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Date : 19990830


T-636-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 AOÛT 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY


E n t r e :

     YOUNG DRIVERS OF CANADA ENTERPRISES LTD.,

     demanderesse,

     - et -


     JOHN CHAN,

     défendeur,

     - et -


     REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE.




     ORDONNANCE

    

     LA COUR, STATUANT SUR l'appel interjeté par la demanderesse de la décision rendue par le registraire des marques de commerce le 7 février 1997 ;

     APRÈS EXAMEN des observations écrites de la demanderesse et À LA SUITE DE l'audience tenue à Vancouver le 4 mars 1999 :

     REJETTE l'appel et N'ADJUGE aucuns dépens.




     " Allan Lutfy "

     J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.




Date : 19990830


T-636-97

E n t r e :

     YOUNG DRIVERS OF CANADA ENTERPRISES LTD.,

     demanderesse,

     - et -


     JOHN CHAN,

     défendeur,

     - et -


     REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE.

    


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY


[1]      La demanderesse Young Drivers of Canada Enterprises Ltd. interjette appel d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté son opposition à l'enregistrement de la marque de commerce du défendeur John Chan. Le présent appel prévu par la loi est présenté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce1.

[2]      La décision frappée d'appel a été signée par un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce qui agissait au nom du registraire. L'auteur de la décision sera désormais désigné dans les présents motifs sous le nom de " registraire ". Le registraire des marques de commerce n'a pas participé à l'appel.

[3]      Au début de la présente instance, l'avocat du défendeur a précisé qu'il contesterait l'appel mais qu'il ne déposerait pas de réponse ou d'affidavit, compte tenu de l'exposé des faits essentiels de la demanderesse et du dossier du registraire2. L'avocat de la demanderesse ne s'est pas opposé à ce que l'avocat du défendeur formule verbalement des observations lors de l'audition de l'appel.

[4]      Aucun nouvel élément de preuve n'a été présenté dans le cadre du présent appel.

[5]      Les deux parties exploitent chacune une école de conduite automobile. La principale question en litige devant le registraire et devant nous est celle des risques de confusion entre la marque de chacune des parties.

MARQUE DE COMMERCE DE LA DEMANDERESSE : YD et dessin

[6]      La marque de commerce de Young Drivers, YD et le dessin y afférent, consiste en deux pictogrammes routiers bien connus qui sont superposés et placés de biais. Le pictogramme supérieur est en forme de losange et contient la lettre " Y ". Le pictogramme inférieur est un octogone rouge comportant la lettre " D " en son centre. Young Drivers ne revendique aucune couleur en ce qui concerne l'enregistrement de sa marque. La marque de la demanderesse est reproduite ci-dessous :








[7]      Young Drivers a employé sa marque de commerce pour la première fois en 1968. La marque a été enregistrée en 1987 en liaison avec les services suivants :

     [TRADUCTION]
     Cours de conduite automobile, formation des conducteurs et administration d'examens ; sondages ; organisation et direction de rallyes automobiles ; promotion de la sécurité routière.

MARQUE DE COMMERCE DU DÉFENDEUR : JP DEFENSIVE DRIVING SCHOOL et dessin

[8]      La marque de commerce du défendeur John Chan est reproduite ci-dessous :





Dans sa demande d'enregistrement, le défendeur revendique la couleur rouge comme couleur de fond de l'octogone comportant la lettre " J ", et la couleur bleue pour le pentagone ayant la lettre " P ". Les mots " defensive ", " driving " et " school " ne sont pas revendiqués avec la marque de commerce.

[9]      Le défendeur a expliqué que les services qu'il offre en liaison avec sa marque sont les suivants : [TRADUCTION] " cours de conduite automobile, formation des conducteurs et administration d'examens de conduite ".

[10]      M. Chan a employé sa marque pour la première fois en août 1991, époque où il a ouvert son école de conduite. Au cours des deux années précédentes, il avait travaillé comme professeur chez Young Drivers, près de Vancouver, dans la même région que celle où il exploite son entreprise. Sa demande d'enregistrement de la marque JP DEFENSIVE DRIVING SCHOOL et du dessin y afférent a été annoncée en mai 1992 en vue d'inviter tout intéressé à s'y opposer le cas échéant.

DÉCISION DU REGISTRAIRE

[11]      La décision que le registraire a rendue le 7 février 1997 porte principalement sur la question de la confusion à la date pertinente la plus ancienne, soit août 1991, date de la première utilisation du défendeur.

[12]      Le registraire a bien compris le cadre juridique de sa décision. C'était à John Chan qu'il incombait d'établir qu'il n'y avait pas de risque raisonnable de confusion entre les deux marques. Le critère qui permet de déterminer s'il y a confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Les cinq critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas exhaustifs. On peut tenir compte d'autres facteurs pour déterminer si deux marques créent de la confusion. Le poids à accorder à chacun de ces facteurs dépend toutefois des circonstances3.

[13]      Comme la marque de commerce de Young Drivers était composée de lettres de l'alphabet apposées sur un dessin composé de formes géométriques bien connues des automobilistes, le registraire l'a qualifiée de [TRADUCTION] " marque relativement faible ". Le registraire a toutefois reconnu que la marque YD et le dessin y afférent avaient acquis une grande notoriété au Canada par suite de la publicité et de la vente des services de Young Drivers.

[14]      Le registraire a fait remarquer que Young Drivers employait sa marque au Canada depuis plus d'une vingtaine d'années au moment où M. Chan a commencé à utiliser sa propre marque.

[15]      M. Chan n'avait pas limité la description de ses services à un créneau commercial déterminé. Le registraire a conclu que les services et les voies commerciales des parties étaient identiques.

[16]      Dans sa décision, le registraire a fait droit à la demande de M. Chan en se fondant principalement sur son appréciation des critères énoncés à l'alinéa 6(5)e) de la Loi :

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

(e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.


[17]      Dans les paragraphes déterminants de ses motifs, le registraire a déclaré que les marques étaient différentes dans leur présentation et leur son et il a comparé les idées suggérées par chacune. Pour reprendre ses propres termes :

     [TRADUCTION]
     À mon avis, les marques des parties se ressemblent fort peu sur le plan de leur présentation, abstraction faite de l'utilisation de formes géométriques bien connues des automobilistes. Pour ce qui est du son, les marques sont très différentes, étant donné que la marque dont l'enregistrement est demandée serait probablement abrégée en " J.P. ", tandis que celle de l'opposante se prononcerait " Y.D. ". De plus, la marque de l'opposante apparaît souvent avec l'expression " Young Drivers of Canada ", et il n'est donc pas improbable que le public ait été conditionné à associer également la marque YD de l'opposante et le dessin y afférent à l'idée de " jeunes conducteurs ". La marque dont l'enregistrement est demandé suggère également l'idée de cours de conduite étant donné que cette notion fait partie de l'expression DEFENSIVE DRIVING SCHOOL.
     Compte tenu de ce qui précède, et compte tenu du fait que le critère de la confusion est fondé sur la première impression et le souvenir imparfait, je suis convaincu que la demanderesse s'est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les marques en litige ne créent pas de confusion.

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[18]      La demanderesse invoque les propos que le juge Heald a tenus dans l'arrêt Brasserie Labatt Limitée c. Brasseries Molson, société en nom collectif4 :

     Le juge Strayer a exposé avec justesse le rôle de la Cour lors d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi dans l'affaire McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd., (1989), 25 F.T.R. 151; 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), conf. à (1992), 139 N.R. 319 (C.A.F.), à la page 210 [C.P.R.] :
         Il semble clair qu'en matière d'oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte ; cependant, cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles : voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., (1968), 57 C.P.R. 1, à la page 8, 1 D.L.R. (3d) 462, [1969] R.C.S 192, aux pages 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision " manifestement erronée " ou s'il avait simplement " eu tort ", il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui (voir aussi Clorox Co. c. Du Pont (E.I.) Nemours and Co. et al. , (1995), 103 F.T.R. 55, 64 C.P.R. (3d) 79 (C.F. 1re inst.)).
     En conséquence, je me laisserai guider par les principes énoncés ci-dessus pour trancher le présent appel. En fait, je dois tirer ma propre conclusion sur l'exactitude de la décision du registraire, mais je dois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire et du fait qu'aucun élément de preuve nouveau, dont ne disposait pas le registraire, n'a été produit lors du présent appel.

[19]      Pour mieux saisir le sens des propos du juge Heald et mieux comprendre le résumé des observations du juge Strayer sur lesquelles il se fonde, il est utile de revenir aux observations initiales formulées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation :

     [TRADUCTION]
     À mon avis, la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant d'un grand poids et la conclusion d'un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d'autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais, comme l'a dit M. le juge Thorson, alors président de la Cour de l'Échiquier, dans l'affaire Freed and Freed Limited. c. Le Registraire des marques de commerce et autre8 :
         [...] la confiance dans la décision du registraire à l'effet que deux marques sont semblables au point de créer de la confusion ne peut aller jusqu'à affranchir le juge qui entend un appel de cette décision de l'obligation de décider la question en tenant dûment compte des circonstances de l'affaire.
     J'estime donc que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il était loisible au juge Jackett de substituer son propre jugement à celui du registraire [...]5

     _________________

     8      [1950] R.C. de l'Éch. 431, à la page 437, 11 Fox Pat. C. 50, 14 C.P.R. 19, [1951] 2 D.L.R. 7.

Dans cet arrêt, il a été jugé que la nouvelle marque de commerce de cigare GOLDEN CIRCULET ne créerait pas de confusion avec la marque de commerce de cigarette GOLDEN BRAND, qui avait acquis une grand notoriété en six ans.

[20]      Il se peut fort bien que cette norme de contrôle doive être formulée en des termes différents pour tenir compte des arrêts récents rendus par la Cour suprême du Canada dans les affaires Southam6, Pushpanathan7 et Baker8. Si l'on peut à juste titre qualifier la question de la confusion de question mélangée de droit et de fait, la norme de contrôle applicable est encore plus éloignée de celle du bien-fondé de la décision. Les connaissances et compétences spéciales du registraire commandent peut-être une plus grande retenue judiciaire lorsqu'aucun nouvel élément de preuve n'est présenté en appel. La décision à rendre en appel consiste davantage à déterminer si la décision du registraire est " manifestement erronée " ou " déraisonnable "9. Cette question n'a pas été abordée par les parties au cours du débat bien que les avocats aient soumis des observations écrites utiles après l'audition. Comme la question n'a pas été examinée à fond, je me fonde sur le critère qui invite le tribunal d'appel à ne pas faire autant preuve de retenue, critère que le juge Heald a défini dans l'arrêt Labatt Brewing Co.10.

ANALYSE

[21]      Le principal moyen que la demanderesse fait valoir est que le registraire n'a pas accordé " suffisamment de poids ", pour reprendre les termes employés par l'avocat, aux facteurs dont il devait tenir compte pour apprécier les risques de confusion, à savoir : a) la grande notoriété de la marque Young Drivers ; b) le fait que M. Chan avait déjà travaillé pour Young Drivers, immédiatement avant que sa marque ne soit employée pour la première fois ; c) l'absence d'élément de preuve tendant à démontrer que d'autres écoles de conduite utilisent des pictogrammes routiers dans le dessin de leur marque. La demanderesse affirme que, même s'il a conclu à juste titre que le critère applicable était celui de " la première impression et du souvenir imparfait ", le registraire a commis une erreur de droit en comparant les deux marques avant de conclure que M. Chan avait démontré que sa marque ne créait pas de confusion avec celle de Young Drivers.

[22]      Les similitudes et les différences qui existent entre les marques sont évidentes.

[22]      Les deux dessins évoquent des panneaux de signalisation routière qui, dans les deux cas, sont juxtaposés avec le pictogramme du haut placé à la gauche. Chaque dessin comprend un octogone rouge11. Les deux marques de commerce sont composées de dessins géométriques renfermant une lettre majuscule. Ces lettres majuscules sont de couleur semblable dans le cas des deux marques.

[24]      En revanche, les marques, abrégées par les majuscules YD et JP, sont composées de lettres différentes. Elles sont différentes sur le plan visuel. Leur prononciation est différente. Le symbole de l'octogone, qui est commun à chaque marque, est le pictogramme routier du bas dans le cas du dessin de Young Drivers. L'octogone est placé plus haut dans le cas du dessin du défendeur. Les couleurs de fond des autres symboles sont différentes.

[25]      Dans l'affidavit qu'il a déposé devant le registraire, M. Chan a reconnu qu'il connaissait le logo de Young Drivers lorsqu'il a dessiné sa marque de commerce. Pour reprendre ses propres mots : [TRADUCTION] " J'ai consciemment tenté de dessiner mon pictogramme en m'inspirant de panneaux de signalisation routière et en utilisant des couleurs et un arrangement différents de ceux de Young Drivers. J'ai par ailleurs utilisé les couleurs couramment associées aux formes précises employées pour la signalisation routière ". M. Chan n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit12.

[26]      L'argument qu'invoque la demanderesse pour affirmer qu'il y a risque de confusion repose sur l'utilisation de pictogrammes routiers, juxtaposés de la même manière, avec une lettre majuscule de l'alphabet dans chaque pictogramme et la même couleur rouge pour le fond de l'octogone. Suivant la demanderesse, l'emploi que M. Chan a déjà exercé chez Young Drivers rend encore plus onéreux le fardeau qui lui incombe d'établir qu'il n'y a pas de risque de confusion entre les deux marques.

[27]      Le registraire a apprécié les faits à la lumière des critères énumérés au paragraphe 6(5) et d'autres facteurs pertinents. Il a cru comprendre que M. Chan était un ancien employé de Young Drivers et qu'il en connaissait la marque. Il a toutefois estimé que l'utilisation de lettres de l'alphabet et de formes géométriques bien connues des automobilistes donnait lieu à une marque relativement faible, malgré la grande notoriété que la marque Young Drivers avait acquise au Canada. Le registraire a accordé plus de poids à ce qu'il a estimé être le peu de ressemblance qui existait entre les marques dans la présentation et le son. C'était à son avis le facteur pertinent le plus important.

[28]      L'utilisation de pictogrammes routiers dans le cas des deux marques serait un facteur permettant de conclure à la confusion en raison de la ressemblance entre les marques " dans les idées qu'elles suggèrent ", au sens de l'alinéa 6(5)e) . Dans son ouvrage classique13, Fox aborde cette question dans le contexte de deux mots qui suggèrent la même idée :

     [TRADUCTION]
     Dans le cas où une partie soutient que deux mots créant de la confusion parce qu'ils évoquent la même idée, il faut prendre en considération la nature de ces mots. S'ils possèdent un caractère distinctif, c'est-à-dire s'ils ont été inventés, de petites différences ne suffisent pas pour les distinguer, mais s'il s'agit de mots communs ou de termes descriptifs, qui les adopte, adopte aussi leurs désavantages. Personne n'a le droit de s'attribuer l'usage exclusif du vocabulaire général ni de s'approprier des mots courants pour couvrir un domaine étendu. [Renvois omis.]

À mon avis, le même principe s'applique dans le cas de l'utilisation par une école de conduite de panneaux routiers non inventifs. Par exemple, le choix de l'octogone, symbole couramment utilisé pour indiquer l'obligation de s'arrêter, comporte un inconvénient, en l'occurrence le fait que l'autre partie peut utiliser le même pictogramme pour un dessin différent.

[29]      L'examen de la jurisprudence invoquée par le demandeur m'a par ailleurs convaincu que la décision du registraire ne doit pas être modifiée. Les faits du présent appel peuvent aisément être distingués de ceux des affaires invoquées par le demandeur.

[30]      Dans le jugement Brasserie Labatt Ltée c. Brasseries Molson, société en nom collectif14, les marques concurrentes de deux brasseries portaient respectivement le nom de COUNTRY CLUB et de CLUB ALE, et chacune comprenait une feuille de trèfle stylisée différente dans son dessin. Pour souscrire à la conclusion du registraire, le juge Dubé a fait remarquer qu'il avait " assez de similitude " entre les deux marques pour pouvoir conclure à un risque de confusion dans l'esprit du consommateur.

[31]      Dans le jugement Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd.15, le juge Rouleau a statué que la marque de commerce " bien connue " de l'équipe de hockey professionnel de Toronto devait se voir accorder une large protection. Il a confirmé le refus du registraire d'enregistrer la marque LEAF incorporée au dessin stylisé d'une feuille d'érable qu'utilisait le fabricant d'une gomme à claquer. Le juge Rouleau a déclaré [TRADUCTION] : " Il suffit que [Maple Leaf Gardens Ltd.] soit en mesure d'établir que l'utilisation de la marque [de Leaf Confection Ltd.] amènerait probablement à conclure que les marchandises associées à celle-ci et celles qui sont associées à la marque enregistrée ont été produites par la même personne ".

[32]      La demanderesse invoque également deux décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce à l'appui de sa thèse. Dans la première, l'opposition à l'enregistrement a été accueillie dans une affaire où la marque projetée de la demanderesse mettait en relief la lettre majuscule C entre guillemets. La lettre C, qui était mise en majuscules et aussi entre guillemets, était pareillement employée dans une marque qui avait déjà été lancée par un autre fabricant de boissons gazeuses non alcoolisées16. Dans la seconde décision, la demanderesse vendait des bijoux arborant une marque proposée dans laquelle on trouvait le mot OMEGA ainsi qu'un dessin stylisé du symbole de cette lettre de l'alphabet grec17. Dans cette affaire, l'opposante était un horloger dont la marque OMEGA et le dessin y afférent, une autre représentation de la lettre de l'alphabet grec, avaient acquis une réputation au Canada grâce à de fortes ventes.

[33]      Le demandeur a également invoqué deux décisions américaines dans lesquelles les marques BLUE SHIELD et RED SHIELD étaient utilisées par des établissements qui vendaient de l'assurance-hospitalisation18 et dans lesquelles la marque BLACK & WHITE était utilisée par des fabricants de whisky et de bière19. Le demandeur a parlé de ces affaires comme des exemples d'une personne qui profite du travail et de la réputation d'autrui de sorte qu'il y a lieu de présumer qu'il y a eu tromperie et confusion.

[34]      Il est facile d'établir une distinction entre les faits du présent appel et ceux des affaires citées par le demandeur. L'emploi de lettres ou de mots communs ou identiques dans les marques CLUB, LEAF, " C ", OMEGA, SHIELD et BLACK & WHITE ne se retrouve pas dans les marques YD et JP. En l'espèce, les deux pictogrammes routiers, dont un seul est similaire, renferment des lettres de l'alphabet qui sont différentes et qui ont un aspect et un son différent. Pour paraphraser le paragraphe 6(2) de la Loi, il est improbable, à mon avis, que les étudiants de l'école de conduite concluent que les services associés aux marques YD et JP et aux dessins y afférents sont fournis par la même personne, même avec l'utilisation de pictogrammes de circulation semblables.

[35]      Ainsi que le juge Heald l'a déclaré, je dois tirer ma propre conclusion au sujet du bien-fondé de la décision du registraire, en tenant compte de ses connaissances et compétences spécialisées. Vu l'ensemble de la preuve, je suis convaincu qu'il était loisible au registraire de conclure que ces deux marques ne risquent pas de créer de la confusion, selon le principe de la première impression et du souvenir imparfait. J'en suis arrivé à la même conclusion que celle du registraire.


[36]      Les apprentis automobilistes choisissent normalement de s'inscrire à des cours de conduite automobile après y avoir réfléchi un certain temps. Il ne s'agit pas de produits concurrentiels " immédiatement disponibles ". Il est, à mon avis, fort douteux que [TRADUCTION] "la personne moyenne dotée d'une intelligence moyenne et agissant avec une prudence ordinaire20 " reçoive les services offerts sous la marque de la défenderesse en croyant à tort qu'elle a affaire à Young Drivers. Il est vrai que c'était à M. Chan qu'il incombait d'établir qu'il n'existait pas de risque raisonnable de confusion entre les deux marques, mais je constate qu'aucun nouvel élément de preuve n'a été présenté dans le présent appel, pas même d'éléments de preuve d'anecdote survenue depuis 1992 qui permettrait de conclure à la possibilité d'une confusion.

[37]      Pour apprécier les facteurs pertinents, le registraire a fait pencher la balance en faveur de sa perception des différences des marques dans la présentation et le son par rapport à l'utilisation courante de signaux routiers dans un dessin conçu par un ancien employé de Young Drivers. Pour en arriver à ma propre conclusion, j'ai tenu compte de la juxtaposition similaire des pictogrammes dans chaque marque. Dans les deux cas, les symboles du haut se trouvent à gauche. À mon avis, même si le registraire ne mentionne pas expressément la question dans ses motifs, j'accorde moi aussi une plus grande importance aux différences visuelles et auditives qui existent entre les marques qu'à la similitude de la juxtaposition des signaux de circulation. Il ressort de la preuve que les deux marques de commerce ne créent pas de confusion.

[38]      La décision du registraire n'est entachée d'aucune erreur de fait justifiant un contrôle judiciaire et elle ne va pas à l'encontre de la jurisprudence actuelle. Faute de nouveaux éléments de preuve, la décision frappée d'appel n'est pas mal fondée.

[39]      Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire que je considère le moyen que le demandeur tire de l'alinéa 30i).

[40]      En conséquence, le présent appel sera rejeté. Vu la participation limitée du défendeur au présent appel, il n'y a pas d'adjudication de dépens.

     " Allan Lutfy "

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 30 août 1999

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-636-97


INTITULÉ DE LA CAUSE :      YOUNG DRIVERS OF CANADA ENTERPRISES LTD. c. JOHN CHAN et autre


LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)


DATE DE L'AUDIENCE :      LE 4 MARS 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Lutfy le 30 août 1999



ONT COMPARU :

Me Kenneth D. McKay                      pour la demanderesse

Me Alex Sweezy                          pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

SIM, HUGHES, ASHTON & MCKAY              pour la demanderesse

Toronto (Ontario)


GOODWIN & MARK                      pour le défendeur

New Westminster (Colombie-Britannique)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. T-13.

2      Le dépôt de la réponse est traité au paragraphe 59(2) de la Loi et à l'article 704 des Règles de la Cour fédérale, dans leur rédaction en vigueur au moment de l'introduction du présent appel. L'article 310 des Règles actuelles obligerait le défendeur à déposer un dossier.

3      Dossier de la demande de la demanderesse, aux pages 7 et 8.

4      (1996), 113 F.T.R. 39, aux pages 43 et 44. La demanderesse a cité le jugement Advance Magazine Publishers Inc. c. Masco Building Products Corp., [1999] F.C.J. No. 115 (QL) (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge en chef adjoint a fait siens les propos tenus par le juge Heald dans l'arrêt Labatt Brewing Co.

5      [1969] R.C.S. 192, à la page 200 (le juge Ritchie).

6      Canada (directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

7      Pushpanathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

8      Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] S.C.J. No. 39.

9      Southam Inc., supra, note 6, au paragraphe 60 et Baker, supra, note 8, au paragraphe 62.

10      Supra, au paragraphe 18.

11      Suivant le British Columbia Motor Vehicle Branch Safe Driving Guide, l'octogone signifie toujours " Arrêt " (dossier de la demande du demandeur, aux pages 70 et 74, qui font partie de l'affidavit de John Chan).

12 Dossier de la demande du demandeurs, aux pages 70 et 71. L'article 44 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195, prévoit que, saisi d'une demande à cet effet, le registraire peut ordonner la tenue d'un contre-interrogatoire.

13      Harold G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, Toronto, Carswell, 1972.

14      (1992), 42 C.P.R. (3d) 481 (C.F. 1re inst.), à la page 488. Il est intéressant de signaler les propos suivants du juge Dubé : " La décision du registraire sur la question de la probabilité de confusion est une conclusion de fait à laquelle il ne faudrait pas toucher en appel, à moins que le registraire se soit clairement trompé ". [Mots non soulignés dans l'original.]

15      (1986), 12 C.P.R. (3d) 511 (C.F. 1re inst.).

16      Canada Dry Ltd. c. H. Ford Sales Ltd., (1985), 7 C.P.R. (3d) 546 (C.O.M.C.).

17      Omega S.A. c. Laye (1988), 22 C.P.R. (3d) 180 (C.O.M.C.).

18      National Association of Blue Shield Plan v. United Bankers Life Insurance Co., 362 F.2d 374 (5th Cir. 1966).

19      Fleishman Distilling Corp. v. Maier Brewing Company, 314 F.2d 149 (9th Cir. 1963).

20      Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada"s Manitoba Distillery Ltd., (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), à la page 5.

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