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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
CC Havanos Corp. (Re) (1re inst.) [2003] 2 C.F. 241

Date: 20020906

Dossier: T-185-99

Référence neutre: 2002 CFPI 941

             AFFAIRE INTÉRESSANT le paragraphe 88 de la

                 Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), ch. E-14

ET AFFAIRE INTÉRESSANT des cigares, tabac brut et fabriquéet autres matériaux en stock, machines, mécanismes et ustensiles saisis

            [Application par CC Havanos Corporation Ltd.]

                          MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Le présent litige porte sur la contestation par la compagnie demanderesse CC Havanos Corporation Ltd. ("CC Havanos") d'une saisie d'accise effectuée le 17 décembre 1998 par la Gendarmerie Royale du Canada ("GRC") en vertu des dispositions de la Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), c. E-14 et ses amendements ("la Loi sur l'accise"). Dans son avis de revendication déposé au dossier de la Cour en vertu du paragraphe 117(1) de la Loi sur l'accise, la compagnie demanderesse cherche à obtenir une ordonnance déclarant que son intérêt dans les biens saisis n'est pas affecté par cette saisie et qu'elle est innocente de toute complicité dans la commission des infractions à la Loi sur l'accise ayant donné lieu à la saisie, un recours justifiable en vertu de l'article 88.2 de la Loi sur l'accise.

Les Faits

[2]                 Dino Orsini est un homme d'affaire qui décide de se lancer dans la fabrication de cigares haut de gamme. Il met deux ans à élaborer son projet. Il incorpore son entreprise CC Havanos en mai 1998 et retient sur recommandation les services d'un conseiller en gestion, M. Marc Larochelle, afin de préparer un plan d'affaires comprenant une étude de marché et une analyse de la question légale. Le conseiller contacte Revenu Québec qui l'informe des taxes applicables et de la nécessité d'obtenir un permis provincial de fabrication de cigares et d'importation de tabac.

  

[3]                 Tant à Revenu Québec qu'à Revenu Canada, on dirige le conseiller Larochelle vers Douane et Accise Canada. À cet endroit, un fonctionnaire lui dresse un tableau de toutes les taxes et droits applicables et on lui remet les documents pertinents. Il appert de la preuve qu'on lui aurait dit qu'il n'a pas besoin d'une licence fédérale de fabrication mais qu'il doit cependant acquitter les droits et taxes d'accise au fédéral. M. Larochelle a donc compris que, au niveau de la fabrication de cigares, c'est la loi du Québec qui s'appliquait. Il ne s'est pas informé s'il fallait estampiller les produits du tabac. À chaque endroit où il s'est rendu, il a expliqué qu'il avait un mandat d'une entreprise de fabrication de cigares haut de gamme. Il n'a pas consulté un avocat car il n'en voyait pas la nécessité et désirait réduire les coûts.

[4]                 Suivant les instructions de son conseiller, Dino Orsini obtient donc son permis provincial d'importateur et de fabricant de tabac ainsi qu'une licence fédérale d'importation de tabac mais non la licence fédérale de fabrication exigée par la Loi sur l'accise pour la fabrication de cigares. Il entreprend la rénovation d'un local et en décembre 1998, il ouvre une luxueuse boutique de cigares haut de gamme rue Sherbrooke ouest. Les clients peuvent ainsi déguster dans un salon des cigares fabriqués sur place et faire leur choix à l'intérieur d'un vaste humidor.

  

[5]                 La GRC avait toutefois M. Orsini à l'oeil puisqu'elle prévoyait déployer une grande opération de perquisition contre plusieurs commerces de la région montréalaise qu'elle soupçonnait de fabriquer et vendre de faux cigares cubains. Elle savait également que CC Havanos devait fabriquer des cigares et qu'elle n'avait pas obtenu sa licence de fabrication de cigares, et dès l'été 1998, alors que le local était en rénovation, des officiers de la section des douanes et accise effectuèrent une première vérification.

  

[6]                 Le 15 décembre 1998, on demande au gendarme Marc Archambault de retourner à CC Havanos peu après l'ouverture pour une deuxième vérification. Ainsi, celui-ci se rendit sur place vers 12h01 et constata qu'il y avait deux hommes qui semblaient d'origine hispanique assis à une table en train de rouler des cigares. Derrière eux, le gendarme Archambault aperçut ce qu'il croyait être environ une centaine de boîtes de cigares qui ne portaient aucune estampille de droits acquittés pour la fabrication de cigares en conformité avec l'article 240(1) de la Loi sur l'accise. Ceux-ci se sont avérés par la suite être des moules à cigares. Il remarqua également sur le mur que des permis provinciaux étaient affichés, soit de manufacturier, d'importateur, d'agent percepteur ainsi que des certificats concernant la taxe de vente et l'impôt sur le tabac.

  

[7]                 Le gendarme Archambault, qui ne s'est pas identifié comme un policier, s'est informé de la possibilité d'acheter une boîte de cigares cubains mais que c'était très dispendieux. Un des deux hommes qui semblaient d'origine hispanique aurait répondu que le tabac était importé de Cuba et qu'ils fabriquaient les cigares dans le commerce sur place et les vendaient moins cher parce qu'il n'y avait pas de taxes et droits à payer. Par la suite, le même homme aurait présenté le patron au gendarme Archambault, un jeune homme de race blanche qui s'est avéré être Ian Orsini, le fils de Dino Orsini, et celui-ci aurait offert au gendarme Archambault une boîte de 25 cigares pour la somme de $200,00. Sur les lieux, le gendarme Archambault a aussi remarqué la présence d'un large humidor, récipient spécialement conçu pour régler l'humidité dans le but de conserver les cigares, contenant un grand nombre de cigares étalés sur une table qui ne portaient pas d'estampille. Puisqu'il s'agissait d'un cadeau de Noël, M. Ian Orsini aurait suggéré au gendarme Archambault de revenir les chercher le 22 ou le 23 décembre afin qu'ils puissent être conservés à l'abri dans l'humidor.

  

[8]                 Le 15 décembre 1998, vers 14h20, le gendarme Archambault a contacté Mme Diane Demers de Revenu Canada, section Accise Montréal qui confirma, après une vérification de leur système commercial de l'accise, qu'en date du 14 décembre 1998, CC Havanos n'avait aucune licence de fabrication de cigares et aucune démarche n'avait été entreprise pour l'obtention d'une licence par CC Havanos, conformément à l'article 13 de la Loi sur l'accise.

  

[9]                 Le 17 décembre 1998, agissant en vertu des articles 88, 89, 226 et 240 de la Loi sur l'accise comme préposés de l'accise, des membres de la GRC effectuèrent une saisie de tout le matériel qui se trouvait dans l'établissement de CC Havanos, soit le matériel et l'équipement nécessaire à la fabrication de cigares, un total de 3106 cigares ne portant pas l'estampille exigée par la Loi sur l'accise et 448 livres de tabac, et des documents prouvant que CC Havanos fabriquait des cigares depuis au moins octobre 1998. Cette saisie fut effectuée en vertu d'un mandat de perquisition délivré par monsieur Jean Charles Hamelin, juge de paix, sur foi d'un affidavit dans lequel le gendarme Archambault déclarait avoir des motifs raisonnables de croire que les objets recherchés identifiés sur le document intitulé "Liste des effets saisis" se trouvaient sur lieux de CC Havanos et fourniront une preuve relative à la perpétration des infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) de la Loi sur l'accise, soit le fait de fabriquer des cigares sans être muni de la licence prescrite par la Loi sur l'accise et le fait d'avoir en sa possession des cigares qui n'étaient pas empaquetés et ne portaient pas les estampilles conformément à la Loi sur l'accise.

  

[10]            M. Dino Orsini, son fils Ian, et son épouse Louise Lemire-Orsini furent arrêtés sur les lieux de la perquisition et escortés au quartier général de la GRC. Ceux-ci refusèrent de faire une déclaration par écrit sur les conseils de leur avocat qui s'est lui-même présenté au bureau de la GRC. M. Dino Orsini a néanmoins déclaré verbalement au gendarme Archambault que son commerce fabriquait des cigares depuis environ un mois et qu'il se croyait dans la légalité avec ses licences provinciales. Par la suite, Dino Orsini, Ian Orsini et Louise Lemire-Orsini, ne voulant faire aucune déclaration, ont été relâchés et avisés de la possibilité que des accusations criminelles soient portées contre eux dans un avenir rapproché.

  

[11]            Il convient de noter que jamais les membres de la GRC n'ont au cours de leurs visites avant la saisie du 17 décembre 1998 informé M. Orsini de son défaut de s'être procuré la licence fédérale de fabrication. Dès le 18 décembre 1998, date à laquelle M. Orsini a appris pour la première fois qu'il devait obtenir une telle licence, celui-ci a rencontré la préposée aux licences de Revenu Canada, section Accise Montréal, et lui a expliqué qu'il voulait obtenir une licence fédérale pour la fabrication de cigares. Celle-ci lui a donné toute l'information pertinente et remis un formulaire. Pour obtenir une licence, M. Orsini devait débourser $50,00 de droit d'accise et obtenir un cautionnement d'une compagnie d'assurance, ce qu'il fit d'ailleurs. La demande de M. Orsini fut cependant refusée cinq mois plus trad, soit le 16 avril 1999, pour des motifs d'intérêt public. On prit bien soin de lui indiquer que cette décision ferait l'objet d'une révision lorsque les procédures pénales intentées devant la Cour supérieure du Québec verraient leur dénouement.

  

[12]            En date du 6 janvier 1999, une vérification auprès du gouvernement du Québec faite par le gendarme Archambault confirma l'invalidité des permis provinciaux dû au fait que ceux-ci furent émis en 1997 pour le 575 rue Lomme à St-Jean sur Richelieu, adresse physique de la résidence personnelle de M. Dino Orsini, et que le gouvernement ne fut jamais avisé de la place d'affaire de CC Havanos située au 1541 Sherbrooke Ouest à Montréal, ce qui constitue une infraction en vertu de l'article 14(a) de la Loi sur l'impôt du tabac, R.S.Q., c. I-2 du Québec.


  

[13]            M. Dino Orsini et son fils Ian ont subi leur procès sur les deux chefs d'accusation précités.    Dans une décision rendue le 21 septembre 1999 (dossier no. 500-73-000980-991), l'Honorable juge Sirois de la Cour supérieure du Québec conclut que les accusés ont démontré par prépondérance de preuve que leur erreur de droit a été provoquée par l'avis sollicité d'une personne en autorité et compétente en la matière et, par conséquent, ordonna l'arrêt des procédures sur les deux chefs.

  

[14]            Le 23 avril 1999, CC Havanos, Dino Orsini, Louise Lemire-Orsini et Ian Orsini intentèrent en Cour supérieure du Québec une action en dommages et intérêts contre sa Majesté la Reine et différents employés gouvernementaux pour une somme de $25,000,000 (dossier no. 500-05-049776-998). La réclamation de la compagnie demanderesse est fondée sur la perte de son commerce, la perte de son investissement, revenus et profits et sur la nature illégale et abusive de la saisie et la confiscation des biens de son commerce effectuée par la GRC. La réclamation de CC Havanos est également fondée sur le refus abusif des agents de Revenu Canada, après la saisie, de lui délivrer une licence de fabrication de cigares telle qu'exigée par la Loi sur l'accise. Quant aux réclamations individuelles, celles-ci sont basées sur le préjudice moral et physique subi suite à la saisie, les arrestations illégale, les détentions, etc.


[15]            Le 15 janvier 1999, CC Havanos, représentée par son avocat, donna un avis dans les trente jours de la saisie en vertu de l'article 117(1) de la Loi sur l'accise indiquant qu'elle avait l'intention de revendiquer tous les biens saisis. Le 8 février 1999, le sous-procureur général du Canada, au nom de la défenderesse, produisit au dossier de cette Cour un avis de dénonciation et une dénonciation en vertu de l'article 116(1) de la Loi sur l'accise pour demander la confiscation des objects saisis le 17 décembre 1998. Vers le 15 février 1999, la compagnie demanderesse intenta un recours fondé sur l'article 116(2) auprès de cette Cour et vers le 17 mars 1999, la défenderesse déposa sa défense. La validité de la saisie effectuée le 17 décembre 1998 par la GRC fait l'objet de recours parallèles auprès de cette Cour et la Cour supérieure du Québec.

Les questions en litiges


[16]            Je précise immédiatement, comme je l'ai déclaré lors de l'audition, que l'action de la compagnie demanderesse ne saurait certes constituer en l'instance un recours justifiable en vertu de l'article 88.2 de la Loi sur l'accise puisque cette disposition prescrit le recours approprié à "quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis)". Or, il appert de la preuve que tous les biens saisis appartenaient et étaient en possession de CC Havanos à tout moment lors de la saisie, et c'est d'ailleurs cette dernière qui revendique les biens. De plus, cette disposition vise à protéger l'intérêt de tiers innocents tels des compagnies de location d'équipement, de transport, des banques et autres créditeurs garantis, etc., ce qui n'est pas le cas en l'espèce: Bank of Nova Scotia v. Canada (Minister of National Revenue -M.N.R.), [2000] 10 W.W.R. 641 (Sask. Q.B.) au para. 49. Ainsi, la déclaration déposée au dossier de cette Cour par la compagnie demanderesse recherche des conclusions qui ne sont pas propres à l'action en revendication prévue à l'article 116 de la Loi sur l'accise qui, elle, vise à faire libérer ou faire déclarer confisqués les biens saisis. Enfin, quand bien même que ce recours serait ouvert à la compagnie demanderesse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le délai pour l'intenter est prescrit puisque la déclaration a été produite au dossier de la Cour le 12 février 1999, soit près de 60 jours après que la saisie ait été effectuée.


[17]            Au procès, la compagnie demanderesse a tenté de démontrer que le mandat de perquisition et la saisie exécutée sous l'autorité de ce mandat, lui-même émis en vertu de l'article 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, sont nuls et illégaux et demanda que les biens saisis lui soient restitués. Aucun motif basé sur la Charte canadienne des droits et libertés n'ayant été invoqué pour contester la validité de la saisie d'accise, cette action de la compagnie demanderesse ne peut donc qu'être fondée sur l'article 116 de la Loi sur l'accise et consiste nécessairement en une action in rem en condamnation de biens saisis. Au procès, la compagnie demanderesse a tout simplement cherché à faire déclarer illégale la saisie effectué le 17 décembre 1998 en tentant de démontrer le caractère nul et illégal du mandat de perquisition ainsi que le caractère abusif de la saisie elle-même. Elle n'a pas mis d'emphase sur sa bonne foi et son ignorance de l'activité illégale qui lui était reprochée, défenses dont la preuve n'ont, malheureusement pour la compagnie demanderesse, aucune pertinence dans une action in rem dirigée contre des biens et qui ne peuvent donc pas, pas plus que l'arrêt des procédures criminelles devant la Cour supérieure du Québec, donner lieu à la remise des biens saisis : voirDaigneault c. Ministre du Revenu national (Douanes et accise) (1990), 44 F.T.R. 226 (C.F. 1ère inst.). À mon avis, la légalité de la saisie ne peut être remise en question que si les biens n'étaient pas ipso jure susceptibles d'être confisqués en vertu de la Loi sur l'accise.

  

[18]            Dans un tel contexte, le présent pourvoi ne soulève que deux questions très spécifiques : tout d'abord, est-ce que tous les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 étaient par l'application de la Loi sur l'accise et ipso jure susceptibles d'être confisqués? Cette question en appelle une autre. Dans l'éventualité où on répond à cette première question par l'affirmative, le fait que la possession de certains biens en cause n'aurait pas un caractère intrinsèquement illégal donnerait-il ouverture à la possibilité qu'ils soient légitimement remis à la compagnie demanderesse même à la suite d'une saisie valide, en vertu de la Loi sur l'accise?

Les prétentions des parties

[19]            La compagnie demanderesse prétend que non seulement la saisie exécutée le 17 décembre 1998 était illégale et abusive, mais qu'elle a elle-même fait l'objet d'un complot qui a eu pour effet de mettre un terme à son l'entreprise.

  

[20]            Tout d'abord, la compagnie demanderesse soutient que le mandat de perquisition émis et sur lequel était basée la saisie était nul et illégal puisque lui-même fondé sur de fausses allégations contenues dans l'affidavit du gendarme Archambault. Ainsi, un des motifs contenus aux dénonciations était à l'effet qu'il y avait dans l'établissement du commerce de CC Havanos des boîtes de cigares empilés qui n'arboraient pas les estampilles requises par la Loi sur l'accise, alors qu'en réalité, il s'agissait de moules à cigares. De plus, les cigares qui se trouvaient sur le site et qui, selon les dénonciations contenues dans l'affidavit du gendarme Archambault, n'étaient pas empaquetés et n'arboraient pas les estampilles requises n'étaient pas encore destinés à la vente et, par conséquent, n'étaient pas sujets à l'accise. Ainsi, vu ces erreurs et l'insuffisance évidente des dénonciations à l'appui de l'émission du mandat de perquisition, la compagnie demanderesse soutient que le mandat ainsi que la saisie subséquente sont illégaux et nuls et, par conséquent, tous les biens saisis devraient lui être remis.

  

[21]            En second lieu, la compagnie demanderesse prétend que les actes des membres de la GRC lors de la saisie étaient excessifs et de loin dépassaient les limites fixées par la loi. Ainsi, en exécutant le mandat de perquisition, la GRC pouvait exercer une discrétion qui aurait eu pour effet de mitiger les dommages, soit en saisissant uniquement les cigares et le tabac plutôt que l'ensemble du matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares. Ceci est d'autant plus vrai, selon la demanderesse, lorsque l'on considère le libellé de l'article 88(2) de la Loi sur l'accise qui stipule que ces objets "peuvent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués".

  

[22]            De plus, la compagnie demanderesse soutient qu'elle, ainsi que M. Dino Orsini qui était à tout moment l'administrateur, le patron et l'actionnaire majoritaire de l'entreprise, étaient induits en erreur en ce qui a trait à la nécessité d'obtenir la licence fédérale de fabrication et qu'ils se sont fait refuser de façon laconique cette licence lorsqu'ils en ont fait la demande et, ultérieurement, après l'arrêt des procédures criminelles intentées devant la Cour supérieure du Québec. Ainsi, la demanderesse soumet que cette défense d'erreur de droit conjugué au comportement malicieux des membres de la GRC lors de la saisie et subséquemment est un motif suffisant pour que cette Cour annule la saisie et ordonne la remise de tous les biens saisis à celle-ci. Subsidiairement, elle prétend que cette Cour jouit d'une certaine latitude dans l'application de la Loi sur l'accise et demande que tous les biens saisis, à l'exception des cigares et du tabac, lui soient restitués.

  

[23]            Le Ministre, pour sa part, prétend que tous les biens saisis le 17 décembre 1998 étaient par l'application de la Loi sur l'accise et ipso jure confisqués au profit de sa Majesté la Reine à partir du moment où la compagnie demanderesse fabriquait des cigares sans la licence requise par la Loi sur l'accise. Ainsi, ces biens étaient confisqués avant même que la saisie soit effectuée, et non par quelque geste subséquent posé par la GRC. Il prétend que la saisie en exécution du mandat de perquisition était entièrement légal en vertu de l'article 88 de la Loi sur l'accise puisque les infractions prévues aux paragraphes 226(a) et 240(1)(b) étaient commises par la compagnie demanderesse. Dans ces conditions, les membres de la GRC agissant à titre de préposés d'accise non seulement pouvaient, mais devaient saisir les cigares, le tabac, le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication, etc. en vertu de l'article 88(1) de la Loi sur l'accise. À tout événement, le Ministre soutient que la demanderesse n'a pas démontré que la discrétion exercée par les membres de la GRC était déraisonnable ou que leur comportement était malicieux dans les circonstances.

  

[24]            De surcroît, le Ministre prétend que le recours en revendication prévu à l'article 117(1) étant de la nature d'une procédure in rem et non in personam, ni l'ignorance de la Loi sur l'accise ni l'ignorance de certains faits ne pourraient poser un obstacle à la confiscation des biens saisis en l'instance, et ne pourraient servir de base légale pour que cette Cour ordonne leur remise. Enfin, le Ministre prétend que cette Cour ne jouit d'aucune discrétion pour mitiger les dommages et demande que soient déclarés confisqués tous les biens saisis.

Dispositions législatives pertinentes

[25]            Avant d'aborder l'analyse, il serait utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi sur l'accise :



88. (1) Les articles suivants_:

a) les grains, le malt, le tabac brut et les autres matières en magasin;

b) les machines, mécanismes, ustensiles, serpentins, alambics, cuves-matière, tonneaux à fermentation, presses ou hachoirs à tabac;

c) les outils ou matériaux propres à la fabrication d'alambics, de serpentins, de rectificateurs ou d'appareils similaires;

d) l'eau-de-vie, le malt, la bière, le tabac, les cigares et autres articles fabriqués,

qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la présente loi mais n'a pas été émise, doivent être saisis par un préposé qui en a connaissance et être confisqués au profit de Sa Majesté, et ils peuvent être soit détruits dans l'endroit et au moment où ils sont trouvés, soit transportés en lieu sûr, à la discrétion du préposé qui opère la saisie.

Chevaux, voitures, etc.

(2) Tous les chevaux, véhicules, vaisseaux et autres dispositifs qui, en contravention avec la présente loi ou les règlements, servent ou ont servi au transport de marchandises assujetties à l'accise ou de matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec la présente loi ou les règlements, à la production de quelque article assujetti à l'accise, ou sur ou dans lesquels sont trouvés de tels marchandises, matières ou appareils, peuvent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués par tout préposé et peuvent être traités de la même manière.

Personne réclamant un intérêt dans les choses saisies

88.2 (1) Lorsque des chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis comme confisqués sous le régime de la présente loi, quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis) réclame, à l'égard de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs, un intérêt à titre de propriétaire, de créancier hypothécaire, de détenteur de gage ou de détenteur d'un intérêt similaire peut, dans les trente jours suivant cette saisie, s'adresser à un juge d'une cour supérieure ou à un juge de la Cour fédérale afin de faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt.

[...]

Avis de dénonciation

116. (1) Aussitôt qu'une dénonciation a été déposée auprès d'un tribunal pour demander la confiscation de marchandises ou d'objets saisis en vertu de la présente loi, avis doit en être affiché dans le bureau du registraire, du greffier ou du protonotaire du tribunal, et dans le bureau du receveur ou du préposé en chef de la division d'accise dans laquelle les marchandises ou les objets ont été saisis.

Revendication des effets saisis

(2) Si le propriétaire des marchandises ou objets ou la personne qui prétend y avoir droit les revendique et donne une garantie, et observe toutes les autres formalités de la présente loi à cet égard, le tribunal, à sa prochaine séance après que l'avis a été affiché pendant un mois, peut entendre et juger toute revendication qui a été régulièrement faite et présentée dans l'intervalle, et libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige; autrement, après l'expiration du mois, ils sont censés confisqués et peuvent être vendus sans déclaration formelle de confiscation.

[...]

88.(1) Any of the following things, namely:

(a) all grain, malt, raw tobacco and other material in stock,

(b) all engines, machinery, utensils, worms, stills, mash-tubs, fermenting-tuns, tobacco presses or knives,

(c) all tools or materials suitable for the making of stills, worms, rectifying or similar apparatus, and

(d) all spirits, malt, beer, tobacco, cigars and other manufactured articles, that are at any time found in any place or premises where anything is being done that is subject to excise, and for which a licence is required under this Act, but in respect of which no licence has been issued, shall be seized by any officer having a knowledge thereof and be forfeited to the Crown, and may either be destroyed when and where found or removed to a place for safe-keeping, in the discretion of the seizing officer.

Horses, vehicles, etc.

(2) All horses, vehicles, vessels and other appliances that have beeen or are being used for the purpose of transporting in contravention of this Act or the regulations, or in or on which are found any goods subject to excise, or any materials or apparatus used or to be used in contravention of this Act or the regulations in the production of any goods subject to excise and all such goods, materials or apparatus may likewise be seized as forfeited by the seizing officer and may be dealt with in the manner described in subsection (1).

Person who claims interest in things seized

88.2(1) Where a horse, vehicle, vessel or other appliance has been seized as forfeited under this Act, any person, other than the person accused of an offence resulting in the seizure or person in whose possession the horse, vehicle, vessel or other applicance was seized, who claims an interest in the horse, vehicle, vessel or other appliance as owner, mortgagee, or holder of a lien or other like interest may, within thirty days after the seizure, apply to any judge of any superior court of a province or to a judge of the Federal Court for an order declaring the claimant's interest.

[...]

Notice of information filed in court

116.(1) As soon as an information has been filed in any court for the condemnation of any goods or things seized under this Act, notice thereof shall be posted in the office of the registrar, clerk or prothonotary of the court, and in the office of the collector or chief officer in the excise division in which the goods or things has been seized.

Claims to property seized

(2) Where the owner or person claiming the goods or thing referred to in subsection (1) presents a claim to the court, gives security and complies with all the requirements of this Act in that behalf, the court at its sitting immediately after the notice referred to in that subsection has been posted during one month may hear and determine any claim that has been duly made and filed in the meantime and release or condemn the goods or thing, as the case requires, otherwise the goods or thing shall, after the expiration of that month, be deemed to be condemned and may be sold without any formal condemnation thereof.

[...]


  

Analyse

1)     La saisie du 17 décembre 1998 était-elle illégale, ce qui justifierait la remise éventuelle des biens saisis à CC Havanos?

  

[26]            Pour réussir sur ce point, la compagnie demanderesse, chargée du fardeau de la preuve en vertu de l'article 113 de la Loi sur l'accise, devait strictement prouver que les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 n'étaient pas par simple application de la Loi sur l'accise et ipso jure susceptibles d'être confisqués et, par conséquent, ne pouvaient être saisis. À mon avis, elle ne l'a pas fait.

  

[27]            Si nous examinons tout d'abord le bien-fondé du premier argument soulevé par la demanderesse, la question à trancher est de déterminer si la preuve indique que les quelques 3000 cigares saisis par la GRC ont été fabriqués à des fins commerciales et destinés à la vente. Si c'était, le cas, ils pouvaient être saisis en vertu de l'article 88(1) de la Loi sur l'accise comme étant sujets à l'accise et exigeant une licence de fabrication. Selon la prépondérance de la preuve, je conclus qu'ils l'ont été pour la vente ou un usage commercial et ce, dès novembre 1998, et non pour un usage personnel ou pour être donnés gratuitement. Par conséquent, il était nécessaire d'obtenir une licence pour les fabriquer, tel que prévu à l'article 10 de la Loi sur l'accise.

  

[28]            Quant à l'argument fondé sur l'absence de preuve du caractère illégal et non réglementaire des produits de tabac saisis en l'instance, je précise immédiatement qu'un examen minutieux de la preuve déposée au dossier de cette Cour, y compris le témoignage des témoins à l'audience dont je n'ai aucune raison de douter de la crédibilité, permet d'affirmer que la compagnie demanderesse reconnaît certainement, ne serait-ce qu'implicitement, qu'il s'agissait en l'espèce de cigares fabriqués sans licence, non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise et concernant lesquels les droits d'accise n'avaient pas été acquittés. Peut-on en effet imaginer un argument meilleur et plus définitif que celui-là? Ainsi, cette preuve me convainc largement que les éléments constitutifs des infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) ont été établis, ce qui témoigne du caractère illégal de la possession des produits saisis. Soulignons enfin que la compagnie demanderesse n'a prétendu en aucun moment pouvoir bénéficier de l'une ou l'autres des exclusions prévues aux articles 239.1(2) et 240(2) de la Loi sur l'accise.


  

[29]            Quant à la suffisance des dénonciations contenues dans l'affidavit en vertu desquelles le mandat de perquisition fut émis, je dois admettre que l'argumentation de la demanderesse ne me convainc pas. Il me paraît que nous sommes loin, en l'espèce, de simples allégations de "vague soupçon" dans le but d'effectuer une "expédition de pêche" comme dans l'affaire R c. Kokesh, [1990] 3 R.C.S. 3 à la p. 29. En effet, l'exposé des faits en l'instance me paraît plutôt justifier la rationalité de la croyance que les infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) de la Loi sur l'accise se commettaient dans l'établissement de CC Havanos. Quant à l'erreur d'observation commise par le gendarme Archambault lors de sa visite du 15 décembre 1998, il s'agit entièrement d'une erreur de bonne foi qui ne peut avoir pour effet de vicier le mandat de perquisition. À mon avis, les dénonciations, l'affidavit et la description des objets à saisir laissaient au juge de paix Hamelin suffisamment d'informations pour lui permettre d'exercer valablement sa discrétion judiciaire dans la vérification des motifs raisonnables justifiant l'émission du mandat de perquisition, conformément à l'article 74 de la Loi sur l'accise : voir aussi Lavoie c. Godbout, [1994] R.L. 387 (C.A.) aux para. 10-11.

  

[30]        De plus, la demanderesse prétend, en se fondant sur le libellé de l'article 88(2) de la Loi sur l'accise, qu'en exécutant le mandat de perquisition, les membres de la GRC pouvaient exercer une discrétion qui aurait eu pour effet de mitiger les dommages qu'elle a subis, soit en saisissant uniquement les cigares et le tabac plutôt que l'ensemble du matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares. La position du Ministre est que l'article 88(2) de la Loi sur l'accise ne s'applique qu'aux éléments d'actif qui servent ou ont servi "au transport en contravention avec la Loi ou ses règlements" et qu'il ne vise donc aucun des éléments d'actif saisis le 17 décembre 1998. Ainsi, en l'espèce, c'est l'article 88(1) qui trouverait application et prévoit que tous les articles qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, doivent être saisis par un préposé qui en a connaissance et être confisqués au profit de Sa Majesté.

[31]            La Loi sur l'accise se divise en six parties et comporte quelques 260 articles. La Partie I s'intitule "Dispositions générales" et comporte les articles 8 à 128. Plusieurs de ces articles sont précédés par une brève description de leur contenu. Ainsi, l'article 88(1) est précédé par la rubrique "Confiscation des marchandises et appareils, à défaut de licence" alors que l'article 88(2) est précédé par la rubrique "Chevaux, voitures, etc.". Cette distinction s'avère fort importante en l'espèce puisque ces deux dispositions visent des catégories différentes de biens.

  

[32]            Pour avoir gain de cause, la demanderesse devait convaincre la Cour que les mots "autres dispositifs" utilisés au paragraphe 88(2) englobent le matériel de fabrication et l'équipement saisis le 17 décembre 1998. Or, une lecture attentive de cette disposition révèle que les "dispositifs" en question sont des objets "qui servent ou ont servi au transport de marchandises assujetties à l'accise" ou au transport de "matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec les présente loi ou les règlements, à la production de quelque article assujetti à l'accise", ou "sur ou dans lesquels sont trouvés de tels marchandises, matières ou appareils". Ainsi, la présence de ces mots limitatifs illustre que cette disposition ne vise que la saisie des moyens de transport et non celle des articles eux-mêmes. En l'instance, puisqu'aucun véhicule ayant servi au transport ou à l'entreposage des cigares non empaquetés et non estampillés ou au transport du matériel et de l'équipement ayant servi à leur fabrication n'a été saisi, l'article 88(2) ne trouve pas application.

  

[33]            Je suis en accord avec la position du Ministre à l'effet que c'est plutôt l'article 88(1) qui s'applique à tous les biens saisis en l'espèce puisqu'il prévoit expressément que le tabac brut, les machines, mécanismes, ustensiles, presses ou hachoirs à tabac et les cigares fabriqués qui se trouvaient dans l'établissement de CC Havanos où il se poursuivait des opérations de fabrication de cigares, et pour lesquels une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, devaient être saisis par les préposés d'accise. Les membres de la GRC ne jouissaient d'aucun pouvoir discrétionnaire lors de la saisie du 17 décembre 1998. Enfin, quand bien même que les préposés d'accise aient eu discrétion pour saisir uniquement les cigares et le tabac, je suis loin d'être convaincu que la saisie de tous les biens effectuée en l'instance puisse être qualifiée de déraisonnable, malicieuse ou abusive.

  

[34]            Ceci dit, qu'en est-il de la question en litige et du véritable problème que pose ce dossier, à savoir si tous les biens saisis le 17 décembre 1998 étaient confisqués de plein droit, ce qui justifierait leur saisie en vertu de la Loi sur l'accise? Il s'agit ici d'analyser les conséquences juridiques d'une conclusion que les infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) ont été commises par la compagnie demanderesse.

  

[35]            La théorie de la confiscation que l'on trouve dans les lois du Canada, et plus particulièrement dans la Loi sur l'accise, est demeurée incontestée pendant de nombreuses générations et reconnue par les tribunaux même lorsque contestée. Elle s'est implantée dans notre conscience en tant qu'outil de respect de la loi et de réglementation de certaines activités, et elle reflète les principes séculaires de l'action in rem, qui rattachent l'infraction principalement à la chose et entraînent la confiscation de cette dernière par simple application de la Loi sur l'accise, et ce, que l'infraction soit un malum in se ou un malum prohibitum : Porter c. Canada, [1989] 3 C.F. 403 à la p. 416 (C.F. 1ère inst.). Aux yeux de la Loi sur l'accise, une action in rem est donc une réalité bien concrète qui, en un sens, insuffle une personnalité à la chose. Cette personnalité est telle que le comportement répréhensible ou sans tâche de son propriétaire n'intéresse nullement la Loi sur l'accise. La confiscation, quant à elle, est une fiction juridique créée par la Loi sur l'accise et non une réalité physique. Elle relève de la compétence du fisc en matière de recettes et vise à protéger au profit de Sa Majesté les recettes réalisées grâce aux taxes d'accise. Suivant cette théorie, un bien devient confisqué de droit au profit de Sa Majesté dès qu'une infraction est commise à son égard, et la saisie intervient par la suite par les préposés d'accise qui remettent dans le patrimoine de Sa Majesté ce bien qui lui appartient déjà, jusqu'à ce que celui-ci soit déclaré confisqué de façon définitive ou restitué par une autorité compétente: Canada v. Bureau, [1949] S.C.R. 367 à la p. 377; Allardice v. Canada, [1979] 1 F.C. 13 à la p. 23 (C.F. 1ère inst.) (bien que ces décisions soient rendues sous le régime de la Loi sur les douanes, L.R. (1985), ch. 1 (2e suppl.), les notions de "saisie" et de "confiscation" demeurent les mêmes).

  

[36]            L'article 88(1), en vertu duquel tous les biens ont été saisis en l'espèce, et dont le libellé est identique à celui de l'article 87(1) édicté en 1933, prévoit que tous les articles qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, "doivent être saisis" par un préposé qui en a connaissance "et être confisqués" au profit de Sa Majesté. Le libellé de cette disposition n'est guère un exemple de précision et d'éloquence, et le langage quelque peu boiteux utilisé peut certes porter à confusion en ce qui concerne le moment à partir duquel opère la confiscation de ces objets. Ceci ne change toutefois en rien le fait que la confiscation à l'égard de tous les biens saisis le 17 décembre 1998 opéra de droit dès qu'il y avait fabrication de cigares sans licence et dès que la compagnie demanderesse était en possession de cigares non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise. C'est uniquement par après que la demanderesse s'est vue dépossédée de ses biens sans son consentement au profit de Sa Majesté.

  

[37]        Ceci ressort d'ailleurs clairement d'une analyse des différentes dispositions de la Loi sur l'accise. L'article 88(1) a été édicté par renvoi à l'article 239.1(2) lequel prévoit que "sont confisqués au profit de Sa Majesté du chef du Canada et saisis par un préposé, et il en est disposé en conséquence, le tabac fabriqué ou les cigares qui ne sont pas empaquetés et qui ne portent pas l'estampille de tabac ou l'estampille de cigares en conformité avec la présente loi et les règlements ministériels [...]". L'article 226(a) reprend les termes de l'article 239.1(2) et stipule que "toutes les marchandises assujetties à l'accise trouvées dans l'établissement où cette infraction est commise sont confisquées au profit de Sa Majesté du chef du Canada et saisies par un préposé [...]". De plus, l'article 71 vient compléter les deux dispositions précitées et prévoit que "Si des marchandises, machines à vapeur, chaudières, alambics, tonneaux à fermentation, mécanismes, appareils, vaisseaux ou ustensiles, bateaux, navires ou véhicules, ou autres articles ou denrées, sont confisqués pour infraction àla présente loi, le receveur ou autre préposé, ou toute autre personne qui agit sous l'autorisation de ce préposé, peut les saisir en tout temps après que l'infraction a été commise". Enfin, l'article 117(1), disposition traitant de la confiscation finale automatique des biens non revendiqués, est catégorique à l'effet que son champ d'application s'étend aux "véhicules, vaisseaux, marchandises et autres objets saisis comme confisqués en vertu de la présente loi ou de toute autre loi relative àl'accise [...]", ce qui englobe clairement les biens saisis en l'instance. L'expression "saisis comme confisqués" a par ailleurs fait l'objet d'une interprétation dans l'arrêt Canada v. Central Railway Signal Co., [1933] S.C.R. 555, une décision concernant l'interprétation de l'article 125 de la Loi sur l'accise de 1933 (ancien article 117), oùla Cour suprême du Canada conclut ainsi aux pp. 557-558 et 560-561:

It is not open to question on that evidence, that the goods were seized, and "seized as forfeited" for violation of the Excise Act. Nor is there any room for doubt as to the effect of such a seizure. It proceeds upon the assumption that the goods, having been forfeited ipso jure, in consequence of the violation of the Act, are at the time of seizure, and not as a consequence of it, the property of the Crown. There are several provisions of the statute under which forfeiture supervenes upon the commission of the offence, as a legal consequence of the offence, independently of any act on the part of the officers of excise or any conviction or other judgment of a court. [...]

There does not appear to be any ground of substance for imputing ambiguity or obscurity to this language or even doubt as to what is signifies. In light of the provisions of the statute the phrase "seized as forfeited" can have only one meaning, as already indicated. It can only mean a seizure in consequence of the goods having been forfeited, the title to which has, by virtue of the forfeiture, become vested to the Crown. The context shews also that it does not contemplate a forfeiture which has occurred in consequence of a condemnation, and beyond question it includes a forfeiture following, without any act or proceeding of the Crown's officers, the commission of the offence, in cases in which the statute under which the forfeiture takes effect so provides.


What then follows? "All ... goods ... seized as forfeited", the section declares, "shall be deemed and taken to be condemned and may be dealt with accordingly", unless the owner or the person from whom they are taken gives notice within one month that he intends to claim them. The consequence that the goods shall "be deemed and taken to be condemned" is declared, in unqualified words, to be the consequence of the seizure unless the notice provided for is given within the specified time. If the notice is given, the seizing officer may deliver up the goods to the owner on receiving security by bond with sureties for double the value of the goods, to be available in the event of condemnation. In the absence of notice within one month, condemnation follows by force of the statute. If notice is given, the statute contemplates the usual proceedings for establishing the grounds of forfeiture and condemnation accordingly.

[38]            Ainsi, dans le cas de la saisie en l'instance, la poursuite est, du moins suivant la théorie traditionnelle, intentée contre les cigares, le tabac, le matériel et l'équipement eux-mêmes en tant qu'objets susceptibles d'être confisqués au profit de Sa Majesté en raison, dans le cas des cigares, de leur fabrication et possession illégale par la demanderesse et, dans le cas des autres objets et matériaux, en raison de leur utilisation pour commettre des infractions à la Loi sur l'accise. Ainsi que la jurisprudence l'enseigne, l'innocence de CC Havanos de tout méfait en l'instance, pas plus que le comportement des agents de la GRC suite à la saisie, aussi discutable soit-il, n'a aucune incidence sur le fait que ces objets étaient par simple application de la Loi sur l'accise ipso jure confisqués, et ce, depuis le jour où les infractions à la Loi sur l'accise ont été commises: R. c. Krakowec, [1932] 1 D.L.R. 316 aux pp. 322-323; Porter, supra aux pp. 411-413. La preuve ayant démontré que les infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) de la Loi sur l'accise ont été commises dans l'établissement de CC Havanos, tous les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 étaient ipso jure confisqués au profit de Sa Majesté et, par conséquent, les membres de la GRC, agissant à titre de préposés d'accise, étaient en droit de les saisir, et même devaient le faire en vertu de l'article 88(1) de la Loi sur l'accise.


2)    Puisque la compétence conférée à la Cour fédérale en vertu de l'article 116(2) de la Loi sur l'accise lui permet de "libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige", cette Cour a-t-elle discrétion d'ordonner que certains biens soient remis à leur propriétaire, malgré qu'ils soient confisqués de plein droit, et malgré une saisie valide?

[39]            La compagnie demanderesse tente d'obtenir de cette Cour une décision ordonnant la remise de certains biens saisis, en l'occurrence tout le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication illégale des cigares, remède dont l'existence dépend inévitablement de l'interprétation de la Loi sur l'accise.

  

[40]            Le Ministre reconnaît que la Cour a compétence pour statuer sur la question de la restitution des biens saisis, mais il fait valoir qu'elle doit refuser d'accorder le remède demandé par la compagnie demanderesse au motif que la procédure étant une action in rem en condamnation contre des biens saisis, la Cour ne peut mitiger les effets d'une confiscation et d'une saisie effectuées en conformité avec la Loi sur l'accise. S'il faut en croire cette théorie, seule une saisie déclarée illégale par cette Cour effacerait les effets de la confiscation des biens et donnerait lieu à leur restitution. Si la Cour conclut cependant que tant la confiscation que la saisie des biens de la compagnie demanderesse étaient conformes à la Loi sur l'accise, alors celle-ci n'aurait aucune discrétion d'ordonner la remise de certains biens et n'aurait d'autre alternative que de déclarer confisqués tous les biens saisis sans exception. Je ne suis pas d'accord.

[41]            Au soutien de sa position, le Ministre cite plusieurs décisions des tribunaux ayant reconnu qu'il n'existait pas de pouvoir discrétionnaire qui permette à un tribunal d'accorder un redressement au propriétaire de bonne foi d'un véhicule ou à la personne dont la condamnation pour transport d'alcool ou de tabac illicite était finalement annulé. Ainsi, dans l'arrêt Krakowec, supra aux pp. 321-323, la Cour suprême du Canada affirma ce qui suit quant à la portée du pouvoir dont sont investis les tribunaux en matière de confiscation de biens en vertu de la Loi sur l'accise :

[...] Upon the bare words of the enactment it must, therefore, follow that any vehicle used for the purpose of removing spirits unlawfully manufactured or imported is subject to the forfeiture therein prescribed, unless, something be found in the context or in the general scope of the Act to justify a departure from the well known rule that the intention of the Legislature must be determined from the words it has selected to express it. Here we find nothing of the kind in the context or in the subject-matter of the statute.

[...]

Whether such a thing exists as what is referred to by Lord Cairns (in Partington v. Attorney-General [(1869) L.R. 4 H.L. 100, at 122.]) as the "equitable construction" of a statute, we cannot see that this is a case for its application, and we find no reason why we should not simply adhere to the words of the enactment.


It is not for the court to say if, in some cases, -- such as, for example, when the vehicle utilized was stolen from its owner -- the forfeiture may effect a hardship. Such cases are specially provided for in subs. 2 of sec. 133 of the Excise Act. The power to deal with them is thereby expressly vested in the Governor in Council thus leaving full play to the operation of sec. 91 of the Consolidated Revenue and Audit Act (c. 178 of R.S.C., 1927), for the remission of forfeitures. We are unable to agree with the decision in Le Roi v. Messervier [(1928) Q.R. 34 R.L.n.s. 436.], already referred to, that the discretionary power is also vested in the court under sec. 124 of the Act. In our view, that section means nothing more than this:

After the vehicles, vessels, goods and other things have been seized as forfeited under sec. 181, the person from whom they were seized, or the owner thereof, may prevent the automatic condemnation of the said vehicles, etc., by giving notice as provided for in sec. 125 "that he claims or intends to claim the same"; whereupon, an information for the condemnation of the vehicles, etc., having been filed (as was done in this case), the court may hear and determine the claim made by the person from whom they were seized or from the owner, and the court may release or condemn the vehicles, etc., as the case requires, i.e., according as they come or not under the provisions of the Act. The court thereunder is vested with no discretion, it must decide according to law. (Mes soulignés)

[42]            La Cour de l'Échiquier est allée encore plus loin pour circonscrire la portée du pouvoir des tribunaux dans de tels cas dans Mayberry v. Canada, [1950] Ex.C.R. 402 en affirmant ceci aux pp. 407, 409 et 410:

The facts of the matter in my opinion are those stated by the claimant, but unfortunately that finding does not entitle him to the relief which he now claims. This matter is in the nature of a proceeding in rem and, if it be established - as I think has been done in the instant case - that the vehicle "had been or was being used for the purpose of transporting spirits unlawfully manufactured" the court is vested with no discretion in the matter, but must declare the vehicle condemned as forfeited, and that is so even when the owner had no knowledge that such spirits were carried in his vehicle. The only exception to that statement is the partial relief afforded under the provisions of section 169(A), which section is not available to the claimant herein, inasmuch as the vehicle was seized in his possession.

[...]

Had I any authority under the Act to exercise any discretion in dealing with the established facts I would unhesitatingly have granted relief to the claimant and directed that his car be returned to him. But no such authority exists and it is my duty to apply the law as found in the statute and in the light of the interpretation placed on it in the case which I have cited. I must therefore find that as the Crown has established the fact that the vehicle was used in the transportation of spirits admittedly of unlawful manufacture, judgment must go declaring the said automobile condemned as forfeited to the Crown by virtue of the provisions of the Excise Act.


Counsel for the claimant submitted that while the vehicle undoubtedly was used "in the transportation" of spirits unlawfully manufactured, it could not be said that it was used "for the purpose" of transporting spirits unlawfully manufactured. He argued that as the driver and owner had no knowledge of the presence of spirits in his car, he therefore lacked the intention or purpose of using his car for such transportation. I am unable to interpret the section in that way. The obvious purpose under the Act is to provide something more drastic in the way of penalties than fines or imprisonment and to provide for the forfeiture of vessels and vehicles illicitly engaged in the liquor traffic. If in such proceedings the Crown officers [page410] had to prove the intention or purpose of the owner or driver of such vehicle in transporting the illicit spirits they would face a very difficult task and the whole intention of the subsection might readily be evaded.

The finding which I have made will doubtless work a great hardship to the claimant. I realize also that it could create very substantial difficulties for motorists who may "give a lift" to strangers who may be in possession of a very small quantity of illicit spirits, concealed possibly on their persons.Notwithstanding the lack of any discretion in the court under the Excise Act as it now stands, there is power to deal with such cases of hardship under the Consolidated Revenue and Audit Act, 1931, c. 27, s. 33, such powers for the remission of forfeitures being expressly reserved to the Governor in Council under s. 124 of the Excise Act. I cannot leave the matter without suggesting that this is a case where consideration might well be given to any such claim as may be advanced by the claimant herein. (Mes soulignés)

Voir aussi Koshuk v. Canada, [1950] Ex. C.R. 332; James v. Canada, [1952] Ex. C.R. 396; Gosselin v. Canada, [1954] Ex. C.R. 658.

[43]            Dans R. v. Zarowney, [1956] Ex.C.R. 16, une décision relative aux articles 114 et 115 de la Loi sur l'accise alors en vigueur (anciens articles 116 et 117), la Cour de l'Échiquier indiqua ceci aux pp. 21-23 :

Were I dealing with an application under section 164 of the Excise Act I would have no hesitation in ordering that the claimant's interest be not affected by the seizure. The situation is different, however, when considering a claim under sections 114 and 115 under which the claimant has chosen to proceed. The statutory enactment must be adhered to. Sections 114 and 115 confer on the Court no discretionary power such as is contained in section 164. I must release or condemn the truck "as the case requires".


The words of section 163(3) of the Excise Act are unequivocal. The fact that the use of the truck for the purpose of transporting unlawfully manufactured spirits was without the consent or knowledge of the owner or of the driver of the truck cannot affect the application or effect of section 163(3) of the statute. Condemnation is mandatory. There is no room for doubt as to the meaning of the words, "all vehicles that have been used for the purpose of transporting the spirits so manufactured shall be forfeited to the Crown."

[...]

As my brother Cameron did under somewhat similar circumstances in Mayberry v. The King, (1950) Ex. C.R. 402, I must apply the words of the statute and order the condemnation of the truck. (mes soulignés)

[44]            La décision de la Cour suprême dans Krakowec a également été citée par le juge Mahoney dans Lawson v. The Queen,[1980] 1 C.F. 767 (C.F. 1ère inst.), une décision concernant une demande de réexamen de la confiscation d'une camionnette et d'un autre véhicule faite par le Ministre en vertu de la Loi sur les douanes, L.R. (1985), ch. 1 (2e suppl.). Aux pp. 771 et 772 de la décision, le juge Mahoney nota ce qui suit :

In considering an application to vacate a forfeiture, the Court is bound to consider all grounds under which the evidence discloses the goods might have been forfeited. It cannot limit its consideration only to the stated grounds of the forfeiture [référence omise]. The Court is, however, limited to a determination of whether or not the goods were, in fact and law, liable to forfeiture [référence à la décision Krakowec]. The power to remit a forfeiture lies only with the Governor in Council [référence omise]; the Court can only order a release of the goods or declare that they remain forfeited. (mes soulignés)


[45]            Bon nombre de décisions plus récentes ont appliqué les principes énoncés par les décisions précitées et refusé de restituer les biens saisis, même si cela faisait subir une lourde perte aux demandeurs : R. v. Martins, [1981] 36 A.R. 337 (N.W.S.C.); Lacourse v. Canada, [1993] 65 F.T.R. 115 (C.F. 1ère inst.); Becta Transport Ltée v. Canada, [1995] 93 F.T.R. 132 (C.F. 1ère inst.); Duchesne v. Canada, [1996] 120 F.T.R. 28 (C.F. 1ère inst.); Cohen c. Canada (ministère du Revenu national, Douanes et Accise - M.R.N.), [1998] F.C.J. No. 1204 (QL) (C.F. 1ère inst.); House of Giftwares Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1998] 153 F.T.R. 269 (C.F. 1ère inst.). En résumé, toutes ces décisions démontrent que la Loi sur l'accise exigeait et exige toujours que le véhicule utilisé pour le transport d'alcool ou de produits de tabac illicite soit déclaré confisqué au profit de Sa Majesté par les tribunaux dès que les éléments constitutifs de l'infraction ont été prouvés.

  

[46]            Je ne suis cependant pas disposé à accepter l'interprétation donnée par ces décisions au pouvoir des tribunaux en matière de confiscation sous le régime de la Loi sur l'accise comme déterminante pour sceller l'issue du présent litige. La décision de la Cour suprême du Canada dans Krakowec, sur laquelle reposent les décisions subséquentes de la Cour de l'Échiquier, a été rendue avant que l'article 169A (ancien article 88.2) soit inséré dans la Loi sur l'accise en 1934. Il est en effet admis que depuis cet arrêt, la Loi sur l'accise a été modifiée pour permettre à un tiers innocent et de bonne foi de s'adresser à un tribunal pour faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt dans les biens saisis, ce qui marque le passage d'une position de rigidité complète à une position davantage raisonnable et juste. De plus, la Cour suprême n'était pas confrontée à une demande de restitution de certains biens comme celle qui nous préoccupe en l'espèce, et les propos tenus à la toute fin de la décision sont pour le moins ambigus et ne constituent, à tout événement, qu'un obiter dictum. Je ne considère donc pas cette décision comme concluante en ce concerne la question à laquelle nous sommes confrontés. Quant aux décisions subséquentes de la Cour de l'Échiquier et de notre Cour, elles se fondent, à mon avis, sur une interprétation très restrictive des propos de la Cour suprême dans Krakowec et ne traitent pas de façon approfondie de la question du pouvoir des tribunaux en matière de confiscation de biens saisis sous le régime normatif et réglementaire de la Loi sur l'accise. En effet, il n'y a, à ma connaissance, aucune décision qui se prononce directement sur la question de l'interprétation de l'article 116(2). À tout événement, ces décisions ne lient pas cette Cour.

A)    Principes d'interprétation législative de la Loi sur l'accise


[47]            Tel que mentionné précédemment, la portée du pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de confiscation sous le régime de la Loi sur l'accise, s'il y en a un, a déjà été examiné dans quelques décisions qui, à mon avis, demeurent les vestiges d'une époque où les principes d'interprétation législatives étaient employés par les tribunaux de façon rigide et mécanique. Cette façon de faire, si elle était employée jadis, va clairement à l'encontre de la théorie contemporaine d'interprétation des lois qui consiste à examiner le but qu'elles visent. C'est cependant la première fois que notre Cour est directement appelée à interpréter et appliquer l'article 116(2) de la Loi sur l'accise qui lui confère le pouvoir de "libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige". En matière fiscale, la tendance dominante a traditionnellement favorisé une interprétation à la fois littérale et restrictive ayant eu pour effet de favoriser le contribuable. Désormais, il semble acquis que les lois fiscales telles la Loi sur l'accise doivent être interprétées de la même manière que les autres lois, mais appliquées, en cas d'ambiguïté ou de doute raisonnable, de manière à favoriser le contribuable : Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3 à la p. 20. Ce point tournant dans l'évolution des principes d'interprétation des lois fiscales au Canada a été motivé par le constat selon lequel le but des lois fiscales n'est plus confiné à la seule levée de fonds pour faire face aux dépenses gouvernementales. Il est reconnu que ces lois servent aussi à des fins d'intervention sociale et économique.

  

[48]            Voici comment, à la p. 131 de son ouvrage Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), le Professeur Sullivan a énoncé le principe applicable en matière d'interprétation législative, de la manière qui fait maintenant autorité :

There is only one rule in modern interpretation, namely, courts are obliged to determine the meaning of legislation in its total context, having regard to the purpose of the legislation, the consequences of proposed interpretations, the presumptions and special rules of interpretation, as well as admissible external aids. In other words, the courts must consider and take into account all relevant and admissible indicators of legislative meaning. After taking these into account, the court must then adopt an interpretation that is appropriate. An appropriate interpretation is one that can be justified in terms of (a) its plausibility, that is, its compliance with the legislative text; (b) its efficacy, that is, its promotion of the legislative purpose; and (c) its acceptability, that is, the outcome is reasonable and just. (mes soulignés)


[49]            Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d'interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes, y compris en matière fiscale: Falconbridge Nickel Mines Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] C.F. 471, aff. [1972] F.C. 835 (C.F.A.); Lor-Wes Contracting Ltd. v. R. (1985), 85 D.T.C. 5310 (C.F.A.); Egg Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415 (C.F. 1ère inst.). Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien-fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l'art. 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21, qui dispose que tout texte "est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet". D'autres principes d'interprétation -- telle l'interprétation stricte des lois fiscales contre le fisc et en faveur du contribuable puisqu'elles posent des restrictions à la jouissance des biens et du droit de propriété -- ne s'appliquent que si le sens d'une disposition est ambiguë ou si un doute raisonnable subsiste quant à son sens. On ne saurait conclure hâtivement cependant à l'existence d'une d'ambiguïté. Il est donc nécessaire, dans chaque cas, "que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l'analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [TRADUCTION] "le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes"" : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 aux para. 29-30.


(2) Application aux faits de l'espèce

[50]            Puisque la législation fiscale a pour principal objectif la perception de revenus au profit de Sa Majesté, une méthode d'interprétation de l'article 116(2) centrée sur les objectifs de la Loi sur l'accise aura tendance à jouer en faveur du fisc, alors que la prévalence du sens littéral de la disposition aura tendance à favoriser plutôt le contribuable. Puisqu'il est malaisé en l'espèce de choisir entre le sens de la règle suggéré par le sens ordinaire des mots et le sens de la règle qui assurerait mieux la réalisation de ses objectifs, j'accorderais un poids équivalent à ces arguments. Ainsi, dans le contexte du présent pourvoi, mon analyse est divisée en trois grandes rubriques.

a) Le sens ordinaire et grammatical


[51]            Avant d'amorcer mon analyse, je tiens à mettre en relief un élément important propre à la confiscation des biens saisis sous le régime de la Loi sur l'accise. Tel que mentionné, la confiscation est le fait de prendre, au nom et au profit du fisc, le ou les biens qui appartiennent à quelqu'un par une mesure de punition ou de sûreté : voir G. Cornu, Vocabulaire Juridique, 8e éd., P.U.F., Paris, 2000.    Elle opère à deux moments spécifiques; (a) de plein droit à partir du moment où une infraction est commise à l'égard du bien, ce qu'il conviendrait d'appeler une "confiscation temporaire", et ce qui donne lieu à la saisie "légale" du bien; (b) elle opère également par voie judiciaire lorsqu'une autorité compétente déclare les biens confisqués après vérification, ce qu'il conviendrait d'appeler une "confiscation permanente". Ainsi, en vertu du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise, il appartient à un tribunal d'entendre et juger toute revendication qui a été régulièrement faite et de se prononcer en définitive sur la nature "confisqué" ou non d'un bien saisi.

  

[52]            Essentiellement, l'article 116(2) de la Loi sur l'accise se présente comme une disposition attributive de compétence aux tribunaux entendant une demande de revendication d'objets saisis de libérer ou déclarer confisqués ces objets. Notre Cour n'étant pas une cour supérieure ayant une compétence inhérente, tout pouvoir qui lui est conférée en vertu de la Loi sur l'accise doit l'être en termes exprès ou par implication nécessaire.

  

[53]            Si je comprends bien cette disposition, celle-ci confère un pouvoir à la Cour et est rédigée dans des termes qui, à première vue, paraissent n'impliquer aucune contrainte, aucune obligation quelconque d'exercer le pouvoir en question ("le tribunal peut"). Elle en précise d'ailleurs la nature ("libérer ou déclarer confisqués, selon que le cas l'exige") et l'objet ("ces marchandises ou objets"). Il convient de noter que l'objet de ce pouvoir judiciaire n'est assorti d'aucune qualification ou terme limitatif (s'agit-il de tous les biens saisis, ou également certains biens, à la discrétion du tribunal?). La version anglaise énonce elle-aussi ces quatre éléments, dans le même ordre.

  

[54]            L'intention du législateur doit être apprécié en fonction des mots qu'il a choisi d'employer. En l'espèce, il m'apparaît toutefois impossible d'analyser séparément les divers éléments contenus dans l'article 116(2) pour lui donner un sens puisqu'ils sont étroitement liés et interdépendants, et il faudra faire preuve de grande prudence dans notre analyse. Tout d'abord, s'il faut entendre par les mots "ces marchandises ou objets", toutes les marchandises ou objets saisis, sans exception, ce qui serait une interprétation tout à fait plausible, l'emploi du terme "peut" par opposition à "doit" dans cette disposition semble démontrer que le législateur ait voulu conférer une discrétion au tribunal de décider de libérer certains biens. Toutefois, en pratique, il arrivera assez fréquemment que le contexte ou l'objet de la loi ou de la disposition permettront de conclure que le pouvoir conféré n'est pas absolument discrétionnaire. Il se peut en effet qu'un pouvoir soit assorti d'un devoir d'exercer le pouvoir en question d'une manière précise lorsque certaines circonstances sont réunies.

  

[55]            Il en est ainsi par exemple lorsque les mots en question sont attributifs d'une compétence judiciaire. Dans le cas en l'espèce, il se peut donc fort bien que le législateur ait voulu prescrire un recours par lequel une personne se présente devant un tribunal chargé de sanctionner les biens saisis, et dans le cadre duquel le tribunal n'aurait pas de discrétion à exercer mais devrait libérer les biens si et seulement si les éléments constitutifs des infractions ayant donné lieu à la confiscation ne sont pas réunis à sa satisfaction. Autrement dit, par le recours prévu dans cette disposition, le Ministre s'adresserait au tribunal pour que celui-ci confirme la confiscation temporaire des biens saisis après qu'il eût été démontré à sa satisfaction que ces biens étaient effectivement confisqués de plein droit et donc saisis légalement. Il se peut aussi cependant que le législateur ait réellement voulu attribuer une discrétion à un tribunal de libérer certains biens saisis comme confisqués, et ce, même lorsque les éléments constitutifs des infractions ayant donné lieu à la confiscation sont réunis. Ces deux interprétations du pouvoir judiciaire en matière de confiscation sont tout à fait raisonnables, mais aucune ne semble a priori déterminante.

  

[56]            Par ailleurs, la juxtaposition des termes "selon que le cas l'exige" à "libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets" donne également ouverture à deux interprétations différentes selon le sens que l'on choisit de donner aux mots "ces marchandises ou objets". Si, tel que mentionné plus haut, l'on entend par ces termes "toutes les marchandises ou objets saisis sans distinction", alors les deux seuls cas envisageables seraient, d'une part, que la Cour libère tous les biens saisis et, d'autre part, qu'elle déclare tous les biens confisqués. Par contre, si ces mots signifient "certaines ou toutes les marchandises ou objets saisis comme confisqués, selon que le cas l'exige", alors l'on peut imaginer un spectre de possibilités appelant différentes décisions de la part du tribunal qui serait investi d'un pouvoir discrétionnaire de libérer certains biens et déclarer le reste confisqué, ou libérer tous les biens, ou les déclarer tous confisqués, selon le cas. En effet, il convient de noter que si le législateur entendait limiter le champ d'application de l'article 116(2) à tous les biens saisis en rendant leur confiscation obligatoire dans certaines circonstances précises, il aurait pu l'indiquer expressément.

  

[57]            Je ne puis toutefois m'empêcher de questionner sérieusement la logique qui sous-tendrait le choix de limiter strictement la fonction d'un tribunal saisi d'une demande de revendication d'un bien sous le régime de la Loi sur l'accise à vérifier si effectivement une infraction a été commise à son égard, auquel cas celui-ci n'aurait d'autre choix que de déclarer le bien confisqué définitivement.    Est-ce réellement ce que le législateur ait voulu faire en conférant au tribunal le pouvoir de "libérer ou déclarer confisquer ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige"? Ne serait-il pas plus logique de conclure que le choix exprès de ces mots plutôt que des termes impératifs "doit libérer ou déclarer confisquer toutes les marchandises ou objets saisis, selon que le cas l'exige" dénote une volonté du législateur non seulement d'attribuer un pouvoir de confiscation aux tribunaux, mais un pouvoir qui soit discrétionnaire? Ainsi, à titre d'exemple, l'article 16 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. (1996), c.19, dont le libellé est identique à celui de l'article 490.1 du Code criminel, confère au "Tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction désignée" un pouvoir de confiscation des biens infractionnels liés à la perpétration de cette infraction. Ce pouvoir ne revêt par ailleurs aucun caractère discrétionnaire puisqu'il s'inscrit dans l'objectif et la nature véritable de cette loi qui est de dénoncer, dissuader et prévenir la commission d'actes tels le trafic, la production et la possession de drogues : voir R. c. Houle, [2000] J.Q. no 719 (QL) (C.Q.) aux para. 27, 30. Voir également les articles 41(1) et (2) de la Loi sur le tabac L.R.C. 1997 c. 13 quant à la nature non-discrétionnaire d'un pouvoir analogue des tribunaux en matière de confiscation de produits de tabac saisis. Je reproduis le libellé de l'article 16 par souci de commodité :

  


16. (1) Sous réserve des articles 18 et 19 et sur demande du procureur général, le tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction désignée et qui est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que des biens infractionnels sont liés à la perpétration de cette infraction ordonne :

a) dans le cas de substances inscrites à l'annexe VI, que celles-ci soient confisquées au profit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le ministre en dispose à sa guise;

b) que les autres biens infractionnels soient confisqués au profit :

(i) soit de Sa Majesté du chef de la province où les procédures relatives à l'infraction ont été engagées, si elles l'ont été à la demande du gouvernement de cette province et menées par ce dernier ou en son nom, pour que le procureur général ou le solliciteur général de la province en dispose en conformité avec la loi,

(ii) soit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l'application du présent sous-alinéa en dispose en conformité avec la loi, dans tout autre cas.

                  

(2) Le tribunal peut rendre une ordonnance de confiscation aux termes du paragraphe (1) à l'égard de biens dont il n'est pas convaincu qu'ils sont liés à l'infraction désignée dont la personne a été reconnue coupable, à la condition toutefois d'être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu'il s'agit de biens infractionnels.

(mes soulignés)

16.(1) Subject to sections 18 and 19, where a person is convicted of a designated substance offence and, on application of the Attorney General, the court is satisfied, on a balance of probabilities, that any property is offence-related property and that the offence was committed in relation to that property, the court shall

(a) in the case of a substance included in Schedule VI, order that the substance be forfeited to Her Majesty in right of Canada and disposed of by the Minister as the Minister thinds fit; and

(b) in the case of any other offence-related property,

(i) where the prosecution of the offence was commenced at the instance of the government of a province and conducted by or on behalf of that government, order that the property be forfeited to Her Majesty in right of that province and disposed of by the Attorney General or Solicitor General of that province in accordance with the law, and

(ii) in any other case, order taht the property be forfeited to Her Majesty in right of Canada and disposed of by such member of the Queen's Privy Council for Canada as may be designated for the purposes of this subparagraph in accordance with the law.

(2) Where the evidence does not establish to the satisfaction of the court that the designated substance offence of which a person has been convicted was committed in relation to property in respect of which an order of forfeiture would otherwise be made under subsection (1) but the court is satisfied, beyond a reasonable doubt, that that property is offence-related property, the court may make an order of forfeiture under subsection (1) in relation to that property.

(My underlining)


  

[58]            S'il l'on adopte une interprétation stricte de l'article 116(2) de la Loi sur l'accise, dont le libellé diffère nettement de celui des dispositions précitées, il s'agirait là d'un pouvoir judiciaire qui, effectivement, n'en est pas un, mais qui ressemble davantage à une obligation déguisée d'agir dans un sens précis selon ce que dictent les circonstances de l'espèce.

  

[59]            En fin de compte, j'arrive à la conclusion qu'une interprétation des mots utilisés à l'article 116(2) suivant leur sens ordinaire et grammatical mène inéluctablement à une ambiguïté en ce qui a trait à la nature et la portée du pouvoir conféré aux tribunaux en matière de confiscation de biens saisis en vertu de la Loi sur l'accise, ambiguïté que je chercherais à dissiper en examinant le contexte législatif de la Loi sur l'accise et de cette disposition.

b) Le contexte législatif élargi

[60]            Bien que la Loi sur l'accise ne comporte malheureusement pas de disposition précisant son objet, elle s'inscrit évidemment dans un cadre plus large. Comme le souligne pertinemment le juge Joyal dans Porter, supra, elle prévoit, à travers le mécanisme de la confiscation ipso jure et la confiscation dite judiciaire des biens fabriqués illégalement ou à l'égard desquels une ou des infractions sont commises, un moyen de protection par le fisc des recettes de la Couronne : voir aussi R. v. Tanaka (1997), 38 O.T.C. 36 (Ont. Gen. Div.) au para. 9. Elle constitue simplement une mesure législative de réglementation et de régulation de certaines activités adoptée en vertu du pouvoir fédéral de taxation qui comporte, également, des dispositions d'exécution, et ne cherche aucunement à imposer un châtiment sur le plan strictement conceptuel : Crédit Ford du Canada Ltée c. Ministère du Revenu national, [1996] R.J.Q. 2154 (C.A.) aux para. 16, 19; Canada. Ministère des finances, Révision de la loi sur l'accise: proposition de révision du régime de taxation des produits du tabac et de l'alcool. Ottawa: Gouvernement du Canada, 1997.

  

[61]            À la lecture des décisions précitées où des infractions à la Loi sur l'accise avaient été commises par l'usage d'un véhicule, notamment l'importation illicite de cigarettes ou d'alcool, il est à tout le moins révélateur que dans aucune d'elles cet objet n'a-t-il été restitué à son propriétaire. Il y a néanmoins une certaine absurdité dans le fait d'imputer une complicité à un véhicule ou à une pièce d'équipement dans une poursuite in rem dans le but de les faire déclarer confisqués par un tribunal. Si l'une des principales fonctions de la Loi sur l'accise était réellement de réglementer le transport d'alcool et de produits de tabac illicites, la meilleure façon d'atteindre cet objectif serait de garantir la confiscation dans tous les cas, sans égard à la culpabilité ou l'innocence du propriétaire ou du conducteur du véhicule. Or, même s'il est vrai, comme nous l'avons déjà fait remarquer, que la confiscation ne se fonde pas sur une déclaration de culpabilité mais bien, de par la Loi sur l'accise, sur le fait que le véhicule est utilisé pour transporter des produits illicites, il est clair que la loi elle-même prévoit, en vue d'assurer le respect des droits économiques des tiers innocents, une mesure afin de permettre au propriétaire et au titulaire de privilèges qui sont entièrement de bonne foi et innocents de toute collusion et complicité d'échapper aux conséquences qu'ils devraient autrement subir. Néanmoins, toutes les décisions précitées semblent avoir conclu que la théorie de la confiscation était trop solidement ancrée dans la jurisprudence du pays en matière de mesures répressives et de redressement pour que l'on puisse maintenant en atténuer les effets drastiques en distinguant entre des catégories de biens tous légalement saisis comme confisqués, selon qu'ils soient un malum in se ou un malum prohibitum.



[62]            Peut-être le législateur voulait-il que le pouvoir judiciaire en matière de confiscation atteigne tous les biens qui ont été utilisés pour des fins illicites, c'est-à-dire pour contrevenir à la Loi sur l'accise, ce qui appuierait une reconnaissance stricte et absolue des dispositions relatives à la confiscation, y compris l'article 116(2). Ainsi, selon cette interprétation, la Loi sur l'accise éviterait non seulement de faire une distinction entre différentes catégories de biens, soit les biens de nature illégale et les biens ayant servi à la commission d'une infraction, mais aussi de distinguer entre celui qui est moralement sans reproche et celui qui ne l'est pas. La Loi sur l'accise, à travers son mécanisme de confiscation permanente, n'est pas aussi manifestement réglementaire que l'on serait porté à le croire mais comporte un aspect punitif : Industrial Acceptance Corp. Ltd. v. Majesty The Queen, [1953] 2 S.C.R. 273 à la p. 278. Il convient toutefois de s'interroger sur la nécessité d'une mesure aussi draconienne que la confiscation de tout le matériel et équipement de la compagnie demanderesse en l'espèce, lorsque cette dernière perd déjà les cigares et le tabac saisis en raison de leur possession et fabrication sans licence. L'intérêt qu'a l'État à empêcher les particuliers de fabriquer ou d'être en possession d'objets en contravention de la Loi sur l'accise, à déjouer des entreprises criminelles et à garantir les recettes de la Couronne, ceci à des fins d'intervention sociale et économique, n'est-il pas adéquatement servi par leur confiscation judiciaire, sans besoin d'étendre cette dernière à des biens ayant été utilisé une seule fois pour commettre un acte illégal, notamment lorsque le contrevenant était de bonne foi? Une telle confiscation ne constituerait-elle pas réellement un double châtiment pour la même infraction? Dans le cas d'un véhicule ou d'une pièce d'équipement ayant servi à commettre une infraction à la Loi sur l'accise, ne peut-on pas dire qu'il y aurait lieu, selon les circonstances, à les restituer à leur propriétaire puisqu'ils n'ont jamais fait l'objet d'une possession ou une propriété illégale? Ces observations nous ramènent inévitablement à la case départ. Déclarer confisqués les cigares fabriqués sans licence ou l'alcool importé illégalement au Canada principalement dans le but de réglementer ces activités et protéger les recettes de la Couronne est une chose; déclarer confisqué le véhicule ou le matériel de fabrication d'un particulier qui a été utilisé pour importer illégalement de l'alcool ou pour fabriquer des cigares sans permis simplement dans le but de punir les contrevenants en est une toute autre qui, à mon sens, n'est pas du tout compatible avec le but réel poursuivi par le législateur en adoptant la Loi sur l'accise, soit le souci de protéger les recettes réalisées par Sa Majesté grâce aux droits d'accise : voir en ce sens les commentaires du juge Dysart dans Northwest Mortgage Co. v. Commissioner of Excise, [1944] 3 D.L.R. 273 (Man. K.B.), aff. [1945] 1 D.L.R. 561.

  

[63]            L'interprétation de la disposition conférant un pouvoir aux tribunaux de "libérer ou condamner ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige" est certes une question difficile à trancher. Après examen du contexte global de l'article 116(2) de la Loi sur l'accise et interprétation des mots qui le composent suivant leur sens ordinaire et grammatical, en conformité avec le cadre législatif dans lequel s'inscrit cette disposition et l'objet de la disposition, j'arrive à la conclusion que celle-ci recèle une ambiguïté. Il m'apparaît peu vraisemblable, ou du moins je ne puis conclure avec certitude, que le législateur entendait interdire de manière absolue aux tribunaux d'exercer une discrétion dans l'appréciation des faits de chaque cas et décider, par exemple, de libérer certains biens dont la possession ne contrevient en rien à la Loi sur l'accise. Il est donc nécessaire, dans les circonstances, de recourir à l'un ou l'autre des principes subsidiaires d'interprétation législative.

C)    Les principes subsidiaires d'interprétation législative

  

[64]            Puisqu'un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation subsiste quant à l'interprétation de l'article 116(2) de la Loi sur l'accise, celui-ci sera résolu par le recours à la présomption selon laquelle si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable : P.-A. Côté, Interprétation des lois, 3e éd. Cowansville: Yvon Blais, 2000 aux pp. 627-628. Ce principe résiduel doit s'appliquer de façon exceptionnelle à l'égard de lois fiscales telles la Loi sur l'accise qui ont pour effet de confisquer des biens puisque les tribunaux exigeront du législateur qui veut opérer une confiscation de biens saisis et une restriction à la jouissance de ces biens qu'il s'exprime très clairement à cet effet. Il est particulièrement indiqué d'appliquer ce principe dans un cas, comme celui en l'espèce, où la Cour est contrainte de choisir entre deux interprétations valables du pouvoir judiciaire en matière de confiscation sous le régime d'une loi fiscale dont la plus restrictive mènerait à un résultat injuste et déraisonnable pour la compagnie demanderesse. Bien que ce fait à lui seul ne suffise pas pour trancher la question d'interprétation, il écarte effectivement le problème de savoir si la Loi sur l'accise comporte à sa base une intention punitive ou un objectif de réglementation. Je suis donc d'avis qu'il faut donner à l'article 116(2) de la Loi sur l'accise une interprétation large et libérale en vertu de laquelle un tribunal saisi d'une demande de revendication d'objets saisis aurait discrétion d'ordonner la remise de certains biens légalement saisis, selon les circonstances de chaque espèce.

  

[65]            Normalement, le pouvoir d'ordonner la restitution des biens saisis est incident à celui d'annuler la saisie : Dobney Foundry Ltd. v. R. (1985), 19 C.C.C. (3d) 465 (B.C.C.A.) à la p. 474. Or, la jurisprudence reconnaît de plus en plus que l'illégalité d'une saisie n'entraînera pas toujours la remise des biens en cause, notamment lorsque la remise équivaudrait à reconnaître indirectement l'illégalité de la possession initiale des biens saisis par la personne qui en a été dépossédée, comme par exemple dans le cas de produits nettement immoraux, illicites ou dangereux en soi comme les stupéfiants, les armes prohibées, l'argent contrefait et autres objets ayant servi à la commissions de certains crimes, bien que cette éventualité puisse ne pas être la seule : Re Regina and Largie (1981), 63 C.C.C. (2d) 508 (O.C.A.); Lagiorgia c. R., [1987] 3 C.F. 28 (C.F.A.) à la p. 32; Vincent c. Canada (Procureur général), [1996] R.J.Q. 2128 (C.A.); R. v. Henderson, [1997] B.C.J. No. 3168 (QL) (B.C. Prov. Ct.); R. v. Spindloe, [2002] 5 W.W.R. 239 (Sask. C.A.). Ceci dit, je suis d'avis que ces principes devant régir la décision de restituer ou non des biens saisis s'appliquent tout autant sous le régime de la Loi sur l'accise et, plus particulièrement, de l'article 116(2), et ce, indépendamment de la validité de la saisie. Tel que mentionné plus haut, cette disposition semble conférer à cette Cour une discrétion qui, à mon avis, l'autorise à tenir compte du caractère illégal de la possession des biens saisis dans son appréciation des faits pour fin de déterminer si elle va "libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige". En effet, cette discrétion doit être exercée de façon judiciaire à la lumière des objectifs d'ordre public de la Loi sur l'accise dont l'une d'elle est certes d'empêcher qu'un contrevenant puisse profiter du fruit des infractions qu'il a commises, suivant la maxime ex turpi causa non oritur actio.

  

[66]            La compagnie demanderesse reconnaît que, dans certains cas au moins, l'illégalité-même de la possession des biens saisis peut constituer un obstacle absolu à leur restitution.    En effet, c'est le caractère fondamentalement illégal ou infractionnel de la possession d'un produit de tabac non empaqueté, non estampillé, fabriqué sans être muni de la licence requise par la Loi sur l'accise, et concernant lequel les droits d'accise n'ont pas été payés conformément à l'article 240(1) qui en interdit la restitution à son propriétaire. En l'espèce, la restitution des cigares et des produits de tabac ne saurait être justifiée et donc ne peut être ordonnée ou autorisée par la Cour car leur possession serait autrement illégale. La décision de déclarer ces biens infractionnels confisqués n'est pas liée au fait qu'ils ont été utilisés pour commettre une infraction à la Loi sur l'accise, mais bien au fait que leur possession initiale est intrinsèquement illégal. Je suis loin d'être convaincu que l'absence de prohibition absolue de la possession des cigares et produits de tabac en démontre son caractère légal ou inoffensif : voir R.J.R. Macdonald c. Procureur Général du Canada, [1995] 3 R.C.S. 199. Au contraire, le souci de protéger les recettes réalisées au profit de Sa Majesté grâce aux droits d'accise, qui est consacré par une ancienne doctrine de confiscation et une légitimité historique, mérite bien, à mon avis, que les tribunaux déclarent de tels biens confisqués, même si c'est à regret. Cette loi fiscale de saisie et de confiscation est sévère et a des exigences que peu connaissent, mais le législateur veut clairement détruire un abus. C'est le genre de respect que cette Cour doit au législateur qui a estimé au fil des ans qu'aussi radicale qu'elle puisse sembler à l'occasion, la confiscation de tels biens est une mesure qu'il est bon et nécessaire de conserver.

  

[67]            Toutefois, je ne voudrais pas que l'on interprète ces propos comme signifiant que la retenue judiciaire en matière de confiscation de biens saisis devrait empêcher les tribunaux de s'aventurer dans un domaine ou d'autres craindraient de s'engager. Ainsi, le caractère illégal de la possession de certains biens, indépendamment de la validité de la saisie aux yeux de la Loi sur l'accise, est un élément qui, à mon avis, donne ouverture à une distinction importante entre, d'une part, les cigares et le tabac dont l'illégalité découle du simple non respect des dispositions fiscales et le non paiement des droits fiscaux imposés par règlement et, d'autre part, le matériel et l'équipement ayant servi à leur fabrication qui sont non interdits en eux-mêmes, innocents en soi, et dont la possession est autrement légal. En ordonnant que ces derniers soient restitués à leur propriétaire, un tribunal ne remettrait pas celui-ci dans une position qui serait contraire à la Loi sur l'accise. Il serait erroné, à mon avis, ou du moins incongru, considérant l'objectif visé par la Loi sur l'accise, de conclure que le simple fait que ces biens ont été utilisés pour commettre une infraction à la Loi sur l'accise exige absolument que la Cour les déclare confisqués, sans que celle-ci ait l'opportunité d'apprécier tous les faits entourant leur saisie. Je suis plutôt d'avis que la preuve de l'illégalité de la possession des biens saisis me paraît constituer un motif contraignant, d'ordre et d'intérêt public, qui exige qu'ils soient déclarés confisqués par un tribunal, tout autant que l'absence d'illégalité de la possession me paraît constituer une circonstance exceptionnelle autorisant le tribunal à les libérer, à sa discrétion, en vertu de la Loi sur l'accise.

  

[68]            Je n'ai pas à décider ici de toutes les situations où un tribunal pourrait exercer sa discrétion et ordonner la remise de certains biens. En l'espèce, le fait que la possession du matériel et de l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares en contravention de la Loi sur l'accise ne peut, à aucun moment, être illégal est un élément que cette Cour peut prendre en considération pour décider si elle ordonnera qu'ils soient libérés ou déclarés confisqués. La simple possibilité que ces objets puissent, d'une part, permettre à la compagnie demanderesse d'obtenir la licence de fabrication et opérer en toute légalité et, d'autre part, être ressaisis après leur restitution dans l'éventualité où ils sont employés de nouveau pour commettre des infractions à la Loi sur l'accise milite, à mon avis, en faveur de leur restitution. De plus, le fait que les demandeurs Dino Orsini et Ian Orsini ont bénéficié d'une défense d'erreur de droit dans le cadre des poursuites criminelles intentées contre eux et qu'ils ont, à tout moment, été de bonne foi et moralement sans reproche, conjugué au comportement discutable des agents de la GRC avant la saisie et subséquemment lors du traitement de la demande de licence, militent également en faveur de la remise du matériel et de l'équipement saisi en l'espèce.

  

[69]            Il n'y a présentement aucune possibilité que la compagnie demanderesse, si jamais telle était son intention, puisse continuer à fabriquer des cigares dans son établissement après s'être procurée la licence fédérale de fabrication exigée par la Loi sur l'accise. Quelle que soit l'interprétation stricte de la Loi sur l'accise qu'aient pu donner les décisions précitées, je crois qu'il importe en l'espèce que le matériel et l'équipement soit remis à la compagnie demanderesse; autrement, comment pourrait-elle prendre les mesures appropriées pour obtenir la licence de fabrication qui lui est toujours refusée? Ainsi, les circonstances particulières révélées par la preuve m'incitent à faire droit à la requête de la compagnie demanderesse. Il serait donc convenable et juste, considérant l'esprit de la Loi sur l'accise, d'ordonner la restitution de tout le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares à la compagnie demanderesse, même s'ils étaient confisqués de plein droit et saisis légalement.

  

[70]            Sans sonder les reins et le coeur du législateur, il me paraît, au contraire, qu'une telle interprétation large et libérale du pouvoir judiciaire en matière de confiscation donnerait ainsi un sens à l'article 116(2) qui permette amplement la réalisation de l'objet manifeste de la Loi sur l'accise tout en ne défavorisant pas indûment le particulier. Je suis loin d'être convaincu que l'exercice d'une discrétion en matière de confiscation par un tribunal saisi d'une demande de revendication de biens saisis produirait des effets néfastes que le législateur ait voulu éviter. J'estime plutôt que cette Cour, en redéfinissant la politique législative sous-jacente de la Loi sur l'accise, établit un bon équilibre entre les droits privés des particuliers de ne pas se faire priver indûment de la jouissance de leurs biens et l'intérêt du législateur d'imposer des droits d'accise comme instrument de contrôle et de réglementation de la distribution et de la consommation des produits du tabac et d'assurer la protection des recettes fiscales au profit de Sa Majesté par le bais du mécanisme de la confiscation.

  

[71]            Pour terminer, je désire reprendre certains commentaires que j'ai émis à l'audience. Je comprends difficilement l'attitude des membres de la GRC et des autres services concernés dans ce dossier. Voilà selon la preuve un honnête homme d'affaires qui lance une entreprise légitime à l'aide d'un conseiller en gestion qui manifestement n'avait aucune connaissance dans le domaine. Il informe les fonctionnaires de la GRC de son projet et sollicite par l'intermédiaire de son conseiller l'aide et les conseils des fonctionnaires, ce que n'ignore pas la GRC puisque dès l'été 1998, alors que l'entreprise se prépare à démarrer, on le surveille. Jamais on ne l'avise qu'il n'a pas la licence de fabrication nécessaire pour opérer, ce qui, j'en suis convaincu, aurait empêché Dino Orsini de commettre une infraction, d'autant plus qu'il possédait tous les autres permis et licences requis par la loi et faisait remise de toutes les taxes provinciales et fédérales qu'il croyait exigées. On le laisse plutôt investir considérablement dans son projet et dès qu'il ouvre son commerce au public avant les Fêtes, on l'arrête, on saisi tout le matériel, l'équipement et les marchandises, et on ferme son entreprise.

  

[72]            Dès qu'il réalise l'illégalité de son entreprise, le 18 décembre 1998, Dino Orsini fait une demande de licence fédérale et on la lui refuse cinq mois plus tard pour des motifs d'intérêt public. On lui indique que cette décision ferait l'objet d'une révision dès que les poursuites pénales connaîtraient leur dénouement. Malgré l'arrêt des procédures en raison de l'erreur de droit provoquée par l'avis sollicité d'une personne en autorité, on lui refuse toujours de délivrer la licence au motif que son commerce ne possède plus d'équipement ou de matériel pouvant servir à la fabrication de cigares et donc qu'il ne remplit pas les exigences de la Loi sur l'accise. Si on tenait absolument à contrecarrer la vente et la fabrication illégale de faux cigares cubains à Montréal, on n'avait pas à attendre que M. Orsini commette de bonne foi une infraction pour le lui dire, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas en l'instance d'un contrebandier qui contourne la loi, mais d'un honnête citoyen qui cherche à la respecter en opérant son entreprise avec une totale transparence. Il s'agit d'une façon de procéder répréhensible ou pour le moins discutable.

Dispositif

[73]            Pour ces motifs, je suis donc d'avis de faire droit à l'action en revendication de la compagnie demanderesse en partie. Ainsi, je déclare confisqués au profit de Sa Majesté tous les produits de tabac saisis le 17 décembre 1998 à l'exception des produits suivants qui devront être restitués à la compagnie demanderesse sans délai. Ces derniers seront identifiés tels qu'ils apparaissent sur la "Liste des effets saisis" :

Numéro d'article

Quantité

Article saisi

35A

15

Boîtes pour mouler cigares, 42 x 5.5, Excluant les cigares

36A

5

Boîtes pour mouler cigares, 42 x 6, Excluant les cigares

37A

2

Boîtes pour mouler cigares, 44 x 5.5, Excluant les cigares

38A

4

Boîtes pour mouler cigares, 44 x 7, Excluant les cigares

39A

1

Boîte en cèdre, Excluant les cigares

1B

1

Presse à tabac artisanale en bois

2B

1

Presse à tabac artisanale en bois

3B

1

Presse à tabac artisanale en bois

4B

243

Boîtes pour moule à cigares (vide, grandeurs variés)

5B

Equipement pour fabrication de cigares (5 hachoirs, lames)

8B

4

4 tables de travail servant à fabriquer des cigares

9B

1

Chevalet artisanal servant à étendre les feuilles de tabac

11B

Permis provincial (photocopie) de vente de tabac

1C

106

Boîtes pour moule à cigares (vide)

2C

1

1 Humidificateur Duracraft

14C

2

Pesées pour presse à tabac

[74]            Compte tenu des circonstances, il n'y aura pas d'adjudication quant aux dépens.

ligne

                   JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 6 septembre 2002


                          COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-185-99

INTITULÉ :                      Loi sur l'accise (Can.) (Re)

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         Les 28, 29 et 30 mai 2002

MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :            Le 6 septembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Bruce TaubPOUR LA DEMANDERESSE

M. Jacques MimarPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Bruce Taub                                      POUR LA DEMANDERESSE

644, De Courcelle

Montréal (Québec)

H4C 3C5

M. Morris Rosenberg       POUR LE DÉFENDEUR

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