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Date : 20021209

Dossier : IMM-5795-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1274

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                                      TUNCER AVCI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, le 22 novembre 2001, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.


[2]                 Le demandeur, un citoyen turc âgé de 29 ans, prétendait craindre avec raison d'être persécuté du fait de son origine ethnique - il est kurde -, de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille élargie, et de ses opinions politiques, réelles ou imputées. Son père, sa mère et sept de ses frères et soeurs habitent à Toronto, mais son épouse et ses deux filles vivent en Turquie.

[3]                 Le demandeur invoque les incidents suivants pour démontrer qu'il a été persécuté :

- il a été traité comme un esclave pendant son service militaire parce qu'il est kurde;

- le 21 mars 1998, il a été frappé par des membres de la police anti-émeutes alors qu'il participait à une manifestation liée aux fêtes du Newroz avec son oncle, un membre du HADEP, et il a pris la fuite;

- le 1er mai 1999, alors qu'ils participaient à un défilé de la fête du Travail, le demandeur et son oncle ont été appréhendés par la police anti-émeutes. Ils ont été gardés pour la nuit et relâchés le lendemain. Le demandeur prétend qu'il a été battu et insulté;

- au printemps 2000, la police a convoqué le demandeur au poste parce qu'elle voulait savoir où se trouvait son frère (qui était au Canada), celui-ci ayant atteint l'âge du service militaire. Le demandeur n'a pas été agressé, mais il a été insulté;


- à l'été 2000, une perquisition a été effectuée chez le demandeur. Celui-ci a été amené au poste de police, où il a été interrogé au sujet de l'assassinat d'un dirigeant du village. Aucun élément de preuve n'a été trouvé dans la maison. Le demandeur, qui ignorait tout du meurtre, a été frappé au visage à deux reprises avant d'être relâché. Il a ensuite commencé à recevoir des appels téléphoniques d'un inconnu qui lui ordonnait de quitter le village, à défaut de quoi il serait exécuté.

[4]                 Le demandeur a donc quitté le pays. Il est arrivé à Toronto le 18 octobre 2000.

DÉCISION DE LA SSR

[5]                 La SSR a reconnu que le demandeur est kurde, et elle a considéré qu'il était un témoin crédible. Elle a cependant conclu qu'il avait été victime de discrimination et non de persécution en Turquie. Selon elle, le demandeur n'avait pas démontré le fondement objectif de sa crainte d'être persécuté par la police.

[6]                 La SSR a aussi traité de la crainte du demandeur de retourner dans son pays et du fait qu'il redoutait que les autorités découvrent qu'il avait revendiqué le statut de réfugié et qu'on le soupçonne d'avoir dénigré la Turquie. La SSR a fait allusion aux éléments de preuve qui indiquent que les autorités canadiennes ne révèlent pas qu'une personne renvoyée dans son pays est un revendicateur débouté.


QUESTIONS EN LITIGE

[7]                 Les questions sur lesquelles la Cour doit statuer sont les suivantes :

1. À quel moment la SSR a-t-elle été dessaisie de l'affaire? Le 7 novembre ou le 22 novembre 2001?

2. Si la SSR a été dessaisie le 22 novembre 2001, a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de contrôle en n'examinant pas les observations et les nouveaux documents présentés par le demandeur après l'audience?

3. La SSR s'est-elle fondée sur des déductions déraisonnables pour conclure qu'il n'existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté, ou a-t-elle tiré cette conclusion sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

PRÉTENTIONS ET ANALYSE


[8]                 La première question - la plus importante - découle d'un désaccord sur la date de la décision. Celle-ci a-t-elle été rendue au moment où les deux membres du tribunal de la SSR l'ont dictée après l'audience, le 7 novembre 2001? Ou plutôt lorsqu'ils l'ont signée, le 22 novembre 2001? La page couverture de la version officielle de la décision écrite indique qu'une décision a été rendue (en cabinet) le 7 novembre 2001 et que la décision écrite a été signée le 22 novembre 2001.

[9]                 La date de la décision est importante parce que la Cour doit décider si la SSR avait l'obligation d'examiner les éléments de preuve produits après l'audience.

[10]            L'avocate du demandeur a envoyé par messager, avec une lettre datée du 15 novembre 2001, des observations additionnelles et deux documents portant sur les conditions dans le pays. Le tout a été envoyé et reçu par la SSR le 20 novembre 2001. Les observations et les nouveaux documents ont été versés dans le dossier du tribunal, mais il n'en a pas été question dans la décision écrite. Le demandeur soutient maintenant que la SSR ne les a pas examinés.

[11]            Il faut donc décider si la SSR avait l'obligation d'examiner les observations et les documents présentés par le demandeur le 20 novembre 2001, soit après l'audience, ou si elle était dessaisie de l'affaire à cette date.


[12]            Le défendeur soutient que la SSR a rendu sa décision le jour de l'audience, soit le 7 novembre 2001, et qu'elle était dessaisie de l'affaire par la suite. Il fait valoir que la date de la décision - le 7 novembre 2001 - figure sur la page couverture de la décision et sur la Fiche de renseignements sur l'audience [page 22 du dossier du tribunal], où il est mentionné que le demandeur [traduction] « n'est pas un réfugié au sens de la Convention » et que [traduction] « seule la transcription de la décision et des motifs est exigée » . Cet argument est appuyé par la politique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié intitulée « Politique sur le prononcé de vive voix des décisions et des motifs » , entrée en vigueur le 1er juillet 2000 [onglet 13 du dossier des sources invoquées par le défendeur].

[13]            Le demandeur soutient que la SSR avait l'obligation d'examiner les éléments de preuve jusqu'à ce qu'elle signe sa décision et que la décision finale n'a été rendue que le 22 novembre 2001 : Vinda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), Imm. L.R. (3d) 1; Nadarajah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 151 N.R. 383 (C.A.F.); Tambwe-Lubemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 511 (C.F. 1re inst.), (2000), Imm. L.R. (3d) 175 (C.A.F.). Dans Vinda, précitée, M. le juge Rouleau était saisi d'une situation analogue :

[10] Le principal objet du litige en l'espèce concerne la différence entre la date à laquelle la Commission a dicté sa décision, soit le 6 décembre 2000 et celle à laquelle elle a signé et communiqué sa conclusion, soit le 30 janvier 2001. Sur la page couverture, il est mentionné que l'audience a eu lieu le 6 décembre 2000; les motifs de la décision ont été dictés le 6 décembre 2000 (en chambre) et, le 30 janvier 2001, les motifs écrits ont été signés et communiqués, ce qui est confirmé à la page 11 du dossier du tribunal. Le demandeur a été informé au moyen d'un avis de décision (comportant également les motifs écrits de la décision de la Commission) qui lui a été envoyé le 1er février 2001.

[11] Les principales questions à trancher sont de savoir si la Commission était tenue d'examiner les autres éléments de preuve que le demandeur a présentés le 18 décembre 2000 ou si elle était dessaisie ainsi que de savoir si la Commission a commis une autre erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour.

[...]


[20] À mon avis, la principale question que la Cour doit trancher en l'espèce est de savoir si la Commission était dessaisie après avoir dicté ses motifs le 6 décembre 2000 et avant de signer la décision le 30 janvier 2001. La Cour d'appel a dit assez clairement qu'un tribunal sera dessaisi une fois que sa décision est « rendue » au sens du paragraphe 69.1(9) de la Loi sur l'immigration et qu'une décision est rendue lorsque les motifs écrits sont signés : Tambwe-Lubemba (précité). La différence entre cet arrêt et la situation examinée en l'espèce est évidente. Dans l'arrêt Isiaku (précité), la Commission avait rendu une décision orale avant de signer ses motifs. Dans le cas sous étude, la Commission a différé sa décision à la fin de l'audience. [Non souligné dans l'original]

[14]            Il ressort clairement de cette décision que la SSR avait l'obligation d'examiner, avant de rendre sa décision, les observations et les éléments de preuve déposés après l'audience, mais la situation est différente en l'espèce. Ainsi, dans l'affaire qui nous occupe, les membres du tribunal de la SSR ont décidé en cabinet, dans les minutes qui ont suivi l'audience, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La présidente de l'audience a consigné les motifs de sa décision, et l'autre membre a souscrit aux conclusions. Le dossier du tribunal renferme, aux pages 238 à 242, la transcription des motifs dictés de vive voix en cabinet le 7 novembre 2001. Cette transcription est semblable à la version écrite de la décision, sous réserve de quelques corrections grammaticales. Il importe aussi de noter qu'elle indique que le membre du tribunal de la SSR a souscrit à la transcription des motifs de la présidente de l'audience. Ainsi, à l'exception des changements mineurs apportés pour des raisons grammaticales, les motifs écrits signés par les deux membres le 22 novembre 2001 sont identiques à la transcription de la décision rendue de vive voix. Le juge Rouleau a indiqué dans la décision Vinda, précitée, au paragraphe 22 :

À mon avis, il n'y a aucun moyen de savoir si les motifs écrits finalement communiqués sont identiques ou semblables à ceux qui ont apparemment été consignés. Il ne faut pas oublier que, même si l'avocate du défendeur a fait valoir dans son mémoire que les motifs de la décision de la Commission ont été consignés immédiatement après l'audience, ces allégations ne constituent pas une preuve.

[15]            Les règles applicables au prononcé des décisions de la SSR sont prévues au paragraphe 69.1(9) de la Loi :

69.1(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.

  

***

69.1(9) The Refugee Division shall determine whether or not the person referred to in subsection (1) is a Convention Refugee and shall render its decision as soon as possible after completion of the hearing and send a written notice of the decision to the person and to the Minister.

[16]            À mon avis, cette disposition comporte trois éléments : la décision, le prononcé de la décision et la notification de la décision. La décision devant être prise par les membres du tribunal de la SSR porte sur la question de savoir si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Cette décision ne peut être prise qu'après l'audience et le plus tôt possible. Elle peut être rendue de vive voix, en présence des parties ou non. Une décision défavorable doit cependant être mise par écrit, conformément au paragraphe 69.1(11) de la Loi :

69.1(11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants :

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;

b) le ministre ou l'intéressé le demande dans les dix jours suivant la notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.

***

69.1(11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that


(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision; and

(b) if the Minister or the person making the claim requests written reasons within ten days after the day on which the Minister or the person is notified of the decision, the Division shall forthwith give written reasons.

[17]            L'application de ces dispositions et de ces commentaires amène la question suivante : une décision, qu'elle soit rendue de vive voix ou par écrit, doit-elle être signée par les membres du tribunal de la SSR pour avoir force de loi?

[18]            Le paragraphe 69.1(9) n'exige pas expressément qu'il en soit ainsi. En fait, cette disposition prévoit qu'une décision doit être rendue le plus tôt possible, ce qui force les membres du tribunal à faire preuve d'efficacité.

[19]            Bien que l'esprit et les motifs de leur décision aient été dictés le 7 novembre 2001, les membres du tribunal n'ont pas, dans les faits, signé une décision lorsqu'ils ont décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Leurs signatures figurent seulement sur la version écrite des motifs, laquelle est datée du 22 novembre 2001.


[20]            À mon avis, une décision relative au statut de réfugié n'est pas rendue conformément à la loi tant qu'elle n'est pas signée. Je pense qu'il faut faire une distinction entre la signature de la décision et la signature des motifs écrits de celle-ci. La loi oblige la SSR à motiver sa décision par écrit dans certains cas, par exemple dans les cas visés au paragraphe 69.1(11). Par conséquent, pour rendre une décision qui lie les parties en conformité avec le paragraphe 69.1(9) de la Loi, il faut que les membres du tribunal de la SSR la signent en précisant que les motifs écrits suivront.

[21]            En l'espèce, les membres du tribunal de la SSR ont pris une décision et ont dicté leurs motifs le 7 novembre 2001, mais ils n'ont rien signé avant le 22 novembre suivant. L'avocate du défendeur n'a porté à mon attention aucun document portant les signatures des membres du tribunal de la SSR, et je ne dispose d'aucun document indiquant que ces derniers ont rendu une décision le 7 novembre 2001.

[22]            Il me semble que le mot « rendre » comporte une idée de formalité et de délivrance, ou de transmission. Le Black's Law Dictionary, 7e éd., définit ce verbe de la manière suivante :

[traduction] 1) Transmettre ou livrer, 2) (juge) prononcer formellement « rendre un jugement » , 3) (jury) s'entendre et faire connaître formellement « rendre un verdict » , 4) donner ce qui est dû « rendre un objet » . [Black's Law Dictionary, 7e éd.]

La signature d'une décision fait partie intégrante de cette idée de formalité, et la décision est transmise au greffier. En outre, le juge Rouleau a indiqué, dans la décision Vinda, précitée, au paragraphe 23 : « Une décision doit être communiquée aux parties intéressées, après quoi elle lie le décideur. » .


[23]            Le 7 novembre 2001, les membres du tribunal de la SSR ont entendu l'affaire, ont pris leur décision et ont dicté leurs motifs. La décision a ensuite été transcrite, révisée, finalisée et signée le 22 novembre 2001, avant d'être transmise au greffier. Les notions de transmission, ou de prononcé formel, n'ont été appliquées qu'à l'égard des motifs écrits du 22 novembre 2001. Il n'y a pas eu de transmission ou de prononcé formel quand la SSR a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention le 7 novembre 2001.

[24]            Les membres du tribunal de la SSR auraient pu signer la décision et la transmettre au greffier le 7 novembre 2001, les motifs écrits devant suivre. Or, ils ne l'ont pas fait. Je conclus par conséquent que la SSR n'a été dessaisie de l'affaire que le 22 novembre 2001.

[25]            Cela nous amène à la deuxième question. Sans déposer une requête conformément à l'article 28 des Règles de la section du statut de réfugié (DORS/93-45), l'avocate du demandeur a transmis par messager au greffier de la SSR, le 20 novembre 2001, une lettre datée du 15 novembre précédent, accompagnée des documents suivants :

-           des observations écrites datées du 15 novembre 2001;

-           un document d'Amnistie Internationale intitulé « Amnesty International's concerns regarding the return of HADEP supporters to Turkey » et daté du 1er novembre 2001;

-           un document d'Amnistie Internationale intitulé « Turkey: Endermic torture must end immediately » et daté du 8 novembre 2001.


[26]            L'avocate du demandeur n'a pas expliqué, dans son affidavit, pour quelles raisons la lettre du 15 novembre 2001 et les documents qui l'accompagnaient n'ont pas été transmis avant le 20 novembre 2001. Aucune raison n'a été donnée non plus pour expliquer pourquoi le document d'Amnistie Internationale daté du 1er novembre 2001 n'avait pas pu être produit à l'audience du 7 novembre 2001.

[27]            La lettre du 15 novembre 2001, les observations écrites et les deux documents ont été versés au dossier du tribunal. Il n'en est cependant pas question dans les motifs écrits. Le défendeur prétend qu'il n'y a aucune preuve indiquant que les membres du tribunal disposaient effectivement des nouveaux éléments de preuve lorsqu'ils ont pris leur décision. Mme le juge Simpson dans l'affaire Vairavanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 307, au paragraphe 6, et M. le juge Dubé dans l'affaire Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1740, au paragraphe 6, ont tous deux statué que les avocats ont le devoir de se faire confirmer par les membres du tribunal concernés que ceux-ci ont effectivement reçu les observations. La jurisprudence de la Cour est claire à ce sujet : si les membres du tribunal de la SSR ont effectivement examiné les observations, ils auraient dû le mentionner dans leur décision écrite. Dans la décision Barakat c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 601, Mme le juge Reed a dit : « Bien qu'au tout début des motifs de sa décision, la Commission reconnaisse, en quelques mots, avoir reçu ces documents, ces nouvelles informations ne font l'objet d'aucune analyse ou d'aucune citation dans les motifs de la décision. » La SSR a donc implicitement l'obligation d'indiquer qu'elle a reçu les éléments et, à tout le moins, d'en parler dans ses motifs.

[28]            Les observations écrites additionnelles semblent reprendre les prétentions présentées de vive voix au tribunal de la SSR à l'audience. Quant aux nouveaux documents, le document d'Amnistie Internationale semble avoir une certaine importance puisqu'il indique que les sympathisants du HADEP peuvent être arrêtés et torturés.

[29]            J'ai examiné les observations écrites, les deux nouveaux documents d'Amnistie Internationale et les documents produits à l'audience. Je constate que les nouveaux renseignements n'ajoutent rien d'important à ce dont disposait la SSR au sujet du retour et de la torture des sympathisants du HADEP en Turquie. Il importe de rappeler que la SSR a conclu que le demandeur n'était pas très connu comme opposant au régime et qu'il était un sympathisant du HADEP. Par conséquent, s'il avait un intérêt, celui-ci était peu important. Cela étant dit, je dois conclure que, même si les membres du tribunal de la SSR avaient l'obligation d'examiner les éléments de preuve déposés après l'audience par le demandeur, ceux-ci n'ajoutent rien à ce qui avait déjà été produit.


[30]            Quoi qu'il en soit, il me semble que l'avocate aurait dû se conformer à l'article 28 des Règles pour déposer les observations et les documents après l'audience. Dans la décision Lawal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 404, la Cour d'appel fédérale a statué que la Section du statut, après la fin d'une audience mais avant sa décision, ne pouvait examiner de nouveaux éléments de preuve outre ceux qu'il lui était loisible d'admettre d'office, qu'en rouvrant l'audience, et qu'elle devait le faire. [Voir aussi Salinas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 93 D.L.R. (4th) 631, et Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1941.] Ce non-respect des Règles ne peut que créer des problèmes qui peuvent nuire au demandeur ou empêcher la SSR de bien faire son travail. En outre, il est inacceptable que l'avocate du demandeur n'ait pas expliqué pourquoi elle a transmis le 20 novembre 2001 une lettre datée du 15 novembre précédent et pourquoi elle n'a pas produit à l'audience le document d'Amnistie Internationale daté du 1er novembre 2001. Cette absence d'explications n'aide pas non plus la cause du demandeur ni le travail de la SSR.

[31]            Dans son affidavit, l'avocate du demandeur a indiqué qu'après avoir transmis les nouveaux documents elle avait reçu un coup de fil d'une agente préposée aux cas de la SSR, Sonya James. Cette dernière avait alors confirmé que la Commission avait bien reçu les nouveaux documents, que ceux-ci seraient remis aux membres du tribunal de la SSR et qu'aucune décision n'avait encore été prise. Or, les membres du tribunal de la SSR ne sont pas liés par les actes des employés de celle-ci : Tambwe-Lubemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 511 (C.F. 1re inst.).

[32]            Pour ce qui est de la troisième question en litige, soit celle de savoir si la SSR a commis une erreur de fait susceptible de contrôle en concluant qu'il n'existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté, ce dernier soutient que le tribunal s'est fondé sur des déductions déraisonnables qui n'étaient pas étayées par la preuve pour en arriver à cette conclusion.

[33]            La conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur a été victime de discrimination et non de persécution doit être examinée à la lumière de la définition de « persécution » élaborée par la Cour. Selon cette définition, la persécution est l'infliction répétée d'actes de cruauté ou l'infliction systématique d'un châtiment au cours d'une période de temps déterminée. Le simple harcèlement ne suffit pas.

[34]            Je crois que les déductions tirées par la SSR qui l'ont amenée à conclure que le demandeur serait l'objet de discrimination et non de persécution s'il retournait dans son pays étaient manifestement raisonnables compte tenu de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur.

[35]            On m'a demandé de certifier l'une des deux questions suivantes :

[traduction] La Commission se conforme-t-elle au paragraphe 69.1(9) et à l'alinéa 69.1(11)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, lorsque, après l'audience, elle décide que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, explique les motifs de sa décision de vive voix en cabinet, les met ensuite par écrit et les envoie, avec la notification de la décision, au revendicateur, et sa décision est-elle finale à compter de la date à laquelle elle est rendue en cabinet?

Ou

Une décision rendue en cabinet par la Commission est-elle finale de sorte que la Commission est dessaisie de l'affaire par la suite?


[36]            À mon avis, la première question est davantage conforme à la notion de question d'importance publique générale car elle est plus explicite et elle renvoie aux dispositions pertinentes de la Loi. La deuxième question résume la première. Par conséquent, je suis d'avis de certifier la première question.

[37]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

-           la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la SSR le 22 novembre 2001 soit rejetée et que la question suivante soit certifiée :

[traduction] La Commission se conforme-t-elle au paragraphe 69.1(9) et à l'alinéa 69.1(11)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, lorsque, après l'audience, elle décide que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, explique les motifs de sa décision de vive voix en cabinet, les met ensuite par écrit et les envoie, avec la notification de la décision, au revendicateur, et sa décision est-elle finale à compter de la date à laquelle elle est rendue en cabinet?

             « Simon Noël »             

           Juge

    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                        IMM-5795-01

INTITULÉ :                       TUNCER AVCI et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 30 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :     Le 9 décembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Nicole Rahaman                                                   POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis                                                   POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VanderVennen, Lehrer                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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