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Date : 20020524

Dossier : T-2799-96

Ottawa (Ontario), le vendredi 24 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                 KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.

demanderesses /

défenderesses reconventionnelles

                                                                                   et

                                  GESTIONS RITVIK INC. / RITVIK HOLDINGS INC.

défenderesse /

demanderesse reconventionnelle

                                                                        JUGEMENT

Pour les motifs prononcés en ce jour,

LA COUR ORDONNE QUE

-            l'action des demanderesses soit rejetée;

-            la demande reconventionnelle de la défenderesse soit rejetée;

-            un jugement complémentaire soit prononcé sur les dépens, s'il y a lieu.

« Frederick E. GIBSON »

   Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


Date : 20020524

Dossier : T-2799-96

Référence neutre : 2002 CFPI 585

ENTRE :

                                                 KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.

demanderesses /

défenderesses reconventionnelles

                                                                                   et

                                  GESTIONS RITVIK INC. / RITVIK HOLDINGS INC.

défenderesse /

demanderesse reconventionnelle

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE GIBSON :

INTRODUCTION


[1]                 Les présents motifs font suite à un procès où KIRKBI AG (KIRKBI) et LEGO Canada Inc. (LEGO Canada), ci-après désignées collectivement « les demanderesses » , ont essayé de prouver que la défenderesse, Gestions Ritvik Inc./Ritvik Holdings Inc. (Ritvik), avait appelé l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'elle a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises et celles du Groupe LEGO[1]. La formule qui précède reprend pour l'essentiel l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce[2] (la Loi) et - nous en reparlerons plus loin - le concept de common law de « commercialisation trompeuse » .

[2]                 L'allégation de commercialisation trompeuse se rapporte en particulier à la thèse selon laquelle Ritvik aurait adopté, et aurait utilisé sur une grande échelle dans la promotion et la commercialisation de sa série de jeux de construction MICRO, ce que les demanderesses et les sociétés apparentées (le Groupe LEGO) appellent la « marque figurative LEGO » , qu'elles représentent et décrivent comme suit :

La marque figurative LEGO :

[Traduction] un agencement rectilinéaire de protubérances uniformes, à côtés lisses, à sommet plat, cylindriques et coplanaires, dont la hauteur, le diamètre et l'entraxe sont respectivement dans un rapport d'environ 2 : 5 : 8. Lorsqu'il y a plus d'une rangée de protubérances, celles-ci sont disposées en rangées et colonnes orthogonales.


Le meilleur exemple de cette marque figurative est ce qu'on décrit habituellement comme la face supérieure de la brique familière des jeux de construction LEGO dans sa configuration peut-être la mieux connue, celle qui comporte huit protubérances ou tenons. Tout au long de l'instruction, cette configuration de la brique LEGO a été désignée « brique LEGO 2 x 4 » , étant donné que les tenons y sont « agencés » de manière « orthogonale » en deux rangées de quatre tenons et quatre colonnes de deux.

[3]             Plus précisément, les demanderesses formulent les allégations suivantes dans le deuxième exposé modifié de la demande, déposé le 11 janvier 2002 :

[Traduction] [...] depuis 1991 ou à peu près, [Ritvik] vend des briques et autres éléments de jeux de construction comportant la marque figurative LEGO. Les briques et autres éléments des jeux de construction de [Ritvik] présentent les mêmes caractéristiques que celles, décrites plus haut, qui appartiennent àla marque figurative LEGO, c'est-à-dire un agencement rectilinéaire de protubérances uniformes, à côtés lisses, à sommet plat, cylindriques et coplanaires, dont la hauteur, le diamètre et l'entraxe sont dans un rapport d'environ 2 : 5 : 8. Lorsqu'il y a plus d'une rangée de protubérances, celles-ci sont disposées en rangées et colonnes orthogonales.

Les briques et autres pièces de [Ritvik] sont vendues dans des contenants et emballages sur lesquels sont représentés ces briques et autres pièces aussi bien que des objets construits àpartir d'elles. La marque figurative LEGO apparaît sur les couvercles d'au moins certains des emballages de [Ritvik]. De plus, les briques et autres pièces de [Ritvik] sont peintes dans des tons de rouge, de blanc, de bleu, de jaune, de vert et de noir identiques àceux des éléments LEGO.


[Ritvik] vend ses jouets, c'est-à-dire ses briques et autres pièces de jeux de construction, dans les mêmes circuits commerciaux que les demanderesses, et dans le même genre de magasins. Il arrive souvent que les jouets des demanderesses et ceux de [Ritvik] soient présentés côte à côte sur les rayons. La ressemblance des jouets et de leurs emballages fait qu'il est difficile pour les consommateurs de distinguer ceux des demanderesses de ceux de [Ritvik]. Qui plus est, les « marques de commerce » adoptées par [Ritvik] ne réduisent pas la probabilitéde confusion, étant donné qu'elles sont formées de termes très expressifs, voire nettement descriptifs (par exemple : MEGA BLOKS, MEGA BLOKS +, MEGA WEE BLOKS et MICRO MEGA BLOKS), dépourvus de caractère distinctif inhérent. L'emploi de tels termes sur des emballages qui ressemblent àceux des demanderesses pour vendre des jouets - c'est-à-dire des briques et autres pièces de jeux de construction - comportant par ailleurs la marque figurative LEGO, augmente plus qu'il ne réduit la probabilité de confusion entre les marchandises des demanderesses et celles de [Ritvik].

[4]                 À la clôture de l'instruction, j'ai sursis au prononcé de ma décision et fait savoir que les présents motifs et le jugement correspondant suivraient. Le lecteur trouvera en annexe des présents motifs une table des matières dont les titres et sous-titres renvoient à la fois aux numéros de page et de paragraphe pour faciliter la consultation.

LE CONTEXTE

[5]                 À l'ouverture de l'instruction, les avocats ont produit en bonne et due forme un exposé conjoint des faits[3], ainsi libellé :

[Traduction]

A.            Les demanderesses :

1.             La demanderesse KIRKBI AG est une société de portefeuille de droit helvétique dont le siège est en Suisse et qui s'occupe de gestion des biens, y compris des marques de commerce.

2.             La demanderesse LEGO Canada Inc. est une société qui a été constituée sous le régime ontarien en mai 1988 et dont le siège est situé au 45, rue Mural, bureau 7, à Richmond Hill (Ontario).

3.             Les demanderesses sont toutes deux membres du Groupe LEGO. Celui-ci comprend aussi INTERLEGO A.G., INTER LEGO A.S. [et] LEGO Systems Inc.


4.             KIRKBI AG appartient à M. Kjeld Kirk Kristiansen et à sa soeur. LEGO Canada Inc. appartient en propriété exclusive à INTERLEGO A.G., laquelle appartient en propriété exclusive à M. Kjeld Kirk Kristiansen. Celui-ci est président du conseil d'administration de la LEGO Foundation. La LEGO Foundation et les sociétés du Groupe LEGO appartiennent toutes directement ou indirectement à la famille Kirk Kristiansen, et pour la plus grande partie à M. Kjeld Kirk Kristiansen.

B.            Les défenderesses

5.             Gestions Ritvik Inc. est une société de droit canadien ayant son siège à Saint-Laurent (Québec).

6.             Jouets Ritvik Inc. a fabriqué et vendu au Canada la série MICRO des jouets MEGA BLOKS jusqu'à sa dissolution[4].

7.             La société Jouets Ritvik Inc. a été dissoute en 1998 et n'existe plus. Depuis cette dissolution, c'est la société Gestions Ritvik Inc. qui fabrique et vend au Canada la série MICRO des jouets MEGA BLOKS.

8.             L'ensemble des actifs et des passifs de Jouets Ritvik Inc., y compris toute responsabilité découlant de la présente action, a été pris en charge par Gestions Ritvik Inc. (ci-après désignée « Ritvik » ). L'abandon de la présente action contre Jouets Ritvik Inc. n'influe pas sur la responsabilité de Gestions Ritvik Inc. à l'égard de l'activité exercée par Jouets Ritvik Inc. de 1991 à sa dissolution. Gestions Ritvik Inc. succède à Jouets Ritvik Inc. aux fins de la présente action.

C.            Les jouets LEGO

9.             M. Godtfred Kirk Christiansen (le père de M. Kjeld Kirk Kristiansen) et son père, M. Ole Kirk Christiansen (donc le grand-père de M. Kjeld Kirk Kristiansen), le fondateur du Groupe LEGO, se sont procuré des échantillons des jouets emboîtables KIDDICRAFT en 1947 ou 1948[5].

10.           Les échantillons des jouets emboîtables KIDDICRAFT ont amené M. Godtfred Kirk Christiansen à fabriquer les premiers jouets LEGO.

11.           Les jouets LEGO ont été vendus au Canada pendant la durée du brevet canadien no 443,019 (brevet Page)[6].

12.           Les membres du Groupe LEGO vendent des jeux de construction en plastique sous la marque de commerce LEGO depuis 1949.


13.           La marque de commerce LEGO est déposée au Canada.

14.           L'apparence extérieure des briques LEGO 2 x 4 vendues au Canada est pour l'essentiel la même depuis au moins 1961.

15.           Les briques LEGO sont présentées dans les mêmes tons de rouge, blanc, bleu, jaune, vert et noir depuis 1961. De nombreuses autres couleurs ont aussi été utilisées.

16.           Les produits LEGO ont été ou sont vendus au Canada sous les formes représentées dans les catalogues depuis les années respectives de ceux-ci[7].

17.           Les produits LEGO ont été ou sont vendus au détail partout au Canada dans de nombreux établissements, notamment de nombreux magasins à succursales multiples tels que La Baie, Eaton, Zeller's, Toys 'R' Us, Sears, Wal-Mart et le Club Price.

18.           Des millions de jeux LEGO ont été vendus au Canada depuis 1961. Les produits LEGO sont les jeux de construction qui s'y vendent le plus.

19.           La publicité des produits LEGO au Canada se fait à la télévision, par des imprimés et dans des expositions commerciales.

20.           Les chiffres des ventes des produits LEGO au Canada depuis 1989 sont les suivants :

1989 - 17 742 095 $

1990 - 21 509 799 $

1991 - 29 413 378 $

1992 - 37 634 235 $

1993 - 41 350 371 $

1994 - 37 682 728 $

1995 - 39 299 022 $

1996 - 44 712 879 $

1997 - 43 438 311 $


1998 - 44 092 846 $

D.     Les jouets de Ritvik

21.     La société Jouets Ritvik Inc. a été fondée par M. Victor Bertrand père en 1967[8].

22.     Les marques de commerce RITVIK, MEGA BLOKS et MICRO MEGA BLOKS sont déposées au Canada.

23.     Ritvik a commencé en 1985 à fabriquer et à vendre au Canada sous la marque MEGA BLOKS des jeux de construction consistant en briques extra-grandes destinées spécialement aux enfants en bas âge, chaque brique comportant sur une de ses faces des saillies ou tenons qui s'adaptent à la face opposée d'une autre brique sans effet de fixation. Ce produit a été rebaptisé MAXI MEGA BLOKS en 1991[9].

24.     En 1989, Ritvik a lancé une deuxième série de jeux consistant en briques et autres pièces plus petites que les MAXI, chacune de ces briques ou pièces comportant sur une des ses faces des saillies en forme de cylindres évidés qui s'adaptent à la face opposée d'un autre élément. Cette série, désignée à l'origine MEGA « WEE » BLOKS, porte depuis 1991 le nom de série MINI des jeux MEGA BLOKS.

25.     Ritvik a commencé en 1991 à fabriquer et à vendre la série MICRO de ses jeux de construction MEGA BLOKS. C'est la série MICRO qui forme l'objet de la présente action.

26.     En 1997, Ritvik a lancé une nouvelle série de MEGA BLOKS baptisée BABY SOFT BLOCKS. Cette série consiste en briques et autres pièces molles extra-grandes destinées aux bébés de trois à dix-huit mois. Elle a depuis été rebaptisée BABY MEGA BLOKS.

27.     Les jouets MICRO de Ritvik sont faits de plastique de polystyrène choc et d'autres matières[10].


28.     Les jeux de construction de marque LEGO et les jeux de construction de marque MEGA BLOKS sont vendus dans les mêmes circuits commerciaux.

E.     Le marchéde détail

29.     Les grands détaillants présentent en général ensemble tous les jeux de construction, de sorte que les jeux de marque LEGO et ceux de marque MEGA BLOKS se trouvent souvent dans les mêmes rayons.

F.     La marque figurative LEGO

30.     Les demanderesses soutiennent en l'espèce que la configuration des tenons des produits LEGO constitue un « signe distinctif » .

G.     La fonctionnalité

31.     Les tenons d'une pièce LEGO peuvent s'adapter en totalité ou en partie à tout ou partie de la face inférieure d'une autre pièce LEGO. L' « effet de fixation » liant les pièces emboîtées est obtenu par le frottement entre les tenons de l'une et les cylindres creux et/ou les parois de la face inférieure de l'autre.

H.     Les brevets

32.     M. Harry Fisher Page, sujet britannique, a conçu, fabriquait et vendait les jeux de construction composés de briques à saillies cylindriques commercialisés sous la marque KIDDICRAFT.

33.     M. Page a fait breveter ses jeux de construction àbriques emboîtables au Royaume-Uni, au Canada et en France. Ces brevets, maintenant expirés, sont les suivants :

        a.      brevet canadien no 443,019, délivré le 22 juillet 1947;

b.      brevet britannique no 529,580, délivré le 25 novembre 1940;

        c.      brevet britannique no 587,206, délivré le 17 avril 1947;

        d.      brevet britannique no 633,055, délivré le 12 décembre 1949;

        e.      brevet britannique no 673,857, délivré le 11 juin 1952;

        f.      brevet français no 916,078.

34.     Les demanderesses et leurs ayants cause ont déposé entre autres les brevets suivants :


        a.      brevet canadien no 629,732, délivré à Godtfred Kirk Christiansen le 24 octobre 1961;

        b.      brevet canadien no 880,418, délivré à Godtfred Kirk Christiansen le 7 septembre 1971[11].

[6]                 Je compléterai ce qui précède par un exposé tiré des dépositions faites pour le compte des demanderesses par M. Kjeld Kirk Kristiansen, président du conseil d'administration de la LEGO Foundation (comme il est précisé dans l'exposé conjoint des faits), Me Sten Juul Petersen, avocat employé par le Groupe LEGO de 1974 à 1999, et M. Per Norgaard Randers, employé de longue date du Groupe LEGO et résident de Hong Kong.

[7]                 L'entreprise de fabrication de jouets LEGO a été fondée en 1932 par le grand-père de M. Kjeld Kirk Kristiansen à Billund, ville du Danemark où se trouvent maintenant le siège mondial du Groupe LEGO et le parc d'attractions LEGO-Land. À l'origine, cette entreprise produisait des jouets de bois. « LEGO » est un mot-valise formé à partir de deux mots danois signifiant « bien jouer » .

[8]                 Les briques emboîtables KIDDICRAFT furent fabriquées au Royaume-Uni et vendues dans ce pays (et peut-être d'autres) de 1947 à 1951. Ces briques étaient fabriquées à partir de la technique divulguée dans les brevets Page, auxquels renvoie l'exposé conjoint des faits.


[9]                 C'est en 1949 que le Groupe LEGO a commencé à vendre des jouets de plastique et, en particulier, des jeux de construction en cette matière. La première génération de briques LEGO, lancée en 1949, s'inspirait des briques KIDDICRAFT. Le Groupe LEGO a par la suite acheté les droits du brevet Page afférents aux briques KIDDICRAFT.

[10]            Une deuxième génération de briques LEGO a vu le jour en 1954. La production de la troisième génération (encore en cours) de briques LEGO a commencé en 1957. On y utilisait pour la première fois l'invention faisant l'objet du premier brevet de base de LEGO - le brevet canadien no 629,732 - , à savoir les cylindres creux alignés sur la face inférieure des briques LEGO qui renforcent l' « effet de fixation » du dispositif d'emboîtement LEGO.

[11]            Les briques LEGO sont vendues au Canada depuis au moins 1961. De 1961 à 1988, elles ont été fabriquées et commercialisées au Canada par Samsonite en vertu d'une licence concédée par le Groupe LEGO. À la fin de 1988, la licence de Samsonite a pris fin, et la société LEGO Canada a été créée pour remplir les fonctions de commercialisation au Canada. Il ne se fabrique plus de briques LEGO au Canada depuis la fin de la licence de Samsonite. À l'heure actuelle, le Groupe LEGO a des établissements de fabrication au Danemark, en Suisse, en Chine et à Enfield (Connecticut), ainsi que, pour un marché régional, en Corée.

[12]            Les tenons apparaissant sur la face supérieure de la brique LEGO sont restés une caractéristique inchangée et dominante de l'ensemble des briques LEGO depuis 1949. Depuis au moins 1958, l'inscription « LEGO » apparaît sur le dessus de chaque tenon. On retrouve souvent ces tenons et leur configuration dans la publicité de LEGO Canada au Canada, notamment dans les annonces télévisées, dans le matériel de promotion aux points de vente et sur les emballages. L'inscription « LEGO » apparaît normalement sur les tenons représentés dans cette publicité, mais pas dans tous les cas.

[13]            Le Groupe LEGO s'est montré très énergique dans ses efforts pour protéger et défendre son « achalandage » , y compris celui qui est fondé sur la configuration de ses produits. Cela dit, il n'a pas été produit devant la Cour d'éléments tendant à prouver que la marque figurative LEGO aurait été désignée sur les emballages ou dans le matériel publicitaire utilisés au Canada comme un élément revendiqué (quoique non enregistré) de l' « achalandage » du Groupe LEGO.

[14]            Le bref exposé complémentaire qui suit des faits relatifs à Ritvik est en grande partie tiré du témoignage de M. Victor Bertrand fils, le directeur actuel de l'exploitation de cette entreprise.


[15]            La société Ritvik, sous sa première forme juridique, a été fondée en 1967 par M. Victor Bertrand père et son épouse Rita, les parents des dirigeants actuels de Ritvik. Au début, Ritvik était un distributeur de jouets fabriqués par d'autres entreprises. Au milieu des années 70, elle a commencé à fabriquer sa propre gamme de jouets moulés par injection pour enfants d'âge préscolaire, notamment des véhicules-jouets et produits assimilés, ainsi que des meubles en plastique.

[16]            Au début des années 80, Ritvik a commencé à concentrer de plus en plus ses efforts sur sa propre gamme de produits, dans l'intention d'accroître son indépendance. Elle a alors choisi d'axer son activité en priorité sur les jeux de construction, en commençant par ceux destinés aux enfants d'âge préscolaire.

[17]            À la fin des années 80 et au début des années 90, Ritvik a décidé de « grandir » avec les enfants qui s'étaient habitués à ses jouets pour âge préscolaire et a lancé en 1991 sa série MICRO MEGA BLOKS, inspirée des briques LEGO et TYCO. Les briques TYCO étaient aussi inspirées des briques LEGO et se vendaient sur une grande échelle aux États-Unis, où elles étaient fabriquées, ainsi que dans d'autres pays, dont le Canada. TYCO s'est retirée du marché des jeux de construction à peu près au moment où Ritvik a lancé sa série MICRO.

[18]            Les jeux de construction de la série MICRO de Ritvik représentent aujourd'hui à peu près la moitié du chiffre d'affaires mondial de cette société. En 2001, Ritvik vendait ses jouets dans plus de 100 pays et était le premier fabricant de jouets au Canada, aussi bien par le nombre de salariés que par le chiffre d'affaires.


LES MESURES DE RÉPARATION DEMANDÉES

[19]            Les mesures de réparation demandées par LEGO sont énumérées dans le deuxième exposé modifié de sa demande, dont le passage pertinent est ainsi libellé :

[Traduction]

1)             Une déclaration portant que la demanderesse Kirkbi est le propriétaire de la marque figurative LEGO;

2)             Une déclaration portant que la défenderesse, en fabriquant et vendant des briques et autres pièces portant la marque figurative LEGO, a porté atteinte aux droits de marque de la demanderesse Kirkbi, en violation de la loi et notamment de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;

3)             Une injonction permanente interdisant à la défenderesse, à ses dirigeants, administrateurs, mandataires, préposés, employés, successeurs, ayants droit et concessionnaires, ainsi qu'à toute société liée ou apparentée à la défenderesse, d'accomplir directement ou indirectement les actes suivants :

                 a)             faire, utiliser, vendre ou offrir en vente un produit quelconque en liaison avec la marque figurative LEGO ou avec toute autre marque de commerce ou indication qui lui ressemblerait au point de prêter à confusion ou en constituerait une imitation déguisée;

                 b)             appeler l'attention du public sur ses marchandises ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses marchandises et son entreprise et celles des défenderesses;

4)             Une ordonnance prescrivant à la défenderesse de remettre sous la foi du serment ou sous la surveillance de la Cour tous les articles - c'est-à-dire tous les jouets, notamment les briques et autres éléments de jeux de construction, tous les moules servant à leur fabrication, ainsi que tous les emballages, étiquettes et matériels publicitaires ou autres - dont l'utilisation contreviendrait à toute injonction accordée dans la présente instance, et de prendre des mesures pour mettre fin à tout autre emploi de la marque figurative LEGO, notamment sur logiciel ou sur Internet, ou subsidiairement, une ordonnance de destruction des articles susdits sous la foi du serment ou sous la surveillance de l'honorable Cour;

5)             Des dommages-intérêts de 25 000 000 dollars pour l'emploi illicite de la marque figurative LEGO de la demanderesse Kirkbi, pour commercialisation trompeuse et pour agissements contraires à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, ou la restitution des profits de la défenderesse, au choix des demanderesses;


6)             Des intérêts pour les périodes antérieure et postérieure au jugement;

7)             Toutes les taxes applicables, y compris la taxe sur les produits et services, auxquelles les demanderesses pourraient avoir droit;

8)             Toute autre mesure de réparation que l'honorable Cour estimerait justifiée.

[20]            Le paragraphe 7) de la citation qu'on vient de lire a été modifié d'un commun accord des parties à l'instruction, de manière à comprendre les dépens ainsi que les taxes applicables.

[21]            Dans sa demande reconventionnelle, Ritvik réclame les mesures de réparation suivantes :

[Traduction]

a)             une déclaration portant que la demanderesses reconventionnelle a le droit de continuer à faire, offrir en vente et vendre au Canada les séries de briques et autres éléments de jeux de construction MICRO et MINI qu'elle vend actuellement au Canada sous la marque de commerce MEGA BLOKS;

b)             les dépens afférents à la présente demande reconventionnelle, sur la base avocat-client ou, subsidiairement, fixés au maximum de la colonne V du tarif B des Règles de la Cour fédérale, avec toutes les taxes applicables, y compris la taxe sur les produits et services, auxquelles la demanderesse reconventionnelle pourrait avoir droit;

c)             toute autre mesure que l'honorable Cour estimerait justifiée.

EXPOSÉ DES QUESTIONS EN LITIGE

[22]            Les avocats ont déposé à l'ouverture de l'instruction un exposé conjoint des questions en litige dont le texte suit[12] :


[Traduction]

Titre

1.             Les demanderesses ont-elles un intérêt reconnu par la loi dans tous droits de marque qu'elles font valoir au Canada relativement à la « marque figurative Lego » ? Cette question ne comprend pas le contrôle de qualité des titulaires de licence ni ne met en cause l'authenticité de quelque document que ce soit relatif à la concession de licences ou à la cession d'autres droits.

Alinéa 7b)

2.             Laquelle des deux thèses suivantes est juste?

                 a)             celle des demanderesses selon laquelle la « marque figurative Lego » est une marque de commerce et peut donc fonder une action sous le régime de l'alinéa 7b);

                 b)             celle des défenderesses selon laquelle cette marque figurative ne constitue pas une marque de commerce valide parce qu'elle possède au moins l'une des caractéristiques suivantes :

                                  i)              elle est fonctionnelle;

                                  ii)             elle a été revendiquée et/ou divulguée dans des brevets expirés;

                                  iii)            elle n'est pas distinctive;

                                  iv)            elle n'a jamais été employée comme marque de commerce par les demanderesses.

3.             Les demanderesses ont-elles, en violation de l'alinéa 7b), appelé l'attention du public sur leurs jeux de construction « MICRO » en employant la « marque figurative Lego » de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'elles ont commencé à y appeler ainsi l'attention, entre lesdits jeux « MICRO » et les jeux de construction « LEGO » des demanderesses?

4.             Quand les défenderesses ont-elles « commencé à y appeler ainsi l'attention » ?

Nota : Le règlement des questions relatives à l'importance de la violation et à la quantification de la réparation pécuniaire est reporté conformément à l'ordonnance en date du 9 juillet 1999.


Préclusion

5.             Les demanderesses sont-elles déchues du droit à tout ou partie de la réparation demandée au motif de la préclusion, de l'inertie ou de l'acquiescement?

Prescription

6.             Les défenderesses peuvent-elles faire valoir la prescription? Dans l'affirmative, quel est le délai de prescription applicable?

[23]            Si l'on peut admirer cet exposé des questions en litige pour sa concision et sa simplicité, il faut voir aussi que ces qualités occultent la complexité des arguments relatifs à l'infraction à l'alinéa 7b) de la Loi. Je traiterai séparément les divers éléments de cette question dans mon analyse.

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[24]            L'introduction de l'article 7 de la Loi et l'alinéa b) de celui-ci sont libellés comme suit :


7. Nul ne peut :

[...]

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

[...]

7. No person shall

...

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

...


[25]            Les paragraphes (1), (2), (3) et (5) de l'article 6 de la Loi sont rédigés comme suit :



6.(1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

[...]

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

(3) The use of a trade-mark causes confusion with a trade-name if the use of both the trade-mark and trade-name in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the trade-mark and those associated with the business carried on under the trade-name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

...

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


[26]            L'introduction de l'article 2 de la Loi et les définitions données dans celui-ci des expressions « signe distinctif » et « marque de commerce » sont formulées dans les termes suivants :



2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi

[...]

« signe distinctif » Selon le cas_:

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises,

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

[...]

2. In this Act,

...

"distinguishing guise" means

(a) a shaping of wares or their containers, or

(b) a mode of wrapping or packaging wares

the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;

...

« marque de commerce » Selon le cas_:

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

[...]

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

...


[27]            Pour ce qui concerne la question des mesures de réparation, il convient de citer les paragraphes (1) et (3) de l'article 4 et l'article 53.2 de la Loi, ainsi libellés :


4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[...]

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

...


(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

[...]

3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

...53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

53.2 Where a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits and for the destruction, exportation or other disposition of any offending wares, packages, labels and advertising material and of any dies used in connection therewith.


DESCRIPTION GÉNÉRALE DE LA PREUVE


[28]            Les demanderesses ont appelé 17 témoins à la barre, dont neuf ont témoigné sur l'histoire, la croissance, le développement et la situation actuelle du Groupe LEGO; ses pratiques d'ingénierie, de recherche, de conception, de développement et de commercialisation; l'importance qu'il accorde à la qualité, à la sûreté et à la fiabilité de ses produits; ainsi que son souci de développer, de maintenir et de protéger son achalandage, notamment la valeur que représentent à cet égard ses droits de propriété intellectuelle. D'autres parmi ces neuf témoins ont fait des dépositions plus générales touchant le contexte de l'activité du Groupe LEGO au Canada et de la présente instance. Les demanderesses ont aussi produit trois témoins experts, dont deux ont déposé sur les enquêtes effectuées aux fins de la présente instance, et dont le troisième a témoigné sur les pratiques de commercialisation au Canada du Groupe LEGO et de Ritvik, notamment sur les pratiques suivies par cette dernière depuis le lancement de la série MICRO de ses jeux MEGA BLOKS, ainsi que sur les effets de ces pratiques. Les cinq autres témoins produits par les demanderesses ont relaté des incidents où, ayant acheté un jeu de construction, ils s'étaient adressés à LEGO Canada pour obtenir aide ou conseils, ou simplement pour formuler une plainte, alors que le produit en question n'était pas de LEGO, mais de Ritvik. Ces témoignages relatifs à la « confusion » sur le marché étaient appuyés d'une preuve documentaire substantielle touchant la même question[13].

[29]            Ritvik a appelé dix témoins à la barre, dont cinq ont déposé sur le contexte de son activité, de manière très semblable à leurs homologues produits par les demanderesses. Les cinq autres témoins produits par Ritvik ont déposé à titre d'experts concernant la commercialisation et la caractérisation ou gestion de marque, les enquêtes menées pour le compte de Ritvik aux fins de la présente instance et la preuve de cette nature produite par les demanderesses, l'ingénierie et le développement de la brique TYCO, brièvement évoquée plus haut, l'application des principes gestaltistes à la marque figurative LEGO dans le but d'établir si elle possède ou non un caractère distinctif, et les rapports entre la conclusion de l'expert à cet égard et les résultats d'enquêtes produits en preuve.


[30]            Les avocats ont présenté à la Cour au début de l'instruction un recueil commun de documents faisant 17 volumes. La plupart de ces documents ont été reçus en preuve après avoir été identifiés par un ou plusieurs témoins. Certains de ces documents, quoique déposés conjointement, ont été soumis à une objection de la part des demanderesses, qui alléguaient à leur égard le privilège de règlement ou de transaction. Nous reparlerons plus loin de ces documents et de cette objection.

[31]            Enfin, les demanderesses ont déposé 101 pièces en plus des volumes de preuve documentaire produits conjointement. Cent quarante pièces ont été déposées au nom de Ritvik.

[32]            Je renverrai à la preuve de manière plus détaillée selon les besoins de l'analyse.

ANALYSE

            1)         L'intérêt reconnu par la loi des demanderesses dans les droits au Canada qu'elles font valoir relativement à la marque figurative LEGO

  

[33]            Les trois premiers paragraphes de l'exposé conjoint des faits, reproduit plus haut, présentent KIRKBI comme une société de portefeuille s'occupant de gestion des biens, y compris des marques de commerce. Je constate que la preuve produite devant moi établit bel et bien que KIRKBI a un intérêt propriétal et un intérêt sous le rapport des redevances dans la marque figurative LEGO.

[34]            LEGO Canada détient les droits de propriété intellectuelle du Groupe LEGO au Canada en vertu d'une licence exclusive.

[35]            KIRKBI et LEGO Canada sont tous deux membres du Groupe LEGO.

[36]            Dans l'arrêt Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer[14], Monsieur le juge Pratte, s'exprimant au nom de la Cour, écrivait ce qui suit au paragraphe 5 :

Il est maintenant établi que l'alinéa 7b) [de la Loi sur les marques de commerce] est constitutionnel dans la mesure où il protège les marques de commerce. Bien qu'elle soit libellée en termes généraux, cette disposition doit donc être interprétée comme se rapportant uniquement à la protection des marques de commerce, déposées ou non. Dans une action fondée sur l'alinéa 7b), le demandeur doit donc prouver qu'il « possède » une marque de commerce qui doit être protégée. Il est bien connu qu'une marque de commerce est [Traduction] « acquise par son adoption et par son emploi » . [Renvois omis.]

[37]            Je constate que le concept de « possession » , dans la citation qui précède, est flexible. Je constate en outre, vu l'ensemble de la preuve, que KIRKBI et LEGO Canada ont chacune, relativement à la « possession » , un intérêt suffisant au Canada dans la marque figurative LEGO pour agir comme demanderesses dans la présente action. Je constate enfin que mes conclusions à ce sujet n'ont pas été sérieusement contestées par les avocats de Ritvik.

            2)         La compétence de la Cour

[38]            La Cour fédérale est un tribunal d'origine législative et non un tribunal de compétence inhérente[15]. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale[16] est ainsi libellé :


20. (1) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés_:

a) conflit des demandes de brevet d'invention ou d'enregistrement d'un droit d'auteur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel d'une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés;

b) tentative d'invalidation ou d'annulation d'un brevet d'invention, ou d'inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d'auteur, de marques de commerce, de dessins industriels ou topographies visées à l'alinéa a).

20. (1) The Trial Division has exclusive original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise,

(a) in all cases of conflicting applications for any patent of invention, or for the registration of any copyright, trade-mark, industrial design or topography within the meaning of the Integrated Circuit Topography Act; and

(b) in all cases in which it is sought to impeach or annul any patent of invention or to have any entry in any register of copyrights, trade-marks, industrial designs or topographies referred to in paragraph (a) made, expunged, varied or rectified.

(2) La Section de première instance a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d'une loi fédérale ou toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur les topographies et circuits intégrés.

(2) The Trial Division has concurrent jurisdiction in all cases, other than those mentioned in subsection (1), in which a remedy is sought under the authority of any Act of Parliament or at law or in equity respecting any patent of invention, copyright, trade-mark, industrial design or topography referred to in paragraph (1)(a).


[39]            Le paragraphe 20(2) qu'on vient de lire confère en termes dénués d'ambiguïté à notre Cour la compétence concurrente en cas de recours, comme en l'espèce, relativement à une marque de commerce présumée sous le régime d'une disposition constitutionnellement valable de la Loi sur les marques de commerce.

[40]            La disposition de la Loi en question dans la présente instance est l'alinéa 7b), déjà cité plus haut, mais que je reproduirai ici pour faciliter la consultation :


7. Nul ne peut_:

...

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

[...]

7. No person shall

...

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

...


[41]            Dans l'arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd.[17], Monsieur le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la Cour, écrivait ce qui suit aux pages 323 et 324 à propos de l'arrêt MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd.[18] :

Le procureur général du Canada, en sa qualité d'intervenant, a attiré l'attention de la Cour sur trois courants de pensée distincts exprimés par les juges dans l'arrêt MacDonald. Premièrement, ni l'alinéa 7e) ni l'article 7 dans son ensemble ne peuvent être considérés comme se maintenant seuls [...]

[...]

Deuxièmement, ni l'alinéa 7e) ni l'article 7 dans son ensemble ne peuvent être considérés valides comme faisant partie d'un système global applicable à la concurrence déloyale, sauf en ce qui concerne les brevets et les marques de commerce [...]

[...]

Troisièmement, les alinéas 7a) à 7d) sont constitutionnellement valides dans la mesure où on peut les considérer comme un complément de l'économie de la Loi en matière de marques de commerce, car il ne s'agit pas là d'étendre la compétence fédérale mais simplement de fermer une chaîne de compétence qui, sans cela, resterait incomplète [...]

[Citations et renvois omis.]


Le juge MacGuigan poursuivait en ces termes à la page 325 :

En somme, j'estime que si l'on se reporte à l'arrêt MacDonald, l'alinéa 7b) reste dans les limites de la compétence conférée au Parlement du Canada « dans la mesure où l'on peut le considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l'exercice de sa compétence à l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux » .

Enfin, touchant cet aspect de l'affaire dont la Cour suprême était saisie, le juge MacGuigan formulait la conclusion suivante à la page 328 :

Le Parlement, à l'alinéa 7b), entend protéger le renom associé aux marques de commerce. De la sorte, comme l'a dit le juge Laskin, cet alinéa est un « complément » du système de protection de toutes les marques de commerce établi par la loi. Ainsi, le recours civil qu'il prévoit, de concert avec l'article 53, se trouve à « véritablement faire partie intégrante du système global de surveillance » [...] Il a, en somme, un lien rationnel et fonctionnel avec le système visant les marques de commerce envisagé par le Parlement, en vertu duquel même les marques non enregistrées seraient protégées contre la fraude.

À mon sens, l'alinéa 7b) ressortit clairement à la compétence conférée au gouvernement fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[Renvoi omis.]

[42]            Après avoir cité l'arrêt Asbjorn Horgard plus longuement que je ne l'ai fait ici, j'ai écrit aux paragraphes 155 et 156 de la décision Ital-Press Ltd. c. Sicoli[19] :

Je conclus [...] que l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce peut uniquement être invoqué lorsqu'un [Traduction] « système relatif aux marques de commerce » est plaidé et établi par la preuve. Compte tenu des documents et de la preuve dont je dispose, ce n'est pas ici le cas.

Il n'a pas été débattu devant moi, du moins certainement pas d'une façon convaincante, que cette Cour a compétence à l'égard de l'action en passing off issue de la common law. Je suis convaincu que la Cour n'a pas compétence.


Mon collègue, Monsieur le juge O'Keefe, est arrivé à la même conclusion dans la décision Top-Notch Construction Ltd. c. Top-Notch Oilfield Services Ltd.[20].

[43]            Donc, si la marque figurative LEGO est bien une marque de commerce même n'étant pas déposée - et elle ne l'est pas -, l'alinéa 7b) de la Loi est une disposition légale valide qui confère compétence en l'espèce à notre Cour.

            3)         La « fonctionnalité » et la marque figurative LEGO

[44]            Il a été produit en l'espèce une quantité considérable d'éléments de preuve indiquant que la marque figurative LEGO serait un élément fonctionnel des briques LEGO, contribuant à l' « effet de fixation » qu'on pourrait dire être l'essence du système des jeux de construction LEGO. Le paragraphe 31 de l'exposé conjoint des faits reproduit plus haut, paragraphe figurant sous l'intertitre « La fonctionnalité » , est rédigé comme suit :

[Traduction] Les tenons d'une pièce LEGO peuvent s'adapter en totalité ou en partie à tout ou partie de la face inférieure d'une autre pièce LEGO. L' « effet de fixation » liant les pièces emboîtées est obtenu par le frottement entre les tenons de l'une et les cylindres creux et/ou les parois de la face inférieure de l'autre.


[45]            M. Donald E. Martin a déposé à l'instruction à titre de témoin expert de Ritvik. Il a obtenu en 1960 un baccalauréat en sciences spécialisé en génie mécanique. Il a occupé, de 1977 jusqu'à son départ à la retraite en 1997, le poste de vice-président à l'ingénierie chez Tyco Industries Inc. (TYCO). Au moment du départ à la retraite de M. Martin, TYCO était devenue le troisième fabricant de jouets en importance aux États-Unis d'Amérique (les États-Unis). La conception et la mise en place de la fabrication des briques emboîtables des jeux de construction TYCO dont il a été fait mention plus haut figurent parmi les réalisations de M. Martin chez TYCO.

[46]            Au paragraphe 1 de sa déclaration d'expert déposée à l'instruction[21], M. Martin a défini dans les termes suivants le mandat qu'il avait reçu de Ritvik :

[Traduction] En particulier, on m'a demandé d'examiner la question de savoir si la forme de la face supérieure de la brique de base LEGO [c'est-à-dire la brique 2 x 4], définie par Lego comme la marque figurative Lego [...], est fonctionnelle.

M. Martin ajoutait dans le même paragraphe de sa déclaration :

[Traduction] J'exposerai ici les raisons qui m'ont amené à conclure que toutes les caractéristiques de la marque figurative Lego ont une détermination fonctionnelle.

[47]            On peut lire ce qui suit au paragraphe 35 de la déclaration de M. Martin :

[Traduction] Me fondant sur le travail que j'ai fait chez Tyco avec les briques emboîtables de jeux de construction, j'ai recensé cinq facteurs à prendre en considération dans la conception et la fabrication des produits de cette nature. Ce sont :

a)             la durabilité et la sûreté du produit,

b)             la conception et la construction des moules,

c)             les temps de cycle et l'entretien des moules,

d)             l'effet de fixation,

e)             la jouabilité.

[48]            Après avoir examiné successivement chacun de ces cinq facteurs, M. Martin conclut en ces termes aux paragraphes 55 et suivants de sa déclaration :

[Traduction] J'ai attentivement examiné la prétendue marque figurative Lego. À mon avis, toutes ses caractéristiques sont déterminées par des considérations fonctionnelles et sont nécessaires pour que soit remplie la fonction que doit remplir une brique emboîtable. La forme de la face supérieure de la brique de base Lego est purement utilitaire. C'est cette caractéristique qui permet la réalisation de constructions complexes.

Toutes les caractéristiques de la prétendue marque figurative Lego sont élémentaires, rudimentaires et fonctionnelles. Il n'y a rien d'arbitraire dans la marque figurative Lego, ni en fait dans la brique de base. La marque figurative Lego est constituée par la forme géométrique la plus élémentaire qui puisse produire le résultat fonctionnel souhaité. La forme cylindrique est la solution technique qui s'impose pour les tenons, et la première qui vient à l'esprit d'un ingénieur compétent.

Les tenons revêtent la forme de cylindres pleins, soit la forme la plus élémentaire à utiliser pour mouler un montant. Les tenons ont la hauteur et le diamètre nécessaires pour produire l'effet de fixation souhaité. Quant au nombre et à la disposition des tenons, ils assurent la multiplicité des modes d'emboîtement possibles.

[49]            Je constate que M. Martin s'est montré un témoin expert compétent, sûr de soi et convaincant. Le témoignage qu'il a rendu à l'appui de sa déclaration d'expert était clair et cohérent, et il n'a pas été ébranlé lors du contre-interrogatoire. Les demanderesses n'ont pas produit d'éléments de preuve pour contredire ou mettre autrement en question sa déclaration d'expert ou son témoignage, encore qu'elles aient présenté des éléments relatifs à d'autres configurations qui « marcheraient » pour la face supérieure d'une brique de jeu de construction. Cependant, la déclaration et le témoignage de M. Martin ne portaient pas en substance sur les autres configurations possibles qui « marcheraient » ou ne marcheraient pas; l'idée essentielle qui s'en dégage est plutôt que toutes les caractéristiques de la marque LEGO « ont une détermination fonctionnelle » et constituent la configuration optimale.


[50]            L'avocat de Ritvik a vigoureusement soutenu que la preuve incontestée attestant le caractère fonctionnel de la face supérieure de chaque brique LEGO, exception faite de l'inscription de la marque LEGO sur chaque tenon, était concluante en l'espèce. Il a fait valoir qu'une caractéristique purement fonctionnelle telle que la prétendue marque figurative LEGO ne peut tout simplement pas être une marque de commerce. À l'appui de cette proposition, il a invoqué une jurisprudence substantielle, notamment l'arrêt Remington Rand Corp. c. Philips Electronics N.V.[22], rendu dans une affaire qui mettait en jeu un « signe distinctif » . Il n'a pas été contesté devant moi que si la marque figurative LEGO est de quelque façon une marque de commerce, que ce soit au sens du droit législatif ou de la common law, elle est telle du fait qu'elle est un signe distinctif. Monsieur le juge MacGuigan formulait les observations suivantes aux pages 477 et 478 de cet arrêt :

[...] Il ressort donc clairement de l'article de définitions de la Loi [c'est-à-dire la Loi sur les marques de commerce], de la décision du juge Urie, J.C.A. [Pizza Pizza Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1989), 26 C.P.R. (3d) 355] et, en fait, de toute la jurisprudence que l'essence d'une marque de commerce est de distinguer les marchandises d'un titulaire enregistré de celles vendues par d'autres.

Le « signe distinctif » est un autre genre de marque de commerce. Ce terme est également défini en ces termes à l'article 2 de la Loi :

a)                      façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b)                     mode d'envelopper ou d'empaqueter des marchandises,

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.


L'essence d'un signe distinctif est donc identique à celle d'un dessin-marque puisqu'un signe distinctif sert à distinguer les marchandises d'un titulaire enregistré de celles vendues par d'autres.

Il est indéniable que toutes les formes de marques de commerce, y compris le signe distinctif, sont caractérisées par leur caractère distinctif. Par voie de conséquence, puisqu'un signe distinctif n'est pas différent, par essence, d'un dessin-marque, il doit être régi par les mêmes considérations quant au caractère fonctionnel qu'un dessin-marque, étant donné que le fondement d'intérêt public est le même, c'est-à-dire distinguer des marchandises de celles de concurrents en monopolisant non pas les marchandises, mais la marque employée en liaison avec ces marchandises. Le juge de première instance a peut-être eu raison de déclarer qu' « un signe distinctif possède nécessairement un élément ou constituant fonctionnel » (quoique je m'interroge à propos, disons, de la forme d'une bouteille qui ne serait peut-être même pas ornementale), mais dans la mesure où ce caractère fonctionnel se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes, il invalidera la marque de commerce.

Le signe distinctif dans la présente espèce est invalide, selon moi, parce qu'il se rapporte aux aspects fonctionnels du rasoir Philips. Une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes, outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce.

[Non souligné dans l'original.]

L'avocat de Ritvik a fait valoir que ce raisonnement et cette conclusion de la Cour s'appliquent exactement aux faits de la présente espèce.

[51]            L'avocat des demanderesses a quant à lui soutenu que l'arrêt Remington-Rand est erroné en droit, en dépit du fait que la demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada ait été rejetée, et est incompatible avec une interprétation correcte de la Loi sur les marques de commerce et des décisions ultérieures de la Cour d'appel fédérale.


[52]            L'article 2 de la Loi définit les expressions « signe distinctif » aussi bien que « marque de commerce » pour l'application de la Loi. Dans aucune de ces définitions il n'est question de la « fonctionnalité » . Selon la définition de « marque de commerce » , cette expression peut désigner entre autres un « signe distinctif » .

[53]            L'article 13 de la Loi porte qu'un signe distinctif n'est enregistrable que si, entre autres conditions, son emploi exclusif par le requérant en liaison avec les marchandises ou les services avec lesquels il a été employé « n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie » . L'avocat des demanderesses a soutenu que poser cette condition équivaut à exiger que le signe distinctif ne soit pas [traduction] « purement ou substantiellement fonctionnel » . Cette interprétation est selon lui confirmée par le paragraphe 13(2) de la Loi, ainsi libellé :


(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.


[54]            Le paragraphe 13(3) prévoit la possibilité de radier l'enregistrement d'un signe distinctif qui est vraisemblablement devenu de nature à restreindre d'une façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie. Par conséquent, a soutenu l'avocat, la fonctionnalité ne concerne dans l'économie de la loi que les questions du caractère enregistrable et de la radiation de l'enregistrement.


[55]            L'avocat des demanderesses a fait remarquer que ces éléments du régime de la Loi actuelle contrastent avec les dispositions de la Loi sur la concurrence déloyale de 1932[23], texte qui a précédé la Loi aujourd'hui en vigueur. Aux termes de l'ancienne Loi, l'expression « signe distinctif » désignait « une manière de conformer, mouler, envelopper ou empaqueter des produits entrant dans l'industrie ou le commerce, laquelle, par suite seulement de l'impression sensorielle qu'elle donne et indépendamment de tout élément d'utilité ou de convenance qu'elle peut avoir, est adaptée pour distinguer [...] » . Donc, a fait valoir l'avocat, le concept de fonctionnalité faisait explicitement partie de la définition de l'expression « signe distinctif » dans l'ancienne Loi, et l'omission de ce concept dans la Loi actuelle devrait être interprétée comme une indication claire de l'intention du législateur de supprimer la fonctionnalité comme obstacle à ce qu'une marque soit considérée comme un « signe distinctif » .

[56]            L'avocat des demanderesses a fait observer que le Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce[24], à l'origine de l'adoption de la Loi actuelle, corrobore l'interprétation selon laquelle la suppression de la fonctionnalité comme caractéristique du signe distinctif était un acte délibéré du Parlement et non pas une simple erreur de rédaction ou omission involontaire.

[57]            L'avocat des demanderesses m'a renvoyé à l'arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets)[25], où Monsieur le juge Rothstein, Monsieur le juge Linden souscrivant à ses motifs, écrivait au paragraphe 62 :


Les tribunaux canadiens ne doivent pas considérer comme faisant implicitement partie de la loi des conditions ou des restrictions que le législateur n'y a pas exprimées.

Le juge Rothstein ajoutait au paragraphe 92 :

Pour des raisons de principe, ce n'est pas aux tribunaux qu'il appartient de limiter la portée d'une loi alors que le libellé de celle-ci ne le justifie pas. Ce rôle incombe à l'organe législatif de l'État.

Enfin, au paragraphe 117, le juge Rothstein formulait le même principe dans les termes suivants :

Le second point, qui est plus fondamental, est que, comme nous l'avons déjà expliqué, c'est au législateur et non pas aux tribunaux qu'il appartient de se prononcer sur ce type de questions. Dans ce domaine, les tribunaux ne sont pas le lieu où il convient de tenir un débat sur une question d'intérêt public.

[58]            L'avocat des demanderesses a fait valoir qu'on pouvait dire précisément la même chose des faits de la présente espèce. Il m'a exhorté à rejeter la thèse soutenue au nom de Ritvik selon laquelle, en dépit du libellé de la Loi sur les marques de commerce, je devais conclure que la marque figurative LEGO n'est pas un signe distinctif et donc n'est pas une marque de commerce, du fait de son caractère principalement, sinon entièrement, fonctionnel. Autrement dit, l'avocat des demanderesses m'a invité à rejeter le raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Remington Rand, en dépit de la longue tradition jurisprudentielle qui fonde ce raisonnement et malgré le fait que cet arrêt ait été rendu alors qu'était en vigueur la Loi sur les marques de commerce dans sa forme actuelle.


[59]            Je ne puis souscrire à la thèse de l'avocat des demanderesses. Comme je le disais plus haut, les expressions « signe distinctif » et « marque de commerce » sont définies à l'article 2 de la Loi pour l'application de celle-ci. Par conséquent, où qu'elles soient employées dans la Loi, il faut leur attribuer les significations conformes à ces définitions. Or, ni l'une ni l'autre de ces expressions ne figure à l'alinéa 7b) de la Loi, où il n'aurait pas outrepassé les capacités intellectuelles de rédacteurs compétents et des membres du Parlement d'incorporer l'une ou l'autre ou les deux afin de faire en sorte que, en tant qu'élément d'un régime global ou complet des marques de commerce, l'alinéa 7b) s'appliquât au fait d'appeler l'attention du public sur des marchandises, des services ou une entreprise dans le seul cas où cet acte serait accompli par le moyen d'un signe distinctif, au sens de l'article 2 de la Loi.

[60]            J'ai la conviction que ma conclusion est conforme non seulement à l'arrêt Remington Rand de la Cour d'appel fédérale, mais aussi aux principes formulés par le même tribunal dans les passages précités de l'arrêt Harvard College. Ma conclusion n'équivaut pas à considérer comme faisant implicitement partie de la loi des conditions ou des restrictions que le législateur n'y a pas exprimées. C'est plutôt l'avocat des demanderesses qui m'invite à supposer de telles conditions et restrictions implicites. On peut dire exactement ce qui a été dit dans l'arrêt Harvard College concernant la limitation de la portée d'une loi alors que le libellé de celle-ci ne le justifie pas. J'estime que ce sont les arguments présentés pour le compte des défenderesses, et non de Ritvik, qu'il conviendrait d'adresser au Parlement plutôt qu'à notre Cour.


[61]            Je conclus donc, vu l'ensemble de la preuve, que la marque figurative LEGO est fonctionnelle à tous égards, sauf pour ce qui concerne l'inscription de la marque LEGO sur chaque tenon. Cette fonctionnalité, pour reprendre les termes précités du juge MacGuigan dans l'arrêt Remington Rand, « se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes » . Du fait de cette conclusion, et du seul fait de celle-ci, la marque figurative LEGO ne peut être un signe distinctif au sens de la common law, par opposition au sens de l'article 2 de la Loi. Par conséquent, Ritvik n'a pas enfreint l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce en adoptant et en utilisant la marque figurative LEGO, pour autant qu'elle l'ait fait.

[62]            En dernière analyse, la présente action doit être rejetée. Cependant, conscient que mes conclusions sur ce point pourraient bien faire l'objet d'un appel, je poursuivrai l'examen des divers autres aspects de la présente affaire et formulerai mes conclusions touchant chacun de ceux-ci.

            4)         L'objet revendiqué et/ou divulgué dans le brevet expiré

[63]            Dans l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd.[26], Monsieur le juge Dickson (tel était alors son titre), s'exprimant au nom de la Cour, s'est appuyé sur le passage suivant de l'ouvrage de Fox intitulé Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions[27] :

[Traduction] [...] la première [considération dans l'octroi d'un brevet], c'est qu'il doit y avoir une invention nouvelle et utile, la seconde, l'inventeur doit, en contrepartie de l'octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l'invention comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole.


[64]            Plus récemment, dans l'arrêt Whirlpool Corp. C Camco Inc.[28], Monsieur le juge Binnie, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a dégagé la portée du passage de Fox que je viens de citer. Il écrit ainsi aux pages 1086 et 1087 :

Il est reconnu que le marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet). Un breveté qui peut « renouveler à perpétuité » une seule invention, grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs, prolonge son monopole au-delà de ce qui a été convenu par le public.

[65]            Le fait que le concept du « renouvellement à perpétuité » s'applique à la recherche d'une protection postérieure à l'expiration d'un brevet au moyen d'une action en commercialisation trompeuse a été confirmé par le Conseil privé du Royaume-Uni dans la décision Canadian Shredded Wheat Co. c. Kellogg Co.[29], où lord Russell of Killowen écrivait ce qui suit :

[Traduction] Leurs Seigneuries estiment souhaitable de formuler en complément les quelques observations suivantes. Elles sont arrivées à leur décision sans la fonder expressément sur l'existence de brevets expirés. Elles trouvent cependant difficile de concevoir qu'un fabricant puisse dans un tel cas être considéré comme coupable de commercialisation trompeuse, s'il a fabriqué les marchandises conformément aux brevets expirés et que les seuls traits communs entre les marchandises concurrentes sont l'apparence des marchandises ainsi fabriquées et l'application à celles-ci du nom sous lequel les marchandises brevetées étaient connues. Il est cependant concevable que, dans le cas d'un brevet expiré depuis longtemps, la preuve puisse établir que le nom est devenu distinctif dans la mesure où il caractérise un fabricant particulier plutôt qu'il ne décrit les marchandises, d'où il suit que les autres fabricants de celles-ci pourraient être astreints à adopter un moyen quelconque de distinguer de manière satisfaisante leurs marchandises de celles d'un tel fabricant particulier.


[66]            On pourrait en dire autant des faits de la présente espèce, à ceci près qu'il n'est pas soutenu ici que Ritvik aurait adopté un nom, mais seulement la marque figurative LEGO.

[67]            La question du « renouvellement à perpétuité » n'est essentiellement rien de plus qu'un aspect particulier de la question de l'adoption d'un élément fonctionnel. Il ne fait aucun doute que la marque figurative LEGO est revendiquée ou divulguée dans un brevet expiré, à savoir le brevet canadien Page. Étant donné ma conclusion que la marque figurative LEGO est fonctionnelle à tous égards sauf pour ce qui concerne l'inscription de la marque LEGO sur chaque tenon, je n'ai pas besoin de pousser l'analyse plus loin. Je voudrais néanmoins citer un autre précédent que j'estime pertinent. Monsieur le juge Rouleau fait remarquer ce qui suit aux pages 345 et 346 de la décision Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc.[30] :

Au cours de l'instruction, la Cour a eu la possibilité d'examiner un certain nombre d'épaulières fabriquées par différentes sociétés. J'ai pu constater facilement que toutes ces épaulières sont fondamentalement conçues de la même façon, qu'elles comportent les mêmes caractéristiques pratiques et fonctionnelles et que les différents fabricants ont simplement utilisé les caractéristiques communément reconnues sur le marché et décrites dans le brevet initial de Joseph Kun ayant expiré en 1987. Cette utilisation en soi ne constitue pas une imitation frauduleuse.

Une fois encore, je ne vois rien dans les passages précités de l'arrêt Harvard College de la Cour d'appel fédérale qui m'obligerait ou même m'inciterait à m'écarter d'une analyse et d'une conclusion semblables à celles de mon collègue le juge Rouleau.


           5)         Le caractère distinctif de la marque figurative LEGO et son emploi comme marque de commerce

[68]            Le signe distinctif, comme toute autre marque de commerce, doit distinguer les marchandises ou les services de son propriétaire de ceux des autres. Monsieur le juge Hall écrivait ainsi aux pages 357 et 358 de l'arrêt Parke Davis & Company c. Empire Laboratories Limited[31] :

[Traduction] Le juge de première instance a, en toute déférence, énoncé correctement le droit applicable et le fardeau qui incombait à l'appelante lorsqu'il a cité l'extrait suivant de l'arrêt J.B. Williams Company c. H. Bronnley & Company[32] :

Que doit établir un commerçant agissant à titre de demandeur dans une action en passing-off? Il me semble que pour avoir gain de cause, il doit tout d'abord établir qu'il a choisi une conception nouvelle et originale telle qu'elle confère un caractère distinctif à ses marchandises, que celles-ci sont connues sur le marché, où elles ont acquis une réputation en raison justement de ce caractère distinctif, et que s'il ne réussit pas à prouver cela, son action est sans fondement.

[69]            Le caractère distinctif peut être inhérent ou acquis. En général, la forme d'un article n'est pas en soi distinctive. Pour devenir distinctive et se faire une réputation, la forme doit acquérir une notoriété propre dans l'esprit des consommateurs effectifs ou éventuels, de manière à représenter la source du produit plutôt que le produit lui-même. Monsieur le juge Estey s'exprimait à ce propos dans les termes suivants à la page 502 de l'arrêt Oxford Pendaflex Canada c. Korr Marketing Ltd et al.[33] :

Quant à la question qui se pose directement en l'espèce, on peut se laisser guider jusqu'à un certain point par l'observation du lord juge Russell dans l'arrêt Roche Products Ltd. v. Berk Pharmaceuticals Ltd. [...] :


[Traduction] Or, ici comme dans toutes les autres affaires de passing-off, la question fondamentale est de savoir si, directement ou indirectement, la façon dont le défendeur présente ses marchandises aux consommateurs visés a pour effet de susciter dans leur esprit l'impression qu'il s'agit des marchandises du demandeur. Dans une affaire de présentation, il ne suffit pas de dire tout simplement que les marchandises du défendeur ressemblent beaucoup à celles du demandeur. Il faut établir que les consommateurs, en raison de la présentation des marchandises du demandeur, en sont venus à les considérer comme ayant une source ou origine commerciale unique, que ce soit sur le plan de la fabrication ou sur celui de la mise en marché, peu importe qu'ils en connaissent ou pas le nom.

Il faut remarquer que dans la première partie de l'observation du lord juge Russell, il semble nécessaire que le public acheteur ait l'impression que les marchandises du défendeur sont les marchandises du demandeur. La deuxième partie de l'alinéa établit clairement, toutefois, qu'il est tout simplement nécessaire que l'acheteur croie que tous les comprimés (dans cette affaire-là), en raison de leur forme, de leur taille et du genre de marque, ont une « origine commerciale unique » . Selon cette norme, il n'est pas nécessaire que le demandeur passe à l'étape suivante et difficile qui consiste à établir que le consommateur doit avoir su ou cru que le demandeur était le seul fabricant de ce produit. La règle de l'arrêt Roche n'est qu'un raffinement ou une application détaillée de la condition générale nécessaire au succès d'une action en passing-off, énoncée par le maître des rôles Cozens-Hardy dans l'arrêt J.B. Williams Company c. H. Bronnley & Co. Ld. [...]

[Références omises.]

Le juge Estey poursuit en citant le paragraphe de l'arrêt Williams and Bronnley reproduit au paragraphe 68 des présents motifs.

[70]            Saisi d'une action en recours contre l'Office des marques de commerce du Royaume-Uni pour refus d'enregistrer la brique LEGO comme marque de commerce, Monsieur le juge Neuberger écrivait ce qui suit dans la décision Interlego A.G.'s Trademark Applications[34] :

[Traduction] [...] En l'occurrence, il y avait, vu le brevet et la preuve, un monopole qui était respectivement aussi bien de droit que de fait jusqu'au début de 1975; par la suite, si l'on s'en rapporte aux éléments de preuve déposés pour le compte d'Interlego dont j'ai parlé, il semble y avoir eu un monopole virtuel de fait jusqu'au moment du dépôt des présentes demandes [...]


Les éléments de preuve déposés au nom d'Interlego ne donnent pas à penser qu'un seul membre du public ait confondu un seul des jeux de construction mis sur le marché (dans une mesure très restreinte) avant 1988 ou (sur une bien plus grande échelle) après 1988 avec les jeux de construction Lego. Il n'a donc été produit aucun élément tendant à prouver que les membres du public ou les détaillants, que ce soit au Royaume-Uni ou dans un autre pays, eussent été induits à penser que les jeux de construction Tyco (ou ceux d'un autre concurrent) étaient en fait fabriqués par les fabricants des jeux Lego, ou qu'ils étaient en fait des jeux Lego. Il n'y a tout simplement aucune preuve de commercialisation trompeuse et, à mon avis, il y a très peu d'éléments qui tendraient à établir un risque de commercialisation trompeuse dans le cas où il serait permis à d'autres personnes de mettre sur le marché des jeux de construction dont les briques comporteraient les mêmes tenons (ou les mêmes cylindres creux) que les briques qui forment l'objet du présent recours.

[...]

[...] Le fait, dont j'ai déjà parlé, que le public associe sans aucun doute à Lego les briques de jeux de construction (comportant des tenons sur leur face supérieure et des cylindres creux sur leur face inférieure) ne signifie pas que les tenons, considérés séparément ou en liaison avec les cylindres creux que comportent aussi les briques, constituent des marques de commerce.

[71]            Passons maintenant à la question de l'emploi comme marque de commerce.

[72]            Monsieur le juge Teitelbaum fait observer ce qui suit à la page 359 de la décision Michelin & Cie c. SNAATATTC (TCA-Canada)[35] :

Pour remplir les conditions de l' « emploi comme marque de commerce » , la marque doit donc être employée pour identifier avec précision la source des marchandises et services. Autrement dit, pour employer une marque comme marque de commerce, la personne qui a employé la marque sur les marchandises ou en liaison avec les services doit avoir voulu qu'elle indique l'origine des marchandises ou services.


[73]            Aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[74]            Les marchandises exportées du Canada font l'objet d'une disposition distincte pour ce qui concerne l'emploi; elle est énoncée au paragraphe 4(3) de la Loi, cité précédemment.

[75]        Les éléments de preuve relatifs au caractère distinctif de la marque figurative LEGO et à son emploi comme marque de commerce seront examinés dans la section intitulée « L'achalandage du Groupe Lego découle-t-il en tout ou partie de la marque figurative LEGO? » du développement qui suit concernant la commercialisation trompeuse.

6) La commercialisation trompeuse

            a) Principes généraux

[76]            Il n'a pas été contesté en l'espèce que le passage suivant de la décision Reckitt & Colman Products Limited c. Borden Inc. and Ors[36] résume les grands principes du droit en matière de commercialisation trompeuse :


[Traduction] Le droit en matière de commercialisation trompeuse peut se résumer par un bref énoncé général : il est interdit à quiconque de faire passer ses produits pour ceux d'une autre personne. Plus précisément, il peut s'énoncer selon les trois éléments que le demandeur doit prouver dans une telle action pour avoir gain de cause. Premièrement, il doit établir l'existence d'un achalandage ou d'une réputation relativement aux produits ou services qu'il fournit en raison du fait que le public associe, dans son esprit, la présentation particulière (qu'il s'agisse simplement d'une marque de commerce ou d'une description commerciale, ou des caractéristiques particulières de l'étiquetage ou de l'emballage) des produits ou des services qui lui sont offerts à ceux du demandeur, de sorte que cette présentation est reconnue par le public comme constituant un caractère distinctif des produits ou services du demandeur. Deuxièmement, il doit établir que le défendeur a fait (intentionnellement ou non) une représentation trompeuse au public qui l'amène ou est susceptible de l'amener à croire que ses produits ou services sont ceux du demandeur. Peu importe que le public soit ou non conscient de l'identité du demandeur en tant que fabricant ou fournisseur des marchandises ou prestataire des services, pour autant que les marchandises ou les services soient associés à une source particulière qui est en fait le demandeur. Par exemple, si le public a l'habitude de s'appuyer sur une marque nominative particulière dans l'achat de marchandises répondant à une description particulière, il est absolument indifférent qu'il ne soit guère ou pas du tout conscient de l'identité du propriétaire de cette marque. Troisièmement, il doit établir qu'il subit ou, dans une action quia timet, qu'il est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur que la source de ses produits et services est la même que ceux du demandeur.

[77]            Monsieur le juge Gonthier, s'exprimant au nom de la Cour, a cité ce passage et en a dégagé les traits essentiels à la page 132 de l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.[37] :

Les trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont donc : l'existence d'un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur.

L'affaire Ciba-Geigy n'était pas une action intentée sous le régime de l'alinéa 7b) de la Loi, mais plutôt une action en commercialisation trompeuse ressortissant à la common law.

[78]            L'alinéa 7b) ne coïncide pas exactement avec le libellé du passage que je viens de citer de l'arrêt Ciba-Geigy. Il s'analyse plutôt comme suit :

            Nul ne peut :

            -           appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise

            -           de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada,


            -           lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre.

La condition de l'existence d'un achalandage ne figure pas explicitement dans l'alinéa 7b). Le fait d'appeler l'attention du public sur des marchandises, des services ou une entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada semble être une notion équivalente, d'un point de vue général, à la déception du public due à la représentation trompeuse. La mention à l'alinéa 7b) du moment où l'attention du public est ainsi appelée ne semble pas avoir d'équivalent dans le critère en common law. Quant à la condition de celui-ci qui se rapporte au préjudice réel ou possible pour le demandeur, elle paraît n'être qu'implicite dans l'alinéa 7b).

[79]            On peut lire, sous la plume de Monsieur le juge MacGuigan, l'observation suivante à la page 327 de l'arrêt Asbjorn Horgard[38] :

L'alinéa 7b) [de la Loi sur les marques de commerce] reflète dans la Loi l'action en passing off issue de la common law, le passing off consistant à laisser croire que les biens ou les services d'une personne sont en réalité ceux d'une autre, ou que quelqu'un d'autre les offre ou y est associé. Il s'agit de fait de « parasiter » au moyen d'une déclaration tendant à induire en erreur.


J'examinerai maintenant la preuve produite devant moi en fonction des éléments du critère appliqué en common law à la commercialisation trompeuse, étant donné ma conviction que, si ces éléments ne sont pas tous explicites dans l'alinéa 7b) de la Loi, ils s'y trouvent implicitement, l'alinéa 7b) ajoutant à ces éléments la mention du moment où la confusion pourrait être vraisemblablement causée. Dans l'examen de la question de la déception du public due à la représentation trompeuse, je tiendrai compte du moment pertinent en gardant à l'esprit les observations du juge MacGuigan voulant que la confusion doive d'abord être examinée à un moment particulier, mais que l'activité ultérieure du défendeur puisse servir à « étayer » une conclusion touchant la confusion au moment pertinent[39].

                         b)         L'achalandage

[80]            À la page 327 de l'arrêt Asbjorn Horgard[40], Monsieur le juge MacGuigan cite le passage suivant de l'ouvrage de Halsbury intitulé Laws of England[41], à propos du « renom » (goodwill), c'est-à-dire de l'achalandage selon notre terminologie :

[Traduction] 155. La nature du renom.. L'action en passing off est aujourd'hui reconnue comme un recours contre la violation du droit de propriété, cette propriété résidant davantage dans le commerce ou le renom susceptible d'être atteint par la fausse déclaration plutôt que dans la marque, le nom ou l'habillage utilisés abusivement. Le « renom » a été défini comme l'avantage propre au bon nom, à la réputation et aux contacts d'une entreprise, la force d'attraction qui attire la clientèle et cet actif incorporel qui distingue une entreprise bien établie d'une autre à ses débuts.


                                      i)          Le Groupe LEGO est pourvu d'achalandage

[81]            Il est essentiellement incontesté selon la preuve produite devant moi que le Groupe LEGO est pourvu d' « achalandage » ou de « renom » , au sens de l'avantage que confèrent la bonne réputation, la notoriété et les relations de l'entreprise. Bien que les experts en marketing appelés à la barre par les deux parties aient employé des expressions telles que « fidélité à la marque » , « capital de marque » , « notoriété de la marque » et « gestion de la fidélité à la marque » , plutôt que les termes « achalandage » et « gestion de l'achalandage » , j'ai la conviction qu'ils parlaient essentiellement de la même chose que ce qu'on entend par « achalandage » et « gestion de l'achalandage » .

[82]            M. Fred Geyer notait au paragraphe 3 de la déclaration d'expert qu'il a présentée pour le compte des demanderesses[42] :

[Traduction] Je savais, comme d'autres dans l'industrie du jouet, que Lego avait un programme de communication commerciale de tout premier ordre.

Il ajoutait au paragraphe 21 :

[Traduction] Lego occupe le premier rang sur ce marché [celui des jeux de construction] [...]

[83]            Ce qui est peut-être encore plus convaincant, M. Larry Light, l'expert en marketing qui a produit une déclaration et témoigné pour le compte de Ritvik, a formulé les observations suivantes dans son témoignage :


[Traduction] [...] nous ne pouvons nier que Lego est une marque dominante, possède une énorme part du marché, est très connue, jouit d'une réputation de qualité et a fait en matière de marchandisage ce que peu d'autres pourraient même rêver de faire. Et l'a très bien fait. Mais il y a autre chose : Lego jouit d'une grande notoriété et d'une excellente réputation de fiabilité et de qualité qui sont liées à sa part de marché. C'est là un point très important, et qui a récemment acquis plus de poids dans la pensée des mercaticiens[43].

Dans son témoignage, M. Light définissait ainsi le terme « marque » (brand) :

[Traduction] [...] une identité distinctive qui dénote une promesse associée à un produit, un service ou une entité, et une identité distinctive qui a pour but de différencier une promesse associée à un produit, un service ou une entité et indique la source de la promesse[44].

Aux pages 2191 et 2192 du volume 14 de la transcription, on trouve les observations suivantes de M. Light :

[Traduction]

Q.            Je crois que vous avez reconnu dans votre témoignage en interrogatoire principal que Lego est un leader du marché?

R.             C'est ce que pense en effet. Et selon toute apparence, Lego est certainement plus qu'un leader du marché. Sa marque (brand) domine à tel point le marché qu'elle a acquis le droit de faire des choses dont de nombreuses entreprises ne peuvent que rêver.

Q.            Et quand vous parlez de marque, vous entendez par là non pas une marque de commerce particulière, mais plutôt l'image de marque d'une entreprise, n'est-ce pas?, ou -

R.            Nous avons une définition particulière du terme « marque » .

[84]            Cependant, M. Light n'a pas associé la marque et le capital de marque du Groupe LEGO à la marque figurative LEGO. Il écrivait ainsi au paragraphe 32 de sa déclaration d'expert[45] :


[Traduction] Lego est le leader du marché des jeux de constructions. Elle a construit une marque (brand) autour de la dénomination Lego et du logo familier consistant en l'inscription « LEGO » en lettres blanches sur fond rouge.

[85]            M. Light a en outre déclaré dans son témoignage (à la page 2199 du volume 14 de la transcription) :

[Traduction] [...] nous avons aussi conseillé à nos clients de ne pas lier cette identité de la marque - rappelez-vous : j'ai parlé d'une idée distinctive associée à une promesse - à une caractéristique fonctionnelle de la marque.

Il poursuivait en ces termes à la page 2200 :

[Traduction] [...] les caractéristiques fonctionnelles seront banalisées, en particulier si elles sont considérées comme allant de soi.

M. Light a rangé la marque figurative LEGO parmi les caractéristiques « considérées comme allant de soi » du fait de sa nature fonctionnelle.

[86]            M. Light a déclaré plus loins dans son témoignage (à la page 2202 du volume 14 de la transcription) :

[Traduction] [...] pour construire une marque durable, il ne faut pas se lier à quelque chose qui définit, qui constitue une caractéristique - excusez-moi - une caractéristique fondamentale étayant un avantage.

Il poursuivait en ces termes à la page 2203 :

[Traduction] Il y a aussi des entreprises qui pratiquent une mauvaise gestion de marque. Je suis d'accord. Tout le monde n'applique pas la même conception de la gestion de marque, mais je crois que si l'on examine les fabricants de produits de marque qui ont du succès, on voit qu'ils essaient d'établir leur marque en se fondant sur des caractéristiques qui différencient l'identité de marque, et non sur des caractéristiques qui procurent l'avantage attendu du produit.


                                      ii)         L'achalandage du Groupe LEGO découle-t-il en tout ou partie de la marque figurative LEGO?

[87]            La déclaration d'expert établie par le professeur Michael J. Tarr pour le compte de Ritvik est fondée sur sa compétence technique à titre de professeur de science cognitive et de linguistique à l'Université Brown de Providence (Rhode Island). Ses conclusions touchant la marque figurative LEGO sont énoncées à la page 22 de cette déclaration[46] dans les termes suivants :

[Traduction] Me fondant sur mon expertise dans les domaines de la perception visuelle et de la reconnaissance de figures, j'ai examiné la question de savoir si la configuration ou l'arrangement des saillies de la brique Lego constitue une forme visuelle distinctive, tant sur le plan de la perception que sur celui de la catégorisation visuelle. Premièrement, les principes gestaltistes - qui sont probablement les principes les plus fondamentaux du traitement perceptif - indiquent que la totalité sauf un des éléments de la configuration des saillies de la brique Lego, c'est-à-dire l'agencement de saillies qui sont cylindriques, à sommet plat, à côtés lisses, à figure identique, disposées en lignes droites et coplanaires, constitue tout simplement quant à ses propriétés la figure la plus susceptible d'être perçue et remémorée. De plus, il a été empiriquement démontré que l'élément restant de cette configuration, à savoir la disposition spatiale selon les proportions 2:5:8, est traité comme équivalant à la disposition 4:5:8, de sorte qu'il n'est pas distinctif. Par conséquent, qu'elle soit considérée individuellement ou en relation avec d'autres, la configuration des saillies de la brique Lego n'est pas distinctive du point de vue perceptif, parce qu'elle est constituée par les formes les plus susceptibles d'apparaître sur une brique de jeu de construction pourvue de saillies sur sa face supérieure et que sa disposition spatiale ne se distingue pas des autres dispositions spatiales.

Deuxièmement, les données empiriques indiquent que la configuration des saillies de la brique Lego fait partie d'une catégorie d'objets de base à définition large qui ne constitue pas une marque distinctive à propriété identificatoire et à définition étroite. C'est-à-dire que de nombreuses configurations différentes de saillies apparaissant sur des briques de jeux de construction peuvent être subsumées sous le concept visuel « Lego » . La configuration des saillies de la brique Lego n'est pas une catégorie distinctive en soi, pas plus qu'elle n'a acquis de caractère distinctif visuel avec le temps. Je conclus donc que la configuration des saillies de la brique Lego est dénuée de caractère distinctif sous le double rapport de la perception visuelle et de la catégorisation visuelle des consommateurs.

[88]            Je déduis du passage qui précède, et j'ai la conviction que cette conclusion est en accord avec l'ensemble de la preuve, que la marque figurative LEGO est dénuée de caractère distinctif inhérent et ne peut donc en soi contribuer à l'achalandage du Groupe LEGO. Mais il s'en faut de beaucoup que l'analyse s'achève là. La marque figurative LEGO pourrait avoir acquis un caractère distinctif du fait d'un long usage, de la position dominante du Groupe LEGO sur le marché et de sa considérable activité de commercialisation, où la marque figurative LEGO a joué un rôle de premier plan. J'examinerai donc maintenant la preuve par sondage relative au « caractère distinctif » et à la « notoriété propre » qui a été produite en l'espèce, après un bref commentaire introductif sur l'utilité de la preuve par sondage en général.

[89]            Les distingués auteurs de The Law of Evidence in Canada[47] ont formulé les observations suivantes aux paragraphes 12.116 et 12.117 de cet ouvrage :

[Traduction] Les tribunaux canadiens admettent en preuve dans certains cas les enquêtes statistiques et sondages d'opinion effectués par des experts, même si de tels éléments consistent en données recueillies hors de la salle d'audience. Des tribunaux d'appel du Manitoba et de l'Ontario, ainsi qu'un tribunal de district de l'Alberta, se sont déclarés disposés à admettre à titre de preuve d'expert des sondages relatifs aux normes collectives dans les affaires d'obscénité, pour autant que puisse être démontrée l'application de méthodes statistiques et techniques de recherche sociale éprouvées. Relativement à la preuve de cette nature, les tribunaux se préoccupent plutôt des procédures suivies et des techniques appliquées par les experts que du fait que ce genre de preuve relève du ouï-dire. Ainsi, les insuffisances méthodologiques d'une enquête, par exemple à l'égard de l'échantillonnage, constituent un motif d'exclusion de ses résultats.


Pour ce qui concerne les affaires civiles au Canada, il est arrivé qu'on produise des éléments de preuve par sondage d'opinion dans des actions relatives aux marques de commerce afin d'établir dans quelle mesure le public les connaissait et les associait à des produits donnés. Dans l'affaire Aluminium Goods Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), on avait présenté une requête en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que la marque « Wear-Ever » était en général considérée par les marchands et les consommateurs comme liée de manière distinctive aux ustensiles de cuisine de la requérante et pouvait à ce titre prétendre à l'enregistrement. Une firme spécialisée a enquêté à la demande de la requérante auprès de 3 000 profanes et de 500 marchands vendant de telles marchandises, répartis dans de nombreuses collectivités canadiennes aux caractéristiques diverses. Le juge Cameron a admis en preuve les résultats de ce sondage, déclarant que c'était là « la partie la plus importante de la preuve » . En revanche, dans l'affaire Building Products Ltd. c. B. P. Canada Ltd., les éléments de preuve par sondage d'opinion produits par les deux parties sur la question de savoir si la marque en question causerait de la confusion dans l'esprit des consommateurs ont été rejetés aux motifs qu'ils relevaient purement du ouï-dire et que les sondages ne pouvaient avoir créé une « situation commerciale » réelle dans l'esprit des répondants. À en juger par les décisions rendues dans les affaires d'obscénité, il semblerait que la première objection à l'admissibilité, relative au ouï-dire, ne soit plus valable. Quant à la seconde, il semblerait qu'elle n'affecte maintenant que le poids des éléments de preuve de cette nature.

[Références omises.]

[90]            Monsieur le juge Pelletier, alors membre de la Section de première instance de notre Cour, écrivait au paragraphe 16 de la décision Société canadienne des postes c. Paxton Developments Inc.[48] :

Les critères applicables à l'utilisation en preuve de sondages en matière de marques de commerce ont été passés en revue dans la décision Walt Disney Productions v. Triple Five Corp. [...] Ils comprennent des critères structurels visant à s'assurer que les résultats du sondage soient globalement représentatifs de la population générale et qu'ils ne soient pas faussés par des questions non pertinentes. Ces critères ont été respectés en l'espèce. Dans la décision Joseph E. Seagram & Sons Ltd c. Seagram Real Estate Ltd. [...] le juge MacKay a décrit ainsi comment la preuve par sondage doit être utilisée :

L'admissibilité et la fiabilité des sondages d'opinion publique ont fait l'objet de débats dans de nombreux arrêts sur les marques de commerce. Toutefois, après avoir lu la jurisprudence à cet effet, je comprends que le principe général consiste à accepter que l'admissibilité de cette preuve et sa valeur probante soient tributaires de la pertinence du sondage à l'égard des questions dont la Cour est saisie et de la façon dont il a été effectué; par exemple, il s'agit de la période visée par le sondage, des questions posées, de l'endroit où elles l'ont été et de la méthode de sélection des participants [...]

                                                                                                    [Références et renvoi omis]

[91]            Les ayant examinés à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence précitées, je constate que les éléments de preuve issus de quatre sondages - deux ci-après désignés « sondages relatifs au caractère distinctif » et deux ci-après désignés « sondages relatifs à la notoriété propre » ou à la « signification de marque » - sont pertinents à l'égard de la question de l' « achalandage » et sont donc admissibles, quoique le poids attribué à ces éléments de preuve variera d'un sondage à l'autre.

[92]            Les résultats du premier « sondage sur le caractère distinctif » produits en preuve se rapportent à une enquête restreinte effectuée par le cabinet Contemporary Research Centre Limited en août 1988 au Centre Eaton, dans le centre-ville de Toronto. Cette enquête est désignée « sondage Svoboda » dans l'ensemble de la preuve produite devant moi. On a présenté aux répondants de ce sondage une photographie en noir et blanc d'une brique LEGO 2 x 4, où l'inscription « LEGO » avait été effacée de la face supérieure de chacun des tenons. On leur a ensuite demandé : [Traduction] « Qui fabrique cet objet [c'est-à-dire la brique représentée sur la photographie]? » Cinquante-huit pour cent des 66 répondants, répartis à peu près également selon le sexe et divisés en quatre groupes d'âge, ont répondu que le Groupe LEGO était le fabricant.


[93]            J'estime que le sondage de Contemporary Research Centre Limited n'a guère de valeur probante. Premièrement, il a été présenté par l'intermédiaire d'un témoin de fait - qui, il est vrai, l'avait conçu en collaboration avec un représentant du Groupe LEGO - et non par un témoin expert, encore qu'un autre témoin, expert celui-là mais n'ayant aucunement participé à la conception ou à la réalisation de ce sondage, l'ait commenté. Deuxièmement, ce sondage a été effectué avant la mise sur le marché des MICRO MEGA BLOKS de Ritvik et à une époque où la preuve produite en l'espèce ne permet pas de déterminer avec tant soit peu de certitude jusqu'à quel point les jeux de construction TYCO avaient pénétré sur le marché. Enfin, ce sondage était remarquablement restreint sur le plan géographique et entaché d'autres faiblesses de conception et d'exécution.

[94]            J'estime que les éléments de preuve issus du sondage de Contemporary Research Centre Limited ont pour seule utilité de marquer un point de référence peu fiable concernant la reconnaissance de la brique LEGO 2 x 4 sur le marché du centre-ville de Toronto, à une époque où le Groupe LEGO était sans aucun doute l'acteur dominant sur le marché canadien des jeux de construction et où Ritvik n'était pas encore entrée sur le segment des jeux de construction pour enfants d'âge scolaire.


[95]            Le deuxième « sondage relatif au caractère distinctif » présenté à la Cour a été effectué en 1995 par le cabinet Canadian Facts pour le compte d'Interlego A.G. Il avait pour objet de [traduction] « mesurer l'association ou l'identification à Lego, le cas échéant, de la figure d'une brique de marque LEGO photographiée en noir et blanc » [49]. La photographie en question représentait une brique LEGO 2 x 4 et ressemblait beaucoup à la photographie utilisée dans le sondage de Contemporary Research Centre Limited. Mais contrairement à celui-ci, le sondage de Canadian Facts mettait en oeuvre, en plus de la cellule d'essai, une cellule de « contrôle » où était utilisée une photographie en noir et blanc d'une autre brique de jeu de construction, d'apparence considérablement différente de celle de la brique LEGO 2 x 4. Canadian Facts a exécuté son sondage en avril et mai 1995, soit quelque quatre ans après le lancement des MICRO MEGA BLOKS de Ritvik sur le marché canadien, dans quatre villes - Toronto, Vancouver, Halifax et Montréal - à raison de 150 interviews par ville; l'échantillonnage a été effectué par quotas, c'est-à-dire que les intervieweurs ont fait un nombre déterminé d'interviews dans des groupes définis en fonction du sexe et de l'âge représentant proportionnellement les populations respectives des agglomérations susdites. On a posé à chaque répondant, après lui avoir montré la photographie en noir et blanc appropriée, les deux questions suivantes : premièrement, [traduction] « Qui selon vous fabrique ce produit? » , puis, après qu'il eut été répondu à la première question, [traduction] « Qu'est-ce qui vous fait dire cela? »

[96]            Mme Gillian Humphreys a formulé ses conclusions au paragraphe 25 de son affidavit d'expert dans les termes suivants :

[Traduction] Selon mon analyse des réponses textuelles données aux deux questions, 51 % des répondants ont associé avec certitude à Lego la photographie de la brique de marque LEGO, et une autre tranche de 16 % des enquêtés a fait cette association de manière conjecturale. Par contre, seulement 11 % des répondants ont associé avec certitude à Lego l'élément de contrôle, et une autre tranche de 2 % a fait cette association conjecturalement. Il ne convient pas de soustraire les résultats de la cellule de contrôle de ceux qui portent sur la photographie de la brique de marque LEGO, mais la comparaison des deux ensembles montre que les résultats relatifs à la photographie de la brique de marque LEGO dépassent dans une mesure significative au sens statistique ceux qui ont trait à la photographie de contrôle.


[97]            S'il est vrai que le plan et l'exécution du sondage de Canadian Facts, tout comme l'analyse de ses résultats, paraissent notablement plus raffinés, et ces résultats manifestement plus représentatifs sur le plan géographique, que les aspects correspondants du sondage de Contemporary Research Centre, le recours à un produit de contrôle considérablement différent suscite des doutes dans mon esprit. L'affidavit d'expert de Mme Humphrey qui a été présenté en preuve, ainsi que son témoignage, fondé sur cet affidavit et sur son examen des éléments issus du sondage de Contemporary Research Centre, sont en tout cas assurément plus convaincants que les éléments de preuve produits par une personne qui, bien qu'ayant participé directement au sondage de Contemporary Research Centre, n'avait pas qualité d'expert et n'a par conséquent pas présenté de déclaration ou d'affidavit d'expert.

[98]            J'estime que les éléments de preuve issus du sondage de Canadian Facts qui ont été produits devant moi ont une certaine valeur probante, mais une valeur probante limitée, relativement à la question du caractère distinctif de la marque figurative LEGO et au point de savoir si l'achalandage du groupe LEGO au Canada découle en tout ou partie de cette marque figurative.


[99]            Les avocats des demanderesses ont demandé à M. Ivan Ross d'effectuer une étude pour donner une réponse quantitative à la question de savoir si la conception ou l'apparence des tenons des briques LEGO désignent le Groupe LEGO comme étant la source de ce produit pour les acheteurs canadiens éventuels de jeux de construction. Le rapport d'expert établi par M. Ross en exécution de ce mandat a été déposé en preuve[50], et M. Ross a comparu à titre de témoin expert. M. Ross est un spécialiste de la psychologie du consommateur pourvu d'une vaste expérience; il a en effet déposé en qualité de témoin expert dans plus de 90 affaires relatives à des dispositions légales ou réglementaires devant des tribunaux fédéraux des États-Unis aussi bien que devant des organismes fédéraux de réglementation de ce pays. M. Ross a certifié dans sa déclaration d'expert qu'il avait personnellement supervisé tous les aspects de l'étude qu'il avait menée pour le compte du Groupe LEGO. L'étude de M. Ross revêtait la forme d'un sondage effectué dans des centres commerciaux d'Oshawa (Ontario), de Calgary (Alberta) et de Vancouver (Colombie-Britannique).

[100]        Les stimuli retenus pour ce sondage étaient une brique LEGO 2 x 4 et une brique Poly-M sensiblement plus grosse que la brique LEGO et comportant sur sa face supérieure des saillies notablement différentes. La brique Poly-M a été utilisée dans le cadre d'une cellule ou phase de contrôle. Toutes les indications d'origine, par exemple la mention « LEGO » inscrite sur chacune des saillies de la brique LEGO 2 x 4, ont été retranchées des stimuli. Le sondage a été effectué du 16 au 20 août 2001, et l'échantillon comprenait en tout 107 répondants. La méthode du double insu a été appliquée à cette enquête, et le travail sur le terrain a été validé. On a présenté les deux stimuli à chaque répondant, mais dans un ordre différent d'un bloc à l'autre, afin de déceler toute distorsion attribuable à l'ordre de présentation.

[101]        On invitait chaque répondant à examiner successivement les deux stimuli, suivant un ordre préétabli. Après quoi on lui posait la question suivante :

[Traduction] Si vous avez une opinion, à partir seulement de la conception ou de l'apparence des tenons [l'intervieweur désignait alors trois des tenons ou saillies avec un crayon] de cette brique de jeu de construction, est-ce que vous reconnaissez celle-ci comme étant fabriquée par une seule entreprise, plus d'une entreprise, ou si vous ne savez pas[51]?

[102]        Au répondant qui identifiait le stimuli à une seule entreprise, on demandait s'il se rappelait par hasard laquelle était le fabricant. Si le répondant identifiait la brique à plusieurs entreprises, on lui demandait de les nommer.

[103]        Soixante-treize pour cent des 107 répondants ont perçu dans la conception ou l'apparence des tenons ou saillies de la brique LEGO l'indication d'une seule source, et 70 % de l'ensemble des répondants ont désigné le Groupe LEGO comme étant cette source. D'autre part, 13 % des 107 répondants ont perçu dans la conception ou l'apparence des tenons ou saillies du produit Poly-M l'indication d'une source unique, et seulement 1 % de l'ensemble des répondants ont désigné le Groupe LEGO comme étant cette source.

[104]        Dans son témoignage, M. Ross a déclaré que son « sondage relatif à la notoriété propre » portait [traduction] « du point de vue conceptuel [...] sur le caractère distinctif, la reconnaissabilité, la notoriété propre, comme nous dirions aux États-Unis, question indépendante de celles qui sont soulevées dans l'étude sur la confusion » [52].

[105]        Plus loin dans son témoignage, M. Ross conclut en ces termes :


[Traduction] [...] J'ai déclaré à mon client que les résultats de l'étude montraient que la proportion des répondants qui identifiaient à LEGO la brique LEGO démarquée était si importante que, même compte tenu du facteur d'erreur, positif ou négatif, on serait encore fondé à conclure qu'une proportion nettement supérieure à 60 % des répondants dans le monde réel ou dans un échantillon plus grand, comme on voudra, aurait - de quelque manière qu'on veuille caractériser ce fait - aurait réagi en disant « LEGO » à la présentation de ce produit[53] .

[106]        M. Ross a également réalisé un sondage relatif à la « confusion » dont je reparlerai plus loin. Je constate que ce sondage relatif à la « confusion » corrobore la conclusion de M. Ross touchant le caractère distinctif ou la notoriété propre.

[107]        J'estime convaincants et fiables les déclarations d'expert et le témoignage de M. Ross. Il n'a aucunement été ébranlé en contre-interrogatoire. Malgré la petite taille de l'échantillon retenu pour son sondage relatif à la notoriété propre, le nombre restreint d'endroits où ce sondage a été effectué et le contraste marqué entre les deux stimuli utilisés, j'estime qu'il convient d'attribuer à l'ensemble des éléments de preuve qu'il a produits un poids considérable relativement à la question du caractère distinctif. Cette évaluation repose sur le plan, les résultats et les conclusions de son enquête relative à la « confusion » , que je considère comme valables.


[108]        Ritvik a répliqué à la preuve par sondage présentée pour le compte des demanderesses par une déclaration d'expert de Mme Shari Seidman Diamond, professeur de droit et de psychologie à la Northwestern University et chercheur supérieur attaché à l'American Bar Foundation[54]. Le professeur Diamond a critiqué l'ensemble de la preuve par sondage présentée au nom des demanderesses, et en particulier l'enquête de Contemporary Research Centre. Je ne m'attarderai pas sur le rapport d'expert et sur le témoignage du professeur Diamond, non que je veuille les discréditer, mais parce que je les ai déjà pris en compte dans mon évaluation de la preuve par sondage des demanderesses dont je viens de résumer les conclusions et dont je tirerai d'autres observations dans l'analyse de la question de la « confusion » .

[109]        Enfin, toujours à propos de la question de la preuve par sondage et du caractère distinctif, Ritvik a produit le rapport d'expert de M. Gerald L. Ford, spécialiste ayant rang d'associé dans la société de recherche et de conseils en marketing Ford Bubala & Associates de Huntington Beach (Californie). M. Ford a fait état d'impressionnants titres de compétence et d'une expérience professionnelle non moins impressionnante. Il s'est révélé être à mon avis un témoin hautement efficace et crédible dans la présentation de son rapport devant la Cour, y compris dans ses réponses au contre-interrogatoire.

[110]        Au paragraphe 2 de sa déclaration d'expert[55], M. Ford explique que, à la demande des avocats de Ritvik, il a :


[Traduction] [...] conçu et fait exécuter des enquêtes auprès des consommateurs sur les questions suivantes : 1) la signification de marque, s'il y en a une, de la marque figurative revendiquée par Lego; 2) la probabilité de confusion au point de vente, le cas échéant, - relativement à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale, - des jeux de construction Mega Bloks de Ritvik, considérés dans leur emballage, avec la source Lego, du fait de la marque figurative revendiquée par Lego; et 3) la probabilité de confusion, le cas échéant, - relativement à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale, - des jeux de construction Mega Bloks de Ritvik, considérés hors de leur emballage au point de vente, avec la source Lego, du fait de la marque figurative revendiquée par Lego. On [lui] a en outre demandé d'examiner les études effectuées par M. Ross, Mme Humphrey et M. Svoboda et de répondre entre autres à la question de savoir si leurs moyens de contrôle étaient suffisants et appropriés.

[Renvoi omis.]

[111]        Dans le cadre des enquêtes de M. Ford, quelque 2 100 répondants ont été interviewés, aussi bien en français qu'en anglais, dans des centres commerciaux de 18 agglomérations canadiennes réparties dans toutes les provinces sauf l'Île-du-Prince-Édouard.

[112]        Je ne parlerai pas de la forme, du contenu, de l'exécution ou de l'analyse des sondages de M. Ford, si ce n'est pour dire que ces éléments sont à mon sens les plus impressionnants de la preuve par sondage produite en l'espèce. M. Ford a adopté les stimuli que j'estime être les plus réalistes et les plus utiles, en particulier pour ce qui concerne les stimuli de contrôle, qui, tout en étant distincts des stimulis d'essai, leur ressemblaient cependant assez pour inciter réellement les sujets interrogés à répondre de manière réfléchie aux questions qui leur étaient posées.

[113]        Touchant le caractère distinctif, M. Ford a formulé la conclusion suivante au paragraphe 4 de sa déclaration d'expert :

[Traduction] Les résultats des sondages montrent à l'évidence que la marque figurative revendiquée par Lego ne possède pas de caractère distinctif et que, par conséquent, elle n'a pas pour effet de désigner la source du produit (c'est-à-dire qu'elle ne joue pas le rôle d'une marque de commerce).


[114]        Comme l'indiquait un passage cité plus haut, on a demandé à M. Ford d'examiner les études effectuées pour le compte des demanderesses « et de répondre entre autres à la question de savoir si leurs moyens de contrôle étaient suffisants et appropriés » . Or, chose intéressante, la déclaration d'expert de M. Ford ne contient pas d'observations sur la preuve par sondage produite par les demanderesses. De même, ce qui est peut-être plus remarquable, les demanderesses n'ont pas présenté de rapport d'expert en réponse à la preuve par sondage produite par Ritvik.

[115]        Les demanderesses ont présenté une preuve substantielle touchant l'usage de la marque figurative LEGO dans leurs activités de commercialisation au Canada. Cette preuve établit clairement que la marque figurative LEGO est un élément central du matériel d'étalage fourni par les demanderesses aux détaillants, de leur publicité télévisée, de leurs catalogues, de leurs imprimés destinés aux consommateurs et de leur conditionnement. Mais on ne peut s'empêcher de remarquer que, dans chaque cas, un des critères de l'emploi comme marque de commerce n'est pas rempli. Les emballages et autres matériels des demanderesses produits devant la Cour portent presque toujours une mention soigneusement libellée des droits de marque revendiqués par elles, que soient ou non déposées les marques de commerce à l'égard desquelles ces droits sont revendiqués. Or, la preuve produite devant la Cour ne porte trace d'aucun cas où la demanderesse aurait notifié une revendication de droits de marque relativement à la marque figurative LEGO.

[116]        Je retournerai maintenant au point de départ de mon analyse du point de savoir si l'achalandage du Groupe LEGO découle en tout ou partie de la marque figurative LEGO, c'est-à-dire au rapport d'expert et au témoignage du professeur Michael J. Tarr. Celui-ci a formulé les observations suivantes sur les résultats relatifs au caractère distinctif des études de Mme Humphrey, de M. Ross et de M. Ford :


[Traduction] Mon intention, en évaluant ces sondages, n'était pas d'ergoter sur des vétilles méthodologiques. J'avais plutôt pour but d'évaluer la convenance des manipulations expérimentales à la question qui nous occupe, celle de savoir jusqu'à quel point la configuration ou l'agencement des saillies de la brique Lego possède un caractère distinctif. En fait, l'élaboration d'études de reconnaissance de figures adaptées avec précision à une question théorique donnée est peut-être la partie la plus difficile d'une bonne planification expérimentale dans mon domaine; il va de soi qu'il y faut une compétence expérimentale de base pour prévoir les mécanismes de compensation, des mesures dépendantes appropriées et les autres détails pratiques, mais cela ne suffit pas à garantir un résultat instructif [...]

L'objet manifeste de ces trois sondages était d'établir le caractère distinctif de la configuration des saillies de la brique Lego en se demandant suivant quelle fréquence elle était identifiée à Lego comparativement à un jeu de construction d'une autre source. Tous ces sondages ont été conçus selon des plans semblables et des méthodes expérimentales valables pour ce qui concerne la compensation, la taille des échantillons et d'autres conditions structurelles à remplir pour obtenir des résultats interprétables. Cependant [...] en ce qui a trait au stimuli « de contrôle » ( « Poly-M » et « Krinkles » ), les sondages des demanderesses ne portaient que sur le caractère distinctif visuel d'une catégorie de perception très large comprenant l'ensemble des jeux de construction, possibilité qui n'était pas en contestation dans la présente espèce.

Il y a un fait que je voudrais relever au delà de la question de l'application des méthodes fondamentales appropriées. Dans le sondage de Ross, les intervieweurs essayaient d'appeler l'attention exclusive des sujets sur les saillies des briques en les désignant et en précisant que ceux-ci ne devaient formuler leur opinion qu'en se fondant sur ces saillies. Malheureusement, le mal était déjà fait, si l'on peut dire. Au moment où l'enquêteur exécutait cette consigne, le sujet avait déjà vu et certainement appréhendé l'ensemble de la brique. En effet, bien qu'un observateur puisse se révéler capable de concentrer son attention sur un seul point donné une fois qu'il y a été invité, la perception par défaut d'un objet est la vision et l'interprétation de celui-ci dans son intégralité, y compris de sa structure d'ensemble. C'est-à-dire que nous voyons et traitons automatiquement des objets complets plutôt que des parties isolées - ce sont les objets qui forment les « composantes » de notre expérience visuelle. Par conséquent, la manipulation consistant à attirer l'attention sur les saillies n'efface pas le contexte de l'ensemble de la brique ni ses effets potentiels sur les réponses des sujets, et il faut en tenir compte dans l'examen des résultats de cette étude[56].


[117]        Dans son témoignage, le professeur Tarr a déclaré que si les sondages dont il parle dans le passage cité au paragraphe précédent n'avaient pas déjà été faits, il se serait estimé tenu d'effectuer ou de faire effectuer des sondages équivalents pour étayer sa déclaration d'expert. Il s'est dit soulagé de constater que les sondages susdits suffisaient pleinement à appuyer sa conclusion et qu'il ne fût pas nécessaire pour cela d'en effectuer d'autres. Le professeur Tarr a en outre précisé dans son témoignage qu'il n'avait parlé que des résultats de trois sondages parce qu'il considérait ceux de l'enquête de Contemporary Research Centre comme dénués de valeur ou presque.

[118]        Je conclus donc, à propos de la question de savoir si l'achalandage du Groupe Lego découle en tout ou partie de la marque figurative LEGO, que la réponse à cette question est affirmative pour ce qui concerne le marché canadien, encore que, vu l'ensemble de la preuve, je me voie dans l'impossibilité de quantifier cette contribution. Je conclus aussi qu'une telle quantification serait inutile - que toute contribution, si faible soit-elle, suffit à justifier que je passe à l'examen du deuxième élément du critère applicable à la commercialisation trompeuse, à savoir la déception du public due à une représentation trompeuse.

                         c)         La déception du public due à une représentation trompeuse

                                      i)          Principes généraux

[119]        Il ne suffit pas, en common law à tout le moins, que cette deuxième condition du critère applicable à la commercialisation trompeuse soit remplie pour établir l'existence d'une confusion. Il faut plutôt démontrer que la confusion équivaut à une déception du public due à une représentation trompeuse. J'ai examiné plus haut les rapports entre le critère en common law et le libellé de l'alinéa 7b) pour expliquer pourquoi, dans la présente analyse, je les considère comme équivalents.


[120]        Monsieur le juge Cameron faisait observer ce qui suit aux pages 96 et 97 de la décision Renwal Manufacturing Co. Inc. c. Reliable Toy Co. Ltd. et al[57] :

[Traduction] La question vraiment importante lorsqu'on examine les produits finis et la forme de leur emballage est la suivante : veut-on, par ces choses, abuser le public? À mon avis, la réponse est ici négative. Les deux parties ont simplement pris ce qui était courant dans le métier, et la défenderesse a toujours pris bien soin de mentionner clairement que les marchandises qu'elle vendait étaient fabriquées par elle, en apposant son nom commercial « Reliable » à tous les articles, sauf un - le panier -; et la forme de celui-ci n'est pas celle du panier de la demanderesse, mais est très étroitement modelée sur celle de la pièce R15, un panier de taille normale acheté par le témoin McGee en 1943. Les boîtes de l'entreprise de la défenderesse sont marquées sur le dessus et sur les quatre côtés du mot « Reliable » et, sur deux côtés, apparaissent au complet le nom et l'adresse de la défenderesse.

Le fondement de la thèse de la demanderesse est que la défenderesse a fabriqué certains articles en modèle réduit, ce qu'elle avait déjà fait elle-même. Comme les modèles réduits des deux parties reproduisaient le même type d'objets, ils se ressemblaient nécessairement dans une certaine mesure, et cette ressemblance se retrouve dans la construction des articles en question. Le droit de reproduire en modèle réduit à usage ludique un objet de la nature ou de l'art était courant dans le métier. La défenderesse ne cherche aucunement à abuser le public quant à la source de fabrication de ses articles, et elle n'a aucune raison de vouloir l'abuser.

[121]        Plus haut dans l'exposé de ses motifs, à la page 93, le juge Cameron formulait l'observation suivante :

[Traduction] [...] J'admets que le simple fait d'inscrire le nom du fabricant sur les marchandises ne suffirait pas en soit à blanchir dans tous les cas d'une accusation de commercialisation trompeuse, mais c'est un élément à prendre en considération, et en l'espèce un élément important dans la mesure où il dénote la bonne foi de la défenderesse.


[122]        Mais en l'absence d'éléments tendant à prouver l'existence d'une confusion, la question de savoir si la confusion ou la déception est attribuable à une représentation trompeuse ne se pose pas. Dans l'analyse de la question de la confusion qu'il expose dans l'arrêt Asbjorn Horgard[58], Monsieur le juge MacGuigan s'appuie sur l'article 6 de la Loi, en dépit du fait que cet article s'applique aux marques de commerce et aux noms commerciaux tels qu'ils sont définis dans la Loi; or, comme je l'ai fait observer plus haut, nous n'avons pas affaire ici, pas plus que dans l'affaire Asbjorn Horgard, à une marque de commerce au sens de la Loi, et certainement pas à un nom commercial.

[123]        Les passages applicables de l'article 6 de la Loi ont déjà été précédemment et n'ont pas à être reproduits ici. Ce sont ces dispositions, également appliquées dans l'affaire Asbjorn Horgard, qui me guideront dans l'analyse qui suit de la question de la confusion.

[124]        Dans l'arrêt Walt-Disney Productions c. Triple Five Corp.[59], Monsieur le juge McFadyen, s'exprimant au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes sur le critère applicable à la question de la confusion :

[Traduction] Le juge de première instance a appliqué le critère formulé par Monsieur le juge Estey, alors juge en chef de la Haute Cour de l'Ontario, dans la décision Mr. Submarine Ltd. c. Emma Foods Ltd. [...] :

Le critère traditionnellement proposé aux tribunaux dans les actions en commercialisation trompeuse a été formulé, reformulé et paraphrasé dans de nombreuses affaires, et j'estime commode de me référer à un ou deux précédents pour établir le critère que je voudrais essayer d'appliquer aux faits de la présente espèce. Les avocats ont appelé l'attention de la Cour sur une observation faite à ce propos par le juge de district Walker dans une décision des tribunaux du New Jersey, Baker et al. c. Master Printers Union of New Jersey [...] :


La reproduction de la marque de commerce de Typographical procurerait aussi certains avantages à la défenderesse. Évidemment, peu de gens seraient assez stupides pour reproduire exactement la marque ou le symbole d'un autre. Comme il a déjà été dit selon une heureuse formule, la forme la plus efficace de contrefaçon consiste à reproduire assez fidèlement pour embrouiller le public, en conservant assez de différences pour embrouiller les tribunaux.

Dans la jurisprudence anglaise, on cherche en général à appliquer, s'agissant du délit civil de commercialisation trompeuse, le critère de la personne ordinaire à qui l'on présente dans un contexte commercial un produit ou une entreprise qui, à première vue, laisserait cette personne, qui ne possède dans le meilleur des cas qu'un souvenir général du produit ou de l'entreprise du demandeur, dans l'incertitude touchant le point de savoir si le produit ou l'entreprise du défendeur est celui ou celle des demandeurs. Le critère à appliquer n'est pas celui de la personne parfaitement au fait du détail de l'activité du demandeur et donc capable de distinguer immédiatement les produits ou l'entreprise du défendeur de ceux du demandeur, mais plutôt le critère de la personne qui a un souvenir ou une idée vagues de l'entreprise ou du produit du demandeur et qui, devant ceux du défendeur, pourrait fort bien être jetée dans l'incertitude ou induite en erreur quant à la propriété ou à la nature des marchandises ou quant à l'identité du propriétaire de l'entreprise en question.

Les appelants soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en appliquant ce critère et que le critère approprié est celui que formule dans les termes suivants le juge Gonthier dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. [...] :

[Traduction] [...] il faut évaluer les faits par rapport à l'homme et à la femme ordinaires qui feraient preuve de diligence normale en achetant les produits dont ils ont besoin, et qui, s'ils veulent une marque particulière, prendraient des précautions normales pour s'assurer de l'obtenir [...]

Cependant, pour différents produits, la clientèle moyenne ne sera pas la même et n'aura pas la même attitude lors de l'achat. De plus, l'attention et les précautions d'une même personne peuvent varier en fonction du produit qu'elle achète; quelqu'un ne prendra vraisemblablement pas le même soin à choisir une marchandise sur les rayons d'un supermarché et à sélectionner un article de luxe. Dans le premier cas, la représentation trompeuse risque de « prendre » plus facilement.

Il me semble que le juge Estey et le juge Gonthier appliquent le même critère. Le juge Estey parle du critère de la personne ordinaire. Il distingue la situation de la personne ordinaire de celle de la personne parfaitement au fait des affaires du demandeur. Il décrit les précautions qu'il estime qu'une personne ordinaire prendrait en général dans l'achat d'articles tels que ceux qui sont offerts en vente dans le restaurant-minute ordinaire considéré en l'espèce.

La distinction s'établit entre la personne ordinaire faisant preuve de diligence normale et le consommateur informé qui a pris le temps et s'est donné la peine d'étudier la question. Le juge de première instance ne s'est pas trompé en adoptant le critère formulé par le juge Estey, étant donné que cette formulation est simplement une paraphrase du critère de la personne ordinaire faisant preuve de diligence normale.

[Références omises.]

[125]        Madame le juge Desjardins, s'exprimant au nom de la Cour, a cité à la page 426 de l'arrêt Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd.[60] une jurisprudence considérable à l'appui de la thèse suivant laquelle, dans l'évaluation de la probabilité de confusion, la marque de commerce ou la marque de commerce alléguée doit être examinée dans son ensemble et ne pas être divisée ou analysée en ses éléments constituants.

ii)         Les éléments de preuve relatifs à la confusion

[126]        M. Ross, pour le compte des demanderesses, aussi bien que M. Ford, pour le compte de Ritvik, ont effectué des sondages relatifs à la « confusion » , produit des rapports d'expert qui en rendaient compte et déposé à la barre sur la base de leurs rapports. J'ai formulé plus haut des observations sur les sondages relatifs au « caractère distinctif » , à la « notoriété propre » ou à la « signification de marque » effectués par les mêmes experts et, en général, mes conclusions touchant la fiabilité et l'utilité de ces sondages s'appliquent également à leurs enquêtes sur la « confusion » .


[127]        M. Ross a utilisé trois stimuli : premièrement, un ensemble Mega Bloks consistant en un seau de plastique sur le couvercle duquel apparaît bien en vue la marque figurative LEGO, couvercle utilisable comme plaque de base pour des constructions à partir des briques contenues dans le seau ou d'autres briques; deuxièmement, un ensemble K'NEX qui consiste en un coffret de plastique contenant des éléments de construction en général tout à fait différents de la brique LEGO et de la brique MICRO MEGA BLOK, le tout présenté dans un emballage de carton; et troisièmement, un ensemble LEGO Canada qui, comme le premier stimulus, revêt la forme d'un seau de plastique, sur le couvercle duquel apparaissent en l'occurrence bien en vue quatre tenons agencés selon la configuration de la marque figurative LEGO, mais ce couvercle étant sensiblement plus grand et ne remplissant pas apparemment de fonction dans le jeu proprement dit[61]. L'ensemble K'NEX servait de stimulus de contrôle.

[128]        M. Ross a établi que le sondage attestait une différence de 13,5 % sous le rapport du degré de confusion entre la cellule d'essai et la cellule de contrôle. Il en a tiré la conclusion qu'il formule dans les termes suivants à la page 14 de son rapport d'expert[62] :

[Traduction] La différence de 13,5 % entre « Micro » (17,2 %) et K'NEX (3,7 %) est significative au-delà du coefficient de confiance de 99 % [...]

Par conséquent, on peut conclure qu'il y a confusion quant à l'origine (selon une proportion approximative de 14 %, déduction faite de la cellule de contrôle) entre le produit « Micro » MEGA BLOKS de Ritvik et le produit LEGO.


[129]        Le sondage relatif à la confusion de M. Ford consistait en deux éléments : le premier visait à établir la probabilité de confusion au point de vente, le cas échéant, - relativement à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale, - des jeux de construction MEGA BLOKS de Ritvik, considérés dans leur emballage, avec la source LEGO, du fait de la marque figurative revendiquée par LEGO; le deuxième avait pour but d'évaluer la probabilité de confusion, le cas échéant, - relativement à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale, - des jeux de construction MEGA BLOKS de Ritvik, considérés hors de leur emballage au point de vente, avec la source LEGO, du fait de la marque figurative revendiquée par LEGO.

[130]        Dans le sondage relatif à la confusion au point de vente, on présentait aux répondants de la cellule d'essai un seau MICRO MEGA BLOKS de Ritvik, non pas celui sur le couvercle duquel apparaissait la marque figurative LEGO, mais plutôt un produit qui lui a succédé sur le marché[63]. Quant aux répondants de la cellule de contrôle, on leur présentait un seau semblable portant une étiquette de forme semblable, mais sur laquelle était désignée la source fictive « KIDI BRIX » à la place de la source « MEGA BLOKS » . Les briques représentées sur l'étiquette du seau « KIDI BRIX » portaient des tenons de formes octogonale plutôt que ronde[64].

[131]        M. Ford a tiré la brève conclusion suivante des résultats du premier élément de son sondage relatif à la confusion :

[Traduction] Ces résultats attestent sans ambiguïté qu'il n'y a pas de probabilité de confusion quant à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale du produit Mega Bloks de Ritvik du fait de la marque figurative revendiquée par Lego[65].


[132]        Dans le deuxième élément du sondage relatif à la confusion de M. Ford, on présentait aux répondants de la cellule d'essai une brique rouge de la série MICRO MEGA BLOKS portant l'inscription « MEGA BLOKS » et montée sur un support blanc uni[66], ainsi qu'une brique de même couleur, aussi montée sur un support blanc uni, et portant la dénomination fictive « KIDI BRIX » [67].

[133]        M. Ford a tiré la conclusion suivante de cet élément de son sondage relatif à la confusion :

[Traduction] Ces résultats attestent sans ambiguïté qu'il n'y a pas de probabilité de confusion quant à la source, à l'autorisation ou à l'affiliation sociale de la brique de la série Micro Mega Bloks de Ritvik, considérée hors de son emballage au point de vente, du fait de la marque figurative revendiquée par Lego[68].

[134]        En plus des éléments de preuve par sondage relatifs à la confusion, les demanderesses ont produit cinq témoins qui ont déposé concernant quatre cas de confusion sur le marché entre les produits de LEGO et la série MICRO MEGA BLOKS de Ritvik[69]. Les dépositions de tous ces témoins étaient franches et crédibles.


[135]        Le recueil commun de documents produit devant la Cour comprend quelque 800 lettres, transcriptions de communications téléphoniques et courriers électroniques reçus par LEGO Canada, qui attestent tous un degré plus ou moins élevé de confusion chez les consommateurs. Comme les dépositions des cinq témoins dont j'ai fait mention au paragraphe précédent, ces communications et transcriptions de communications se rapportaient en général à des pièces manquantes ou qu'on voulait faire remplacer, aux instructions ou à des méprises dans l'enregistrement de produits. Cette documentation[70] a été identifiée par un témoin, M. Michael Boland, qui, au moment de son témoignage, était chef de marque chez LEGO Systems Inc., dont le siège se trouve à Enfield au Connecticut. En cette qualité, il s'occupait de la promotion au détail, du conditionnement, du marchandisage, de la publicité et des plans de médias aussi bien pour le Canada que pour les États-Unis. M. Boland est entré à LEGO Canada en 1993 et y est resté jusqu'en 1998[71]. Le dialogue suivant est consigné à la page 978 de la transcription :

[Traduction] Me CHARLES [avocat des demanderesses] : Votre Seigneurie, nous avons mis dans le recueil commun, conformément à notre discussion de ce matin, un grand nombre de documents relatifs aux réactions des consommateurs - c'est-à-dire aux plaintes, aux communications des consommateurs - et nous nous sommes entendus, je me suis entendu avec mes confrères, Votre Seigneurie, pour que nous puissions les présenter à la Cour par l'intermédiaire de M. Boland. Il s'agit de documents auxquels il est renvoyé dans le recueil commun, et je crois comprendre, si j'interprète bien le contenu de notre accord, que mes confrères reconnaissent qu'il s'agit là d'archives authentiques de l'entreprise. Ces documents sont effectivement ce qu'ils sont présentés comme étant, et si mon confrère a quelque chose à ajouter à cela, je suis certain qu'il le fera.

LA COUR : Vous n'avez rien à ajouter?

Me LUE [avocat de Ritvik] : Non, Votre Seigneurie.

Me CHARLES : Votre Seigneurie trouvera ces documents au volume 10, onglets B-1 à B-4.

Après le dialogue reproduit ci-dessus, M. Boland a témoigné d'un point de vue général sur les documents relatifs à la confusion chez les consommateurs.

[136]        Une grande quantité d'autres éléments de preuve, orale ou documentaire, concerne le considérable matériel promotionnel mis à la disposition des principaux détaillants de jouets par LEGO Canada. Une partie de ces éléments témoigne du mélange des produits LEGO et des produits MICRO MEGA BLOKS de Ritvik au point de vente, ainsi que de l'étalage de ces derniers à proximité de matériel promotionnel de LEGO où figure bien en vue la marque figurative LEGO.

iii)        Conclusion touchant la confusion

[137]        Me fondant sur le critère de « la personne ordinaire faisant preuve de diligence normale » sur le marché des jeux de construction et compte tenu du fait que la période de shopping précédant les fêtes de fin d'année représente une part considérablement disproportionnée de la consommation finale sur ce marché, je constate que les demanderesses se sont acquittées de la charge qui leur incombait d'établir une probabilité de confusion - et qu'elles ont même établi l'existence d'une confusion effective - sur le marché canadien du fait de la marque figurative LEGO.

iv)        La représentation trompeuse


[138]        Les demanderesses s'appuient sur la décision Reckitt & Colman Products Limited c. Borden Inc. & Ors[72] pour soutenir que l'adoption d'une présentation susceptible de créer de la confusion constitue un cas de représentation trompeuse[73] et qu'un défendeur qui entre sur un marché après une entreprise à la réputation et à l'image de marque bien établies doit prendre des mesures pour distinguer ses produits de ceux d'une telle entreprise[74]. Lord Oliver of Aylmerton écrivait ce qui suit à la page 414 de l'exposé des motifs de la décision Reckitt and Colman :

[Traduction] En fin de compte, la question revient à savoir non pas si les intimées ont droit à un monopole sur la vente de jus de citron dans des récipients en forme de citrons de grandeur nature, mais plutôt si les appelantes, en adoptant délibérément, parmi toutes les formes possibles de récipients, une forme possédant la caractéristique la plus immédiatement frappante de la présentation des intimées, ont pris des mesures suffisantes pour différencier leur produit de celui des intimées. Comme le faisait observer le lord juge Romer dans la décision Payton & Co. Ltd. c. Snelling, Lampard & Co. Ltd. [...] :

[...] lorsqu'on met sur le marché des marchandises présentant les mêmes caractéristiques principales que celles d'une autre personne, même si ces caractéristiques sont courantes dans le métier, on devrait veiller tout particulièrement à différencier réellement ses marchandises par le moyen des caractéristiques distinctives dont on les pourvoit [...]

[Référence omise.]

[139]        De leur côté, les avocats de Ritvik invoquent le passage suivant de la décision Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc.[75], où mon collègue, Monsieur le juge Rouleau, s'appuyant sur la même jurisprudence, formulait les observations suivantes aux paragraphes 54 et 55 :


Au cours de l'instruction, la Cour a eu la possibilité d'examiner un certain nombre d'épaulières fabriquées par différentes sociétés. J'ai pu constater facilement que toutes ces épaulières sont fondamentalement conçues de la même façon, qu'elles comportent les mêmes caractéristiques pratiques et fonctionnelles et que les différents fabricants ont simplement utilisé les caractéristiques communément reconnues sur le marché et décrites dans le brevet initial de Joseph Kun ayant expiré en 1987. Cette utilisation en soi ne constitue pas une imitation frauduleuse. Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt Payton and Co. v. Snelling, Lampard & Co. [...], cité dans Stiga Aktiebolag c. S.L.M. Canada Inc. [...] :

La question vraiment importante lorsqu'on examine les produits finis et la forme de leur emballage est la suivante : veut-on, par ces choses, abuser le public? À mon avis, la réponse est ici négative. Les deux parties ont simplement pris ce qui était courant dans le métier, et la défenderesse a toujours pris bien soin de mentionner clairement que les marchandises qu'elle vendait étaient fabriquées par elle, en apposant son nom commercial « Reliable » à tous les articles, sauf un ... Les boîtes de l'entreprise de la défenderesse sont marquées sur le dessus et sur les quatre côtés du mot « Reliable » et, sur deux côtés, apparaissent au complet le nom et l'adresse de la défenderesse [...] La défenderesse ne cherche aucunement à abuser le public quant à la source de fabrication de ses articles, et elle n'a aucune raison de vouloir l'abuser. La ressemblance résidait dans les marchandises elles-mêmes.

Ce raisonnement s'applique également en l'espèce.

[Références omises.]

J'ai la conviction que le raisonnement du juge Rouleau, confirmé par la jurisprudence qu'il cite, est la source de droit qu'il convient d'appliquer aux faits de la présente espèce.


[140]        Dans l'affaire Reckitt & Colman, la seule question en litige se rapportait à la présentation ou au conditionnement du jus de citron. Mais ce n'était pas le cas dans l'affaire dont le juge Rouleau était saisi, et ce ne l'est pas non plus en l'espèce. Ici, comme dans les circonstances de fait de l'affaire Kun Shoulder Rest, où la question en litige se rapportait à une épaulière pour violon que le juge Rouleau estimait « conçue de la même façon » et comporter « les mêmes caractéristiques pratiques et fonctionnelles » que les autres épaulières, la question concerne la marque figurative LEGO, dont j'ai conclu qu'elle est une caractéristique fonctionnelle des jeux de construction de Ritvik aussi bien que de ceux du Groupe LEGO. Il est vrai que le Groupe LEGO et Ritvik font tous deux figurer bien en vue la marque figurative LEGO sur la plupart, sinon l'ensemble, des emballages de leurs jeux de construction. Mais cela est très différent des faits dont la Chambre des lords était saisie dans l'affaire Reckitt & Colman, où, je le répète, la principale question en litige était la présentation ou le conditionnement du jus de citron sous une forme unique et non fonctionnelle.

[141]        M. Fred Geyer a été le seul témoin expert - en fait le seul témoin, expert ou non - à déclarer en faveur des demanderesses qu'il considérait le programme de commercialisation de Ritvik comme entaché non seulement d'une forte tendance à provoquer de la confusion, mais aussi d'une intention délibérée de ce faire. Dans sa première déclaration d'expert[76], M. Geyer a examiné les facteurs suivants : l'apparence des briques LEGO; et les pratiques de Ritvik en matière de développement de l'image de marque, de conception des produits, de conditionnement, d'étalage et d'affichage aux points de vente, de communication commerciale et de promotion. Il a tiré de cet examen les conclusions qu'il expose dans les termes suivants aux paragraphes 82 et suivants de sa déclaration d'expert :

[Traduction] J'ai examiné les effets cumulés de l'ensemble des facteurs susénumérés du programme de commercialisation des jeux de construction « Micro » de Ritvik. J'ai examiné le point de savoir si le consommateur est susceptible d'être incité à acheter les produits « Micro » de Ritvik à cause des avantages qu'ils présentent, par exemple leur prix plus bas, ou parce qu'il confond ces produits avec ceux de Lego.

Je dirai dès le départ que, à mon sens, certains consommateurs seront persuadés et d'autres seront embrouillés, parce que la commercialisation de Ritvik ne se situe à aucune des deux extrémités du spectre [spectre que M. Geyer définit comme un « continuum persuasion/confusion » ].

J'estime très important le fait que Ritvik ait adopté la configuration des tenons de Lego ou marque figurative Lego, étant donné le rôle si important qu'elle joue dans la commercialisation et la caractérisation de Lego. Ce facteur serait susceptible à lui seul de jeter la confusion dans l'esprit de nombreuses personnes, et l'était en particulier au début de l'implantation sur le marché de la série « Micro » de Ritvik.


Mais je ne pense pas que ce soit tout. Un autre concurrent de Lego sur le marché des jeux de construction se sert de la configuration des tenons de Lego, mais déploie de grands efforts pour se constituer une identité distincte de celle de Lego. Rokenbok est un concurrent de Lego qui, à mon sens, offre une gamme de jeux de construction relativement distincte, bien que certaines de ses plaques soient compatibles avec les briques Lego et présentent la configuration de tenons constituant la marque figurative Lego. La commercialisation de ces produits est de celles qui sont conçues pour persuader plutôt que pour causer de la confusion. J'observe à cet égard les éléments suivants :

•              La caractérisation de Rokenbok est cohérente et distinctive. La marque Rokenbok figure bien en vue au coin supérieur gauche des emballages, et la désignation du thème apparaît à côté. Rokenbok utilise systématiquement cette présentation pour l'ensemble de sa gamme, de manière à projeter une image claire de sa marque.

•              La conception des produits Rokenbok est différente. Les surfaces où apparaît la configuration de tenons de la marque figurative Lego ont une apparence différente : leurs tons sourds de gris, de noir et de blanc diffèrent de la palette traditionnelle de Lego. Le concept de la gamme Rokenbok est également différent. Cette entreprise a créé un nouveau concept de produit fondé sur une mécanisation au moyen de télécommandes et une série de rampes et de connecteurs qui lui sont particuliers. Les jeux Rokenbok permettent à l'enfant de construire des machines - par exemple des ascenseurs ou des monorails - qu'il ne peut construire avec les jeux Lego.

•              Rokenbok applique dans son conditionnement un agencement distinctif de couleurs, et un graphisme distinctif qui se caractérise par la division en rectangles de la paroi antérieure et des parois latérales. Les représentations du contenu des emballages ont une apparence différente des représentations de Lego, et la configuration de tenons de Lego n'y apparaît généralement pas.

•              Rokenbok distribue aux points de vente des surmontoirs et des panneaux pour distinguer sa marque [...]

Contrairement à Rokenbok, Ritvik n'a pas établi dans sa commercialisation de distinction nette entre sa série « Micro » et les produits Lego. Elle a promu la configuration de tenons de Lego; elle a copié les concepts Lego, y compris la forme et l'apparence des pièces Lego; elle a copié de nombreux thèmes de Lego; elle a aussi considérablement imité les styles de conditionnement de Lego; et elle n'a pas utilisé les moyens de la publicité et de la promotion pour se distinguer de Lego. Ces facteurs, considérés dans leur ensemble, produisent des effets cumulés qui dénotent dans le programme de commercialisation une forte tendance à causer de la confusion. Si l'on ajoute à cela le fait que Ritvik a réduit avec le temps l'importance de sa marque Mega Bloks par rapport à sa série « Micro » , la tendance de ce programme de commercialisation à causer de la confusion apparaît non seulement forte, mais aussi délibérée.


Je pense que, en 1992, la tendance à causer de la confusion tenait principalement au fait que Ritvik avait adopté et promouvait la même conception de produit, qu'elle présentait des briques semblables, comportant le symbole bien connu de la configuration de tenons de Lego et peintes des couleurs traditionnelles de Lego. Les premiers emballages représentaient clairement les pièces des jeux pour les consommateurs. La probabilité de confusion était cependant atténuée parce que les emballages de Ritvik étaient différents de ceux de Lego. Certains consommateurs y voyaient une différenciation, tandis que d'autres ne tenaient pas compte des différences ou pensaient qu'il s'agissait d'une nouvelle série de Lego, conditionnée autrement. Les emballages de Ritvik portaient la mention « Compatible avec la marque dominante » , mais cette mention était ambiguë. Elle pouvait vouloir dire que le produit était différent de la marque dominante (Lego), ou elle pouvait impliquer un rattachement ou une affiliation à Lego.

De 1993 à 1998, la confusion s'est aggravée avec l'introduction d'ensembles thématiques de conception semblable à celle des ensembles thématiques de Lego et dont le conditionnement rappelait le style pratiqué par Lego. Le lancement, en 1995, du seau de Ritvik, très proche du seau de Lego, est venu accroître encore la confusion. Dans l'ensemble, le principal facteur d'atténuation de la confusion pendant cette période était l'utilisation de la marque Mega Bloks sur les emballages.

À partir de 1999, avec la réduction de l'utilisation, le passage au second plan et le changement de la marque Mega Bloks relativement aux ensembles thématiques, le programme de commercialisation de Ritvik est devenu selon moi tout à fait propre à causer de la confusion.

J'estime que la stratégie de commercialisation de Ritvik est susceptible d'embrouiller un nombre considérable de consommateurs, de telle sorte qu'ils croient que ses briques « Micro » soit sont des produits Lego, soit sont liées à Lego ou sanctionnées par elle.

[Non souligné dans l'original.]

[142]        Les déclarations d'expert et le témoignage connexe de M. Larry Light, l'expert en commercialisation de Ritvik, de M. Donald E. Martin, ancien vice-président à l'ingénierie de TYCO Industries Inc., et du professeur Michael J. Tarr tendent tous à démontrer que, s'il existait de la confusion sur le marché canadien des jeux de construction - et j'ai conclu qu'il en existait effectivement -, elle n'était pas le résultat d'une stratégie délibérée de la part de Ritvik. Ce sont ces éléments de preuve que je retiendrai. Je conclus donc que la confusion n'était pas le fruit d'une stratégie délibérée de la part de Ritvik et que les demanderesses n'ont tout simplement pas établi que la confusion sur le marché est attribuable à une représentation trompeuse de Ritvik.

[143]        Je suis arrivé à cette conclusion pour les motifs suivants. M. Geyer a soutenu que Ritvik avait manqué de cohérence dans la conception de son conditionnement et l'usage de sa marque sur ses emballages et qu'elle avait ainsi omis - délibérément selon lui - d'établir une image de marque nettement distincte pour sa série MICRO MEGA BLOKS. M. Light répond qu'il n'est pas rare qu'un nouveau venu sur un marché, comme Ritvik avec sa série MICRO MEGA BLOKS, fasse preuve dans les premières années d'incohérence dans ses pratiques de développement de l'image de marque. Il fait observer que le Groupe Lego lui-même, au début, a mis en oeuvre plusieurs conceptions englobant sa marque nominative LEGO avant d'arrêter son choix sur la conception devenue maintenant si familière et si systématiquement utilisée. À cet égard, je souscris, encore une fois, au témoignage de M. Light.

[144]        Je conclus en outre que, dans une large mesure, le Groupe LEGO est la cause de son propre malheur sur le marché canadien pour ce qui concerne la marque figurative LEGO. En effet, ses stratégies et ses pratiques de commercialisation se sont révélées si efficaces qu'elles ont laissé peu de place, voire aucune, à un concurrent qui, comme Ritvik, adopterait les caractéristiques purement utilitaires ou fonctionnelles de la brique LEGO, et en particulier la marque figurative LEGO - caractéristique qui peut être considérée comme « allant de soi » pour reprendre l'expression de M. Larry Light -, pour distinguer ses propres jeux de construction, en l'occurrence les MICRO MEGA BLOKS, de ceux de LEGO, en dépit du fait que Ritvik a systématiquement marqué sa série MICRO MEGA BLOKS de la désignation MEGA BLOKS.

[145]        Bref, je conclus que les demanderesses ne se sont pas acquittées de la charge qui leur incombait d'établir que Ritvik avait déçu le public par une représentation trompeuse.

                         d)         Le préjudice subi par les demanderesses

[146]        Si la preuve produite devant moi concernant le préjudice causé aux demanderesses par l'entrée de Ritvik sur le marché canadien des jeux de construction avec sa série MICRO MEGA BLOKS est en grande partie indirecte, je constate qu'elle conduit inévitablement aux deux conclusions suivantes : premièrement, LEGO reste la marque dominante sur le marché canadien des jeux de construction et n'a cessé de l'être à aucun moment depuis l'entrée de Ritvik sur ce marché avec sa série MICRO MEGA BLOKS; deuxièmement, en dépit de la position dominante occupée par le Groupe LEGO, Ritvik est devenue une marque importante sur ce marché, et la part de marché qu'elle a conquise aurait été prise par le Groupe LEGO si elle n'était pas entrée en lice. En fin de compte, l'ensemble de la preuve m'amène à conclure qu'il ne fait aucun doute que les demanderesses et, plus généralement, le Groupe LEGO, ont subi un préjudice du fait de l'entrée de Ritvik sur le marché canadien des jeux de construction avec sa série MICRO MEGA BLOKS.

                         e)         Conclusion touchant la contravention à l'alinéa 7b de la Loi

[147]        Me fondant sur l'analyse qui précède, je conclus que les demanderesses n'ont pas rempli toutes les conditions qu'il leur incombait de remplir pour établir que Ritvik avait enfreint les dispositions réprimant la commercialisation trompeuse de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.

7)         Préclusion, inertie et acquiescement

[148]        La cinquième question de l'exposé des questions en litige entre les parties à la présente instance, reproduit plus haut, est libellée comme suit :

[Traduction] Les demanderesses sont-elles déchues du droit à tout ou partie de la réparation demandée au motif de la préclusion, de l'inertie ou de l'acquiescement?

Étant donné les conclusions que j'ai formulées plus haut sur ce point, la question est purement hypothétique. Je vais néanmoins l'examiner brièvement, étant donné qu'une autre cour pourrait infirmer ces conclusions.

[149]        Mon collègue, Monsieur le juge Teitelbaum, écrivait ce qui suit aux pages 112 et 113 de la décision White Consolidated Industries, Inc. c. Beam of Canada Inc.[77] :

Dans l'arrêt Anheuser-Busch c. Carling O'Keefe [...] la Cour d'appel fédérale a entériné la règle de droit en matière de fin de non-recevoir fondée sur l'acquiescement et l'inertie énoncée dans la décision anglaise Taylor Fashions Ltd. c. Liverpool Victoria Trustees Co. Ltd. [...] :

[TRADUCTION] l'estoppel par assentiment exige une approche beaucoup plus libérale : il s'agit plutôt de déterminer, dans des circonstances données, s'il serait exagéré de permettre à une partie de s'opposer à une conduite qui lui a causé préjudice mais qu'elle a permise ou encouragée, sciemment ou non, plutôt que de faire enquête sur la situation afin de déterminer si elle peut s'inscrire dans une quelconque formule prédéterminée, utilisée pour jauger toutes les formes de comportement inacceptable.


Les principaux facteurs à considérer en appliquant la théorie de l'acquiescement et de l'inertie exposée dans l'arrêt I.N.A.O. c. Andres Wines [...] sont la durée du retard et la nature des actes posés dans l'intervalle, lesquels pourraient avoir une incidence sur l'une ou l'autre des parties et créer une situation plus ou moins équitable qui les inciterait à adopter une ligne de conduite plutôt qu'une autre, au plan de la réparation. M. le juge Dupont a ajouté, à la page 443 que [Traduction] « un simple retard ne suffit pas à priver un demandeur de ses droits juridiques. Cependant, si l'on tient compte de deux autres facteurs, c'est-à-dire la durée du retard et la nature des actes qui ont été posés par la suite, ce fait peut être déterminant » . M. le juge Dupont a ensuite expliqué ce qui suit à la page 445 :

[Traduction] Par conséquent, la Cour doit décider si les demandeurs ont agi de façon à inciter les défendeurs à croire qu'ils n'exerceraient pas leurs droits contre eux. Il s'agit ensuite de se demander si les défendeurs, en se fiant à l'inertie des demandeurs, ont agi à leur propre détriment au cours de la période qui a suivi, c'est-à-dire les dernières soixante années. Ces facteurs, jumelés au « retard indu » des demandeurs avant d'exercer leurs droits permettront de décider s'il est opportun de décerner une injonction dans la présente affaire.

[Références omises.]

[150]        Une part des éléments de preuve présentés à l'appui de cette thèse de Ritvik est pour l'essentiel incontestée. Mais les demanderesses ont élevé une objection à la prise en compte de certains autres éléments de preuve se rapportant à cette question au motif du privilège de transaction, objection que j'accueille pour des raisons que j'exposerai un peu plus loin. Ayant donc fait droit à cette objection, je n'évoquerai pas les éléments en question dans la présente partie de mes motifs.

[151]        Les demanderesses connaissaient l'existence de la série MICRO MEGA BLOKS de Ritvik au moins depuis le moment de son lancement sur le marché canadien au printemps 1991. M. Kjeld Kirk Kristiansen le reconnaît en effet en réponse à une question de l'avocat de Ritvik :

[Traduction]

Q.            Pour ce qui concerne le Canada, vous connaissiez [...] l'existence de la série Micro des Mega Bloks dès le début, au moment où elle a été lancée sur le marché canadien en 1991, n'est-ce pas?


R.            Oui, c'est exact[78].

[152]        À la suite de la mise sur le marché canadien des MICRO MEGA BLOKS de Ritvik, les demanderesses, ou à tout le moins LEGO Canada, se sont plaintes de certaines activités de Ritvik ou de certains aspects du conditionnement de ses produits[79], mais jamais, selon la preuve produite devant la Cour, de la configuration des saillies de la face supérieure des MICRO MEGA BLOKS avant que ne fût déposée et signifiée la demande introductive de la présente instance[80]. On ne saurait contester que, entre le moment du lancement de la série MICRO MEGA BLOKS et le moment où lui a été signifiée la demande introductive de la présente instance, Ritvik a employé des ressources considérables au développement, à la promotion et à la commercialisation de cette série.

[153]        Je constate en revanche, vu l'ensemble de la preuve produite devant la Cour, qu'on ne saurait non plus contester que, dès avant 1991, Ritvik connaissait les efforts considérables que déployait le Groupe LEGO pour défendre partout dans le monde, sinon particulièrement au Canada, ses droits de propriété intellectuelle et, plus généralement, son créneau et sa part de marché.


[154]        Tout compte fait, et vu encore une fois l'ensemble de la preuve produite devant la Cour, je conclus que Ritvik est entrée en concurrence directe avec le Groupe LEGO en pleine connaissance de cause. Je constate que la preuve produite en l'espèce est insuffisante pour étayer la thèse que, lorsque Ritvik a lancé sa série MICRO MEGA BLOKS au printemps 1991, le Groupe LEGO lui aurait fait des communications sur lesquelles elle aurait tablé à son préjudice. Malgré la longueur du temps écoulé entre l'entrée de Ritvik sur le marché et l'introduction de la présente instance, délai qui est resté pour une grande part inexpliqué en l'espèce, je ne puis conclure que la balance penche du côté de Ritvik de manière à justifier que j'accueille ce moyen de défense. Pour reprendre l'argumentation formulée dans la décision White Consolidated, précitée, et plus particulièrement la courte citation qui y est donnée du juge Dupont, « un simple retard ne suffit pas à priver un demandeur de ses droits juridiques » . Or, je constate que le simple retard est tout ce qui a été prouvé en l'espèce.

8)         La prescription

[155]        La dernière question de l'exposé conjoint des questions en litige reproduit plus haut est formulée en ces termes :

[Traduction] Les défenderesses [Ritvik] peuvent-elles faire valoir la prescription? Dans l'affirmative, quel est le délai de prescription applicable?

[156]        L'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale[81] est ainsi libellé :



39. (1) Sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n'est pas survenu dans une province.

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in any province between subject and subject apply to any proceedings in the Court in respect of any cause of action arising in that province.

(2) A proceeding in the Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.



[157]        Il n'a pas été contesté en l'espèce que la Loi sur les marques de commerce ne dit rien des délais de prescription applicables aux actions en commercialisation trompeuse relevant du droit écrit. Les avocats n'ont cité aucune autre loi fédérale dont on pourrait dire qu'elle contienne une « disposition contraire » relativement à la prescription et au délai de prescription applicable à la présente instance. Cela étant, la question est de savoir si le fait générateur de la présente instance est survenu dans une province donnée ou s'il « n'est pas survenu dans une province. » . Cette question est très importante, car dans l'hypothèse où le fait générateur de la présente instance serait survenu dans une province, il n'a pas été notablement contesté devant moi que cette province serait le Québec. Le Québec est la province où sont situés les établissements de fabrication, de commercialisation et de distribution de Ritvik pour le Canada, et le délai de prescription applicable dans cette province est soit de deux ans, soit de trois, délai beaucoup plus court que le temps écoulé entre le moment où les demanderesses ont pris connaissance du lancement sur le marché canadien de la série MICRO MEGA BLOKS de Ritvik et l'introduction de la présente instance. Mais si le fait générateur n'est pas survenu dans une province, le délai de prescription applicable, conformément au paragraphe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale, est de six ans à compter du fait générateur; or, là encore, il n'a pas été notablement contesté en l'espèce que la présente action a été intentée dans ce délai.

[158]        Monsieur le juge Marceau, s'exprimant au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes aux pages 128 et 129 de l'arrêt Canada c. Maritime Group (Canada) Inc.[82] :

Du moment que le fait « générateur » sert de point de repère, on ne peut s'empêcher d'être troublé au premier abord par les sens variés que, dans les actions en délit civil, la jurisprudence a attribués à cette notion selon les fins pour lesquelles elle devait être définie. Je ne pense cependant pas que pareille préoccupation doive persister. À mon avis, l'interprétation de l'article 39 [de la Loi sur la Cour fédérale] ne saurait être affectée par les différentes définitions jurisprudentielles de la notion de « fait générateur » . Dans mon interprétation de cet article, le « fait générateur » d'une action en délit civil, tel qu'il figure dans cette disposition, doit par la force des choses désigner à la fois le dommage et l'acte qui l'a causé. Cette conclusion tient à deux raisons.

La première raison, qui est impérieuse, est que le libellé de cet article nécessite cette interprétation. Il serait inconcevable que le législateur ait employé l'expression « cause of action arising » (le fait générateur ... survenu) trois fois dans les deux premiers paragraphes du texte anglais, dont deux fois dans le deuxième paragraphe qui est bien court, sans lui attribuer le même sens, ce qui aurait constitué une violation des règles les plus fondamentales de la technique législative. Donc, si le sens attribué à cette expression est clair et incontestable dans l'une au moins des trois occurrences, ce sens doit prévaloir tout au long du texte. C'est justement le cas en l'espèce, puisque dans l'une de ces occurrences, l'expression « fait générateur ... survenu » sert à définir le point de départ du délai de prescription. Dans ces conditions, « fait générateur » désigne de toute évidence la survenance du dommage puisque, avant ce moment, il n'y a pas d'action possible.

La seconde raison qui me pousse à conclure que cette expression s'entend à la fois de la survenance du dommage et de l'acte qui l'a causé est que la disposition, entendue dans ce sens, offre la solution la plus raisonnable à la question particulière de la prescription des actions contre l'État. Tout en respectant l'observation des règles de droit privé provinciales, l'article 39 assure une certaine uniformisation et présente l'avantage insigne de prévenir tout conflit de lois possible. En matière de prescription, c'est le droit provincial qui prévaut lorsque tous les éléments de la cause d'action se sont produits dans la province concernée; dans les autres cas, l'action se prescrit par six ans.

[Non souligné dans l'original.]

[159]        S'il est vrai, comme je le constate, que le fait générateur est en l'espèce un délit civil créé par une loi et que le raisonnement qui précède s'y applique donc, nous n'avons pas affaire ici à la « question particulière de la prescription des actions contre l'État » .

[160]        Eu égard à la conclusion formulée dans la dernière phrase de l'extrait ci-dessus des motifs du juge Marceau, la question devient celle de savoir si tous les éléments de la cause de la présente action se sont produits dans la province de Québec. Dans l'affirmative, c'est la loi de cette province qui doit servir de règle. Dans la négative, le délai de prescription est de six ans.

[161]        Pour les raisons exposées ci-dessous, j'estime que le délai de prescription applicable est de six ans. La preuve produite devant moi me convainc que Ritvik a effectué toutes ses ventes de gros de MICRO MEGA BLOKS pour livraison au détail partout au Canada franco ses établissements situés au Québec. Mais ses programmes de publicité et de promotion ont été exécutés partout au Canada, son matériel de présentation à l'étalage a été utilisé de même, et s'il y a eu confusion préjudiciable entre le produit de Ritvik et celui du Groupe LEGO, c'est en grande mesure, sinon entièrement, dans l'esprit des acheteurs au détail d'un océan à l'autre plutôt que dans l'esprit des grossistes. Je constate donc que l'on ne peut tout simplement pas dire que tous les éléments du fait générateur de la présente instance soient survenus au Québec ou dans une autre province considérée isolément.

[162]        En dernière analyse, je conclus que le délai de prescription applicable est, conformément au paragraphe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale, de six ans et que, ce délai n'ayant pas été dépassé, il n'y a pas prescription en l'espèce.

CONCLUSIONS

[163]        Pour faciliter la consultation, je résumerai très brièvement mes conclusions par rapport aux questions formulées par les avocats dans l'exposé conjoint des questions en litige, reproduit plus haut et de nouveau ci-dessous :

[Traduction]

1.             Les demanderesses ont-elles un intérêt reconnu par la loi dans tous droits de marque qu'elles font valoir au Canada relativement à la « marque figurative Lego » ? Cette question ne comprend pas le contrôle de qualité des titulaires de licence ni ne met en cause l'authenticité de quelque document que ce soit relatif à la concession de licences ou à la cession d'autres droits.

Réponse : oui.

[Traduction]

2.             Laquelle des deux thèses suivantes est juste?

                 a)             celle des demanderesses selon laquelle la « marque figurative Lego » est une marque de commerce et peut donc fonder une action sous le régime de l'alinéa 7b);

                 b)             celle des défenderesses selon laquelle cette marque figurative ne constitue pas une marque de commerce valide parce qu'elle possède au moins l'une des caractéristiques suivantes :

i)              elle est fonctionnelle;

ii)             elle a été revendiquée et/ou divulguée dans des brevets expirés;


                                  iii)            elle n'est pas distinctive;

iv)            elle n'a jamais été employée comme marque de commerce par les demanderesses.

Réponse : la thèse de Ritvik. La marque figurative LEGO n'est pas une marque de commerce valide, avant tout parce qu'elle purement fonctionnelle, exception faite de l'inscription « LEGO » apparaissant sur la face supérieure de chaque tenon.

[Traduction]

3.             Les défenderesses ont-elles, en violation de l'alinéa 7b), appelé l'attention du public sur leurs jeux de construction « MICRO » en employant la « marque figurative Lego » de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'elles ont commencé à y appeler ainsi l'attention, entre lesdits jeux « MICRO » et les jeux de construction « LEGO » des demanderesses?

Réponse : non.

[Traduction]

4.             Quand les défenderesses ont-elles « commencé à y appeler ainsi l'attention » ?

Réponse : étant donné mes réponses aux questions 2 et 3, je n'ai pas examiné directement cette question.

[Traduction]

5.              Les demanderesses sont-elles déchues du droit à tout ou partie de la réparation demandée au motif de la préclusion, de l'inertie ou de l'acquiescement?

Réponse : non.

[Traduction]

6.             Les défenderesses peuvent-elles faire valoir la prescription? Dans l'affirmative, quel est le délai de prescription applicable?

Réponse : oui. Le délai de prescription applicable est de six ans et n'a pas été dépassé.

[164]        Il s'ensuit que la présente action sera rejetée. La demande reconventionnelle de Ritvik, à la version finale de laquelle satisfait le rejet de l'action des demanderesses, sera également rejetée.

LES MESURES DE RÉPARATION

[165]        Au cours de l'instruction, les avocats des demanderesses se sont désistés de leur requête en redressement déclaratoire[83].

[166]        La question de la forme de toute injonction ou ordonnance à laquelle les demanderesses auraient droit si elles obtenaient gain de cause a été considérablement débattue, tout comme celle de la justification et de la portée de toute ordonnance qui enjoindrait à Ritvik de remettre les produits contrefaits et de cesser de les utiliser ou de les détruire, et le point de savoir si la restitution des profits était une mesure subsidiaire appropriée de réparation du préjudice dans toutes les circonstances de l'espèce.


[167]        J'ai avisé les avocats que, dans l'hypothèse où je statuerais en faveur des demanderesses - hypothèse qui ne s'est pas vérifiée -, j'estimais qu'une injonction constituait une mesure de réparation appropriée, mais que, plutôt que de prononcer contre Ritvik une injonction dont les dispositions seraient exactement celles que proposent les demanderesses ou, pire encore, de mon propre cru, je les inviterais à essayer de convenir d'une forme appropriée d'injonction et, dans le cas où ils n'arriveraient pas à s'entendre, je les inviterais à me soumettre leurs thèses respectives, entre lesquelles je trancherais par un jugement complémentaire[84]. J'estime qu'une procédure semblable serait indiquée relativement à la saisie-contrefaçon et aux questions connexes, ainsi qu'à la restitution des profits en lieu et place de dommages-intérêts.

[168]        Notre Cour a déjà ordonné, relativement à la présente espèce, que toute question se rapportant au degré de la violation de tout droit, à l'ampleur du préjudice attribuable à une telle violation et aux profits tirés celle-ci devrait être tranchée séparément et après que serait décidé le sort de l'affaire[85]. La communication préalable relative aux mêmes questions a de même été ajournée.

[169]        Comme je l'ai dit plus haut, Ritvik réclame dans sa demande reconventionnelle une déclaration portant qu'elle a le droit de continuer à fabriquer, à offrir en vente et à vendre au Canada les briques et pièces connexes de jeux de construction des séries MICRO et MINI qu'elle vend actuellement au Canada sous la marque de commerce MEGA BLOKS. Or, Ritvik a eu pour l'essentiel gain de cause en l'espèce, et l'action des demanderesses sera rejetée. J'estime que le rejet de l'action des demanderesses constitue une mesure de redressement suffisante pour Ritvik, sous réserve de la question des dépens, que j'examine plus loin. Il ne sera donc pas rendu de jugement déclaratoire de la nature réclamée dans la demande reconventionnelle.


LES DÉPENS

[170]        En principe, j'estime que les dépens doivent suivre le sort du principal. Je ne pense pas qu'une ordonnance d'adjudication des dépens soit justifiée à l'égard de la demande reconventionnelle. Les avocats sont convenus que le règlement des questions relatives au calcul des dépens devrait être ajourné, à moins qu'ils ne puissent s'entendre à ce sujet[86].

[171]        Je sursois à la décision concernant les dépens afférents à la demande reconventionnelle de Ritvik et le calcul des dépens découlant du rejet de l'action des demanderesses. Une fois qu'aura été prononcé le jugement en la présente espèce et que les présents motifs auront été communiqués, les avocats disposeront d'un délai raisonnable pour examiner lesdits jugements et motifs et pour présenter des mémoires sur la question des dépens - dans le cas où ils ne pourraient parvenir à un accord sur cette question -, après quoi, s'il y a lieu, sera rendu un jugement complémentaire relativement aux dépens.


LES QUESTIONS RELEVANT DE DÉCISIONS INTERLOCUTOIRES

[172]        J'ai été invité au cours de l'instruction à rendre un certain nombre de décisions interlocutoires qui n'ont pas été officiellement inscrites au dossier comme ordonnances. J'ai sursis aux décisions interlocutoires relativement à certaines autres questions, notamment à celle du privilège de transcription dont j'ai parlé plus haut. Je consigne brièvement ci-dessous mon analyse et mes conclusions touchant les questions ainsi ajournées.

            1)         Le privilège de transaction


[173]        J'ai fait mention plus haut, sous l'intertitre « Préclusion, inertie et acquiescement » , de certains éléments de preuve orale et documentaire produits au cours de l'instruction à l'égard desquels l'avocat des demanderesses a élevé une objection au motif du privilège de transaction ou de règlement. La preuve documentaire en question revêtait la forme d'une correspondance entre, d'une part, l'avocat qui occupait alors pour les demanderesses, et d'autre part, d'abord le Groupe Ritvik Inc. et plus tard Me Jacques Léger, occupant alors pour Ritvik. Me Léger a comparu en tant que témoin à l'instruction pour identifier cette correspondance et pour déposer sur son contenu. Un bon nombre des communications en question portaient la mention « sous réserve de tous droits » . Dans l'ordonnance que j'ai rendue sur requête orale au dernier jour de l'instruction, c'est-à-dire le 7 février 2002, j'ai prescrit la confidentialité de la correspondance en question, soit des communications recensées dans une annexe à l'ordonnance, ainsi que des éléments de la transcription des débats qui s'y rapportent.

[174]        Les distingués auteurs de The Law Of Evidence In Canada[87] formulent les observations suivantes à la page 807 de cet ouvrage :

[Traduction] On admet depuis longtemps la valeur du principe d'action publique selon lequel les parties doivent être incitées à régler leurs différends privés sans recourir aux tribunaux ou, si une instance est déjà introduite, à transiger plutôt que de plaider.

[...]

Afin de favoriser la réalisation de ces objectifs, les tribunaux protègent contre la divulgation les communications, orales ou écrites, faites en vue d'un accommodement ou d'une transaction. En l'absence d'une telle protection, la plupart hésiteraient à entreprendre des négociations pour un règlement à l'amiable, de peur que toute concession qu'ils seraient disposés à faire ne puisse être utilisée contre eux en cas d'échec de telles négociations [...]

[Renvoi omis.]

[175]        Les auteurs ajoutent ce qui suit à la page 810 :

[Traduction] La reconnaissance du privilège est subordonnée à un certain nombre de conditions :

a)             un différend litigieux doit s'être élevé ou être envisagé;

b)             la communication doit être faite sous la réserve explicite ou tacite qu'elle ne soit pas divulguée au tribunal en cas d'échec des négociations;

c)             la communication doit avoir pour but un règlement à l'amiable.

[Renvoi omis.]

[176]        J'ai la conviction que les communications de la correspondance considérée ont été échangées en vue d'une transaction, sous la réserve tacite qu'elles ne fussent pas divulguées à un tribunal en cas d'échec des négociations et dans le but de parvenir à un règlement à l'amiable.

[177]        Mon ordonnance en date du 7 février 2002 restera en vigueur. Il est enjoint au greffe de veiller à ce que les dispositions en soient respectées.

            2)         L'admissibilité de certaines transcriptions de procédures étrangères

[178]        Ritvik a exprimé le désir de faire consigner en preuve, parmi les extraits de ses interrogatoires préalables, des passages de transcriptions de procédures auxquelles avaient participé des membres du Groupe Lego à Hong Kong, au Royaume-Uni et en Israël. L'avocat des demanderesses a fait remarquer qu'aucune de ces instances ne portait sur les droits de marque, mais qu'elles se rapportaient plutôt au droit d'auteur et au droits afférents aux dessins ou modèles industriels. Il a élevé une objection à la prise en compte de ces passages, bien qu'ils aient été produits devant moi et aient été versés au dossier, sous réserve de toute ordonnance que je rendrais à ce sujet. Je puis assurer les avocats et les parties que, bien qu'ayant pris connaissance des passages en question afin d'examiner l'objection de l'avocat des demanderesses, j'ai décidé de ne leur donner aucun poids et ne leur ai effectivement donné aucun. Cela étant, j'estime utile de répondre d'une manière plus officielle à ladite objection.


3)         L'admissibilité d'un déclaration de M. Per Randers

[179]        L'avocat de Ritvik a produit une déclaration faite par un certain M. Per Randers dans une procédure relative aux droits de marque intentée au Royaume-Uni et à laquelle avaient participé des membres du Groupe Lego. Or, comme l'avocat des demanderesses l'a fait observer avec raison, les éléments de cette déclaration que j'estimais les plus révélateurs avaient été reconnus par M. Randers dans son témoignage devant moi et en contre-interrogatoire.

[180]        Vu l'objection de l'avocat des demanderesses et les aveux de M. Randers en l'espèce, j'ai décidé de ne pas tenir compte du reste de la déclaration en cause. Tous autres éléments de celle-ci qu'aurait voulu invoquer l'avocat de Ritvik eussent pu faire l'objet de questions à M. Randers au cours de son témoignage sur ce point.

  

« Frederick E. GIBSON »

     Juge

   

OTTAWA (Ontario)

le 24 mai 2002

  

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


                                  TABLE DES MATIÈRES

Page                                                                                                                              Paragraphes

1                      INTRODUCTION                                                                                    1 - 4

4                      LE CONTEXTE                                                                                        5 - 18

13                    LES MESURES DE RÉPARATION DEMANDÉES                      19 - 21

14                   EXPOSÉ DES QUESTIONS EN LITIGE                                           22 - 23

16                   LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES              24 - 27

19                   DESCRIPTION GÉNÉRALE DE LA PREUVE                                28 - 32

21                   ANALYSE

21                    1)         L'intérêt reconnu par la loi des demanderesses dans

les droits au Canada qu'elles font valoir relativement

à la marque figurative LEGO                                                    33 - 37

22                   2)         La compétence de la Cour                                                          38 - 43

26                   3)         La « fonctionnalité » et la marque figurative LEGO            44 - 62

35                   4)         L'objet revendiqué et/ou divulgué dans le brevet

expiré                                                                                           63 - 67

38                    5)         Le caractère distinctif de la marque figurative LEGO

et son emploi comme marque de commerce              68 - 75


Page                                                                                                                              Paragraphes

41                    6)         La commercialisation trompeuse

41                                a)         Principes généraux                                                         76 - 79

44                                 b)         L'achalandage                                                                 80

45                                              i)          Le Groupe LEGO est pourvu

d'achalandage                                                    81 - 86

48                                              ii)         L'achalandage du Groupe LEGO

découle-t-il en tout ou en partie de

la marque figurative LEGO?              87 - 118

62                                 c)         La déception du public due à une représentation

trompeuse

62                                             i)          Principes généraux                                            119 - 125

66                                              ii)         Les éléments de preuve relatifs à

la confusion                                                         126 - 136

71                                              iii)        Conclusion touchant la confusion                    137

71                                              iv)        La représentation trompeuse                          138 - 145

78                                 d)         Le préjudice subi par les demanderesses                   146

78                                 e)         Conclusion touchant la contravention à l'alinéa 7b)

de la Loi                                                                           147

79                    7)         Préclusion, inertie et acquiescement                                       148 - 154

82                    8)         La prescription                                                                             155 - 162

86                    CONCLUSIONS                                                                                      163 - 164

88                    LES MESURES DE RÉPARATION                                                   165 - 169


Page                                                                                                                              Paragraphes

90                    LES DÉPENS                                                                                           170 - 171

91                    LES QUESTIONS RELEVANT DE DÉCISIONS

INTERLOCUTOIRES                                                                            172

91                   1)         Le privilège de transaction                                                         173 - 177

93                   2)         L'admissibilité de certaines transcriptions de

procédures étrangères                                                                178

94                   3)         L'admissibilité d'une déclaration de M. Per Randers          179 - 180        


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

             Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :        T-2799-96

INTITULÉ :                       KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.

           demanderesses/défenderesses reconventionnelles

- et -

GESTIONS RITVIK INC. / RITVIK HOLDINGS INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

DATES DE L'AUDIENCE :           14-18 janvier, 20-25 janvier, 28-31 janvier, 1er février et 4-7 février 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :         24 mai 2002

COMPARUTIONS :

Robert H.C. MacFarlane          Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles

Michael E. Charles

Christine M. Pallota

Adam Bobker                                                                 

Ronald E. Dimock              Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

Dino P. Clarizio

Henry Lue                             


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                 Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles

C.P. 401

40, rue King Ouest, bureau 4000

Toronto (Ontario) M5H 3Y2

Dimock Stratton Clarizio             Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

Barristers and Solicitors

C.P. 102

20, rue Queen Ouest, bureau 3202

Toronto (Ontario) M5H 3R3



[1]         Il apparaît que le Groupe LEGO est un groupe d'envergure mondiale dont KIRKBI et LEGO Canada ne sont que deux membres parmi d'autres.

[2]         L.R.C. (1985), ch. T-13.

[3]         Pièce J-2.

[4]       Jouets Ritvik Inc./Ritvik Toys Inc. était, jusqu'à une date ayant précédé de peu le présent procès, codéfenderesse et codemanderesse reconventionnelle. Du fait de sa dissolution, son nom a été rayé de l'intitulé de la cause par ordonnance sur consentement de la Cour.

[5]       Le changement d'orthographe du nom de famille Christiansen en Kristiansen a été expliqué par M. Kjeld Kirk Kristiansen dans un passage versé au dossier de son témoignage à l'instruction. Ce changement n'a absolument aucune pertinence relativement à la présente action.

[6]       Les jouets ou briques emboîtables KIDDICRAFT relevaient de ce brevet. Voir les paragraphes 32 et 33 de l'exposé conjoint des faits.

[7]       Un certain nombre de catalogues destinés aux revendeurs de produits LEGO et d'autres, beaucoup moins détaillés, faits pour être inclus dans les emballages de produits LEGO ont été produits devant la Cour en preuve documentaire.

[8]       « Ritvik » est un acronyme tiré des prénoms de M Victor Bertrand père et de son épouse, Mme Rita Bertrand.

[9]       Tout au long de l'instruction, les termes « protubérances » , « saillies » , « bossages » et « tenons » ont été employés de façon interchangeable. Dans le reste des présents motifs, le terme « tenons » sera employé de préférence. L'expression « effet de fixation » est brièvement définie au paragraphe 31 de l'exposé conjoint des faits.

[10]      Par contre, les briques du Groupe LEGO, ainsi que, à ce qu'on affirme, la plupart des autres éléments de ses jeux, sont en plastique ABS et présentent un lustre supérieur, tout comme, soutient-on, d'autres caractéristiques qui contribuent à la réputation de qualité supérieure, de fiabilité et d'effet de fixation solide des jouets LEGO.

[11]      Les brevets canadiens nos 629,732 et 880,418 ont été définis tout au long de l'instruction comme étant les brevets de base de LEGO. S'il est vrai que les tenons de la brique LEGO sont mentionnés dans les revendications du brevet 629,732 au moins, ils ne constituent en soi l'objet de ni l'un ni l'autre des brevets de base de LEGO, étant donné que les tenons en tant qu'éléments d'un dispositif d'emboîtement ont été divulgués et revendiqués dans le brevet canadien Page.

[12]       Pièce J-1.

[13]       Pièce J-3 (recueil commun de documents), vol. 10.

[14]       (1998), 79 C.P.R. (3d) 45 (C.A.F.).

[15]       Voir Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, à la p. 474.

[16]       L.R.C. (1985), ch. F-7.

[17]       (1987), 14 C.P.R. (3d) 314 (C.A.F.); voir aussi le passage cité au paragraphe 36 des présents motifs de l'arrêt Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, supra, note 14.

[18]       [1977] 2 R.C.S. 134.

[19]       (1999), 86 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.); avis d'appel déposé le 29 juin 1999, A-404-99.

[20]       (2001), 13 C.P.R. (4th) 515 (C.F. 1re inst.), paragraphes 30 et 31.

[21]       Pièce D-107.

[22]       (1995), 64 C.P.R. (3d) 467 (C.A.F.); demande de pourvoi refusée (1996), 67 C.P.R. (3d) VI (note) (C.S.C.).

[23]       S.C. 1932, ch. 38.

[24]       Ottawa, Imprimeur de la Reine, 20 janvier 1953.

[25]       (2000), 7 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.).

[26]       (1981), 56 C.P.R. (2d) 145, à la p. 154 (C.S.C.).

[27]       Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. (Toronto: Carswell, 1969), p. 163.

[28]       [2000] 2 R.C.S. 1067.

[29]       [1938] All E.R. 618, à la p. 633.

[30]       (1998), 83 C.P.R. (3d) 331 (C.F. 1re inst.).

[31]       [1964] R.C.S. 351.

[32]      (1909), 26 R.P.C. 765, à la p. 771 (C. A.).

[33]       [1982] 1 R.C.S. 494.

[34]       [1998] R.P.C. 69, aux p. 111 et 112 (H.C.J. - Ch. Div.).

[35]       (1996), 71 C.P.R. (3d) 348 (C.F. 1re inst.).

[36]       [1990] R.P.C. 341, à la p. 406 (H.L.).

[37]       [1992] 3 R.C.S. 120.

[38]       Supra, note 17.

[39]       Voir Association des Grandes Soeurs de l'Ontario c. Les Grands Frères du Canada (1997), 75 C.P.R. (3d) 177, où, à la page 223, sous l'intertitre « Question no 4 » , j'ai adopté un mode d'analyse semblable [décision confirmée dans l'ensemble par la Cour d'appel dans (1999), 86 C.P.R. (3d) 504]; Eli Lily and Co. c. Novopharm Ltd., (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, à partir de la page 419 (C.F. 1re inst.); confirmée par (2000), 10 C.P.R. (4th) 10 (C.A.F.); Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer (1996), 66 C.P.R. (3d) 453 (C.F. 1re inst); confirmée par (1998), 79 C.P.R. (3d) 45 (C.A.F.); Prince Edward Island Mutual Insurance c. Insurance Co. of Prince Edward Island (1999), 159 F.T.R. 112; et Top-Notch Construction Ltd. c. Top-Notch Oil Field Services Ltd. (2001), 13 C.P.R. (4th) 515 (C.F. 1re inst.). Voir aussi, à peu près dans le même ordre d'idées, Westfair Foods Ltd. c. Jim Pattison Industries Ltd.,(1989), 26 C.P.R. (3d) 28 (C.S.C.-B.), confirmée par (1990), 30 C.P.R. (3d) 174 (C.A.C.-B.); et Molson Canada c. Oland Breweries Ltd., [2001] O.J. no 431 (C.S.J.).

[40]       Supra, note 17.

[41]       1984, 4e éd., vol. 48, p. 108; 2000 (nouveau tirage), 4e éd., vol. 48, p. 195, par. 308.

[42]       Pièce P-61.

[43]      Transcription, vol. 14, p. 2130, lignes 18 à 25, et p. 2131, ligne 1.

[44]      Transcription, vol. 14, p. 2275, lignes 14 à 19.

[45]       Pièce D-125.

[46]       Pièce D-124.

[47]       J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1999).

[48]       (2000), 9 C.P.R. (4th) 429 (C.F. 1re inst.).

[49]       Pièce P-33, affidavit d'expert de Gillian Humphreys, par. 2.

[50]       Pièce P-18.

[51]      Pièce P-18, p. 8.

[52]       Transcription, vol. 4, p. 590.

[53]      Transcription, vol. 4, p. 596.

[54]       Pièce D-122.

[55]       Pièce D-113.

[56]      Rapport d'expert du professeur Michael J. Tarr, pièce D-124, par. 39 à 41.

[57]       (1949), 9 C.P.R. 67 (C. Éch. C.).

[58]       Supra, note 17.

[59]       (1994), 53 C.P.R. (3d) 129, aux p. 141 et 142 (C.A. Alb.).

[60]       (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.).

[61]       Pièce P-17, annexe C.

[62]       Pièce P-18.

[63]       Pièce D-118.

[64]       Pièce D-119.

[65]      Pièce D-113, par. 38.

[66]       Pièce D-120.

[67]       Pièce D-121.

[68]      Pièce D-113, par. 49.

[69]       M. Eric Gottlieb : transcription, vol. 4, p. 623 à 640; Mme Pam Lahn et M. Larry Lahn : transcription, vol. 5, p. 736 à 740 et 741 à 748, respectivement; M. Mike Gurin : transcription, vol. 6, p. 803 à 819; et Mme Blanche Martin : transcription, vol. 8, p. 1069 à 1074.

[70]       Pièce J-3, vol. 10, onglets B-1 à B-4.

[71]       La partie pertinente du témoignage en interrogatoire principal de M. Boland se trouve dans le volume 7 de la transcription, p. 975 à 981.

[72]       Supra, note 36.

[73]       Reckitt & Colman, précité, à la p. 407.

[74]       Reckitt & Colman, précité, aux p. 414, 416 et 425.

[75]       Supra, note 30. Une partie de ce passage figure déjà au paragraphe 67 des présents motifs; nous la reproduisons ici pour faciliter la consultation. De même, le passage invoqué par le juge Rouleau est cité en partie au paragraphe 120 ci-dessus.

[76]       Pièce P-61.

[77]       (1991), 39 C.P.R. (3d) 94 (C.F. 1re inst.).

[78]      Transcription, vol. 1, p. 130.

[79]       Transcription, vol. 13, p. 2096.

[80]       La demande introductive de la présente instance a été déposée sous sa première forme le 20 décembre 1996, mais n'a été signifiée à Ritvik qu'en juin 1997.

[81]       L.R.C. (1985), ch. F-7.

[82]       [1995] 3 F.C. 124 (C.A.).

[83]       Transcription, vol. 16, p. 2559.

[84]       Transcription, vol. 18, p. 2785.

[85]       Dossier révisé de l'instruction, onglet 1; et ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 9 juillet 1999.

[86]       Transcription, vol. 19, p. 2954 et 2955.

[87]       Supra, note 47.

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