Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 19980929

                                                                                                                           Dossier : T-1758-97

ENTRE :

                                                     RUTH ELLEN CUMMINGS,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                         (Prononcés à l'audience à Fredericton (N.-B.)

                                                       le mardi 29 septembre 1998)

LE JUGE HUGESSEN

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l'appel interjeté par la demanderesse contre le rejet de la demande de pension qu'elle a présentée en vertu de la Loi sur les pensions[1].

[2]         À l'époque pertinente, la demanderesse était un membre des Forces armées canadiennes. Elle vivait à Victoria (C.-B.), mais elle avait été envoyée en affectation temporaire par l'armée à la BFC de Halifax dans le cadre de sa participation au carrousel militaire international là-bas. Pendant son séjour à la BFC de Halifax, la demanderesse a partagé un logement avec un autre membre des Forces armées du sexe féminin. Une nuit, pendant que les deux femmes dormaient, un membre des Forces armées du sexe masculin s'est introduit dans leur chambre et les a agressées, d'où l'invalidité dont elles souffrent. Les dispositions législatives applicables sont les alinéas 21(2)a) et 21(3)f) de la Loi sur les pensions et l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) :

21. ...

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

...

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service or the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

...

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member;

...

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

21. ...

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix:

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

...

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

...

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

...

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

[3]         Comme je l'ai mentionné, le Tribunal a rejeté l'appel interjeté par la demanderesse contre le rejet de sa demande de pension. Le Tribunal a tiré la conclusion de fait suivante, qui est compatible avec les faits que je viens de relater :

[traduction] au moment de l'agression, Mlle Cummings était un membre de la Marine canadienne qui participait à un carrousel international en Nouvelle-Écosse. Il s'agissait d'une affectation obligatoire et, à ce moment-là, elle devait habiter dans un logement approuvé par l'armée sur la base.

[4]         En dépit de cette conclusion, le Tribunal est parvenu à la conclusion suivante :

[traduction] Malheureusement, l'agression sexuelle dont la demanderesse a été victime pendant qu'elle dormait dans une caserne fournie par l'armée ne saurait vraisemblablement constituer une activité exercée dans le cadre d'un entraînement militaire pour l'application de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions.

[5]        À mon avis, le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la Loi, et il a tout particulièrement commis une erreur de droit en appliquant l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) à l'article 21 de la Loi sur les pensions. L'erreur du Tribunal réside également dans le fait qu'il s'est concentré sur l' « activité » de l'appelante au moment de l'agression. Ce n'est pas l'activité qui est importante, mais bien la question de savoir si la blessure qu'elle a subie est consécutive ou rattachée directement à son service militaire.

[6]         En l'espèce, comme le Tribunal l'a lui-même constaté, la demanderesse était tenue, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions militaires, de dormir dans le quartier de la BFC de Halifax. À mon sens, c'est exactement comme si la demanderesse avait été tenue de travailler à bord d'un navire en mer, où une place lui aurait été attribuée dans un dortoir, et comme si elle avait été agressée pendant qu'elle dormait à l'endroit où on lui aurait ordonné de le faire.

[7]         Si elle ne s'était pas trouvée à l'endroit où elle était à ce moment-là, elle aurait désobéi aux ordres qu'elle avait reçus et aurait fort probablement fait l'objet d'une mesure disciplinaire. De la même manière, évidemment, si elle ne s'était pas trouvée à l'endroit où elle était à ce moment-là, elle n'aurait pas été victime de cette agression brutale.

[8]         À mon avis, c'est cette circonstance, soit le fait que les supérieurs militaires de la demanderesse l'ont obligée à dormir dans le quartier de la BFC de Halifax, qui distingue l'espèce des affaires qui ont été invoquées. En particulier, l'affaire Merineau[2] et l'affaire O'Connor[3] décidée par la suite se rapportent à des membres des Forces armées qui ont été soignés par des médecins militaires; ces membres ont reçu des soins médicaux auxquels ils avaient droit, mais auxquels ils n'étaient absolument pas tenus de se soumettre. Il s'est par la suite avéré que les médecins ont fait preuve de négligence. Il s'agit d'une situation qui est entièrement différente de celle dont il est question en l'espèce. Dans le même ordre d'idées, les affaires Leach[4] et Scaglione[5], qui ont été mentionnées, se rapportent à des activités auxquelles les militaires actifs concernés ont clairement pris part de façon tout à fait volontaire. En l'espèce, il s'agit d'une activité - s'il faut se concentrer, comme l'a fait le Tribunal, sur cette activité - qui est une activité humaine normale à laquelle nous devons tous nous adonner, soit dormir. La demanderesse a dû le faire dans un lieu précis. C'est cette circonstance qui est à l'origine de la blessure rattachée directement à son service militaire.

[9]         En conséquence, la demande sera accueillie, la décision du Tribunal sera annulée et l'affaire sera renvoyée au Tribunal pour qu'il procède à un nouvel examen.

                                                                                                        « James K. Hugessen »        

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :       T-1758-97

INTITULÉ :                                                      Ruth Ellen Cummings c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                                Le 29 septembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE HUGESSEN

EN DATE DU :                                                 29 septembre 1998

COMPARUTIONS :

Charles J. Keliher                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Charlottetown (I.-P.-É.)

Jonathan D. N. Tarlton                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anciens Combattants Canada                                        POUR LA DEMANDERESSE

Charlottetown (I.-P.-É.)

Ministère de la Justice                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)



     [1]            L.C.R. (1985), ch. P-6.

     [2]Merineau c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 362, [1982] 2 C.F. 376 (C.A.F.), [1981] 1 C.F. 420 (1re inst.).

     [3]O'Connor c. Canada (1995), 94 F.T.R. 93 (1re inst.).

     [4]Leach c. Canada et al. (1995) 106 F.T.R. 300 (1re inst.).

     [5]Scaglione et al. c. McLean et al. (1998), 38 O.R. (3d) 464 (Div. gén.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.