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Date : 19990927


Dossier : IMM-6424-98



Entre :

     MANDEEP SINGH CHAHAL,

     Partie demanderesse,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie défenderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Dans cette affaire, la Cour est appelée à décider de l'impact d'une question inusitée: le fait par un revendicateur du statut de réfugié de ne pas avoir relaté, dans son récit des "incidents importants" (question 37 du formulaire de renseignements personnels (FRP)), un événement dont il fut question lors de son témoignage, événement impliquant des tiers survenu après qu'il eût signé sa déclaration, autorise-t-il la section du statut à le juger non crédible en raison de cette omission? Subsidiairement, l'invitation lancée au demandeur par le tribunal, en début d'audience, d'apporter des amendements à son FRP, s'il le souhaitait, l'obligeait-elle à relater ce fait?

[2]      Il s'agit donc, en l'espèce, d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section du statut") rendue le 10 novembre 1998, selon laquelle le demandeur, citoyen Indien, n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[3]      Un résumé des faits s'impose. Le demandeur exploitait une entreprise de livraison de lait. Le 9 octobre 1992, trois hommes armés ont saisi son véhicule, l'ont averti de ne rien rapporter à la police et l'ont informé que son véhicule lui serait remis à sa résidence familiale. Accompagné de ses parents, le demandeur discutait de cette mésaventure avec le maire du village1 lorsque des coups de feu furent tirés. Alors qu'ils entraient dans la maison du demandeur, les trois hommes armés échangeaient des coups de feu avec des policiers. Lorsque le demandeur entra dans la maison, il vit trois policiers fouiller l'endroit et ensuite il vit son oncle et sa tante étendus morts sur le plancher. Il tomba évanoui.

[4]      Le demandeur fut arrêté, détenu pendant 7 jours et torturé. Suite à ce supplice, le demandeur vendit son véhicule de livraison et partit vivre avec un oncle à Calcutta. Lorsque les policiers sont venus enquêter à son sujet, le père du demandeur leur répondit que son fils était parti outre-mer.

[5]      Lorsqu'en 1997 le demandeur revint dans son village, il fut arrêté par des policiers. Il comprit alors que ses problèmes avec la police continueraient en raison de l'incident de 1992. Il eut l'impression qu'il n'y avait pas d'autre alternative que de chercher la protection internationale. Le demandeur, arrivé au Canada le 4 octobre 1997, revendiqua le statut de réfugié le même jour.

[6]      La section du statut a conclu à l'absence de crédibilité du demandeur en se fondant sur certaines invraisemblances et contradictions dans son témoignage, y compris des omissions de faits dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et a rejeté sa demande de statut de réfugié.

[7]      Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur plaide d'abord que le tribunal a erré en droit en introduisant un nouveau concept relativement à la crédibilité. Il plaide aussi que la section du statut a tiré des conclusions d'omission non fondées. Je reviendrai plus loin sur ces deux arguments. Il plaide enfin que le tribunal a relevé, au détriment du demandeur, six invraisemblances, toutes non fondées. À cet égard, conscient que l'appréciation des faits et de la crédibilité d'un témoin relève de la section du statut et que cette Cour ne doit intervenir qu'en cas d'erreur manifeste, je m'abstiendrai d'intervenir. En effet, le demandeur ne m'a pas convaincu que l'évaluation que le tribunal a faite de certains événements relatés par le demandeur ou contenus dans son FRP était déraisonnable. Certaines conclusions d'invraisemblances2 m'apparaissent, à la lumière des explications fournies par le demandeur, peu pertinentes et se situer aux limites du raisonnable, mais elles ne justifient pas l'intervention de cette Cour.

[8]      Ayant relevé ces invraisemblances dans la preuve du demandeur, le tribunal a émis le commentaire suivant:

All these events considered separately would not have prevented the claimant to be granted the benefit of doubt. Taken together, they led the panel to consider that Mr. Chahal is not a credible witness.



Le demandeur voit dans ce commentaire de la section du statut l'énoncé d'un concept nouveau relativement à la crédibilité. Il reformule ainsi ce commentaire: chacun des événements n'enlèverait pas le bénéfice du doute au demandeur mais pris ensemble, ces mêmes événements feraient perdre le bénéfice du doute . . . et rendraient le témoin moins crédible à un point tel que l'ensemble de son témoignage serait atteint de nullité et rejeté dans son ensemble. Cette proposition formulée par le procureur du demandeur me semble juste si elle signifie qu'on ne peut juger non crédible un demandeur à qui on accorde le bénéfice du doute sur chaque événement pour ensuite conclure qu'on lui refuse un tel bénéfice sur l'ensemble de ceux-ci. De toute évidence, un tel concept n'a pas de sens et constituerait une erreur de droit au sujet de laquelle la Cour se devrait d'intervenir.

[9]      J'estime cependant qu'en l'occurrence, l'intervention de la Cour n'est pas nécessaire dans la mesure où une autre interprétation peut être donnée à ce commentaire du tribunal. En effet, il me semble que les deux phrases que comporte le commentaire jugé erroné par le demandeur doivent être scindées et analysées séparément. Ainsi, il n'était pas faux d'affirmer d'abord que tous les événements, considérés séparément, n'empêchaient pas le revendicateur d'avoir droit au bénéfice du doute. Mais en affirmant ensuite que tous ces événements, considérés ensemble, n'en faisaient pas un témoin crédible, j'estime que le tribunal ne référait plus à la notion de bénéfice du doute mais à la somme des événements qui, dans la mesure où ils avaient été jugés invraisemblables, le rendait non crédible. En ce sens, le commentaire de la section du statut n'énonce pas un concept déraisonnable, comme le prétend le demandeur.

[10]      Reste le dernier moyen soutenu par le demandeur, à savoir les omissions dont la section du statut a tenu compte pour le juger non crédible. Ces omissions, si elles sont fondées, ont joué un rôle capital en ce qu'elles sont à la base même de la décision du tribunal. Voici comment la section du statut s'est exprimée:


     Yet, during his oral testimony, it became manifest that he omitted to mention in his PIF that, allegedly, he was detained and tortured during four days in 1997, that his father was arrested in January 1998 and had been into hiding since his release, and that his uncle in Calcutta was also arrested and released the same day. Asked to explain these omissions, the claimant stated that when the PIF was filled, the interpreter told him not to write everything. This explanation is not acceptable since he made some amendments when the hearing began and he confirmed afterwards that his PIF was true and complete.



[11]      Après une étude attentive du dossier, j'estime que la première omission reprochée au demandeur - ne pas avoir mentionné dans son FRP qu'il avait été détenu et torturé pendant quatre jours en 1997 - n'en constitue pas une. En effet, le demandeur, dans son récit en réponse à la question 37 de son FRP (p. 22 du dossier du demandeur), a déclaré ceci:


After five years, I decided to come back hoping things have changed. After four days the police came home. I was arrested and taken to local police station. There they interrogated and asked me where I lived for such a long time. I again told them the truth, however they did not believe me again.
Rather they alleged that I was linked to militants and had come to Punjab again to bring violence back. The police threatened me they will kill me, pushed me around and beat me, as well.
     (Mon soulignement)



J'estime qu'il était abusif pour le tribunal, dans les circonstances, de reprocher une telle omission au demandeur alors qu'il avait affirmé dans son FRP avoir été détenu et battu.

[12]      Quant aux autres omissions relevées par le tribunal - l'arrestation de son père et de son oncle en janvier 1998 -, elles soulèvent une question inusitée que j'ai formulée au début de ces motifs. À ce sujet, il importe de revoir les faits particuliers relatifs à l'analyse de cet argument. Le demandeur a signé son FRP le 12 décembre 1997 (p. 24 du dossier du demandeur). Il y relatait des faits survenus d'abord en 1992 puis en 1997, avant son arrivée au Canada en octobre 1997. Lors de l'audition de sa demande devant la section du statut, le 22 octobre 1998, le membre qui présidait la section du statut s'est enquis auprès du demandeur à savoir s'il avait des amendements à apporter à la question 37 de son FRP (p. 273 du dossier du tribunal). Un amendement mineur fut apporté. Ce n'est que durant le témoignage du demandeur que celui-ci eût l'occasion de faire état de l'arrestation, en janvier 1998, de son père et de son oncle.

[13]      Le tribunal, comme je l'ai mentionné plus haut, a rejeté la revendication du demandeur en raison de son omission d'indiquer ces faits dans son FRP ou lors des amendements au début de l'audition. J'estime que, ce faisant, la section du statut a commis une erreur qui justifie l'intervention de cette Cour.

[14]      D'abord il va de soi que le demandeur ne pouvait, lorsqu'il a signé son formulaire de renseignements personnels le 12 décembre 1997, y inscrire des événements qui n'allaient survenir qu'en janvier 1998. Aurait-il dû les dénoncer lorsqu'on l'a invité, en octobre 1998, à apporter des amendements à son FRP? J'estime que non. S'il devait en être autrement, l'invitation lancée au demandeur aurait été de faire un nouveau récit des incidents importants relatifs à sa revendication et non pas des amendements. Par ailleurs, il n'était pas déraisonnable pour le demandeur de ne pas préciser, en apportant des amendements à son FRP, des faits impliquant des tiers et qui ne concernaient qu'indirectement sa revendication de statut de réfugié en raison de la persécution dont il se disait l'objet.


[15]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Vu la conclusion à laquelle la Cour en vient, il n'y a pas matière à certifier une question sérieuse de portée générale.


                             _________________________

                             Juge


Ottawa (Ontario)

le 27 septembre 1999

__________________

     1      Nommé "the village Sarpanch" dans le récit du demandeur.

     2      Que le demandeur ne puisse reconnaître deux hommes la nuit; que sa jeune soeur ne soit pas restée à la maison, le soir, avec son oncle et sa tante; que la police n'ait pu s'auto-accuser; etc.

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