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     T-1710-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE 8 JUILLET 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

Entre :

     BARRY GREEN,

     requérant,

     - et -

     LE CONSEIL DU TRÉSOR (TRANSPORTS CANADA),

     intimé.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     Vu la demande de contrôle judiciaire introduite en application de l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, contre la décision rendue le 14 juin 1996 [la décision] par Rosemary Vondette Simpson, arbitre désignée sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [l'arbitre] dans le dossier no 166-2-26720 de la CRTFP, et par laquelle le requérant demande une ordonnance portant annulation de cette décision,

     Fait droit à la demande et renvoie l'affaire à un autre arbitre qui appliquera la sanction adaptée aux circonstances de la cause, compte tenu des principes de discipline progressive et corrective ainsi que des motifs de la présente décision.

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     T-1710-96

Entre :

     BARRY GREEN,

     requérant,

     - et -

     LE CONSEIL DU TRÉSOR (TRANSPORTS CANADA),

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge CULLEN

     Par cette demande de contrôle judiciaire introduite en application de l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, contre la décision rendue le 14 juin 1996 [la décision] par Rosemary Vondette Simpson, arbitre désignée sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [l'arbitre] dans le dossier no 166-2-26720 de la CRTFP, le requérant demande une ordonnance portant annulation de cette décision.

LES FAITS DE LA CAUSE

     Les faits de la cause ne sont pas contestés et, sauf les éléments pertinents de la décision de l'arbitre, il n'est pas nécessaire de les rappeler en détail.

     Après 23 années de service dans les fonctions de contrôleur de la circulation aérienne, le requérant a été congédié le 29 mai 1995 pour raisons disciplinaires. Selon la décision de renvoi, ses agissements " trahissaient un mépris inadmissible des responsabilités de [son] poste ", présentant ainsi un risque pour la sécurité des usagers du transport aérien.

     Le requérant a contesté son congédiement par voie de grief auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. L'arbitre l'en a débouté en raison de la gravité de la transgression, de la possibilité de récidive, et de sa conclusion que la décision prise par l'employeur de congédier le requérant n'était pas déraisonnable en ce que le lien de confiance entre les deux avait été irrémédiablement rompu.

LES POINTS LITIGIEUX

     Tout en reconnaissant qu'il y avait matière à sanction disciplinaire, le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur faute de l'avoir réintégré dans ses fonctions avec une sanction disciplinaire réduite. Et aussi qu'elle a commis une erreur en rejetant son grief.

     Plus spécifiquement, les erreurs de droit invoquées par le requérant sont les suivantes : 1) les conclusions de l'arbitre en matière de crédibilité; 2) la constatation faite par l'arbitre qu'il ne manifestait ni remords ni compréhension des conséquences de ses agissements (selon son avocat, il y a erreur sur ce point en ce que la conclusion va à l'encontre de la preuve non réfutée qu'il s'agissait d'un incident isolé dans toute la carrière du requérant); et 3) le défaut par l'arbitre d'appliquer les principes juridiques en matière de circonstances atténuantes lorsqu'elle se prononçait sur la sanction qu'était le congédiement.

ANALYSE

Les textes applicables

     Le Manuel de gestion et d'administration - Service de la circulation aérienne [ATSAMM] prévoit ce qui suit dans sa note 1 :

     Un contrôleur ou un spécialiste " seul en poste " ne devrait quitter son poste que par nécessité absolue. De plus, il devrait utiliser son jugement de façon à ne prendre que de courtes périodes de repos, et ce, au cours de périodes de la journée où il n'y a aucun trafic connu ou prévu. Le contrôleur ou le spécialiste devra informer les unités appropriées (ex. : FSS locale, tour de contrôle, unité IFR, etc.) et diffuser sur la(les) fréquence(s) appropriée(s), qu'aucune personne ne sera en service à cette unité pour (nombre) minutes.         

     L'autre texte applicable, le Manuel d'exploitation des services de circulation aérienne [MANOPS], prévoit ce qui suit :

     Les surveillants peuvent accorder des pauses au personnel en combinant les postes d'exploitation, à condition que : (N)         
     A.      le volume de travail en cours et prévu le permette; et
     B.      l'employé puisse être rappelé rapidement.         

     Note :

     Dans la mesure où le personnel en place et le volume de travail le permettent, les employés pourront quitter leur poste de travail pour :         
     -      de courtes pauses; et         
     -      une période raisonnable de repas.         

Enfin, la convention collective prévoit que les pauses-déjeuner sont subordonnées aux nécessités du service.

La norme de contrôle judiciaire

     Les arbitres de la Commission des relations de travail dans la fonction publique sont habilités à entendre les griefs en matière de congédiement sous le régime de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

     La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique pose que la Cour doit faire preuve de retenue vis-à-vis de l'arbitre1. Le requérant soutient qu'à l'instar du critère de la décision manifestement déraisonnable, la norme de la retenue de la juridiction de contrôle ne s'applique qu'aux différends qui tombent dans la sphère d'expertise de l'instance administrative en question. Les décisions relatives aux matières échappant à l'expertise de l'instance administrative sont susceptibles de contrôle au regard de la norme de la décision correcte2. Dans le cas où le point litigieux tombe dans la sphère d'expertise de l'instance administrative et où il y a lieu à retenue de la part de la juridiction de contrôle, le critère applicable aux questions de droit est celui-ci : " seules les décisions que n'étaye pas la preuve sont susceptibles d'intervention "3.

     Je conclus qu'en l'espèce, la matière litigieuse relevait bien de l'expertise de l'arbitre en question, et la norme applicable est celle de la retenue de la juridiction de contrôle.

Premier point litigieux : les conclusions de l'arbitre en matière de crédibilité

     Le requérant soutient que l'arbitre a tiré des conclusions incorrectes sur sa crédibilité, en ce qu'elle n'a pas appliqué la règle établie par la jurisprudence Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.) [Browne v. Dunn], pages 70 et 71. Cette règle, proprement résumée, pose que celui qui contre-interroge un témoin doit le prévenir à l'avance qu'il a l'intention d'attaquer sa crédibilité par des preuves extrinsèques4. Le requérant soutient que l'arbitre n'a pas observé cette règle en concluant qu'il avait quitté la tour de contrôle non pas parce qu'il pensait que c'était permis vu l'autorisation qui avait été précédemment donnée à un de ses collègues, M. Larivière. Celui-ci n'avait pas été contre-interrogé sur son témoignage qui contredisait celui du requérant sur ce point. Si l'avocat d'une partie entend contester la crédibilité du témoin en citant un autre témoin, le premier doit être confronté à ce témoignage pendant que lui-même est encore à la barre. Ainsi donc, l'arbitre s'est fondée à tort sur un témoignage contraire pour se prononcer sur la crédibilité du requérant.

     Analyse : Bien que la Commission des relations de travail dans la fonction publique exerce une fonction juridictionnelle, elle n'est pas tenue aux règles strictes de preuve que doivent observer les tribunaux judiciaires. Plus spécifiquement, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, par son article 25, investit l'arbitre des pouvoirs suivants dans l'audition ou le règlement de toute affaire dont la Commission est saisie :

     a) de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives, convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment oralement ou par écrit ainsi qu'à produire les documents et objets que la Commission estime indispensables pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;         

     "

     c) recevoir et accepter, sous serment, par affidavit ou sous toute autre forme, les éléments de preuve et les renseignements qu'elle juge appropriés, qu'ils soient admissibles ou non en justice, et notamment refuser tout élément de preuve qui n'est pas présenté dans la forme et au moment prévus par règlement;         

                                                 [non souligné dans l'original]

La loi prévoit donc clairement que l'arbitre n'est pas soumis aux strictes règles de preuve auxquelles sont tenus les tribunaux judiciaires.

     Il s'ensuit qu'aux fins de contrôle judiciaire, la norme d'appréciation des preuves par l'arbitre est moins rigoureuse que celle qui s'applique aux instances judiciaires. Je ne peux accepter l'argument du requérant que la norme du caractère correct s'applique au traitement par l'arbitre des règles de preuve. Faire droit à pareil argument aurait pour effet de transformer des instances administratives en tribunaux judiciaires, ce qu'elles ne sont pas. Une telle limitation injustifiée de la compétence du tribunal administratif compromettrait son fonctionnement et son efficacité.

     L'arbitre a permis à l'avocat de l'employeur d'attaquer, à la fin de son argumentation, la crédibilité de dépositions non expressément contestées. L'avocat du requérant soutient que la prise en compte de preuves qui auraient due être exclues en application de la règle dégagée dans Browne v. Dunn a abouti à la conclusion défavorable sur la crédibilité de son client. Que cette conclusion était la raison fondamentale pour laquelle l'arbitre n'a pas ordonné sa réintégration. Et que l'arbitre ne pouvait se fonder sur une preuve inadmissible en justice pour tirer une conclusion déterminante dans sa décision.

     Il se trouve cependant que la conclusion sur la crédibilité, tout importante qu'elle soit, n'était pas le seul motif par lequel l'arbitre n'a pas ordonné la réintégration du requérant. Il ressort de sa décision qu'il y avait d'autres motifs tout aussi déterminants : la rupture du lien de confiance entre le requérant et son employeur, la gravité de la transgression, ainsi que l'appréciation faite par l'arbitre de l'attitude du requérant envers la gravité de ses agissements.

     Puisque la conclusion sur la crédibilité n'était pas le facteur déterminant de la décision de l'arbitre, je ne vois aucune raison d'y toucher5.

     L'arbitre a pleine compétence pour connaître des affaires de congédiement. Elle a entendu les dépositions et observé le témoin. Elle était en droit, et était tenue, de peser les preuves et témoignages produits et de s'y fonder pour rendre sa décision. Elle a examiné deux témoignages contradictoires (selon M. Larivière, il avait dit au requérant, avant les incidents en question, qu'il avait eu la permission de s'absenter une demi-heure du poste de travail, alors qu'on peut entendre sur la bande magnétique de la tour de contrôle, enregistrée après ces incidents et jouée à l'audience, l'étonnement du requérant que M. Larivière eût reçu cette permission), et ajouté foi à l'un au détriment de l'autre. Elle devait faire ce choix dans le contexte de tous les témoignages et preuves dont elle était saisie. Il se peut que je n'eusse pas tiré la même conclusion sur la crédibilité, mais je ne vois, sur le plan juridique, aucune raison de toucher à la manière dont l'arbitre pesait les preuves et témoignages ni à sa décision fondée sur cette appréciation. La question qui se pose en l'espèce est celle de la force probante, et non de la violation de la règle établie par Browne v. Dunn.

     Cette règle vise au traitement équitable des témoins et des parties. Elle n'est cependant pas une règle absolue, et elle ne va pas jusqu'à poser que le témoignage du témoin qui n'est pas soumis au contre-interrogatoire est présumé véridique6. Tel est en particulier le cas quand le témoignage, qui n'est pas soumis à l'épreuve du contre-interrogatoire, contredit d'autres preuves; cf. R. v. Mete (1973), 22 C.R.N.S. 387, [1973] 3 W.W.R. 709, à la page 712, où le juge Bull de la Cour d'appel s'est prononcé en ces termes :

     [TRADUCTION]

     Faute de jurisprudence en la matière " je ne peux trouver aucune raison ou logique dans l'argument qu'un juge ne peut rejeter un témoignage auquel il n'ajoute pas foi, et ce du seul fait que ce témoignage n'a pas été soumis à l'épreuve du contre-interrogatoire. "         
     J'ai du mal à concevoir, à supposer que l'affaire en instance soit jugée par jury, que le juge soit obligé de dire à celui-ci que même s'il ne croyait pas un témoin qui n'a pas été contre-interrogé, il devait quand même ajouter foi à son témoignage et acquitter l'accusé.         

En conséquence, je ne vois aucune erreur dans la décision de l'arbitre de ne pas appliquer la règle dégagée dans Browne v. Dunn. Elle n'y était pas tenue, ni ne devrait l'être.


Deuxième point litigieux : la conclusion tirée par l'arbitre que le requérant ne manifestait aucun remords ni n'avait l'air de se rendre compte des conséquences possibles de ses actes

     Le requérant soutient que l'arbitre a eu tort de tenir compte de son impression d'absence de remords pour refuser de substituer une autre sanction au congédiement. Il cite à l'appui de cet argument la décision College of Physicians and Surgeons of Ontario v. Gillen (1990), 1 O.R. (3d) 710 (C. Ont. Div. Gén.), aux pages 711 à 713.

     Analyse : L'arbitre n'a pas fondé sa décision uniquement sur sa conclusion que le requérant ne montrait ni remords ni conscience de la gravité de ses actes. Elle a tout d'abord considéré la gravité de ses agissements (le requérant " a négligé les principes les plus élémentaires du contrôle de la circulation aérienne" Laisser la tour de contrôle sans surveillance durant les heures où il était annoncé que les avions utiliseraient activement l'aéroport est une transgression grave justifiant le congédiement "). En outre, elle connaissait la position adoptée par l'employeur, savoir que le lien de confiance entre celui-ci et le requérant avait été irrémédiablement rompu. Enfin, elle a examiné les circonstances atténuantes que faisait valoir le requérant (et auxquelles elle n'a attaché que peu d'importance).

     L'arbitre voit et entend les témoins, et juge à la lumière de ses observations. Il était loisible à l'arbitre saisie en l'espèce de conclure à l'absence de remords à la lumière des preuves et témoignages produits. Ce n'était là que l'un des facteurs de sa décision. Il n'y a pas erreur de droit lorsque cette conclusion est examinée isolément.

     Cependant, bien que je ne sois pas disposé à toucher à la conclusion de l'arbitre sur l'absence de remords, je me dois de l'examiner au regard de son appréciation de la sanction qui s'imposait en l'espèce. À mon avis, conclure à l'absence de remords revient


à conclure à l'inaptitude ou à la répugnance à s'amender. Voici la démarche adoptée par l'arbitre à ce sujet :

     [TRADUCTION]

         L'avocat du plaignant m'a engagée à conclure que cet incident isolé, le seul durant les 23 ou 24 années de service de M. Green dans les fonctions de contrôleur, ne se reproduirait probablement jamais. Si seulement je pouvais y croire.         
         Étant donné le long état de bons services du plaignant, j'ai cherché à détecter dans son témoignage des indices de remords ou d'appréciation des conséquences de ses actes.         

L'arbitre a conclu ensuite qu'il n'y avait aucune manifestation de remords. Cette constatation est à la base de la conclusion à l'absence de possibilité de réadaptation, contenue dans cette phrase : " Si seulement je pouvais y croire [c'est-à-dire à l'improbabilité d'une récidive] ". Il est clair que de son impression d'absence de remords chez le requérant, l'arbitre a conclu qu'il ne pourrait s'amender.

     Dans College of Physicians and Surgeons v. Gillen (1993), 13 O.R. (3d) 385, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé le jugement de la Cour divisionnaire sur la relation entre remords et sanction appropriée. Dans cette affaire, le comité de discipline a conclu que le requérant niait les faits à lui reprochés et ne reconnaissait pas le problème. À la page 386 de sa décision, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé qu'en aucun cas, la dénégation ne devait être invoquée pour ajouter à la sanction qui serait adaptée à la faute. Cette jurisprudence peut servir à éclairer l'affaire en instance, et à éclairer la conclusion que le requérant ne montrait aucun remords et, de ce fait, aucun potentiel de réadaptation. Je partage le raisonnement de la Cour d'appel de l'Ontario, et l'applique à l'affaire en instance.

     Les motifs de décision de l'arbitre ne permettent pas de voir si elle " punissait " le requérant pour son attitude ou si, à ses yeux, le seul moyen de protéger les usagers du transport aérien était de confirmer son congédiement. Cependant, si on tient compte des 23 années de service sans taches du requérant dans les fonctions de contrôleur de la circulation aérienne, je pense que la sécurité des usagers du transport aérien n'était pas la principale préoccupation de l'arbitre lorsqu'elle rendit sa décision.

Troisième point litigieux : les circonstances atténuantes

     Le requérant reproche à l'arbitre d'avoir ignoré divers éléments dans l'appréciation des circonstances atténuantes. L'essentiel de ses arguments sur ce point touche les conclusions de l'arbitre analysées supra. Le seul point qui y échappe est que l'arbitre n'a pas appliqué les principes de discipline corrective pour imposer une sanction progressive eu égard aux longs états de bons services du requérant.

     Analyse : Selon une tendance qui s'affirme dans les décisions en matière de relations du travail, les arbitres appliquent la théorie de la discipline progressive ou corrective lorsqu'il s'agit de décider quelle sanction il convient d'appliquer. Bien que les tribunaux du travail ne soient pas tenus de se conformer à cette tendance, je suis convaincu que dans les circonstances de la cause, l'arbitre avait l'obligation de considérer la discipline corrective pour le requérant et d'expliquer clairement dans ses motifs de décision, pourquoi elle rejetait cette solution. Elle avait l'obligation de considérer la discipline corrective à cause du long état de bons services qu'elle lui reconnaissait.

     Cependant, dans sa longue décision de 24 pages, elle n'a fait nulle mention de la discipline corrective qui pourrait s'appliquer en l'espèce. Je ne peux même pas inférer qu'elle l'a envisagée à titre de sanction possible à la place du congédiement. Sa décision ne renferme aucune indication à ce sujet. Il aurait dû y en avoir.

     En ce qui concerne les circonstances atténuantes et la discipline corrective, la décision de l'arbitre pèche encore en ce qu'il n'y a aucune indication qu'elle ait considéré les conséquences du congédiement pour le requérant. Ces conséquences constituent une importante circonstance atténuante en l'espèce. Ce congédiement ne se compare pas au congédiement par l'employeur d'un plombier, d'un électricien ou même d'un avocat. Un plombier, un électricien ou un avocat pourrait trouver à s'employer ailleurs dans sa profession. Cependant, le congédiement du requérant signifie que pour le restant de sa vie, il ne pourrait plus exercer la profession de contrôleur de la circulation aérienne, profession qu'il avait exercée de façon satisfaisante ces 23 dernières années. Il s'agit certainement là d'une importante circonstance atténuante à prendre en considération lorsqu'il s'agit de savoir quelle sanction il convient d'appliquer en l'espèce.

     Il y a lieu de souligner que dans son argumentation écrite comme de vive voix, l'avocat de l'intimé a répondu point par point à presque tous les arguments proposés par le requérant en matière de circonstances atténuantes. Cependant, l'arbitre ne s'est pas penchée sur les deux facteurs les plus importants pour le requérant, savoir son long état de services sans taches et les conséquences du congédiement. Vu ces deux circonstances atténuantes, l'arbitre avait l'obligation de considérer sérieusement la possibilité d'une sanction corrective à la place du congédiement. Elle ne l'a pas fait. Sa décision n'était donc pas justifiée par les éléments de preuve dont elle était saisie. Cette décision ne saurait par conséquent bénéficier de la retenue de la part de la juridiction de contrôle, telle qu'elle est définie par cette Cour7.

CONCLUSION

     Les contrôleurs de la circulation aérienne exercent des fonctions de la plus haute importance pour la sécurité du public. Ils travaillent dans des conditions éprouvantes, et dans certains cas, leur travail leur impose des exigences qui peuvent sembler bien lourdes ou déraisonnables pour le travailleur moyen. Cependant, ce sont des professionnels, dont on présume qu'ils ont reçu la formation qui s'impose dans leur profession. Ils doivent s'attendre à travailler dans des conditions éprouvantes et à assumer quelque fois une lourde charge de travail.

     Le requérant était seul en poste lorsqu'il a laissé son poste de travail sans surveillance pendant une demi-heure à peu près. Cela s'est produit à un moment où, pour reprendre ses propres termes, " le ciel bourdonnait d'avions ". Bien qu'il eût informé Sault Ste. Marie et Toronto qu'il s'en allait, il n'a pas fait savoir quand il serait de retour. Il n'a pas changé le message diffusé sur ATIS pour indiquer qu'il n'était pas là. Ceux qui avaient besoin d'utiliser l'aérodrome auraient présumé qu'il serait de retour dans quelques minutes, comme c'est habituellement le cas quand, par exemple, un contrôleur de la circulation aérienne va aux toilettes.

     Cependant, il n'était pas de retour au bout de quelques minutes. Ayant satisfait à ses besoins dans les toilettes, il est allé déjeuner au restaurant de l'aéroport. Il n'est pas retourné à son poste pour vérifier la situation du moment avant d'aller déjeuner. Il n'y a pas rapporté son déjeuner pour manger. Il ne s'est même pas empressé de reprendre son poste de travail à son retour, mais s'est attardé quelques minutes au bureau de la secrétaire administrative.

     Ses actions ont créé une grande confusion à l'aéroport et dans l'espace aérien. Il a ainsi créé une situation potentiellement dangereuse. (c'est moi qui souligne)

     Rien n'indique qu'il ait fait une chose pareille par le passé.

     La nécessité d'une sanction disciplinaire n'est pas contestée en l'espèce. Ce qui est contesté, c'est la sévérité de la sanction appliquée. À mon avis, l'arbitre a commis une erreur dans son appréciation des circonstances atténuantes en ce qu'elle n'a pas pris en compte des éléments de preuve pertinents dont elle disposait. Les facteurs qu'elle ignorait sont si importants que je conclus que sa décision est fondée sur une erreur de droit et est manifestement déraisonnable.

     Il s'ensuit qu'il y a lieu à ordonnance portant renvoi de l'affaire à un autre arbitre pour application de la sanction adaptée aux circonstances de la cause, compte tenu des principes de discipline corrective et progressive, ainsi que des présents motifs.

     En conséquence, la demande en instance est accueillie.

OTTAWA (ONTARIO),

le 8 juillet 1997

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1710-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Barry Green

                         c.

                         Conseil du Trésor (Transports Canada)

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      17 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN

LE :                          8 juillet 1997

ONT COMPARU :

M. Peter J. Barnacle                  pour le requérant

M. Ronald Snyder                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Association canadienne du contrôle          pour le requérant

du trafic aérien

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Canada (Procureur général) c. Wiseman (8 mai 1995), T-2094-94, non rapporté, page 8 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Séguin (7 septembre 1995), non rapporté (C.F. 1re inst.).

2      Royal Oaks Mines Inc. c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique) (1996), 133 D.L.R. (4th) 129 (C.S.C.).

3      Canada (Procureur général) c. Wiseman, supra note 1, page 10.

4      Sopinka, J., S. N. Lederman, & A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto : Butterworths, 1992), page 876.

5      L'avocat du requérant invoque à l'appui de son argument Regina v. Barber et al., ex parte Warehousemen and Miscellaneous Drivers' Union Local 419 [1968], 2 O.R. 245 (C.A. Ont.). Mais comme la conclusion sur la crédibilité n'était pas le facteur déterminant de la décision de l'arbitre, cette jurisprudence n'est d'aucun secours pour le requérant. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas lié par cette décision.

6      Sopinka, J. et al., supra note 4, à la page 877. Il y a une abondante jurisprudence dans ce sens, en particulier : R. v. Dyck (1960), 8 C.R.N.S. 191, [1970] 2 C.C.C. 283 (C.A.C.-B.); R. v. Hart (1932), 23 Cr. App. Rep. 202; Jarvis v. Connell (1918-19), 44 O.L.R. 264, à la page 267; et Jarvis v. Hall (1912), 4 O.W.N. 232, à la page 235, 8 D.L.R. 412.

7      Reibin et al. c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada (10 juin 1996), T-1586-95 (C.F. 1re inst.), à la page 13; Wiseman, supra note 1.

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