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Date : 20011106

Dossier : IMM-118-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1207

ENTRE :

                                                           LOFULO BOFAYA IMAMA

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Section du statut » ), selon laquelle le demandeur est exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention, selon les articles 1F(a) et 1F(c) de la Convention.

[2]                 Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Il allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

[3]                 Le demandeur travaillait au sein du ministère de l'État zaïrois de 1963 à 1998. Il y a occupé les postes suivants:

           De 1963 à 1965, le demandeur était au Zaïre et s'occupait des privilèges et immunités;

           En 1965, il occupait le poste de deuxième secrétaire d'Ambassade à Washington;

           De décembre 1965 à août 1966, il occupait le poste de deuxième secrétaire d'Ambassade à l'Ambassade de Congo à Ottawa;

           D'août 1966 à 1968, il occupait le poste de deuxième secrétaire d'Ambassade en Côte d'Ivoire;

           De 1968 à 1972, il était au Zaïre et travaillait à la direction des organisations internationales à caractère régional au Zaïre;

           De 1972 à 1974, il occupait le poste de deuxième secrétaire d'Ambassade au Rwanda;

           De 1974 à 1976, il occupait le poste de premier secrétaire au Gabon. Il était chargé des fonctions économiques de l'Ambassade;

           De 1976 à 1978, il était chef de division des privilèges et immunités au Zaïre;

           De 1978 à 1980, il était directeur du protocole au Zaïre;

           De 1980 à 1986, il était chargé du protocole et des relations publiques au cabinet du Premier ministre;

           De 1986 à 1989, il était au département des affaires étrangères comme chef du protocole;

           De 1989 à 1998, il était ambassadeur au Tchad.


[4]                 Le paragraphe 2(1) de Loi sur l'Immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 définit le terme « réfugié au sens de la Convention » et prévoit que sont exclues de cette définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci. Les sections E et F de cette Convention sont incorporées dans la loi. Dans le cas en l'espèce, la section F de l'article premier de la Convention est pertinente. Elle se lit comme suit:


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

                (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

                (b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

                (c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.


[5]                 L'article 1F de la Convention énonce que le tribunal doit avoir « des raisons sérieuses de penser » . Cette expression a été interprétée dans l'affaire Ramirez c. Canada, [1992] 2 C.F. 306 (Ramirez) comme imposant un fardeau de la preuve inférieur à celui de la prépondérance des probabilités. Cependant, compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d'exclusion doivent être interprétées de façon restrictive (Moreno c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.))

[6]                 Il incombe au Ministre de prouver que le demandeur tombe dans la catégorie de gens exclus.


[7]                 La Section du statut a conclu que le demandeur faisait partie de la catégorie de gens exclus prévus aux alinéas 1F(a) et 1F(c) de la Convention parce qu'il s'est rendu complice de crimes contre l'humanité.

[8]                 En premier lieu, compte tenu de la preuve dont disposait le tribunal, il ne fait aucun doute que les nombreuses exactions commises par le régime de Mobutu tombent sous le coup de la définition de crimes contre l'humanité tels que définis par la Cour d'appel dans les affaires Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), à la p. 442, Gonzalez c. M.E.I., [1994] 3 C.F. 646, à la p. 653-654 et plus récemment dans Sumaida c. Canada [2000] 3 C.F. 66, à la p. 73, où le juge Létourneau résumait comme suit:

Essentiellement, les définitions de crimes contre l'humanité font référence à des crimes graves ou à d'autres actes inhumains commis contre "toutes populations civiles".

[9]                 La preuve dont disposait le tribunal dénonce les nombreux crimes commis par le régime de Mobutu:

In March 1993, the United Nations Commission for Human Rights condemned Zaire's violations of human rights and basic freedoms. The commission's report cited in particular the widespread use of torture, inhuman conditions of detention, "disappearances", summary executions, and failure to ensure fair trials. It also deplored the regime's systematic and forceful repression of peaceful demonstrations and accused the regime of deliberately inciting ethnic violence in Shaba.


In September 1993, Amnesty International rated the human rights situation in Zaire as worse than it has been since the chaos following independence in 1960. In support of this assessment, it cited widespread deliberate violations of human rights by regional authorities loyal to Mobutu, ethnic murders in Nord-Kivu and Shaba instigated by government security personnel, the arrest and detention of the editor of an opposition newspaper, and the obstruction of transitional government meetings. Given the extent of random banditry throughout the country, Zaire in the early 1990s was a country in which lawlessness prevailed and human rights were systematically trampled.                                                                                                 (Pièce M-1).

[10]            Le demandeur s'est-il rendu complice par association d'un crime contre l'humanité?

[11]            Dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Linden résume la notion de complicité par association. Il s'exprime ainsi à la p. 442:

En bref, l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des « fins limitées et brutales » (Ramirez, supra, à la page 317). D'autre part, plus l'intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l'organisation, plus on peut conclure qu'il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre.

[12]            Plus récemment, le juge Nadon dans l'affaire Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (1995), 115 F.T.R. 161, dégageait avec concision des propos du juge Linden les principes suivants à la page 178:

1.    La personne qui commet le crime doit être tenue responsable de ce crime.

2.    Une personne peut-être tenue responsable d'un crime sans l'avoir commis personnellement, à savoir à titre de complice.

3.    L'élément requis pour qu'il y ait complicité est la « participation personnelle et consciente » de la personne en question.

4.    Le seul fait d'être présent sur les lieux d'un crime n'équivaut pas à complicité.


5.    Celui qui aide ou encourage la perpétration d'un crime pourra être tenu responsable de ce crime.

6.    Un supérieur pourra être tenu responsable de crimes commis par ses subordonnés dans la mesure où le supérieur en avait connaissance.

7.    Une personne pourra être tenue responsable de crime commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs de ce crime.

8.    Plus la personne occupe une fonction importante au sein d'une organisation qui a commis un ou des crimes, plus sa complicité sera probable.

9.    Pourra être tenue complice une personne qui continue à occuper un poste de direction dans une telle organisation alors qu'elle a pleine connaissance que l'organisation est responsable de crimes.

10.    Pour déterminer la responsabilité d'une personne, doit être pris en considération le fait que la personne s'est opposée au crime ou a tenté d'empêcher la perpétration du ou des crimes ou de se retirer de l'organisation.    (C'est moi qui souligne).

[13]            La Section du statut a déterminé que le demandeur avait connaissance des exactions commises par le régime de Mobutu. Questionné à l'audience, celui-ci a d'ailleurs reconnu qu'il savait ce qui se passait au Congo par la voie des journaux alors qu'il était haut fonctionnaire au ministère des Affaires extérieures. Il admet connaître depuis 1959 les abus des droits de la personne commis par le régime.


[14]            De plus, de par ses fonctions d'ambassadeur, il incarne l'État à l'étranger et répond de ses agissements. Bien qu'étant au courant des actions prises par son gouvernement, le demandeur n'a fait aucun geste pour s'en dissocier. Au contraire, comme l'indique le tribunal, il est demeuré pendant plusieurs années au service du gouvernement de Mobutu, a été le président du MPR alors qu'il était ambassadeur.    C'est à bon droit que la Section du statut concluait qu'il était complice par association de crimes contre l'humanité commis par le gouvernement de Mobutu.

[15]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                      "Danièle Tremblay-Lamer"

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 novembre 2001.

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