Avant d'examiner la question de droit à trancher dans le cadre de la requête, il faut passer en revue les faits à l'origine de la requête. En l'espèce, certaines terres faisant partie d'une réserve ont été cédées à la Couronne fédérale, à certaines conditions, afin d'être données à bail.

[4]         Les demandeurs ont conclu plusieurs baux avec la défenderesse, Sa Majesté la Reine. Ces baux, d'une durée de cinq ans, sont entrés en vigueur le 1er avril 1999, pour se terminer le 31 mars 2004.

[5]         L'exposé conjoint des faits précise la nature des baux :

[Traduction] 1. Le bail type, cité par la défenderesse dans son recueil de textes en date du 3 novembre 1999à l'appui de sa requête en radiation, y compris ses attendus, décrit fidèlement le contexte factuel de la présente requête présentée sous le régime de la règle 220.

2. Généralement, et aux fins de la requête, les demandeurs ne louent que la terre, mais ils y ont érigé des habitations dont ils sont propriétaires et qu'ils utilisent comme résidence permanente ou comme résidence secondaire. Ils ont en outre le droit d'utiliser certaines terres qui demeurent en la possession de la défenderesse et qui sont mises de côté à titre de chemin ou de servitude menant à la rive du lac, utilisés en commun par tous les locataires.

[6]         Les baux prévoient notamment :

[Traduction] ATTENDU que les terres décrites plus loin comme faisant partie des terres connues sous le nom de Réserve no 10 des Indiens de Nipissing qui ont été mises de côté à l'usage et au profit de la Bande indienne de Nipissing;


ET ATTENDU que les terres décrites plus loin ont été cédées aux fins d'être données à bail par l'acte de cession enregistré sous le numéro 1017-1 dans le registre des terres indiennes et approuvé par le décret C.P. 1962-668- du 12 mai 1962; paragraphe 53(1) de la Loi sur les Indiens.

[7]         Les deux parties conviennent que la Couronne agit en qualité de fiduciaire lorsqu'elle donne des terres indiennes à bail. Cette opinion est étayée par la jurisprudence[1].

L'argumentation des demandeurs

[8]         Les avocats des requérants, savoir les demandeurs dans l'action principale, soutiennent que la question en litige ne touche ni les Indiens ni les terres réservées pour les Indiens, mais plutôt les rapports entre propriétaires et locataires, en l'occurrence, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, en qualité de propriétaire, et ses locataires, les demandeurs. Les avocats des requérants font valoir que, par application de l'article 88 de la Loi sur les Indiens[2], la Loi sur la protection des locataires[3] de l'Ontario, en sa qualité de loi d'application générale, s'applique aux rapports juridiques entre propriétaires et locataires créés par les baux.


[9]         Les avocats des requérants ajoutent que, en l'absence d'une disposition de la Loi sur les Indiens ou d'une autre loi fédérale qui régirait expressément la question des rapports entre propriétaires et locataires, ce domaine demeure auquel et une loi provinciale peut s'y appliquer sans empiéter sur la compétence fédérale en la matière.

L'argumentation de la défenderesse

[10]       L'avocat de la Couronne soutient que l'article 88 ne s'applique pas en l'espèce, parce que les terres en cause demeurent des terres indiennes. Il fait valoir que l'instance porte sur l'applicabilité d'une loi ontarienne, et non sur sa validité; il affirme que la question à trancher est celle de savoir si la loi provinciale empiète sur une question de compétence fédérale exclusive, pareil empiétement donnant ouverture à l'application de la théorie de l'exclusivité des compétences, telle qu'elle a été réexaminée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Succession Ordon c. Grail[4].         

Les dispositions législatives pertinentes

[11]       Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue au parlement du Canada la compétence d'édicter des lois concernant les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » . Cette disposition confère au législateur fédéral, en des termes précis, la compétence exclusive en ce qui concerne non seulement les Indiens, amis aussi les terres réservées pour les Indiens.


[12]       De plus, je me reporte à la Loi sur les Indiens, par laquelle le législateur fédéral a exercé sa compétence et édicté de nombreuses dispositions concernant les terres réservées pour les Indiens. À titre d'exemple, l'article 18 de la Loi sur les Indiens confie à l'Administration fédérale la gestion des terres indiennes. Cet article est reproduit ci-dessous :


18. (1) Subject to this Act, reserves are held by Her Majesty for the use and benefit of the respective bands for which they were set apart, and subject to

this Act and to the terms of any treaty or surrender, the Governor in Council may determine whether any purpose for which lands in a reserve are used or are to be used is for the use and benefit of the band.

   (2) The Minister may authorize the use of lands in a reserve for the purpose of Indian schools, the administration of Indian affairs, Indian burial grounds, Indian health projects or, with the consent of the council of the band, for any other purpose for the general welfare of the band, and may take any lands in a reserve required for those purposes, but where an individual Indian, immediately prior to the taking, was entitled to the possession of those lands, compensation for that use shall be paid to the Indian, in such amount as may be agreed between the Indian and the Minister, or, failing agreement, as may be determined in such manner as the Minister may direct.

18. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.

    (2) Le ministre peut autoriser l'utilisation de terres dans une réserve aux fins des écoles indiennes, de l'administration d'affaires indiennes, de cimetières indiens, de projets relatifs à la santé des Indiens, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour tout autre objet concernant le bien-être général de la bande, et il peut prendre toutes terres dans une réserve, nécessaires à ces

fins, mais lorsque, immédiatement avant cette prise, un Indien particulier avait droit à la possession de ces terres, il doit être versé à cet Indien, pour un

semblable usage, une indemnité d'un montant dont peuvent convenir l'Indien et le ministre, ou, à défaut d'accord, qui peut être fixé de la manière que détermine ce dernier.


[13]       L'article 28 de la Loi sur les Indiens fixe les conditions auxquelles sont assujetties l'occupation ou l'utilisation d'une terre de réserve par une personne qui n'est pas membre de la bande :



28. (1) Subject to subsection (2), any deed, lease, contract, instrument, document or agreement of any kind, whether written or oral, by which a band or a

member of a band purports to permit a person other than a member of that band to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise any rights on a reserve is void.

      (2) The Minister may by permit in writing authorize any person for a period not exceeding one year, or with the consent of the council of the band for any longer period, to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise rights on a reserve.

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d'une bande est censé permettre à une personne, autre qu'un membre de cette bande, d'occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou

autrement exercer des droits sur une réserve.

      (2) Le ministre peut, au moyen d'un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.



[14]       Il importe aussi de mentionner l'article 88 de la Loi sur les Indiens. Cette disposition prévoit que les lois provinciales d'application générale s'appliquent aux Indiens dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la Loi sur les Indiens. Elle précise en outre que ces lois d'application générale ne s'appliquent pas lorsque la Loi sur les Indiens régit déjà une question particulière. Voici le libellé de l'article 88 :


88. Subject to the terms of any treaty and any other act of the Parliament of Canada, all laws of general application from time to time in force in any province are applicable to and in respect of Indians in the province, except to the extent that such laws are inconsistent with this act or any order, rule, regulation or by-law made their under , and except to the extent that such laws make provision for any matter for which provision is made by or under this act.

88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d'application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou règlement administratif pris sous son régime, et

sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou sous son régime.


Analyse


[15]             Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au législateur fédéral la compétence exclusive d'édicter des lois concernant les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. Néanmoins, en vertu de l'article 88 de la Loi sur les Indiens, les lois provinciales d'application générale, valablement édictées dans des domaines de compétence provinciale, s'appliquent aux Indiens et aux terres réservées pour les Indiens[5].

[16]             Il existe toutefois plusieurs exceptions à cette règle générale, comme le mentionne Peter W. Hogg dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada[6]. Ainsi, les lois provinciales d'application générale ne s'appliquent pas aux Indiens ni aux terres réservées pour les Indiens si elles portent atteinte à leur « indianité » . De plus, les lois provinciales ne s'appliquent pas lorsque la théorie de la prépondérance fédérale trouve application en raison d'une incompatibilité entre une loi fédérale et une loi provinciale.

     

[17]             Les deux parties reconnaissent que la loi ontarienne en cause est une loi d'application générale. Il faut donc se demander si la Loi sur la protection des locataires de l'Ontario fait partie des exceptions susmentionnées ou est inapplicable pour une autre raison.


[18]             Selon l'opinion émise par le juge Beetz dans l'arrêt Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement[7], la première question à résoudre pour trancher la requête en l'espèce est celle de savoir si le pouvoir de réglementer les terres en cause « ...fait partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens » [8]. D'après l'arrêt Four B, précité, il faut se demander, en deuxième lieu, « ...si le Parlement a occupé le champ par les dispositions... » de la Loi sur la protection des locataires[9].

[19]             Je suis d'avis qu'il faut répondre à ces deux questions par l'affirmative. Premièrement, la location à bail en cause vise des terres qui sont des terres indiennes. Selon moi, la compétence de réglementer la location à bail de terres indiennes fait partie intégrante de la compétence fédérale principale. Ces terres n'ont pas perdu la qualité de « terres indiennes » du simple fait de la signature de ces baux.

[20]             Dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique[10], le juge en chef Lamer a écrit :


Deuxièmement, comme je l'ai mentionné plus tôt, le par. 91(24) protège l'essentiel de la compétence du fédéral, même contre les lois provinciales d'application générale, par l'application du principe de l'exclusivité des compétences. Il a été dit que ces éléments essentiels se rapportent à des questions touchant à la « quiddité indienne » ou au « fondement même de la quiddité indienne » (Dick, précité, aux pp. 326 et 315; voir aussi Four B, précité, à la p. 1047 et Francis, précité, aux pp. 1028 et 1029). On a défini l'essentiel de l'indianité qui est au coeur du par. 91(24) en disant ce qu'il est et en disant ce qu'il n'est pas. Dans des exemples de cette dernière situation, on a statué que l'essentiel de l'indianité ne comprenait pas les relations de travail (Four B) ni la conduite de véhicules à moteur (Francis). Le seul exemple concret d'indianité a été donné dans l'arrêt Dick. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Beetz a tenu pour acquis, sans toutefois se prononcer sur la question, qu'une loi provinciale en matière de chasse ne s'appliquait pas d'elle-même aux membres d'une bande indienne lorsqu'ils chassent parce que ces activités étaient « au coeur même de leur existence et de leur être » (à la p. 320). Dans Van der Peet, toutefois, j'ai décrit et défini les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) d'une manière analogue, c'est-à-dire comme des droits protégeant l'occupation des terres et les activités qui font partie intégrante de la culture distinctive autochtone du groupe qui revendique le droit. Il s'ensuit que les droits ancestraux font partie de l'essentiel de l'indianité qui est au coeur du par. 91(24). Par conséquent, avant 1982, ces droits ne pouvaient pas être éteints par des lois provinciales d'application générale.

(4) L'article 88 de la Loi sur les Indiens

Cependant, des règles de droit provinciales qui autrement ne s'appliqueraient pas d'elles-mêmes aux Indiens peuvent le faire par l'effet de l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, qui incorpore par renvoi les lois provinciales d'application générale: Dick, précité, aux pp. 326 et 327; Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285, à la p. 297; Francis, précité, aux pp. 1030 et 1031. Toutefois, il est important de souligner, dans les mots du professeur Hogg, que l'art. 88 ne [traduction] « revigore » pas des règles de droit provinciales qui sont invalides parce qu'elles se rapportent aux Indiens et aux terres indiennes (Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), à la p. 676; voir aussi Dick, précité, à la p. 322). Ce que cela veut dire, c'est que l'art. 88 étend l'effet des lois provinciales d'application générale qui ne sauraient autrement s'appliquer aux Indiens et aux terres indiennes parce qu'elles touchent à la quiddité indienne qui est au coeur du par. 91(24). Par exemple, une règle de droit provinciale réglementant la chasse peut très bien affecter ce fondement. Même si une telle loi ne s'appliquait pas d'elle-même aux peuples autochtones, elle le ferait néanmoins sous l'effet de l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, en tant que loi d'application générale. De telles lois sont adoptées pour la conservation du gibier et pour assurer la sécurité de tous. [11]

[21]             J'estime que l' « indianité » ne se limite pas aux personnes, mais peut aussi s'appliquer pour décrire les terres indiennes et, par conséquent, je suis d'avis que les terres réservées pour les Indiens sont aux coeur de la compétence fédérale.


[22]             Néanmoins, le juge en chef Lamer a indiqué, dans l'arrêt Delgamuukw, précité, que l'article 88 de la Loi sur les Indiens étend l'effet des lois provinciales d'application générale qui ne sauraient autrement s'appliquer aux Indiens et aux terres indiennes parce qu'elles touchent à la quiddité indienne qui est au coeur du par. 91(24). Compte tenu de cette remarque, il faut maintenant déterminer si la Loi sur la protection des locataires, bien qu'elle légifère dans un domaine qui touche le coeur de la compétence conférée par le paragraphe 91(24), soit les terres indiennes, s'applique par application de l'article 88.

[23]             L'article 88 ne mentionne pas expressément les terres réservées pour les Indiens. À première vue, cette omission significative semblerait indiquer que l'article 88 ne permet pas expressément l'application des lois provinciales d'application générale aux terres réservées pour les Indiens. Toutefois, même si l'article 88 s'applique pour permettre l'application des lois provinciales d'application générale aux terres réservées pour les Indiens, il précise expressément que ces lois s'appliquent « sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi » et « sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou sous son régime » . Par ce libellé, l'article 88 limite l'application des lois provinciales d'application générale aux questions que la Loi sur les Indiens ne régit pas.


[24]             Il existe des dispositions de la Loi sur les Indiens qui prescrivent la façon dont les terres des réserves doivent être utilisées. Cette loi contient en outre des dispositions qui régissent la location à bail d'une terre indienne à une personne qui n'est pas membre de la bande. Par ailleurs, la Loi sur les Indiens régit expressément la cession des terres indiennes aux fins de leur location à bail. Les terres indiennes en cause ont été cédées par la bande à Sa Majesté la Reine du chef du Canada pour qu'elle les donne à bail. Compte tenu de ce qui précède et des faits de l'espèce, ainsi que de la qualité de la Couronne à titre de fiduciaire agissant au nom des propriétaires de ces terres, c'est-à-dire la Bande indienne de Nipissing, je suis d'avis que cette loi provinciale d'application générale ne s'applique pas.

[25]             En conclusion, je suis d'avis que la Loi sur la protection des locataires de l'Ontario, bien qu'elle constitue une loi d'application générale valablement édictée par la législature de l'Ontario, ne s'applique pas aux baux visés dans la présente action, soit les baux visant des terres indiennes conclus entre les demandeurs et Sa Majesté la Reine.

                                                                                   « E. Heneghan »                    

                                                                                               J.C.F.C.                              

Toronto (Ontario)

29 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.L.


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                  Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-1252-99

INTITULÉ DE LA CAUSE:                JEANNINE MORIN, en son propre nom et au nom d'une catégorie de personnes ayant le même intérêt, décrite plus précisément dans l'appendice « A » de la déclaration

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE LUNDI 8 MAI 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE HENEGHAN.

EN DATE DU :                                   JEUDI 29 JUIN 2000

ONT COMPARU :                Me Hubert E. Mantha                                                            

Pour les demandeurs

Me Gary N. Penner

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Hubert E. Mantha                                                          Pour les demandeurs

Avocat

215, rue College

Bureau 216

Toronto (Ontario)

M5T 1R1

Morris Rosenberg                                          Pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20000629

                                                                   Dossier : T-1252-99

ENTRE :

JEANNINE MORIN, en son propre nom et au nom d'une catégorie de personnes ayant le même intérêt, décrite plus précisément dans l'appendice « A » de la déclaration

demandeurs

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

                                                 

MOTIFS DU JUGEMENT

                                                 



     1       Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335.

     2       L.R.C. ch. I-5, modifiée.

     3       L.O. 1997, modifiée.

    4       [1998] 3 R.C.S. 427.

     5     Voir: R. v. Hill (1907), 15 O.L.R. 406 (C.A.) et Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 R.C.S. 1031.

     6       (4th ed. 1996) à la p. 548.

     7       [1980] 1 R.C.S.. 1031.

     8       Id., à la p. 1047.

     9       Id., à la p. 1047.

     10      [1997] 3 R.C.S. 1010 .

     11      Id., aux par. 181 et 182.

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