Décisions de la Cour fédérale

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Date : 19980610


Dossier : T-1712-97

ENTRE :

     AIC LIMITED,

     demanderesse,

     c.

     INFINITY INVESTMENT COUNSEL LTD.,

     INFINITY FUNDS MANAGEMENT INC.,

     RICHARD CHARLTON, DAVID SINGH,

     JEFFREY LIPTON et GRANT JUNG,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Dépens d'une requête en vue d'obtenir un jugement)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      La requête de la demanderesse en vue d'obtenir un jugement sur la foi d'un règlement à l'amiable a été rejetée le 5 mai 1998, la Cour ayant conclu que le règlement exécutoire en question, si tant est qu'il ait existé, avait été répudié. Compte tenu du rejet de la requête, l'action sera instruite et un jugement sera rendu après l'instruction.

[2]      Le jugement prévoyait ce qui suit au sujet des dépens :

         2.      Il est sursis au prononcé de la décision sur les dépens.                 

Quant aux motifs de la Cour, ils prévoyaient ce qui suit :

                         
         Les défendeurs ont droit aux dépens. Les parties, si elles ne parviennent pas à s'entendre sur les dépens, devront, au lieu de procéder à la taxation, communiquer avec le registraire dans un délai de quatorze (14) jours à partir de la date des présents motifs pour prévoir la tenue d'une brève conférence téléphonique avec la Cour afin de fixer une somme globale qui comprendra les débours.                 

Les parties ont comparu devant la Cour le 5 juin 1998 à Toronto pour plaider la question des dépens.

[3]      La demanderesse formule une objection préliminaire à l'égard de l'adjudication des dépens aux défendeurs et soutient que ceux-ci devraient suivre l'issue de la cause. Elle invoque la décision Banque Toronto-Dominion c. Canada Trust Mortgage Co. (1992), 40 C.P.R. (3d) 68 (C.F. 1re inst.), qui a suivi l'arrêt Thurston Hayes Developments Ltd. c. Horne Abbot Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 124 (C.A.F.). Dans ce dernier jugement, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée comme suit à la page 126 :

             
         Pour ce qui est de la question de l'adjudication des dépens sans égard au sort de la cause, pour être en mesure d'adjuger ainsi à cette étape, il faut nécessairement présumer que les appelants sont coupables ou encore qu'ils seront, selon toute probabilité, trouvés coupables de la contrefaçon alléguée par les intimées et donc qu'ils devraient être pénalisés en dépit du fait qu'il n'est pas du tout exclu qu'ils obtiennent gain de cause en défense lors de l'instruction de l'action intentée contre eux. Nous ne croyons pas que la décision d'imposer une telle pénalité relève d'un exercice adéquat de la discrétion judiciaire. Il est plus approprié, à notre avis, que l'adjudication soit " dépens à suivre ".                 

[4]      Comme je l'ai mentionné, l'arrêt Thurston Hayes a été suivi dans la décision Banque Toronto-Dominion et je l'ai moi-même appliqué dans la décision Effem Foods Ltd. c. H.J. Heinze Co. of Canada Ltd. (1997), 75 C.P.R. (3d) 334.

[5]      Dans la décision Effem Foods, j'ai fait remarquer que les règles relatives aux dépens évoluaient et qu'il pouvait y avoir des raisons d'adjuger les dépens afférents à une requête indépendamment de l'issue de l'instruction. Dans la décision Apotex Inc. v. Egis Pharmaceuticals (1990), 32 C.P.R. (3d) 559 (Cour Ont. (Div. gén.)), le juge Henry formule les remarques suivantes à la page 571 :

             
         [TRADUCTION] La question objet de la requête est une affaire distincte - c'est celle de savoir s'il y a lieu d'accorder une injonction interlocutoire. L'instruction ne porte pas sur ce point et la décision prise au regard de la requête n'entrave pas le juge du procès. Le juge des requêtes s'occupe uniquement de déterminer si la demanderesse (en l'espèce) a une revendication ou un droit que la Cour devrait protéger jusqu'au moment de l'instruction (la question de fond) et si, pour des considérations de justice ou de commodité, le choix du redressement (une injonction) devrait, dans les circonstances, être accordé par un tribunal d'equity. Je suis d'avis qu'il s'agit en l'occurrence d'une question distincte à laquelle la règle 57.03 peut s'appliquer tout comme la politique judiciaire précitée. C'est particulièrement le cas lorsque le redressement est accordé ou refusé sans égard à l'issue de l'instruction car, dans la plupart des cas, les questions en litige seront instruites à la lumière d'éléments de preuve bonifiés et sur la crédibilité de témoignages contradictoires.                 

[6]      Le juge Hoilett a appliqué la même politique dans la décision Applied Systems Technologies Inc. v. Sys-Net Computer Systems, Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 129 (Cour Ont. (Div. gén.)), où il s'exprime comme suit à la page 131 :

             
         [TRADUCTION] La tendance actuelle des tribunaux consistant à fixer les dépens et à en exiger le paiement immédiat recueille de plus en plus l'adhésion de la Cour. Nulle part ailleurs que dans la récente décision du juge Henry dans la cause Apotex Inc. v. Egis Pharmaceuticals (1991), 37 C.P.R. (335), 4 O.R. (3d) 321, 28 A.C.W.S. (3d) 26 (Division générale), peut-on trouver un meilleur exemple de cette politique. Outre le fait qu'il a appuyé cette orientation, le juge Henry a abordé une autre question importante, à savoir qu'en fixant les dépens la Cour ne prétend pas en opérer la répartition pour des raisons, qui devraient être évidentes. La détermination des dépens payables sur-le-champ est une méthode qui se veut expéditive; elle s'accorde également avec l'objectif salutaire consistant à attirer l'attention des parties au litige sur les coûts qu'entraîne un procès.                 

[7]      Les défendeurs soutiennent que, par suite de l'adoption des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, qui renferment une disposition explicite au sujet de l'adjudication des dépens afférents aux requêtes, l'arrêt Thurston Hayes n'est plus applicable et ne lie plus la Cour. La demanderesse fait valoir qu'étant donné que le seul événement à s'être produit après l'entrée en vigueur des nouvelles Règles le 25 avril 1998 a été le rejet de la requête en vue d'obtenir un jugement, les nouvelles Règles ne s'appliquent pas à la détermination des dépens.

[8]      Voici le libellé de la règle 501(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) :

             
         Sous réserve du paragraphe (2), les présentes règles s'appliquent à toutes les instances, y compris les procédures engagées après leur entrée en vigueur dans le cadre d'instances introduites avant ce moment.                 

[9]      La règle 501(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) fait intervenir l'alinéa 44c) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-23, et ses modifications, qui énonce ce qui suit :

             
         44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent :                 

     ...

         c) les procédures engagées sous le régime du texte antérieur se poursuivent conformément au nouveau texte, dans la mesure de leur compatibilité avec celui-ci;                 

L'alinéa 44c) coïncide et doit être interprété de façon compatible avec l'alinéa 43c), dont le libellé est le suivant :

             
         43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence :                 
         ...
         c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;         

[10]      La règle 501(1) prévoit qu'à première vue les nouvelles Règles devraient s'appliquer à l'adjudication des dépens dans les instances introduites avant leur entrée en vigueur, lorsque cette adjudication a lieu après ce moment. Bien entendu, la règle 501(1) devrait être interprétée de façon à ne pas toucher les droits qui existaient ou qui sont nés lorsque les anciennes Règles de la Cour fédérale ont cessé de s'appliquer. Toutefois, aucun droit n'est né et aucune dette n'a été engagée relativement aux dépens afférents à la requête de la demanderesse avant que les anciennes Règles cessent de s'appliquer. Ces droits et obligations ne pouvaient pas naître avant que la Cour se prononce sur la question des dépens, ce qui est survenu en l'espèce après l'entrée en vigueur des nouvelles Règles. Je suis d'avis que les nouvelles Règles s'appliquent à l'adjudication des dépens dans la présente affaire.

[11]      Voici le texte de la règle 401 des Règles de la Cour fédérale (1998) :

     401.(1)La Cour peut adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu'elle fixe.         
     (2)      Si la Cour est convaincue qu'une requête n'aurait pas dû être présentée ou contestée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai.         

Même si la règle 401(1) exige encore que le pouvoir discrétionnaire d'adjuger les dépens soit exercé judiciairement, les Règles prévoient à mon sens que le pouvoir discrétionnaire doit s'exercer conformément à la politique énoncée dans les décisions Apotex et Applied Systems en ce qui a trait à l'adjudication des dépens afférents aux requêtes - la question à trancher dans la requête ne doit pas coïncider avec celle de l'instruction et la détermination des dépens afférents aux requêtes est une méthode qui se veut expéditive et vise à attirer l'attention des parties au litige sur les coûts qu'entraîne un procès. Si l'arrêt Thurston Hayes s'appliquait encore, les nouvelles Règles ne renfermeraient aucune disposition prévoyant l'adjudication des dépens afférents aux requêtes, étant donné que ces dépens devraient être adjugés dans tous les cas à l'issue de l'instruction. La règle 401(2) oblige la Cour à ordonner que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai si elle est convaincue que celle-ci n'aurait pas dû être présentée ou contestée. La règle 401 sous-entend donc que la Cour devrait adopter, à l'égard des dépens afférents aux requêtes, une politique qui va dans le même sens que les principes qui ont été appliqués dans les décisions Apotex et Applied Systems. Pour ces raisons, j'estime que la substance de la décision rendue dans l'arrêt Thurston Hays a été écartée par la règle 401. Quoi qu'il en soit, si l'arrêt Thurston Hays s'appliquait encore, j'en restreindrais la portée aux dépens afférents aux injonctions interlocutoires et je ne l'appliquerais pas à la présente requête en vue d'obtenir un jugement, qui était fondée sur l'existence alléguée d'un règlement à l'amiable et était donc manifestement différente de la question à trancher à l'instruction, soit le bien-fondé de l'action de la demanderesse.

[12]      Par conséquent, des dépens peuvent être adjugés aux défendeurs, qui ont eu gain de cause dans la requête que la demanderesse a présentée en vue d'obtenir un jugement.

[13]      La demanderesse invoque également la décision Smith and Nephew c. Glen Oak Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 452, pour soutenir que les dépens ne devraient être adjugés qu'une fois que l'appel de la décision rendue au sujet de la requête est tranché. La décision Smith and Nephew est un cas d'espèce reposant sur des faits particuliers. Je ne crois pas qu'elle doive recevoir une application générale en ce qui a trait à l'adjudication des dépens, car la pratique générale ne consiste pas à attendre le résultat d'un appel avant de trancher la question des dépens engagés devant la Section de première instance.

[14]      Les défendeurs demandent un montant de 57 705,57 $ à titre de dépens entre parties. Pour fixer le montant à accorder à titre de dépens en l'espèce, je prends note du fait que la présentation des plaidoiries a duré une vingtaine d'heures et s'est étalée sur une semaine, au gré des disponibilités de la Cour. Les pièces étaient volumineuses et de nombreux affidavits ont été déposés ainsi que des transcriptions de contre-interrogatoires. Les faits de l'affaire étaient complexes. La Cour a dû tirer plusieurs déductions à partir de la preuve et quelques-unes de ces déductions ont été débattues. Les montants et les questions en jeu sont importants. Les avocats des défendeurs ont soumis leurs fiches de temps, lesquelles ont été communiquées aux avocats des demandeurs et faisaient état d'un montant d'environ 90 000 $ à titre de dépens procureur/client. La demanderesse ne prétend pas que ce montant n'est pas raisonnable, mais elle fait valoir qu'un montant variant de 20 000 $ à 25 000 $ à titre de dépens entre parties serait satisfaisant. Compte tenu de l'importance des questions en litige et de la somme de travail que la présentation de la requête a exigée ainsi que du montant élevé des débours, soit près de 3 000 $, j'accorderais aux défendeurs un montant global de 43 000 $, y compris les débours.

                             Marshall E. Rothstein                                          Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 juin 1998

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      5 juin 1998

No DU GREFFE :              T-1712-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AIC Limited

                     c.

                     Infinity Investment Counsel Ltd. et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :              10 juin 1998

ONT COMPARU :

     Me Gordon Zimmerman      pour la demanderesse

     Me David Hager

     Me Stephanie Chong      pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Borden & Elliott

     Toronto (Ontario)          pour la demanderesse

     Lang Michener

     Toronto (Ontario)          pour les défendeurs

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