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Date: 19991207


Dossier : IMM-272-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 DÉCEMBRE 1999

DEVANT : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     ISAAC AWUAH


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



     ORDONNANCE

     L'affaire est renvoyée pour examen par un autre agent d'immigration.


     « Danièle Tremblay-Lamer »

     Juge

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.




Date: 19991207


Dossier : IMM-272-99

ENTRE :     

    

     ISAAC AWUAH


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision que le fondé de pouvoir du ministre, Mme Chantal Sarrazin, a prise le 16 octobre 1998 conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration1 (la Loi). Mme Sarrazin a conclu que le demandeur ne devrait pas être dispensé des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi pour des motifs d'ordre humanitaire.

[2]      Le demandeur est arrivé illégalement au Canada le 11 juin 1994. Il a utilisé une « carte verte » américaine qui ne lui appartenait pas. Il a revendiqué le statut de réfugié, qui lui a été refusé le 21 mai 1996. Le 22 septembre 1996, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée. Le 22 mars 1997, le demandeur a épousé Mme Akosua Bonsu, qui réside en permanence au Canada. Le 21 octobre 1997, le demandeur a présenté une demande de dispense fondée sur l'existence de motifs d'ordre humanitaire. Mme Sarrazin a par la suite conclu qu'aucun motif d'ordre humanitaire ne justifiait l'octroi d'une dispense.

[3]      Dans l'arrêt récent Baker c. Canada (MCI)2, la Cour suprême du Canada a abandonné l'approche traditionnelle selon laquelle il faut faire preuve de retenue à l'égard des décisions discrétionnaires, telle qu'elle avait été énoncée dans la décision Shah c. Canada (MCI)3, et a établi la nouvelle norme de contrôle que les tribunaux judiciaires devraient adopter à l'égard de pareilles décisions.

[4]      Plus précisément, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle que le tribunal qui procède à l'examen doit appliquer en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[5]      La norme de la décision raisonnable exige que le tribunal qui effectue le contrôle judiciaire vérifie si les motifs invoqués par le fondé de pouvoir du ministre peuvent résister à un examen assez poussé. En d'autres termes, tel qu'il en a été fait mention dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam4, la Cour doit se demander si les conclusions sont étayées par la preuve et si les conclusions tirées de la preuve sont logiques.

[6]      Il importe de noter que dans l'arrêt Baker, il a été statué que l'agent d'immigration doit exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2) de la Loi conformément aux « valeurs sous-jacentes à l'octroi d'un pouvoir discrétionnaire » 5, c'est-à-dire une appréciation respectant les motifs d'ordre humanitaire.

[7]      Afin de déterminer si l'agente d'immigration a agi dans les limites de ses attributions, il est utile de se rappeler que le chapitre 9 du Guide de l'immigration6 énonce les lignes directrices que l'agent doit respecter dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et que la Cour suprême du Canada considère ces lignes directrices comme des instructions données à l'agent au sujet des modalités d'exercice de ce pouvoir discrétionnaire7. Ainsi, selon la ligne directrice 9.07, l'agent d'immigration doit tenir compte du mariage à un résident canadien comme critère susceptible d'entraîner une décision favorable en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi.

[8]      En l'espèce, la demande relative aux motifs d'ordre humanitaire est fondée sur les relations conjugales que le demandeur entretient avec une citoyenne canadienne. Il s'agit donc de savoir si, malgré les pouvoirs discrétionnaires qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, le fondé de pouvoir du ministre (l'agente d'immigration) a agi d'une façon raisonnable en concluant qu'il n'existait pas suffisamment de motifs d'ordre humanitaire pour justifier l'octroi d'une dispense. J'ai examiné les motifs; je conclus que le fondé de pouvoir a agi d'une façon déraisonnable.

[9]      Les notes de l'agente d'immigration révèlent qu'elle a constaté l'existence de nombreuses contradictions dans les déclarations du demandeur, à savoir des contradictions au sujet des personnes qui avaient assisté au mariage du demandeur ainsi qu'au sujet du moment auquel le couple avait commencé à vivre ensemble.

[10]      D'une façon plus générale, l'agente a jugé que le demandeur n'était pas digne de foi à cause de certains problèmes d'aide sociale qu'il avait eus par le passé.

[11]      Il ressort de la lecture du compte rendu de l'entrevue qu'il n'y a que quelques incohérences qui, en tant que telles, ne peuvent pas justifier la conclusion selon laquelle le demandeur n'a pas contracté un mariage véritable. Étant donné l'existence d'une preuve non contredite montrant que le mariage a eu lieu (photos, vidéo et affidavit du beau-père du demandeur attestant qu'il appuyait le mariage), je ne puis voir comment pareilles incohérences dans le témoignage du demandeur en ce qui concerne les personnes qui ont assisté au mariage prouve que celui-ci n'a pas contracté un mariage véritable.

[12]      En arrivant à sa conclusion, l'agente a en bonne partie fondé sa décision sur la crédibilité du demandeur, que les problèmes d'aide sociale que celui-ci avait eus par le passé ont pour effet de vicier; l'agente a conclu qu'à cause des [TRADUCTION] « nombreuses contradictions » , le demandeur était de mauvaise foi. À coup sûr, la conclusion selon laquelle il y avait de [TRADUCTION] « nombreuses contradictions » est non seulement inexacte, mais aussi elle ne tient pas compte des facteurs ici en cause relativement aux motifs d'ordre humanitaire, c'est-à-dire de la nature véritable des relations conjugales.

[13]      L'avocate du défendeur soutient que la crédibilité est un facteur dont il faut tenir compte en déterminant si un mariage véritable a été contracté. Je suis d'accord, mais le fait que le demandeur a menti en vue de toucher des prestations d'aide sociale est plus ou moins pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer l'authenticité d'un mariage. Il s'agit tout au plus d'un élément dont il faut tenir compte en déterminant si le demandeur mérite de se voir accorder une dispense pour des motifs d'ordre humanitaire puisqu'il ne se présente pas devant la Cour avec une attitude irréprochable.

[14]      L'avocate du défendeur soutient également qu'un facteur sous-jacent dont il faut tenir compte en déterminant l'authenticité d'un mariage est le fait que le demandeur est illégalement au pays et que son mariage constitue sa dernière chance de demeurer au Canada.

[15]      Je reconnais que pareille situation justifie peut-être un examen plus vigilant de la part de l'agente, mais cela n'empêche pas une appréciation équitable de la preuve aux fins de la détermination de la question de savoir si le demandeur a contracté un mariage véritable. En outre, cela ne devrait pas constituer un facteur déterminant lorsqu'on se demande si un véritable mariage a été contracté.

[16]      Même si les décisions qui sont prises en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sont discrétionnaires, il faut se rappeler, comme il en a été fait mention dans l'arrêt Baker8, que la décision de l'agente doit être étayée par la preuve. À mon avis, pareille preuve n'existe pas en l'espèce. De plus, j'estime que l'agente a agi d'une façon déraisonnable en tenant peu compte du facteur crucial dans la présente demande fondée sur l'existence de motifs d'ordre humanitaire, à savoir l'authenticité du mariage du demandeur.

[17]      Pour ces motifs, l'affaire est renvoyée pour examen devant un autre agent d'immigration.

[18]      Ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question.


     « Danièle Tremblay-Lamer »

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 7 décembre 1999

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-272-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ISAAC AWUAH c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 16 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Tremblay-Lamer en date du 7 décembre 1999


ONT COMPARU :

Stewart Istvanffy      POUR LE DEMANDEUR

Sylvianne Roy      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy      POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris A. Rosenberg      POUR LE DÉFENDEUR     

Sous-procureur général

du Canada         

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      (1999), 174 D.L.R. (4th) 193.

3      (1994) 170 N.R. 238 (C.A.F.).

4      [1997] 1 R.C.S. 748 au par. 56.

5      Supra note 2 aux par. 65, 66.

6      Examen et Application (Emploi et Immigration Canada, 1983 (feuilles mobiles)).

7      Baker, supra note 2 au par. 16.

8      Supra, note 2.

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