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                                                                                        Date : 20050317

Dossier : T-1756-01

Référence : 2005 CF 385

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON                               

ENTRE :

                                             ALFRED TACAN, SOLOMON HALL,

et STAN McKAY

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Alfred Tacan, Solomon Hall et Stan McKay sont membres des Premières nations de Sioux Valley et sont des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. Chacun d'eux s'est enrôlé dans les Forces canadiennes, soit pendant la Seconde Guerre mondiale (MM. Tacan et McKay), soit pendant la guerre de Corée (M. Hall). Ils allèguent que les anciens combattants autochtones n'ont pas bénéficié des mêmes avantages que les autres anciens combattants et qu'ils sont victimes de discrimination systémique. Ils ont déposé une déclaration devant la Cour fédérale le 4 octobre 2001 et l'affaire fait l'objet d'une gestion de l'instance depuis mai 2003. La défenderesse prétend que les demandes ne sont pas fondées et qu'elles sont prescrites. J'ai conclu que la défenderesse avait raison.

LES DEMANDEURS

[2]         M. Tacan s'est enrôlé dans l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir servi outre-mer, il a été démobilisé en 1946 et est retourné à la réserve de Sioux Valley, au Manitoba. À son retour, il a obtenu environ 2 100 $ du gouvernement canadien pour exploiter une ferme dans la réserve. Au début, il a eu quelque difficulté à obtenir ce financement. M. Tacan a cessé d'exploiter sa ferme en 1967 ou en 1968 et par la suite, il a conduit un autobus scolaire pendant environ 15 ans.

[3]                M. Hall s'est enrôlé en 1951 et il a servi pendant la guerre de Corée. Après sa libération honorable en 1954, il est retourné à la réserve de Sioux Valley. À l'instar de M. Tacan et à titre d'ancien combattant autochtone, M. Hall a touché une allocation de l'État d'environ 2 300 $ pour se procurer les biens nécessaires à l'exploitation d'une ferme dans la réserve. Entre 1976 et 1979, M. Hall a fréquenté l'université. Le ministère des Affaires indiennes (MAI) a payé les frais de scolarité. Il lui manquait trois crédits pour obtenir un diplôme de baccalauréat ès arts.


[4]                M. McKay s'est enrôlé en mars 1942 et il a obtenu une libération honorable en juillet 1942 parce qu'il n'avait pas les capacités physiques requises pendant l'entraînement de base. Il n'a pas servi outre-mer. À son retour à la réserve de Sioux Valley, M. McKay a demandé à l'agent des Indiens, William Young, s'il pouvait obtenir une aide financière pour acheter de la machinerie agricole. M. McKay n'était pas admissible aux avantages destinés aux anciens combattants parce qu'il ne satisfaisait pas aux critères d'admissibilité, c'est-à-dire qu'il n'avait pas servi outre-mer pendant la guerre, n'avait pas fait partie des Forces canadiennes pendant au moins douze mois et ne recevait pas, à cette époque, une pension d'invalidité. Avec l'aide de M. Young, M. McKay a pu obtenir un emploi sur une ferme dans la réserve. Vers 1978, avec l'aide de son père, il a pu exploiter sa propre ferme qui comprenait environ 500 acres de terres de la réserve.

LA LOI SUR LES TERRES DESTINÉES AUX ANCIENS COMBATTANTS

[5]         À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a mis en oeuvre un programme destiné à rendre des terres agricoles disponibles pour les anciens combattants. Le but était d'aider les anciens combattants à acquérir des terres et des maisons de ferme. En gros, le Directeur nommé en vertu de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, S.R.C. 1970, ch. V-4, modifiée (LTAC), était autorisé à acquérir des terres, des matériaux de construction, des animaux de ferme et de l'outillage agricole avec les fonds du gouvernement. Il pouvait ensuite vendre ces biens (à un montant ne devant pas dépasser 6 000 $) à un ancien combattant admissible, à un montant égal aux deux tiers de la valeur réelle des biens. Le prix de vente était payé par l'ancien combattant au Directeur pendant une période n'excédant pas 30 ans, au taux d'intérêt de 3,5 p. 100. Si l'ancien combattant ne se conformait pas aux conditions du contrat, le Directeur pouvait le résilier, prendre possession des terres et des biens et les remettre à un autre ancien combattant ou, avec l'approbation du ministre, à une autre personne.


[6]                Le régime ne s'appliquait pas aux terres domaniales provinciales, aux terres des Indiens ou aux terres situées dans les parcs nationaux ou autrement dévolues à la Couronne fédérale. Les terres de la Couronne ne pouvant servir à garantir un prêt, il a été décidé que les personnes qui s'installeraient sur ces terres obtiendraient une allocation de 2 320 $ pour s'adonner à la culture, la pêche, la sylviculture ou le piégeage. De même, parce que les terres de réserve sont propriété commune et que le processus de délaissement aux fins de retranchement d'une parcelle de terrain est complexe, la LTAC, qui prévoyait la transmission en pleine et exclusive propriété de terres agricoles, ne pouvait s'appliquer aux terres situées dans les réserves indiennes existantes. Il a donc fallu modifier la LTAC.


[7]                Ajouté en 1945, l'article 35A autorisait le Directeur à accorder un montant d'au plus 2 320 $ à un ancien combattant autochtone pour exploiter une terre dans la réserve. Les anciens combattants autochtones agriculteurs pouvaient donc acquérir un droit d'occupation limité relativement à certaines parcelles de terrain de la réserve. À cette époque, la Direction des affaires indiennes (DAI) du ministère des Mines et des Ressources administrait les affaires indiennes et était responsable du contrôle et de la gestion des avantages destinés aux anciens combattants autochtones. Dans les faits, la responsabilité de l'administration de la LTAC, dans les terres de réserve, incombait à l'agent des Indiens de la localité. L'agent des Indiens était chargé d'expliquer les avantages prévus par la LTAC, de décider si les anciens combattants étaient admissibles et de gérer l'allocation de 2 320 $. L'allocation versée aux anciens combattants autochtones leur permettait d'acheter des matériaux de construction et de payer d'autres frais de construction, le défrichement, les animaux de ferme et l'outillage, les machines et les instruments essentiels à la sylviculture ainsi que les engins de pêche commerciale. L'agent des Indiens ne recevait pas l'argent. S'il était décidé qu'un achat était justifié aux termes de la LTAC, l'agent des Indiens effectuait l'achat pour le compte de l'ancien combattant. Pour chaque achat, l'agent remplissait un formulaire et y indiquait la somme dépensée. Tant la personne qui vendait le bien que l'ancien combattant autochtone à qui il était destiné devaient signer ce formulaire et les deux signatures devaient être authentifiées. Les factures et les pièces justificatives étaient envoyées à la DAI et le paiement était remis directement à la personne ou à l'entreprise qui vendait les biens.

[8]                Les modifications apportées par la suite à la LTAC prévoyaient de nouveaux avantages pour les anciens combattants. Par exemple, en 1954, la partie II a permis d'autoriser le versement d'une aide financière et technique aux anciens combattants qui construisaient leur propre maison. Au cours de la même année, la partie III a été ajoutée pour permettre aux anciens combattants ayant déjà reçu une allocation en vertu de l'ancien régime de bénéficier d'une aide financière supplémentaire. Les dispositions et les avantages de la LTAC se sont appliqués aux anciens combattants de la guerre de Corée en vertu de l'article 6 de la Loi sur les avantages destinés aux anciens combattants, 1954, S.C. 1953-1954, ch. 65. Le Règlement sur les terres destinées aux anciens combattants, DORS/65-215, exigeait que toute demande (quelle qu'elle soit) provenant d'un ancien combattant autochtone soit envoyée au ministère des Affaires indiennes (MAI).


LES PLAIDOIRIES

[9]                Pour les besoins de la présente requête, les plaidoiries des parties seront résumées brièvement. La déclaration détaillée des demandeurs compte 107 paragraphes mais l'essentiel de leurs allégations se trouve au paragraphe 7, ainsi conçu :

[traduction] Les demandeurs affirment qu'eux-mêmes et les personnes à leur charge ont été privés indûment d'avantages accordés aux anciens combattants auxquels ils avaient légalement et moralement droit puisqu'ils ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, lesquels avantages ont été accordés à leurs camarades non autochtones. Les avantages dont ils ont été privés comprennent des concessions gratuites de terres de grande valeur, des prêts et des allocations pour l'achat de terres, des prêts pour l'achat de maisons et améliorations résidentielles, une aide pour obtenir une formation professionnelle ou autre, ainsi que divers autres avantages offerts aux anciens combattants. Les demandeurs affirment que la valeur des avantages dont ils ont été privés pourrait atteindre des centaines de milliers de dollars ou plus, et que la perte de ces avantages a fait en sorte que des anciens combattants ont eu une vie civile marquée par la pauvreté et l'humiliation. Le refus d'accorder ces avantages était contraire aux lois internationales et nationales qui interdisent la discrimination et ce refus est dû à l'administration négligente et aux déclarations inexactes des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes ou aux déclarations délibérément fausses des fonctionnaires des Affaires indiennes ou des déclarations délibérément fausses du MAC et du ministère des Affaires indiennes au sujet des droits des anciens combattants autochtones, ainsi qu'à l'application erronée des lois qui, à leur face même, accordaient aux demandeurs les mêmes avantages. Les demandeurs sollicitent une reconnaissance égale pour un service égal.


[10]            Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent que l'allocation et les prêts pour l'achat de terres hors réserve avaient une [traduction] « valeur économique supérieure » aux avantages accordés dans la réserve. Aucun des demandeurs n'a évalué les avantages accordés hors réserve parce qu'ils prétendent que le MAI et ses fonctionnaires ne les ont pas avisés et ce, délibérément, du fait qu'ils pouvaient demander un prêt et une allocation pour une terre hors réserve. Les demandeurs affirment que les conseils qu'on leur a donnés respectaient la politique officielle qui avait été distribuée à tous les agents des Indiens du MAI et selon laquelle les anciens combattants autochtones n'avaient droit qu'à l'option leur permettant de toucher la somme de 2 320 $. Ils allèguent qu'il s'agit d'un manquement à l'obligation fiduciaire et d'une déclaration délibérément fausse et négligente de la part des fonctionnaires du gouvernement fédéral, dont le gouvernement est responsable. Ils mentionnent, en outre, une reddition de compte.

[11]            Le principal moyen de défense invoqué par la défenderesse et celui qui est pertinent en l'espèce, c'est que les revendications des demandeurs doivent être rejetées parce qu'elles sont prescrites, soit en vertu des délais de prescription applicables, soit en vertu de l'article 32 de Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50. Si les demandes ne sont pas prescrites, la défenderesse prétend qu'elles doivent être écartées à cause des moyens de défense en equity que sont le retard indu et l'acquiescement.

LE CONTEXTE DES REQUÊTES


[12]            Dans une ordonnance datée du 26 mai 2004, le juge responsable de la gestion de l'instance a notamment ordonné que les questions de prescription soulevées en défense [traduction] « soient jugées séparément, conformément à l'article 107 des Règles de la Cour fédérale » . L'ordonnance fixe les dates de dépôt des documents et prévoit également que les requêtes doivent être présentées [traduction] « oralement plutôt que dans des observations écrites » . Le 8 octobre 2004, le juge responsable de la gestion de l'instance a ordonné que la requête des demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance sur la question de savoir si la défense de prescription, invoquée par la défenderesse, constitue un moyen de défense à l'encontre de la demande, des dépens et des autres réparations sollicités par les demandeurs, ainsi que les requêtes de la défenderesse en vue d'obtenir la radiation de certaines parties des affidavits déposés par les demandeurs, la modification des paragraphes 67 et 70 de la défense modifiée et le rejet, par jugement sommaire, de toutes les revendications, dépens et réparations sollicités par les demandeurs, soient entendues le 14 février 2005 au cours d'une audience de deux jours. Selon les ordonnances, la preuve sera produite au moyen d'affidavits seulement (sous réserve d'un contre-interrogatoire). C'était d'ailleurs la procédure proposée par les parties.

[13]            Par la suite, les demandeurs ont sollicité une ordonnance supplémentaire radiant certains paragraphes de l'affidavit de David MacDonald du 20 septembre 2004 et certaines pièces y annexées, mais ils ont retiré cette demande avant l'audience.

[14]            À l'audience, la défenderesse a retiré la requête en radiation de certaines parties de chacun des affidavits des demandeurs et elle a également « reporté » à une date ultérieure diverses autres requêtes, si nécessaire. Seules subsistaient les demandes d'ordonnances des demandeurs en vue de :

(1)        radier tous les paragraphes, à l'exception des paragraphes 1, 2 et 27 de l'affidavit de Samuel Corrigan;

(2)        modifier le paragraphe 67 de la défense modifiée pour invoquer plus précisément la prescription visée au paragraphe 21(1) de la Loi sur les officiers publics, C.P.L.M. c. P230;


(3)         rejeter, par jugement sommaire, toutes les demandes des demandeurs et donnant gain de cause à la défenderesse, au motif que toutes les demandes sont prescrites ou autrement non fondées;

(4)         subsidiairement, radier de la déclaration les réclamations qui sont prescrites ou autrement non fondées.

[15]            Aucune des parties, dans ses observations écrites, n'a mentionné la jurisprudence la plus récente de la Cour d'appel fédérale concernant les jugements sommaires. Voir : Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3 (C.A.F.) (MacNeil); Trojan Technologies, Inc. c. Suntec Environmental Inc. (2004), 320 N.R. 322 (C.A.F.) (Trojan). Par conséquent, dès le début de l'audience, j'ai transmis les références de ces décisions aux avocats et je leur ai demandé de les inclure dans leurs observations orales. Ce qu'ils ont fait.

[16]            La plaidoirie orale a été quelque peu alambiquée; en effet, dès le début, les demandeurs ont cherché à obtenir une décision relativement à la défense de prescription invoquée par la défenderesse. À cet égard, la défenderesse demandait essentiellement un jugement sommaire en faveur de Sa Majesté. Dans la réponse à la requête de la défenderesse, les demandeurs ont contesté la demande de jugement sommaire tout en sollicitant une décision sur la prescription et en reconnaissant que si leurs demandes étaient prescrites, la défenderesse était en droit d'obtenir un jugement sommaire.


[17]            Afin de clarifier les choses, j'ai interrogé l'avocat des demandeurs concernant les attentes de ces derniers au sujet de la question de la prescription. Selon l'avocat, les demandeurs souhaitaient que j'entende et que je [traduction] « tranche la question de fond de l'applicabilité de la prescription et que cette question ne fasse pas l'objet d'une instruction » .

[18]            Il importe également de souligner que dans sa défense, la défenderesse nie l'existence d'une obligation fiduciaire, ce qu'elle ne fait pas dans ses observations écrites. Encore une fois, pour clarifier la situation, j'ai interrogé l'avocat de la défenderesse à cet égard. L'avocat a confirmé que j'avais bien compris la position de sa cliente dans sa défense, mais il m'a avisée que pour les besoins de la requête Sa Majesté soutenait qu'il n'y avait pas eu manquement à l'obligation fiduciaire. L'avocat de la défenderesse n'a pas concédé spécifiquement l'existence d'une obligation fiduciaire, mais, selon moi, la position de la défenderesse (pour les besoins de la requête) équivaut à une reconnaissance d'une telle obligation envers les demandeurs, ce que je tiendrai pour acquis. Ainsi, il ne sera pas nécessaire d'analyser les divers arguments des demandeurs concernant l'existence d'une obligation fiduciaire.

CONCILIATION DES REQUÊTES

[19]            La requête des demandeurs s'appuie sur l'article 107 des Règles tel que précisé dans l'ordonnance du juge responsable de la gestion de l'instance. La requête de la défenderesse se fonde sur l'article 213. Ces dispositions prévoient :


Règles de la Cour fédérale (1998),

DORS/98-106                                                       

107. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner l'instruction d'une question soulevée ou ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément.

(2) La Cour peut assortir l'ordonnance visée au paragraphe (1) de directives concernant les procédures à suivre, notamment pour la tenue d'un interrogatoire préalable et la communication de documents.

[...]

213. (1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur - ou avant si la Cour l'autorise - et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.


Federal Court Rules, 1988,

SOR/98-106

107. (1) The Court may, at any time, order the trial of an issue or that issues in a proceeding be determined separately.

(2) In an order under subsection (1), the Court may give directions regarding the procedures to be followed, including those applicable to examinations for discovery and the discovery of documents.

[...]

213. (1) A plaintiff may, after the defendant has filed a defence, or earlier with leave of the Court, and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment on all or part of the claim set out in the statement of claim.

(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.


[20]            J'estime qu'il m'est loisible de prendre pour acquis, sans pour autant en décider, et sous réserve de la conclusion à venir au sujet d'un des demandeurs, que les réclamations en l'espèce soulèvent une véritable question litigieuse. Toutefois, je pourrais invoquer (concernant la requête de la défenderesse) le paragraphe 216(3) des Règles pour décider si, nonobstant l'existence d'une véritable question litigieuse, je peux néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si je parviens, à partir de l'ensemble de la preuve, à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit. En l'espèce, la question qui doit être tranchée est celle de la prescription, que les demandeurs aient ou non soulevé une véritable question litigieuse.


[21]            À cette étape de l'analyse, il convient de se reporter à l'arrêt MacNeil, précité. Dans cette affaire, le défendeur avait demandé un jugement sommaire au motif que la demande était prescrite. La Cour d'appel fédérale a distingué, s'agissant de la prescription, la charge de la preuve au procès et la charge de la preuve dans une requête en jugement sommaire. Plus précisément, la Cour a dit que si le défendeur soutient à l'instruction que le délai de prescription est à première vue expiré, le demandeur a la charge de prouver que ce délai n'est pas expiré parce qu'il n'a pas pris connaissance des faits pertinents ayant donné lieu à la cause d'action dans le délai requis avant le dépôt de la déclaration. Toutefois, les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n'ont pas la charge qu'elles auraient si elles étaient demanderesses à l'instruction. Les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n'ont pas la charge d'établir tous les faits; selon l'article 215 des Règles de la Cour fédérale (1998), elles sont uniquement tenues de présenter une preuve montrant qu'il existe une véritable question litigieuse.

[22]            La Cour a également repris les conclusions qui se dégagent de la jurisprudence antérieure, à savoir qu'il n'est pas opportun d'instruire une cause sur une preuve par affidavit lorsque la preuve est contradictoire, lorsque l'affaire repose sur des inférences ou qu'une question de crédibilité est en jeu.


[23]            En ce qui a trait aux différences entre la preuve à l'instruction et sur requête, il me semble que la présente affaire se distingue de MacNeil en ce que toutes les parties demandent à la Cour de trancher la question du délai de prescription, aucune d'elles ne voulant une véritable instruction. Les deux parties conviennent que la question peut être tranchée sur une preuve par affidavit (sous réserve d'un contre-interrogatoire) et les deux parties me demandent de rendre jugement, si possible, en me fondant sur la preuve dont je suis saisie. Dans ces circonstances et vu l'ordonnance du juge responsable de la gestion de l'instance en vertu de l'article 107 des Règles, il appartient selon moi aux parties en l'espèce de produire toute leur preuve concernant le délai de prescription. Bref, puisque je n'aurai pas l'avantage de voir et d'entendre les témoins, le dossier devrait contenir toute la preuve pertinente dans la mesure où elle est disponible. Les parties ont accepté qu'il y ait « instruction » sur une preuve par affidavit. Cela dit, je m'efforcerai, dans mon analyse, de tenir compte à la fois de l'article 107 des Règles et du raisonnement suivi dans l'arrêt MacNeil.

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

[24]       Avant d'examiner plus précisément la question litigieuse en l'espèce, il importe de préciser les questions qui ne sont pas soulevées. L'instance ne vise pas les anciens combattants autochtones en général. Elle ne vise pas non plus les injustices ou l'insensibilité dont les anciens combattants autochtones ont pu être victimes après la Première et la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. La déclaration mentionne trois demandeurs et la défenderesse, Sa Majesté la Reine. Par conséquent, la présente affaire et la présente requête ne visent que les demandeurs désignés. Il ne s'agit pas d'une action introduite au nom de tous les anciens combattants autochtones.


LES DISPOSITIONS APPLICABLES EN MATIÈRE DE PRESCRIPTION

[25]       En laissant de côté pour l'instant la requête en modification de la défense modifiée pour invoquer expressément la Loi sur les officiers publics, précitée, j'estime qu'il est bien établi que la loi pertinente en l'espèce est la Loi sur la prescription, C.P.L.M. ch. L150 (la Loi) du Manitoba. Il en est ainsi parce que, aux termes de l'article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, les règles de droit en matière de prescription dans une province sont incorporées par renvoi et s'appliquent à toute instance dont le fait générateur est survenu dans cette province. La Cour applique les lois provinciales sur la prescription comme s'il s'agissait de lois fédérales : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245 (Wewaykum). L'article 32 de laLoi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, précitée, est au même effet et prévoit que les règles de droit en matière de prescription dans une province s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province.

[26]            La loi manitobaine est un code complet en matière de prescription : Winnipeg Condominium Corp. No. 36 c. Bird Construction Co. (1999), 130 Man. R. (2d) 283 (C.A.); Rarie c. Maxwell (1998), 131 Man. R. (2d) 184 (C.A.); Abbott c. Canada 200 CF 163.

[27]            Les demandeurs cherchent à obtenir des dommages-intérêts en alléguant un manquement à l'obligation fiduciaire, des déclarations volontairement fausses et des assertions inexactes et négligentes. Ils demandent également une reddition de compte. L'article 2 de la Loi établit la prescription applicable. Voici les dispositions pertinentes de l'article :



Loi sur la prescription,

C.P.L.M. ch. L150

2(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-dessous :

[...]

e) une action pour poursuite abusive, séduction, séquestration, atteinte à la personne, voies de fait, coups ou pour d'autres blessures, que ceux-ci résultent de l'accomplissement ou du défaut d'accomplissement d'un acte, et que l'action soit fondée sur une base délictuelle ou contractuelle ou sur le défaut d'accomplissement d'une obligation, se prescrit par deux ans, à compter de la naissance de la cause d'action;

[...]

i) une action en recouvrement d'une somme d'argent (sauf celle relative à une créance grevant un bien-fonds), que cette somme d'argent soit recouvrable à titre de dette, de dommages-intérêts ou à un autre titre, ou que cette somme découle d'un engagement, d'un cautionnement, d'un contrat ou d'un contrat scellé ou d'une convention verbale, expresse ou tacite, se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d'action; il en est de même d'une action en reddition de compte ou pour non-reddition de compte;

j) une action fondée sur une déclaration volontairement fausse se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la fraude;

k) une action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en Équité, sauf les motifs mentionnés aux alinéas ci-dessus, se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la cause d'action;

[...]

n) une autre action qui ne fait pas explicitement l'objet d'une disposition de la présente loi, se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d'action.

                                                           

The Limitation of Action Act,

C.C.S.M. c. L150

2(1) The following actions shall be commenced within and not after the times respectively hereinafter mentioned:

[...]

(e) actions for malicious prosecution, seduction, false imprisonment, trespass to the person, assault, battery, wounding or other injuries to the person, whether caused by misfeasance or nonfeasance, and whether the action be founded on a tort or on a breach of contract or on any breach of duty, within two years after the cause of action arose;

[...]

(i) actions for the recovery of money (except in respect of a debt charged upon land), whether recoverable as a debt or damages or otherwise, and whether a recognizance, bond, covenant, or other specialty, or on a simple contract, express or implied, and actions for an account or not accounting, within six years after the cause of action arose;

(j) actions grounded on fraudulent misrepresentation, within six years from the discovery of the fraud;

(k) actions grounded on accident, mistake, or other equitable ground of relief not hereinbefore specifically dealt with, within six years from the discovery of the cause of action;

[...]

(n) any other action for which provision is not specifically made in this Act, within six years after the cause of action arose.



[28]            Les demandeurs allèguent que les dispositions applicables sont l'alinéa 2(1)i) s'agissant de l'action en reddition de compte, 2(1)j) s'agissant des déclarations volontairement fausses, 2(1)k) s'agissant de l'obligation fiduciaire et 2(1)n) s'agissant des déclarations inexactes négligentes. Hormis le renvoi à la Loi sur les officiers publics, précitée, la défenderesse ne conteste pas les dispositions mentionnées par les demandeurs et je suis bien aise de les accepter.

[29]            Les manquements à une obligation fiduciaire et les déclarations volontairement fausses ont leur propre disposition sur la possibilité de découvrir le dommage qui prévoit une prescription de six ans à compter de la découverte de la fraude. Pour ce qui concerne les assertions inexactes et négligentes et la reddition de compte, l'action se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d'action, sauf si le demandeur peut invoquer la partie II de la Loi. Voici les dispositions pertinentes de la partie II « Prolongation de la prescription » , à savoir les paragraphes 14(1) et 14(3) qui prévoient :



Loi sur la prescription,

C.P.L.M., ch. L150

14(1) Par dérogation à toute disposition de la présente loi ou d'une autre loi de la Législature ayant pour effet d'établir une prescription, le tribunal peut, sur demande, autoriser le requérant à intenter ou continuer une action, lorsque le tribunal conclut, sur la foi de la preuve fournie par le requérant ou en son nom, qu'une période maximale de 12 mois s'est écoulée entre les dates suivantes :

a) la date à laquelle le requérant a eu connaissance pour la première fois, ou celle à laquelle il aurait dû avoir connaissance, compte tenu des circonstances, de tous les faits pertinents sur lesquels s'appuie l'action;

b) la date de la présentation de la demande de prolongation au tribunal.

[...]

14(3) Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher ou de viser de quelque façon :

a) soit une défense pouvant être invoquée dans une action prévue par le présent article, et dont le défendeur peut se prévaloir en vertu de l'une ou l'autre des dispositions suivantes :(i) une disposition d'une loi de la Législature, autre qu'une disposition qui établit une prescription quant au délai d'introduction d'une action,

(ii) une règle de droit ou d'équité;

b) soit l'application d'une loi de la Législature ou l'application d'une règle de droit ou d'équité qui, sans tenir compte du présent article, permettrait qu'une telle action soit intentée au-delà d'un délai de prescription établi par la présente loi ou par une autre loi de la Législature relativement à la cause d'action sur laquelle est fondée cette action.                                                

The Limitation of Action Act,

C.C.S.M. C. L150

14(1) Notwithstanding any provision of this Act or of any other Act of the Legislature limiting the time for beginning an action, the court, on application, may grant leave to the applicant to begin or continue an action if it is satisfied on evidence adduced by or on behalf of the applicant that not more than 12 months have elapsed between

(a) the date on which the applicant first knew, or, in all the circumstances of the case, ought to have known, of all material facts of a decisive character upon which the action is based; and

(b) the date on which the application was made to the court for leave.

[...]

14(3) Nothing in this section excludes or otherwise affects

(a) any defence that in any action to which this section applies may be available by virtue of

(i) any provision of an Act of the Legislature other than one limiting the time for beginning an action, or

(ii) a rule of law or equity; or

(b) the operation of any Act of the Legislature or rule of law or equity that, apart from this section, would enable such an action to be brought after the end of a limitation period fixed in this Act or any other Act of the Legislature in respect of the cause of action on which that action is founded.


[30]            En bref, il n'y aucune prescription précise relativement aux allégations de manquement à l'obligation fiduciaire ou de déclaration volontairement fausse. Pour toutes les autres causes d'action, la prescription est de 30 ans. La prescription de 6 ans peut être prolongée lorsque la possibilité de découvrir le préjudice n'est pas prévue par la loi, à certaines conditions, mais aucune action (autre que celles visées par une disposition prévoyant la possibilité de découverte) ne peut être intentée plus de 30 ans après la naissance de la cause d'action.

[31]            La raison d'être des délais de prescription a fait l'objet de plusieurs décisions. Voir : M(K) c. M(H), [1992] 3 R.C.S. 6; Wewaykum, précité. Dans Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, la juge McLachlin, aujourd'hui Juge en chef de la Cour suprême, a décrit, au paragraphe 67, les caractéristiques de la plupart des lois sur la prescription :


[...] Elles visent à 1) fixer un délai à l'expiration duquel le défendeur éventuel est libéré de ses obligations anciennes, 2) empêcher qu'une action ne soit intentée lorsque des éléments de preuve ont pu disparaître en raison de l'écoulement du temps, 3) inciter le demandeur à intenter une poursuite en temps opportun et 4) tenir compte des circonstances propres au demandeur, en recourant à une évaluation à la fois subjective et objective, lorsqu'il s'agit de déterminer si une action est prescrite. Dans la mesure où ces éléments se retrouvent dans le libellé et la structure de la loi considérée, la meilleure façon d'interpréter une loi sur la prescription des actions est de s'efforcer de donner effet à chacune de ces caractéristiques.

[32]            Avant d'analyser l'effet des dispositions sur la prescription, j'examinerai la preuve concernant chacun des demandeurs.

STAN MCKAY

[33]       La preuve produite par M. McKay à l'appui des requêtes est contenue dans son affidavit du 7 juillet 2004. Selon l'affidavit, M. McKay avait 83 ans en juillet 2004. Il est né et a vécu dans la réserve de Oak River. Il a une 8e année de scolarité et a passé presque toute son enfance à travailler à la ferme de l'école à s'occuper des chevaux, du bétail et des porcs. Il s'est marié, puis a divorcé d'avec sa femme, et il a deux enfants de ce mariage. Il a eu 12 enfants avec sa conjointe de fait aujourd'hui décédée.

[34]            M. McKay s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en mars 1942. Blessé à l'oreille pendant l'entraînement de base, il a été hospitalisé pendant plusieurs jours et, en juillet 1942, il a été démobilisé sans avoir été en service actif. Après son retour à la réserve, il a constaté que d'autres anciens combattants avaient reçu de la machinerie et de l'outillage agricole et il a en a parlé à William Young, l'agent des Indiens, qui lui a dit qu'il n'était pas admissible. M. Young ne lui a donné aucun autre renseignement et ne lui a remis aucun formulaire à remplir.

[35]            M. McKay a travaillé sur la ferme de M. Young et sur la ferme de son père. Après la mort de son père, il est entré en possession de 500 acres de la réserve qu'il a exploités jusqu'en 1978 ou 1979. En rétrospective, il aurait aimé exploiter une ferme hors la réserve. Il dit qu'il sait maintenant qu'il aurait pu le faire mais, à l'époque, M. Young lui avait dit que c'était impossible. M. Young, qui s'occupait de tout (le chef et le conseil n'avaient aucun pouvoir), ne l'a jamais avisé qu'il pouvait posséder des terres hors réserve ou demander un prêt. Quand M. MacKay signait des formulaires, ces formulaires ne lui étaient pas expliqués et il avait de la difficulté à comprendre nombre de ces documents. Il signait tout simplement à l'endroit que lui indiquait M. Young, en se fiant à ce dernier quant au choix du formulaire. Il ne faisait pas confiance à M. Young. Il estime ne pas avoir reçu tous les avantages auxquels il avait droit et personne ne lui a dit quels étaient les avantages qu'il pouvait réclamer. Il touche une pension à cause d'un déficit auditif partiel de l'oreille gauche. Au paragraphe 12 de son affidavit, il dit :

[traduction] Ce n'est que récemment, en discutant avec d'autres, que j'ai compris que je n'avais peut-être pas reçu ce à quoi j'avais droit; toutefois, pendant longtemps, je n'ai jamais songé à avoir recours à un avocat. Ce sont ces récentes discussions qui m'ont incité à intenter cette action en dommages-intérêts. Avant cela, je ne savais même pas comment intenter ce type d'action. Je n'ai jamais songé à poursuivre le gouvernement.


[36]            La défenderesse se fonde sur le témoignage sur bande magnétoscopique de M. McKay (le 17 mars 2004) et sur son interrogatoire préalable (le 27 janvier 2004). M. McKay a affirmé que M. Young lui avait dit qu'il n'était pas admissible à une allocation pour achat d'outillage agricole parce qu'il n'était pas allé outre-mer, qu'il n'avait pas servi pendant au moins une année et qu'il ne touchait pas une pension d'invalidité. Il a dit qu'il n'avait jamais parlé à qui que ce soit de la possibilité de demander l'allocation de 6 000 $ applicable hors réserve et qu'il n'avait jamais songé à exploiter une ferme hors réserve parce qu'il avait déjà suffisamment de terres à gérer dans la réserve. Il a également dit qu'il [traduction] « avait rencontré par hasard » un avocat à Yorkton (Saskatchewan) dans les années 70 et qu'il avait discuté avec lui des avantages accordés aux anciens combattants.

[37]            M. McKay a dit que l'agent des Indiens ne l'avait jamais découragé d'obtenir des conseils ailleurs concernant l'obtention de plus d'avantages destinés aux anciens combattants. Il a dit qu'il n'avait pas le sentiment d'avoir été victime de discrimination et qu'il se préoccupait simplement de ceux qui en avaient été victimes. Les extraits suivants de l'interrogatoire préalable illustrent ce qui en est :

[traduction]

204          Q              Et avez-vous déjà envisagé d'exploiter une terre hors réserve?

R              Non, j'avais suffisamment de terres dans la réserve.

234           Q              De sorte que Sioux Valley, c'est votre lieu de résidence?

R              Oui. C'est chez moi.

Q              Alors, pensez-vous réellement que vous auriez aimé vivre hors la réserve?

R              Aujourd'hui?

Q              À n'importe quelle époque?

R              Non, je ne crois pas.


262           Q              Je voulais tout simplement m'assurer d'avoir bien compris, M. McKay, lorsque nous avons parlé des prestations que vous recevez. Selon vous, y a-t-il des avantages que vous auriez dû recevoir et que vous n'avez pas obtenus ni du ministère des Anciens combattants ni du ministère des Affaires indiennes?

R              Non, je ne crois pas.

280           Q              Très bien. Alors vous - pensez-vous que vous avez raté le coche concernant certains avantages et que vous auriez dû en obtenir davantage?

R              Non, je n'ai pas du tout cette impression.

536           Q              À quel égard, M. McKay - Comment - où avez-vous l'impression que vous avez été laissé pour compte?

R              Eh bien nous - je ne parle pas pour moi-même, mais pour les autres anciens combattants vous savez. Ils n'ont aucune aide. Quelques-uns d'entre eux n'ont pas d'aide aujourd'hui, rien du tout.

Q              Mm hmm.

R              Certains sont morts sans avoir rien obtenu. Oui.

Q              Mais pour ce qui vous concerne personnellement?

R              Ce sont les autres.

Q              Oui?

R              Oui.

Q              Pas vous-même?

R              Non.


Q              Alors, est-ce que c'est parce que vous n'avez pas l'impression d'avoir été victime de discrimination? Est-ce que c'est cela que vous dites?

R              Oui, je pense que oui.

[38]            La défenderesse a également présenté plusieurs documents concernant la démobilisation de M. McKay qui décrivent la cause de son déficit auditif et les motifs de sa libération.

ALFRED TACAN

[39]       La preuve produite par M. Tacan à l'appui des requêtes est contenue dans son affidavit du 29 juillet 2004. En résumé, il dit qu'il est né le 5 mai 1919 dans la réserve de Sioux Valley (autrefois appelée réserve de Oak River) et qu'il y a vécu toute sa vie. Lui et sa femme ont 15 enfants. Il a quitté l'école à 17 ans après avoir obtenu une 4e année de scolarité dans un pensionnat catholique et avoir passé presque tout son temps, à l'école, à travailler à la ferme de l'école pour s'occuper des chevaux, du bétail et des porcs. Ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, il s'est enrôlé en mars 1942 et a été en service actif en Angleterre et en Italie. Il a été démobilisé en février 1946. Il savait [traduction] « lire un peu » quand il s'est enrôlé et a poursuivi ses études pendant l'entraînement de base à North Bay (Ontario).


[40]            M. Tacan a passé plusieurs jours à Winnipeg dans l'attente de sa démobilisation officielle. Il avait le choix de demeurer dans l'armée ou d'en sortir. Il a choisi d'en sortir dans l'intention de retourner à la réserve parce que c'est là qu'il avait grandi, que sa famille s'y trouvait et que c'était sa communauté. Quand il a été démobilisé, un officier lui a demandé s'il voulait vivre dans la réserve ou hors réserve. L'officier lui a dit que s'il quittait la réserve, il perdrait son statut. M. Tacan témoigne qu'en rétrospective, s'il avait pu exploiter une ferme à l'extérieur de la réserve sans perdre son statut, il aurait peut-être aimé le faire. Toutefois, il n'a pas été avisé de tous les avantages dont pouvaient bénéficier les anciens combattants autochtones. À partir du moment où il a exprimé son intention de retourner à la réserve, les autres discussions ont toutes porté sur ce choix et sur son désir d'exploiter une ferme.

[41]            Quand il est retourné à la réserve, l'agent des Indiens, William Young, a dit à M. Tacan qu'il n'avait droit à aucun avantage. M. Tacan n'a reçu aucun renseignement ni formulaire à remplir. M. Young l'a encouragé à demeurer dans la réserve et il lui a dit que s'il s'en allait, il perdrait son statut. M. Young ne lui a pas dit qu'il pouvait posséder des terres à l'extérieur de la réserve. Il y a environ quatre ans (en 2000), lors d'une réunion à Winnipeg, M. Tacan a parlé à un ancien combattant des Premières nations qui avait exploité une terre à l'extérieur de la réserve après sa démobilisation, avait demandé et obtenu le prêt de 6 000 $, avait perdu son statut et ne pouvait donc pas retourner vivre dans la réserve.


[42]            Parce que M. Tacan n'aimait pas beaucoup l'approche de M. Young, en 1946, lui et Joseph Sandy se sont rendus à Winnipeg pour solliciter l'aide des Affaires indiennes ou des Anciens combattants. Après avoir attendu toute une journée pour parler à une personne des Affaires indiennes, ils ont appris que cette personne était en vacances. Ils se sont rendus aux casernes de fort Osborne et ont discuté avec un colonel ou un major qui a téléphoné aux Affaires indiennes pour parler à l'individu qu'ils avaient tenté de rencontrer. Quand ils sont retournés à la réserve, M. Young était beaucoup plus attentif et collaborait davantage.

[43]            M. Tacan ne se souvient pas d'avoir été avisé des avantages disponibles ni d'avoir reçu quelque brochure ou lettre que ce soit. M. Young lui a dit qu'avant d'avoir droit à des avantages, il devait exploiter une terre. Young se fâchait si ses interlocuteurs soulevaient la question des anciens combattants. M. Tacan a obtenu l'autorisation de la bande pour acquérir des parcelles de terrain de la réserve afin de les exploiter et il a déposé une demande d'allocations en juillet 1949. Il n'a demandé ni reçu aucune allocation de réinstallation ou autres allocations de formation et il n'en a pas non plus été avisé. Il a obtenu l'équipement agricole nécessaire pour exploiter une ferme de 120 acres, mais n'a eu aucun choix ni mot à dire concernant l'outillage que M. Young a choisi et qu'il a dû accepter. Il ignorait comment l'outillage avait été acheté et s'il lui restait quelque chose de l'allocation.

[44]            M. Tacan a éprouvé plusieurs difficultés dans ses rapports avec M. Young. Celui-ci s'occupait de tout et était le patron - ni le chef, ni le conseil n'avait de pouvoir. Quand M. Tacan signait des formulaires, M. Young ne les expliquait pas, il ne faisait que lui indiquer où signer. M. Tacan signait même si certains formulaires étaient difficiles à comprendre. Il se fiait à M. Young pour s'assurer qu'il s'agissait des bons formulaires. M. Tacan ne faisait pas confiance à M. Young et il estime ne pas avoir touché tous les avantages auxquels il avait droit. Au paragraphe 26 de son affidavit, M. Tacan dit :


[traduction]    Ce n'est que récemment, en discutant avec d'autres, que j'ai compris que je n'avais peut-être pas reçu ce à quoi j'avais droit; toutefois, pendant longtemps, je n'ai jamais songé à avoir recours à un avocat. J'ai discuté avec John Sioux mais avant tout récemment, personne ne m'a dit que je devrais intenter une action en dommages-intérêts contre le gouvernement. Ce sont ces récentes discussions qui m'ont incité à intenter cette action en dommages-intérêts. Avant cela, je ne savais même pas comment intenter ce type d'action. Je n'ai jamais songé à poursuivre le gouvernement.

[45]            À son affidavit était annexée une copie du certificat de démobilisation, de la lettre du sous-superviseur de district (OEAAC) datée du 25 juillet 1946, de la pétition des membres de la bande concernant son acquisition d'une terre de la réserve et sa demande relative à la LTAC datée du 26 juillet 1949.

[46]            La défenderesse s'est fondée sur divers documents touchant M. Tacan, de même que sur une transcription de l'interrogatoire préalable du 27 janvier 2004 de ce dernier. À l'interrogatoire préliminaire, M. Tacan a reconnu que, lors de sa démobilisation, il a été avisé qu'il pouvait exploiter une ferme dans la réserve ou hors réserve, ainsi que des possibilités de formation et d'affaires. Il a choisi de retourner vivre dans la réserve et par la suite, tous les rapports avec lui ont été fondés sur cette prémisse. Il voulait exploiter une ferme dans la réserve avec son frère et, ensemble, ils avaient le droit de toucher deux allocations qui leur permettraient d'acheter l'outillage dont ils avaient besoin. M. Tacan avait l'impression que l'agent des Indiens, M. Young, ne prenait pas les moyens qu'il fallait pour venir en aide aux anciens combattants. Les choses se sont améliorées à cet égard après le voyage de M. Tacan à Winnipeg.

[47]            M. Tacan a confirmé que M. Young a pris sa retraite en 1957 et qu'il est décédé (le certificat de décès fourni par la défenderesse établit que M. Young est décédé le 28 mai 1975). Il reconnaît avoir assisté aux réunions sur les avantages offerts aux anciens combattants qui se sont déroulées à la Légion royale canadienne de Brandon (Manitoba), à la fin des années 1940 et avoir parlé à plusieurs anciens combattants non-autochtones pendant les années 1950. Il ne se souvient plus du nom de l'ancien combattant des Premières nations avec qui il a eu une conversation concernant l'allocation de 6 000 $ (paragraphe 14 de son affidavit), pas plus qu'il ne se souvient du contenu de la conversation.

[48]            Les documents établissent notamment qu'en 1990 M. Tacan et d'autres anciens combattants autochtones (y compris le demandeur Solomon Hall) ont activement tenté d'obtenir les avantages destinés aux anciens combattants auprès des ministères des Anciens combattants et des Affaires indiennes, avec l'aide de John Sioux, agent de portefeuille des Anciens combattants pour la Bande indienne de Sioux Valley. M. Tacan et d'autres ont aussi fait valoir leurs réclamations par l'entremise du cabinet de Ian B. Cowie and Associates. Le cabinet de Fillmore Riley a également travaillé au dossier de M. Tacan. En 1990, une lettre alléguant que le gouvernement fédéral avait manqué à plusieurs des obligations qu'il avait envers MM. Tacan, Hall et d'autres et leur avait ainsi causé des pertes a été envoyée aux Affaires indiennes et aux Anciens combattants. M. Tacan a également rempli un questionnaire concernant ses doléances pour le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones en 1994.


SOLOMON HALL

[49]            M. Hall a signé son affidavit le 29 juillet 2004. Il était alors âgé de 73 ans. L'affidavit révèle que M. Hall est né dans la réserve de Sioux Valley (anciennement appelée la réserve de Oak River) et qu'il y a vécu toute sa vie. Il est marié et a huit enfants. Il dit qu'il est allé à l'internat de Brandon, qu'il a une 7e année de scolarité et qu'il a quitté l'école à 17 ans. À l'internat, il a passé presque tout son temps à travailler à la ferme de l'école pour s'occuper des chevaux, du bétail et des porcs. Il savait [traduction] « lire un peu » . Il s'est enrôlé dans l'armée à Winnipeg, le 22 février 1951, et a été en service actif en Corée; il a obtenu une libération honorable le 17 novembre 1954.

[50]            M. Hall dit que, lors de sa démobilisation, il n'a pas obtenu beaucoup de renseignements concernant les avantages destinés aux anciens combattants des Premières nations. Un agent du personnel de Winnipeg lui a dit de rencontrer l'agent des Indiens de la réserve au sujet des avantages. Il ne souvient pas d'avoir reçu des brochures ou des lettres, ni aucune explication sur les avantages de la part d'un fonctionnaire des Anciens combattants. Il n'a jamais songé à l'endroit où il aimerait vivre. Il savait qu'il venait de la réserve et qu'il devait y retourner. C'était chez lui et sa famille s'y trouvait.


[51]            De retour à la réserve, il a appris, par l'entremise de l'agent des Indiens, William Young, qu'il n'avait pas droit aux avantages. M. Young ne lui a remis aucun formulaire à remplir ni donné aucun renseignement. Six semaines plus tard, M. Young lui a dit qu'il recevrait une indemnité sous la forme d'une terre de la réserve. Le père de M. Hall avait un certificat de possession relativement à quelque 180 acres de terres de la réserve qu'il avait exploitées et M. Hall devait le remplacer.

[52]            M. Young a dit à M. Hall qu'il pouvait obtenir de l'outillage agricole d'une valeur maximale de 2 300 $, mais il n'a rien dit au sujet de la formation, des prêts d'affaires ou de la possibilité d'obtenir de l'aide pour acheter des terres hors réserve au moyen du prêt de 6 000 $ offert aux anciens combattants hors réserve. M. Hall affirme que M. Young était irrespectueux; il le traitait comme s'il avait été un enfant de deux ans. Young lui a dit que, puisque le gouvernement lui donnait 2 300 $, il devait s'en servir. M. Hall n'a pas été autorisé à choisir l'outillage; il s'est tout simplement rendu le chercher chez un détaillant de Griswold. On ne lui a pas dit comment cet outillage avait été acheté ni s'il restait quelque chose de l'allocation.

[53]            M. Young l'a dissuadé de parler aux employés des Anciens combattants et il a dit qu'il devait d'abord s'adresser à lui. M. Hall dit que c'est ainsi que les choses se passaient dans la réserve - ils devaient s'adresser à l'agent pour tout ce qu'ils voulaient - c'est ce qu'on leur avait maintes fois répété et c'est ainsi que M. Hall et les autres agissaient. M. Hall ne se souvient pas d'avoir entendu quoi que ce soit au sujet des avantages à la radio, à la télévision, ni d'avoir vu des affiches sur cette question. M. Young se fâchait si ses interlocuteurs mentionnaient les anciens combattants. Une fois, M. Hall et son frère ont tenté de parler à un employé des Anciens combattants à Portage la Prairie. L'agent des Indiens de Portage la Prairie les a arrêtés et a menacé de les incarcérer.

[54]            À l'époque où il traitait avec M. Young, ni le chef ni le conseil n'avait de pouvoir. Young s'occupait de tout, il était le patron. Quand M. Hall signait des formulaires, M. Young n'en expliquait pas le contenu. M. Young indiquait simplement à M. Hall où signer et M. Hall obtempérait. M. Hall a dit que plusieurs formulaires étaient difficiles à comprendre et qu'il se fiait à M. Young pour être certain qu'il s'agissait des bons formulaires. M. Hall ne faisait pas confiance à M. Young et il ne pense pas avoir touché tous les avantages auxquels il avait droit. Au paragraphe 21 de son affidavit, M. Hall dit :

[traduction] Ce n'est que récemment, en discutant avec d'autres, que j'ai compris que je n'avais peut-être pas reçu ce à quoi j'avais droit; toutefois, pendant longtemps, je n'ai jamais songé à avoir recours à un avocat. J'ai discuté avec John Sioux, mais avant tout récemment, personne ne m'a dit que je devrais intenter une action en dommages-intérêts contre le gouvernement. Ce sont ces récentes discussions qui m'ont incité à intenter cette action en dommages-intérêts. Avant cela, je ne savais même pas comment intenter ce type d'action. Je n'ai jamais songé à poursuivre le gouvernement.

[55]            La défenderesse attire l'attention sur divers extraits de l'interrogatoire préalable de M. Hall (le 29 janvier 2004), ainsi que de son témoignage sur bande magnétoscopique (le 18 mars 2004) et plusieurs documents concernant M. Hall. La preuve produite par la défenderesse établit que, par lettre datée du 29 novembre 1954, le ministère des Anciens combattants (MAC) a avisé M. Hall des avantages destinés aux anciens combattants et du fait que ces avantages dépendaient de la nature du service et des besoins précis de la personne en matière de réinsertion sociale. M. Hall a été invité à contacter le service d'assistance aux anciens combattants afin de discuter de ces avantages; la lettre indiquait l'adresse d'un bureau à Winnipeg et précisait les heures d'ouverture.

[56]            M. Hall a expliqué que le MAI avait payé les frais de scolarité au collège de Brandon où il a terminé sa 12e année et où il a suivi des cours universitaires de 1976 à 1979. Il a terminé tous les cours du programme de baccalauréat ès arts, sauf trois. M. Hall a dit qu'il avait discuté des avantages destinés aux anciens combattants avec ses amis, pendant les années 1960, devant les refus opposés par l'agent des Indiens et le MAC. Il prétend avoir appris à cette époque qu'un ancien combattant non-autochtone avait obtenu des milliers de dollars du gouvernement pour s'acheter des terres et des meubles. Dans une lettre au MAC datée du 31 juillet 1989, il a énoncé plusieurs de ses griefs et a mentionné qu'il avait cessé d'exploiter sa ferme en 1958.

[57]            M. Hall a ajouté avoir eu une conversation avec Ian B. Cowie du cabinet Ian B. Cowie and Associates d'Ottawa (qui représentait la Bande indienne de Sioux Valley), qui lui a dit que lui et d'autres anciens combattants avaient droit à plus d'argent que ce qu'ils avaient reçu. Il a également discuté de ces questions avec John Sioux en 1989 ou 1990. Les transcriptions des audiences du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones du 5 et du 25 octobre 1994 révèlent que M. Hall a témoigné devant le Comité au sujet des difficultés financières des anciens combattants autochtones.

ARGUMENTATION


[58]            Une partie importante des observations des demandeurs vise l'existence d'une obligation fiduciaire. Je le répète, l'argument de la défenderesse (sans aller jusqu'à reconnaître l'existence d'une obligation fiduciaire) postule l'existence de cette obligation. Tel qu'indiqué, mon analyse sera fondée sur l'hypothèse que la défenderesse avait une obligation fiduciaire envers les demandeurs. Il n'est donc pas utile d'analyser en profondeur les diverses observations des demandeurs à cet égard.

[59]            Les opinions diffèrent concernant la question de savoir à qui incombe la charge de prouver le point de départ de la prescription. S'appuyant sur la décision Authorson (Litigation guardian of) c. Canada (Attorney General) (2003), 69 O.R. (3d) 129 (Cour sup. jus.) (Authorson), les demandeurs affirment que lorsqu'existe une obligation fiduciaire, la charge de la preuve incombe au fiduciaire. La défenderesse n'est pas d'accord et, se fondant sur Papaschase Indian Band No. 136 c. Canada (Attorney General), [2004] 4 C.N.L.R. 110 (B.R. Alb.) (Papaschase), elle prétend qu'il incombe aux demandeurs de prouver qu'ils n'avaient pas connaissance du préjudice, surtout lorsque, comme en l'espèce, les causes d'action auraient pu être découvertes des décennies avant le dépôt de la déclaration.


[60]            Les parties ne s'entendent pas non plus sur l'affidavit de Samuel Corrigan. Les demandeurs ont présenté M. Corrigan comme expert sur les Premières nations et, en particulier, la Première nation de Sioux Valley. La défenderesse oppose en faisant valoir que M. Corrigan n'est pas un expert dûment qualifié. Sa Majesté soutient que l'affidavit de M. Corrigan devrait être radié, à l'exception des premier et dernier paragraphes, au motif qu'il n'est pas nécessaire, qu'il contrevient à au moins une des règles d'exclusion, qu'il n'est pas fiable et, s'agissant d'une nouvelle théorie, qu'il ne satisfait pas à la norme plus stricte en matière de fiabilité et de nécessité établie dans R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 (Mohan). Les demandeurs répliquent que la preuve est pertinente et que les titres universitaires de M. Corrigan ainsi que son expérience personnelle l'autorisent à donner une preuve d'opinion qui, en l'espèce, vise davantage les moeurs, la culture et des [traduction] « sujets plus généraux » . Son témoignage est nécessaire parce que les demandeurs tentent d'établir l'existence d'une coutume, d'une pratique et d'une tradition.

[61]            Quant aux délais de prescription, les demandeurs prétendent que les causes d'action, surtout celles qui concernent le manquement à l'obligation fiduciaire, continuent d'exister. La Couronne a toujours une obligation fiduciaire à l'endroit des demandeurs. Cette obligation existe, selon les demandeurs, parce que Sa Majesté a l'obligation continue de les aviser des avantages dont ils peuvent bénéficier. Citant Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344 (communément appelé l'arrêt Apsassin), les demandeurs affirment que la juge McLachlin, aujourd'hui Juge en chef, a statué que lorsqu'une obligation fiduciaire est continue, le fiduciaire est tenu de corriger ses erreurs, faute de quoi il est responsable d'un deuxième manquement, celui de ne pas avoir corrigé l'erreur initiale. Par voie de conséquence, en n'avisant pas les demandeurs de l'existence des avantages hors réserve, Sa Majesté a manqué une deuxième fois à son obligation, manquement qui continue et qui continuera jusqu'à ce qu'elle corrige son erreur.


[62]            Les demandeurs soutiennent que la nature sui generis du rapport fiduciaire entre les parties tient du rapport de confiance plutôt que de relations antagonistes et que le degré de contrôle économique et social exercé par la défenderesse, ainsi que son pouvoir discrétionnaire, a contribué à la vulnérabilité des peuples autochtones. Les conditions établies dans la LTAC, conférant à l'agent des Indiens le pouvoir de contrôler l'accès des anciens combattants autochtones aux allocations prévues par la LTAC s'ils vivaient dans la réserve, équivalaient à une abdication de la part de la défenderesse.

[63]            La LTAC et ses règlements d'application n'ayant jamais été abrogés, les demandeurs soutiennent qu'il était possible d'obtenir des avantages après 1975. Pour ce qui concerne les déclarations volontairement fausses, l'alinéa 2(1)j)de la Loi prévoit qu'une action est possible dans les six ans à compter de la découverte de la fraude et non à compter de la découverte de la cause d'action. S'appuyant sur l'arrêt Bande indienne Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.) (Semiahmoo), les demandeurs prétendent que suivant une interprétation de l'alinéa 2(1)j) en fonction de son objet, la disposition vise la fraude en equity, et non seulement la fraude en common law. Le juge en chef Isaac a défini en ces termes la fraude en equity : « une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre » .

[64]            Citant encore une fois la décision Semiahmoo et le critère qu'elle propose - à quel moment une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que les demandeurs et recevant des conseils appropriés, aurait intenté une action contre la Couronne - les demandeurs font valoir que leur demande n'est pas prescrite. Plus précisément, ils se fondent sur les commentaires suivants du juge en chef :


En concluant que le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) ne doit commencer à courir que le 23 mai 1989 ou vers cette date, je conclus qu'il est important de tenir compte du fait que ce n'est depuis les quinze dernières années environ que les bandes indiennes peuvent faire preuve, à l'égard des droits qui leur sont reconnus en common law, du même degré de diligence que les autres citoyens ordinaires. Plus précisément, ce n'est que lorsque la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Guerin, en 1984, que les tribunaux ont clairement commencé à reconnaître l'existence d'une cause d'action fondée sur le manquement à l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne à l'égard des cessions de terres [...]

[65]            Se fondant sur cette citation, les demandeurs partent de la date de l'arrêt Semiahmoo (1997) et reculent de 15 ans pour conclure que ce n'est qu'en 1982 que les peuples autochtones auraient pu penser qu'une action contre la Couronne pouvait avoir un résultat positif. En pratique, du point de vue des demandeurs, cette date serait plus récente dans le cas des anciens combattants autochtones faisant face à des obstacles tels que l'âge, la santé, l'éducation et les expériences personnelles avec la Couronne. Il faudrait également tenir compte de questions d'ordre culturel, notamment l'attitude négative au sein de la collectivité autochtone en ce qui concerne les poursuites contre la Couronne.

[66]            Puisque ce n'est que récemment qu'ils ont songé à poursuivre le gouvernement, vu les obstacles qu'ils auraient à surmonter, les demandeurs prétendent que leurs demandes ne sont pas prescrites.

ANALYSE

[67]            Le point de départ de mon analyse est l'arrêt Wewaykum, précité. Les propositions tirées de cet arrêt sont particulièrement pertinentes en l'espèce :


-         les principes de base des lois sur la prescription sont biens connus. Des témoins ne sont plus disponibles, des documents historiques ont disparu ou sont difficiles à mettre en contexte et l'idée de ce que constituent des pratiques loyales évolue;

-        en raison de l'évolution des normes de conduite et de l'application de nouvelles normes en matière de responsabilité, il devient inéquitable de juger des actions passées au regard de normes contemporaines. Cela ne veut pas dire qu'il faille fermer les yeux sur les griefs historiques ou que les rigueurs d'une injustice s'atténuent nécessairement avec le temps;

-        l'objet poursuivi par le législateur en fixant des délais de prescription serait forcément contrecarré si la thèse du manquement continu à l'obligation fiduciaire était retenue. Les fiduciaires, en particulier, ne connaîtraient jamais la tranquillité d'esprit. À mon avis, un tel résultat est incompatible avec l'intention du législateur.

[68]            Pour ce qui concerne la partie ayant la charge d'établir le point de départ de la prescription, en conformité avec mon engagement précédent de tenir compte des principes établis dans l'arrêt MacNeil, précité, aux fins des requêtes en l'espèce, je poursuivrai mon analyse comme s'il incombait à la défenderesse de prouver ce point de départ.


[69]            Dans un même ordre d'idées et malgré les observations intéressantes de la défenderesse au sujet de l'affidavit de Samuel Corrigan, je ne suis pas disposée pour les besoins des présentes requêtes, à radier les paragraphes contestés. Le témoignage de M. Corrigan comporte certes certaines faiblesses, surtout quant au fondement factuel nécessaire ou l'absence de tel fondement pour étayer les opinons exprimées, mais pour l'instant et conformément à mon but de concilier les requêtes, j'accepte l'ensemble de l'affidavit.

[70]            L'argument des demandeurs concernant le manquement continu à l'obligation fiduciaire, à l'infini, ne peut être retenu. Ils se fondent à tort sur l'arrêt Apsassin, précité. Dans cette affaire, l'obligation continue (relativement au transfert, par inadvertance, de droits miniers afférents à la réserve) était d'agir afin de corriger une erreur conformément à une disposition de la Loi des Indiens de 1927, S.R.C. 1927, ch. 98, que la Cour suprême a qualifiée d'exceptionnelle. La violation de l'obligation était précise dans le temps. (Voir également : Semiahmoo, précité). Ce n'est pas le cas en l'espèce. Au contraire, chacun des demandeurs affirme que [traduction] « [c]e n'est que récemment, [...], que j'ai compris que je n'avais peut-être pas reçu ce à quoi j'avais droit » . Les demandeurs ne mentionnent aucune date et n'expliquent pas non plus ce qu'ils entendent par « récemment » . Cette omission est particulièrement troublante eu égard aux déclarations de M. Hall à l'interrogatoire préalable.

[traduction]

73            Q              Avez-vous déjà discuté des avantages offerts aux anciens combattants avec vos amis quand vous les rencontiez?

R              Eh, uniquement récemment, quand je n'ai pu obtenir de l'aide de l'agent des Indiens ou du ministère des Anciens combattants.

Q              Alors ça se serait produit quand?

R              Oh, probablement dans les années 1960.


[71]            L'argument des demandeurs selon lequel ils pouvaient réclamer des avantages après 1975 contredit carrément le paragraphe 31(2) de la LTAC qui prévoit qu'aucune demande ne doit être acceptée par le Directeur, après le 31 mars 1975, d'un ancien combattant qui n'est pas lié au Directeur par un contrat encore en vigueur et, dans tous les autres cas, qu'aucune demande ne doit être acceptée après le 31 mars 1977.

[72]            La défenderesse souligne pertinemment les divers moments où la prescription applicable à MM. Tacan et Hall a pu commencer à courir. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'analyser ces observations. Puisque j'ai donné aux demandeurs Tacan et Hall tout le bénéfice du doute possible, je conclus, sans hésitation aucune, que la défenderesse a établi que, s'agissant des causes d'action visées par une disposition concernant la possibilité de découverte, la prescription aurait dû commencer à courir, au plus tard, en 1990. Cela ne veut pas dire que la prescription n'a pas commencé plus tôt, mais que 1990 est la dernière date possible.

[73]            La règle de la possibilité de découvrir le dommage est une règle générale, appliqué pour prévenir l'injustice qu'entraînerait le fait d'interdire à une personne d'intenter une action avant qu'elle ne soit en mesure de le faire. La question est la suivante : à quel moment une personne raisonnable, dans la situation du demandeur, aurait-elle eu connaissance des faits substantiels, sinon de tous les détails, sur lesquels les demandes sont fondées : Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549.

[74]            Les témoignages de MM. Tacan et Hall confirment qu'ils ont communiqué avec John Sioux et Ian B. Cowie en 1989 ou 1990. Dans le cas de M. Tacan, il a également été en contact avec le cabinet Fillmore & Riley en 1990. La lettre du 1er février 1990 envoyée par John Sioux aux ministères des Affaires indiennes et des Anciens combattants au nom de MM. Tacan et Hall allègue notamment :

-        la loi qui établissait les avantages destinés aux anciens combattants prêtait à confusion;

-        l'agent des Indiens a joué un rôle essentiel;

-        la loi confiait à l'agent des Indiens le mandat de gérer toutes les transactions au comptant pour les anciens combattants autochtones et de veiller à ce qu'ils reçoivent le plus d'avantages possibles des programmes d'aide du gouvernement;

-        M. William Young était l'agent des Indiens à qui ont été confiées les allocations concernant MM. Tacan et Hall;

-        ils ont été encouragés et ils ont bien tenté d'exploiter une terre agricole dans la réserve;

-        M. Young a utilisé les allocations fédérales qui leur étaient destinées pour acheter de l'outillage agricole d'un fournisseur local qui était un membre de la famille de M. Young;

-        l'outillage acheté était tout à fait inadéquat;

-        M. Young ne leur a pas donné les conseils dont ils avaient besoin pour réussir;

-        M. Young ne les a pas avisés de la disponibilité de prêts à faible taux d'intérêt, d'une formation agricole, de location de terrains, d'allocations monétaires, d'une aide pour la construction d'une maison unifamiliale, et d'assistance agricole sous forme de prêts à long terme à un taux d'intérêt très bas;


-        les omissions de M. Young ont eu des « conséquences catastrophiques » sur leurs vies. Leurs fermes ont été abandonnées. Les demandeurs et leurs familles étaient démoralisés et abattus sur le plan financier et émotionnel. Ils ont été forcés de demander l'assistance sociale et de vivre au jour le jour;

-        les exploitations agricoles auraient pu être rentables si les demandeurs avaient obtenu les avantages et l'aide du gouvernement fédéral auxquels tous les anciens combattants avaient droit;

-        ils n'ont reçu aucune aide supplémentaire et ignoraient qu'ils y avaient droit;

-        le défaut, par le gouvernement fédéral, de les aider comme l'y oblige la loi a été cause de grandes difficultés comme en font preuve les logements insalubres dans lesquels ils vivent toujours. M. Tacan vit dans une maison qui n'a qu'une seule pièce.

[75]            La lettre continue avec une allégation de manquement à l'obligation fiduciaire de la part de M. Young et du gouvernement fédéral. On y retrouve également des allégations de manquement à l'obligation d'instruire, de guider et d'informer. On demande une indemnisation à cause des difficultés que les demandeurs ont inutilement eues par suite du manquement.


[76]            La lettre du 10 mars 1990 envoyée par Ian B. Cowie and Associates au ministère des Anciens combattants soulève la question des demandes en justice possibles découlant de la [traduction] « mauvaise administration des avantages destinés aux anciens combattants autochtones » . La lettre renvoie à celle de M. Sioux et en contient une copie. Dans l'avant-dernier paragraphe de la lettre, M. Cowie dit :

[traduction] Il existe des options claires en ce qui concerne le dépôt officiel de réclamations, mais nous espérons pouvoir discuter avec vous de moyens plus logiques et immédiats de corriger les torts qui semblent s'être produits dans ce domaine.

[77]            La conclusion qu'il faut inévitablement tirer, c'est que les demandeurs Tacan et Hall ont pris connaissance des faits importants sur lesquels leurs demandes sont fondées (relativement aux causes d'action visées par une disposition concernant la possibilité de découvrir le préjudice) au plus tard en 1990. S'il y a un doute pour ce qui est des déclarations volontairement fausses alléguées, ce doute est atténué par l'interrogatoire préalable et les déclarations sur bande magnétoscopique de MM. Tacan et Hall, ainsi que par les documents produits par la défenderesse pour chacun d'eux.

[78]            Dans Abbott c. Canada, 2005 CF 163, mon collègue le juge Russel devait trancher une question de prescription dans une affaire de baux résidentiels. Il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que les demandeurs avaient été encouragés à croire, par la Couronne, qu'ils n'étaient pas obligés de soumettre leurs demandes en temps utile et que rien n'indiquait non plus que les demandeurs avaient été empêchés d'intenter une action à quelque moment que ce soit. Les demandeurs savaient qu'ils pouvaient intenter une action, mais ont choisi de soumettre leurs griefs en passant par le processus politique dans l'espoir de trouver une solution. Dans ces circonstances, les demandeurs ne peuvent plus tard se plaindre du délai de prescription.


[79]            Selon moi, c'est précisément la situation en l'espèce. En 1990, les demandeurs, Tacan et Hall, étaient très certainement au courant des faits pertinents sur lesquels leurs demandes étaient fondées et ils ont choisi d'avoir recours au processus politique dans l'espoir de trouver une solution. Ils ne peuvent maintenant prétendre que leurs demandes ne sont pas prescrites. Le calcul des demandeurs fondé sur leur interprétation de l'arrêt Semiahmoo, précité, et l'affidavit de Samuel Corrigan ne leur sont d'aucun secours à cet égard. La déclaration a été déposée le 4 octobre 2001, soit plus de dix ans après la dernière date à laquelle MM. Tacan et Hall étaient en mesure de le faire. Leur action est prescrite.

[80]            Qu'en est-il donc des allégations concernant une reddition de compte et l'assertion fausse et négligente qui doivent faire l'objet d'une action dans les six ans de la cause d'action? À cet égard, les demandeurs, Tacan et Hall, invoquent la prescription de 30 ans prévue au paragraphe 14(3) et ils prétendent que, suivant le calcul dans Semiahmoo et l'affidavit de Samuel Corrigan, ces causes d'action auraient pris naissance dans le délai de 30 ans. Il s'agit d'une méprise.


[81]            Le paragraphe 14(3) limite les actions intentées ou poursuivies suivant le paragraphe 14(1). Ainsi, même si le tribunal autorise une partie à intenter ou à continuer l'action visée au paragraphe 14(1), l'autorisation ne peut être accordée lorsque les actes ou omissions qui ont donné lieu à la cause d'action se sont produits il y a plus de 30 ans. Il faut tenir compte du paragraphe 14(1). Cette disposition permet une prolongation de la prescription prévue à l'article 2 de la Loi pour les causes d'action visées par une disposition prévoyant la possibilité de découvrir le préjudice. Pour prolonger la prescription prévue à l'article 2, il faut demander et obtenir l'autorisation d'intenter ou de continuer une action. Toutefois, il y a une limite de temps. Il faut qu'une période maximale de 12 mois se soit écoulée entre la date « à laquelle le requérant a eu connaissance pour la première fois, ou celle à laquelle il aurait dû avoir connaissance, compte tenu des circonstances, de tous les faits pertinents sur lesquels s'appuie l'action » et « la date de la présentation de la demande de prolongation au tribunal » . Les paragraphes 20(3) et 20(4) permettent de mieux comprendre le sens de l'expression « faits pertinents » . Ils sont ainsi libellés :



Loi sur la prescription,

C.P.L.M. ch. L150

20(3) Pour les besoins de la présente partie, les faits pertinents se rattachant à une cause d'action doivent être considérés comme des faits de nature déterminante, lorsqu'il s'agit de faits à l'égard desquels une personne possédant le niveau d'intelligence, d'instruction et d'expérience qui lui sont propres, et connaissant ces faits et ayant obtenu des conseils opportuns au sujet de ceux-ci, aurait considérés à ce moment-là comme concluants pour donner lieu de croire raisonnablement à la réussite d'une action et à l'octroi de dommages-intérêts, ou à une réparation dont l'ampleur justifierait les procédures judiciaires qui seraient requises. Toutefois, il n'est tenu compte d'aucune défense pouvant être fondée sur une prescription établie par la présente loi ou par une autre loi de la Législature.

Faits connus de sources extérieures

20(4) Sous réserve du paragraphe (5) et pour les besoins de la présente partie, un fait est en tout temps censé ne pas être connu par une personne, ni réellement ni en vertu d'une présomption, lorsque les éléments suivants sont réunis :

a) la personne ne connaissait pas le fait à ce moment-là;

b) dans la mesure où il lui était possible d'établir le fait, la personne avait pris tous les moyens qu'une personne de son niveau d'intelligence, d'instruction et d'expérience aurait dû prendre avant ce moment-là, afin d'établir le fait en question;

c) dans la mesure où il existait des circonstances qui lui étaient connues et qui lui auraient permis, à l'aide de conseils opportuns, d'établir le fait ou de conclure à son existence, la personne avait pris tous les moyens qu'une personne de son niveau d'intelligence, d'instruction et d'expérience aurait dû prendre avant ce moment-là, afin d'obtenir des conseils opportuns à l'égard de ces circonstances.    

The Limitation of Actions Act,

C.C.S.M. c. L150

20(3) For the purposes of this Part, any of the material facts relating to a cause of action shall be taken, at any particular time, to have been facts of a decisive character if they were facts which a person of his intelligence, education and experience, knowing those facts and having obtained appropriate advice in respect of them, would have regarded at that time as determining, in relation to that cause of action, that, apart from any defence based on a provision of this Act or any other Act of the Legislature limiting the time for bringing an action, an action would have a reasonable prospect of succeeding and resulting in an award of damages or remedy sufficient to justify the bringing of the actions.

Where facts deemed to be outside knowledge

20(4) Subject to subsection (5), for the purposes of this Part, a fact shall, at any time, be taken not to have been known by a person, actually or constructively if

(a) he did not then know that fact;

(b) in so far as that fact was capable of being ascertained by him, he had taken all actions that a person of his intelligence, education and experience would reasonably have taken before that time for the purpose of ascertaining the fact; and

(c) in so far as there existed, and were known to him, circumstances from which, with appropriate advice, the fact might have been ascertained or inferred, he had taken all actions that a person of his intelligence, education and experience would reasonably have taken before that time for the purpose of obtaining appropriate advice with respect to the circumstances.


[82]            Encore une fois, en donnant à MM. Tacan et Hall le plus de latitude possible, 1990 était la dernière date possible à laquelle ils ont eu connaissance (ou pour calquer les termes de la disposition, auraient dû avoir connaissance) de tous les faits pertinents sur lesquels s'appuie l'action. Par conséquent, leur demande d'autorisation de prolonger la prescription prévue à l'article 2, s'agissant de l'assertion fausse et négligente et la reddition de compte, aurait dû être déposée au plus tard en 1991. La déclaration a été déposée le 4 octobre 2001 et les demandeurs avaient donc déjà attendu dix années de trop. L'action intentée par les demandeurs Tacan et Hall est prescrite.


[83]            Les circonstances sont différentes dans le cas de Stan McKay, mais elles ne sont pas meilleures. Selon la preuve déposée par M. McKay, on lui aurait expliqué, peu après sa démobilisation, les raisons pour lesquelles il n'avait pas droit aux avantages, savoir qu'il n'avait pas servi outre-mer, qu'il n'avait pas servi pour au moins un an et qu'il ne touchait aucune pension d'invalidité. M. McKay a entendu à la radio au cours des années 1970 qu'une date limite avait été fixée pour les personnes qui souhaitaient obtenir les avantages réservés aux anciens combattants, particulièrement des prêts agricoles ou autres. Il a choisi de ne rien faire parce qu'il était satisfait d'exploiter sa terre dans la réserve. La réclamation de M. McKay, si réclamation il y a, date de plusieurs décennies et elle est prescrite. Plus important encore, le témoignage de M. McKay révèle qu'il n'a aucun intérêt personnel dans la présente action et qu'il ne l'a intentée que par souci des autres (voir le paragraphe 37 des présents motifs). Tel que susmentionné au paragraphe 24 des présentes, la question ne concerne pas les anciens combattants autochtones en général ni les injustices ou mauvais traitements que les anciens combattants autochtones ont pu subir après la Première et la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Il s'agit en l'espèce de trois demandeurs désignés et de la défenderesse. L'action n'a pas été intentée comme action collective en vertu de l'ancien paragraphe 114 des Règles, abrogé, DORS/2002-417. La preuve doit établir le fondement des allégations contenues dans la déclaration. À mon avis, non seulement les demandes de M. McKay sont prescrites, mais il n'a aucune cause d'action.


[84]            Je souligne qu'en tirant ces conclusions, je me suis bien demandé s'il m'était loisible de les tirer à la lumière de l'arrêt MacNeil, précité. J'ai sciemment décrit en détail et au long toute la preuve concernant chacun des demandeurs, plus tôt dans les présents motifs. La preuve comporte certaines contradictions et les manquements aux obligations allégués soulèvent des questions de crédibilité, mais la prescription, telle que je l'ai abordée, ne soulève ni contradiction ni question de crédibilité. Les lacunes des affidavits des demandeurs à cet égard sont comblées par leur témoignage sur bande magnétoscopique et par l'interrogatoire préalable. Il ne s'est rien produit de nouveau depuis 1990.

[85]            En fin de compte, je conclus que les délais de prescription sont expirés, que les demandeurs n'ont pas introduit l'action en temps utile et que leurs demandes sont prescrites. La défenderesse a droit à la tranquillité d'esprit. Toutefois, l'affaire n'est pas réglée pour autant puisque les demandeurs affirment que j'ai compétence inhérente pour déroger aux délais de prescription.

COMPÉTENCE INHÉRENTE

[86]            Les demandeurs soumettent, subsidiairement, que j'ai compétence inhérente pour déroger aux délais de prescription et que je devrais exercer ma compétence en l'espèce. Le pouvoir discrétionnaire de déroger aux délais de prescription a été confirmé dans Orden Estate c. Grail (1996), 30 O.R. (3d) 643 (C.A.), confirmé, [1998] 3 R.C.S. 437.


[87]            La question a été tranchée par le juge Lemieux dans Nicholson c. Canada (1re inst.), [2000] 3 C.F. 225 (1re inst.). Le juge Lemieux a conclu, en citant Dawe c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accises) (1994), 174 N.R. 1 (C.A.F.), qu'un délai de prescription ne peut être supprimé ou prorogé en l'absence d'un pouvoir législatif exprès. En outre, j'entérine et j'adopte le raisonnement de mon collègue au paragraphe 40 de ses motifs quand il a dit :

[L]a nécessité de s'appuyer sur un pouvoir législatif exprès pour supprimer ou proroger un délai de prescription est confirmée par une abondante jurisprudence de la Cour suprême du Canada au sujet de la compétence générale de la Cour fédérale et a été exprimée dans une série de décisions commençant avec ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752 pour culminer dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626. Cette jurisprudence indique clairement que l'attribution législative de compétence est l'une des trois conditions permettant à la Cour d'exercer sa compétence et qu'entre la Cour et les cours supérieures des provinces, ce sont ces dernières qui jouissent de cette compétence inhérente [...]

[88]            Rien n'indique que le législateur ait conféré à la Cour fédérale, expressément ou implicitement, le pouvoir de déroger aux délais prévus par la loi ni de les prolonger. En l'absence d'une disposition expresse de la loi, je n'ai pas compétence pour prolonger les délais de prescription et l'argument des demandeurs à cet égard doit être écarté. Toutefois, l'affaire n'est pas close pour autant puisque les demandeurs prétendent, encore une fois subsidiairement, que si les demandes sont prescrites, l'application de la prescription constitue une violation du paragraphe 15(1) et de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ainsi que des alinéas 1a) et b) de la Déclaration canadienne des droits (la Déclaration des droits).

LA CHARTE ET LA DÉCLARATION DES DROITS

[89]            Par souci de commodité, voici les dispositions pertinentes :



Loi constitutionnelle de 1982

Annexe B, Partie I, Charte canadienne des droits et libertés

ch. 11, (R.-U.) [L.R.C. 1985, appendice II, No. 44]7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[...]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Déclaration canadienne des droits,

L.C. 1960, ch. 44, réimprimé dans L.R.C. 1985, App.III

1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe_:

a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;

b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982,

being Schedule B to the Canada Act 1982,

c. 11, (U.K.) [R.S.C. 1985, Appendix II, No. 44]

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[...]

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

Canadian Bill of Rights,

S.C. 1960, c. 44, reprinted in R.S.C. 1985, App. III

1. It is hereby recognized and declared that in Canada there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, national origin, colour, religion or sex, the following human rights and fundamental freedoms, namely,

(a) the right of the individual to life, liberty, security of the person and enjoyment of property, and the right not to be deprived thereof except by due process of law;

(b) the right of the individual to equality before the law and the protection of the law;


J'examinerai chacune des dispositions tour à tour.

Le paragraphe 15(1) de la Charte

[90]            Les deux parties fondent, à juste titre, leurs arguments concernant le paragraphe 15(1) sur le cadre tripartite conçu par la Cour suprême du Canada dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), _1999_ 1 R.C.S. 497 (Law), dans lequel le juge Iacobucci a écrit :

Par conséquent, le tribunal ayant à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le paragraphe 15(1) doit se poser trois grandes questions :


A. La loi contestée : a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

B. Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

et

C. La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

[91]            Soulignant que certaines prescriptions provinciales sont plus libérales que d'autres, les demandeurs prétendent que leurs droits fondamentaux sont différents selon leur province de résidence autochtone (la situation géographique de la réserve). Les demandeurs soulignent en particulier les dispositions suivantes de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, ch. 24, annexe B :



Loi de 2002 sur la prescription des actions

L.O. 2002, ch. 24, Annexe B

2.(1) La présente loi s'applique aux réclamations formées dans des instances judiciaires autres que les instances suivantes :

[...]

e) les instances fondées sur les droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones du Canada que reconnaît et confirme l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

f) les instances fondées sur les réclamations en equity faites par les peuples autochtones contre la Couronne. 2002, chap. 24, annexe B, par. 2 (1).

Limitations Act, 2002,

S.O. 2002, c. 24, Schedule B

2.(1) This Act applies to claims pursued in court proceedings other than,

[...]

(e) proceedings based on the existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada which are recognized and affirmed in section 35 of the Constitution Act, 1982; and

(f) proceedings based on equitable claims by aboriginal peoples against the Crown. 2002, c. 24, Sched. B, s. 2 (1).


[92]            Puisque plusieurs réclamations des demandeurs (qui sont autochtones) sont des demandes en equity, les demandeurs prétendent que leurs poursuites sont exemptées, en vertu du paragraphe 2(1), de l'application des délais de prescription prévus par la loi ontarienne. Par conséquent, ils prétendent que si la réserve des demandeurs était située en Ontario plutôt qu'au Manitoba, aucun délai de prescription ne s'appliquerait de sorte qu'ils auraient pu poursuivre leurs demandes.

[93]            Or, leurs réclamations sont assujetties aux dispositions plus strictes et punitives du Manitoba. Cela, selon les demandeurs, constitue un traitement discriminatoire au sens de la loi, contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte.

[94]            Affirmant que leur lieu de résidence autochtone (la situation géographique de la réserve) constitue le fondement de leur traitement différent selon la loi, et que le lieu de résidence autochtone est un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1), les demandeurs se fondent sur Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), _1999_ 2 R.C.S. 203 (Corbière), pour prétendre que [traduction] « l'autochnicité-lieu de résidence » est, à l'instar des motifs énumérés, une caractéristique personnelle immuable qui n'est pas modifiable ou qui n'est modifiable qu'à un prix inacceptable du point de vue de l'identité personnelle.

[95]            À mon avis, l'application des délais de prescription prévus par la loi ne viole pas le droit des demandeurs à l'égalité en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.

[96]            Je ne crois pas que les différences entre les prescriptions applicables en Ontario et au Manitoba soient aussi absolues que le prétendent les demandeurs. Une lecture complète de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, précitée, révèle l'existence des alinéas 2(1)e) et 2(1)f) :


Loi de 2002 sur la prescription des actions

L.O. 2002, ch. 24, Annexe B

2(2) Les instances visées aux alinéas (1) e) et f) sont régies par le droit qui se serait appliqué en ce qui concerne la prescription des actions si la présente loi n'avait pas été adoptée. 2002, chap. 24, annexe B, par. 2(2).

Limitations Act, 2002,

S.O. 2002, c. 24, Schedule B

2(2) Proceedings referred to in clause (1) (e) and (f) are governed by the law that would have been in force with respect to limitation of actions if this Act had not been passed. 2002, c. 24, Sched. B, s. 2

                                   


[97]            Il se peut très bien que les dispositions de l'ancienne Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, ch. L.15, ou de la Loi sur l'immunité de personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38, ou d'une autre loi imposeraient un délai de prescription aux demandes en l'espèce si la cause d'action avait pris naissance en Ontario. À l'audience, la défenderesse a présenté des observations sur ce point, mais celles-ci n'étaient pas suffisamment détaillées pour que je sois tout à fait à l'aise de tirer une conclusion à cet égard. Il suffit de dire que, vu le paragraphe 2(2) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, il n'est pas nécessairement vrai que les prescriptions, au Manitoba, sont plus strictes et punitives que celles qui s'appliquent en Ontario.


[98]            Même si l'application de différentes prescriptions provinciales avait effectivement entraîné un traitement différent, il n'en découle pas nécessairement que les demandeurs sont assujettis à ce traitement pour un ou plusieurs motifs énumérés ou analogues. Le fondement allégué de la différence de traitement en vertu de la loi est la situation géographique de la réserve des demandeurs autochtones dans une province ou une autre; en d'autres termes, la province de résidence des demandeurs autochtones. D'une manière générale, le lieu de résidence n'est pas un motif de discrimination en vertu de la Charte : Siemans c. Manitoba, _2003_ 1 R.C.S. 6. Quant au motif plus particulier « autochtonité-lieu » , ce motif, tel qu'établi dans l'arrêt Corbière, précité, renvoie au statut d'un membre d'une bande autochtone selon qu'il vit dans la réserve ou hors réserve. En l'espèce, la prescription s'appliquerait quel que soit le statut des demandeurs relativement à la réserve. Dans Corbière, la Cour suprême n'a pas dit que la situation géographique de la réserve elle-même, la province de résidence des demandeurs autochtones, était un motif analogue. En fait, dans Corbière, la Cour suprême a dit qu' « il ne faut pas confondre qualité de membre hors réserve et lieu de résidence » , ajoutant qu'en décidant si « l'autochtonité-lieu de résidence » était un motif analogue, « rien de nouveau n'a été établi, en ce sens qu'il n'a pas été jugé que le lieu de résidence constituait, de façon générale, un motif analogue » .

[99]            Cela dispose de l'argument des demandeurs concernant le paragraphe 15(1), mais selon l'arrêt Law, je dois examiner le contexte dans lequel le traitement différent des demandeurs en vertu de la loi est soulevé. Il existe peut-être un traitement différent entre les peuples autochtones des divers territoires ou provinces du Canada pour ce qui touche la possibilité pour ces derniers de poursuivre une instance fondée sur une demande en equity ou sur des droits ancestraux ou issus de traités. Toutefois, selon moi, s'il en est ainsi, la situation n'est pas due à des stéréotypes négatifs concernant les peuples autochtones d'une province ou d'un territoire en particulier ni, à cet égard, concernant les peuples autochtones de façon générale. En d'autres termes, assujettir les droits fondamentaux à des délais de prescription plus rigoureux à cause de la province ou du territoire de résidence ne porte pas atteinte à la dignité de la personne visée.

Article 7 de la Charte


[100]        Les demandeurs prétendent que, dans la mesure où la prescription les empêche de revendiquer leurs droits ancestraux, leurs droits protégés par l'article 7 de la Charte ont été violés. Ils soutiennent qu'en offrant des avantages moins intéressants et moins nombreux aux anciens combattants qui avaient choisi de vivre dans la réserve, la LTAC a imposé une limite ou un fardeau aux anciens combattants qui avaient fait ce choix. L'importance de la vie dans la réserve a été reconnue par la Cour suprême dans Corbière, précité, et établie dans la preuve par affidavit de Samuel Corrigan. Les demandeurs prétendent que leur droit de vivre dans la réserve est, de fait, un droit ancestral protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s'ensuit que la sécurité de la personne, protégée par l'article 7 de la Charte, englobe le droit de demander réparation pour violation du droit constitutionnel de vivre dans la réserve sans perte d'avantages.


[101]        Je conclus que les droits des demandeurs en vertu de l'article 7 de la Charte ne sont pas violés. Les réclamations des demandeurs, pour lesquelles ils demandent réparation sous forme de dommages-intérêts, sont une tentative de revendiquer des droits économiques contre la défenderesse. Les tribunaux ont dit que l'article 7 de la Charte ne s'appliquait pas aux droits économiques : Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429. Même s'il était établi que le droit de vivre dans une réserve sans perte d'avantages était un droit constitutionnel (et je ne tire aucune telle conclusion), il n'en reste pas moins que la possibilité de demander une compensation financière pour violation d'un tel droit est une question d'intérêt économique. On pourrait certes presque toujours prétendre que l'argent a une incidence sur la liberté et la sécurité d'un demandeur, mais il s'agit d'un effet secondaire qui n'est pas visé par l'article 7 de la Charte : Whitbread c. Valley (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 203 (C.A.), la juge McLachlin (aujourd'hui Juge en chef de la Cour suprême), confirmé par _1990_ 3 R.C.S. 1273.

Article premier de la Charte

[102]        Vu ma conclusion selon laquelle les droits des demandeurs n'ont pas été violés, ni au regard du paragraphe 15(1), ni au regard de l'article 7 de la Charte, je n'ai pas besoin de décider si la violation des droits des demandeurs est justifiée comme étant une limite raisonnable en vertu de l'article premier. Néanmoins, s'il y avait eu telle violation, j'aurais conclu, conformément au critère établi dans R. c. Oakes, _1986_ 1 R.C.S. 103, que les dispositions en matière de prescription sont justifiées en vertu de l'article premier.

[103]        Je le rappelle, la prescription a pour effet de libérer le défendeur éventuel de ses « obligations anciennes » , d'inciter le demandeur à intenter une poursuite en temps opportun et d'empêcher qu'une action ne soit intentée lorsque des éléments de preuve ont pu disparaître en raison de l'écoulement du temps : Novak c. Bond, précité. Ce sont des objectifs suffisamment importants et leurs avantages l'emportent beaucoup sur les effets négatifs sur les demandeurs potentiels qui sont empêchés de poursuivre d' « anciennes revendications » . Imposer des prescriptions raisonnables sur des litiges possibles est une façon logique de réaliser ces objectifs.

[104]        J'ajoute qu'il est raisonnable, par respect du principe du fédéralisme, de permettre aux provinces d'établir leurs propres délais de prescription.


[105]        Dans le sens où il faut choisir entre un certain nombre de possibilités, un délai de prescription comporte toujours un élément d'arbitraire. Toutefois, les législateurs ne sont pas tenus, dans tous les cas, de choisir la mesure la moins rigoureuse s'il peut être établi que le choix est raisonnable : Thompson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), _1988_ 1 R.C.S. 877. La législature du Manitoba avait d'autres choix, mais les prescriptions qu'elle a choisies sont raisonnables.

Alinéa 1a) de la Déclaration des droits

[106]        Le droit de réclamer réparation pour la perte de jouissance de biens, soutiennent les demandeurs, est violé par les délais de prescription qui s'appliquent à leurs demandes. En outre, ils font valoir que l'utilisation de l'expression « l'application régulière de la loi » à l'alinéa 1a) signifie qu'ils ont droit à ce que leur demande soit entendue sur le fond. Ainsi, l'application de la prescription dans le but d'interdire cette audience constitue un déni de « l'application régulière de la loi » .


[107]        Cet argument ne peut être retenu. L'application des délais de prescription prévus par la loi pour interdire les demandes en l'espèce n'entraîne pas une violation des droits des demandeurs en vertu de l'alinéa 1a). Mes remarques précédentes concernant l'article 7 de la Charte s'appliquent également ici, la possibilité (ou l'impossibilité) d'intenter une poursuite en dommages-intérêts n'est pas liée à la perte de jouissance des biens qu'aurait pu causer la défenderesse par négligence ou manquement à une quelconque obligation envers les demandeurs. L'alinéa 1a) ne confère pas de droits accessoires à ceux qu'il protège.

[108]        Même s'il pouvait être établi que la « jouissance des biens » englobe la possibilité d'intenter une poursuite en dommages-intérêts, il demeure que les demandeurs en auraient été « privé[s] [...] par l'application régulière de la loi » , en conformité avec l'alinéa 1a). L'application régulière de la loi concernant le droit d'intenter une poursuite en dommages-intérêts en l'espèce ne garantit pas la tenue d'une audience au fond sur les réclamations elles-mêmes, mais plutôt sur la question de savoir si les réclamations sont prescrites. Les demandeurs ont eu droit à l'application régulière de la loi en ce qu'ils ont pu produire une preuve et soumettre leurs observations à l'appui de leur position sur l'inopportunité d'appliquer les délais de prescription, qu'ils ont pris connaissance de la position de la défenderesse et qu'ils ont pu répliquer, et du fait que j'ai pu examiner les preuves, observations et réponses des demandeurs avant de conclure à la prescription de leurs demandes. Bref, les demandeurs ne sont privés du droit de poursuivre qu'après avoir bénéficié de l'application régulière de la loi.

Alinéa 1b) de la Déclaration des droits


[109]        Pour l'essentiel, les arguments des demandeurs concernant l'alinéa 1b) sont identiques aux arguments à l'égard du paragraphe 15(1) de la Charte, à savoir que les différences entre les délais de prescription imposés dans les diverses provinces violent le droit des demandeurs autochtones à l'égalité devant la loi.

[110]        Les différences qu'entraînent les divers délais de prescription dans le traitement des individus ne sont pas fondées sur l'un des motifs interdits de discrimination prévus à l'article premier de la Déclaration des droits. Les délais de prescription s'appliquent quel que soit la race, la religion, la couleur ou le sexe du demandeur. Même si je devais reconnaître qu'il existe des différences importantes entre la prescription applicable aux demandeurs autochtones de l'Ontario et celle qui s'applique aux demandeurs autochtones du Manitoba - je répète que, pour les motifs ci-dessus, je ne tire aucune telle conclusion - le fondement du traitement différent est le lieu de résidence des demandeurs. Il ne s'agit pas d'un motif interdit énuméré à l'article premier. Je conclus donc que les droits des demandeurs en vertu de l'alinéa 1b) de la Déclaration des droits n'ont pas été violés.

QUESTIONS ACCESSOIRES

[111]        Je n'ai pas examiné la demande de la défenderesse de modifier le paragraphe 67 de la défense modifiée pour soulever plus précisément la prescription visée au paragraphe 24(1) de la Loi sur les officiers publics, précitée. Vu les conclusions que j'ai tirées au sujet des questions susmentionnées, la demande me paraît théorique. S'il n'en est pas ainsi, je ne vois aucune raison, étant donné la jurisprudence en matière de modifications, de refuser la demande.

[112]        L'argument contenu dans les observations écrites relativement au paragraphe 24(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, ch. C-30, n'a pas été présenté et je ne m'exprimerai pas davantage sur cette question.

[113]        La question de savoir si les demandes peuvent survivre aux moyens de défense en equity de retard indu et d'acquiescement est posée subsidiairement, pour le cas où je déciderais que les réclamations, ou certaines d'entre elles, ne sont pas prescrites. J'ai conclu autrement et par conséquent, il n'est pas nécessaire de trancher cette question. Toutefois, par souci d'exhaustivité, je dirai que si je n'avais pas décidé que les réclamations étaient prescrites, j'aurais convenu, avec la défenderesse, que les défenses de retard indu et d'acquiescement peuvent être invoquées par Sa Majesté, suivant l'arrêt Wewaykum, précité. Quant à « l'honneur de la Couronne » , j'estime que le raisonnement de la Cour d'appel dans Sa Majesté la Reine c. Bande Stoney, 2005 CAF 15 (même s'il s'agit de l'examen de la qualité d'autochtone), est à la fois convainquant et déterminant.

CONCLUSION


[114]        La défenderesse a établi que les causes d'action des demandeurs sont prescrites. Je ne jouis pas d'une compétence inhérente pour écarter ou prolonger les délais de prescription applicables. L'application de la prescription aux réclamations des demandeurs ne viole ni l'article 7 ni le paragraphe 15(1) de la Charte ni les alinéas 1a) ou 1b) de la Déclaration des droits. Il s'ensuit que la requête de la défenderesse en jugement sommaire sera accordée.

DÉPENS

[115]     Les deux parties réclament les dépens. La défenderesse a eu gain de cause et elle a droit aux dépens. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur la question comme je les encourage à le faire, elles devront fournir des observations écrites à ce sujet, d'au plus trois pages, à double interligne, au plus tard le 24 mars 2005.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la requête en jugement sommaire de la défenderesse soit accueillie.

            « Carolyn A. Layden-Stevenson »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1756-01

INTITULÉ :                                         ALFRED TACAN, SOLOMON HALL,

et STAN McKAY

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :               15 ET 16 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MARS 2005

                                                     

COMPARUTIONS :

Douglas A. S. Paterson, c.r.             POUR LES DEMANDEURS

Scott D. Abel

Randal T. Smith, c.r.                          POUR LA DÉFENDERESSE

Jennifer Dundas                                

Winnipeg (Manitoba)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas A.S. Paterson, c.r.              POUR LES DEMANDEURS

Scott D. Abel                                     

Paterson Patterson Wyman & Abel

Avocats

John H. Sims, c.r.                               POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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