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     T-2180-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE 3 JUILLET 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

Entre :

     DAVID W. SHORTREED, STEVEN FORSTER ET

     DWIGHT CREELMAN, en leur nom propre et

     au nom de tous les autres membres du

     COMITÉ DES DÉTENUS

     DE L'ÉTABLISSEMENT WARKWORTH DU

     SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

     requérants,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU le recours en contrôle judiciaire par lequel les requérants concluent à ordonnance déclaratoire contre plusieurs décisions d'agents du Service correctionnel du Canada et à ordonnance portant obligation pour le Service correctionnel du Canada d'agir conformément à ses dispositions,

     Déboute les requérants de leur demande relative au magazine Outlook et au poste de rédacteur en chef de ce dernier, ainsi que de leur demande relative à la soi-disant confiscation de textes juridiques; les déboute de leur requête en ordonnance déclaratoire contre la décision d'annulation du bon de commande de textes juridiques.

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     T-2180-96

Entre :

     DAVID W. SHORTREED, STEVEN FORSTER ET

     DWIGHT CREELMAN, en leur nom propre et

     au nom de tous les autres membres du

     COMITÉ DES DÉTENUS

     DE L'ÉTABLISSEMENT WARKWORTH DU

     SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

     requérants,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge CULLEN

     Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire par lequel les requérants concluent à ordonnance déclaratoire contre plusieurs décisions d'agents du Service correctionnel du Canada (les décisions) ainsi qu'à ordonnance portant obligation pour ce dernier d'agir conformément à ses dispositions.

     Ces décisions portent annulation d'un bon de commande de textes juridiques à payer par la caisse de bienfaisance des détenus, rejet d'un numéro à paraître du magazine Outlook, arrêt de la période d'essai du même magazine, élimination du poste de rédacteur à temps partiel du magazine, et soi-disant confiscation de deux textes juridiques des mains de l'un des requérants.

LES FAITS DE LA CAUSE

     Les requérants sont tous des détenus de l'établissement Warkworth à Campbellford (Ontario). Les requérants Shortreed et Creelman sont membres élus du comité de bienfaisance des détenus de Warkworth (le comité des détenus).

     Ce comité des détenus, créé et défini par la Directive du commissaire no 861 en date du 15 avril 1989 (la Directive 861), est placé sous le contrôle de David Larcombe, coordonnateur des programmes de perfectionnement personnel à Warkworth. Les requérants Shortreed et Creelman travaillent l'un et l'autre pour les Programmes de perfectionnement personnel et sont les représentants démocratiquement élus des détenus.

     La caisse de bienfaisance des détenus (la caisse de bienfaisance) a été aussi créée et définie par la même Directive 861. Elle est constituée des retenues sur les rémunérations autorisées des détenus, des bénéfices de la cantine, des intérêts courus sur le solde créditeur de la caisse, des dons autorisés par l'établissement ainsi que des levées de fonds entreprises par les détenus avec l'autorisation de l'établissement.

     Pour bien saisir les faits de la cause, il convient de passer en revue certaines dispositions de la Directive 861.

     Le paragraphe 1 définit l'objectif de la politique de la caisse de bienfaisance, qui est en l'espèce de contribuer au bien-être collectif des détenus à l'intérieur de l'établissement.

     Le paragraphe 4 de la Directive 861 énumère les usages que le comité des détenus peut faire de la caisse de bienfaisance. Les utilisations autorisées qui nous intéressent en l'espèce sont l'organisation d'activités éducatives et récréatives pour les détenus, l'aménagement des commodités, et la prise en charge des frais des publications des détenus.

     Enfin, le paragraphe 3 prévoit que le comité des détenus peut faire des recommandations sur l'utilisation de la caisse de bienfaisance, lesquelles recommandations doivent être approuvées par le directeur de l'établissement ou son adjoint.

     Les décisions du Service correctionnel du Canada qui sont visées par les requêtes en ordonnance déclaratoire peuvent se répartir en trois groupes.

     Le premier groupe comprend les décisions qui avaient pour effet d'annuler une commande de divers textes juridiques et textes de loi, passée par le comité des détenus. Ces achats devaient être payés par la caisse de bienfaisance.

     Voici dans quelles circonstances la commande a été annulée. La bibliothèque de l'établissement Warkworth, ouverte à tous les détenus, dispose d'une grande variété de textes juridiques. M. Larcombe avait formellement approuvé des commandes de textes juridiques à payer par la caisse de bienfaisance. Par la suite, d'autres membres élus, non identifiés, du comité des détenus lui avaient fait part de leur préoccupation au sujet de certaines dépenses engagées par ce comité. M. Larcombe en est venu à penser que les nouvelles demandes de textes juridiques par le comité s'étaient intensifiées au point de compromettre le budget du comité. Il a conclu que ces achats ne représentaient plus une utilisation raisonnable des fonds limités de la caisse de bienfaisance, et a refusé d'autoriser d'autres achats.

     Le deuxième groupe de décisions attaquées portait 1) refus de publier le magazine Outlook; 2) arrêt de la période d'essai du même magazine; et 3) élimination du poste de rédacteur en chef à temps partiel.

     Le magazine Outlook est régi par l'ordre permanent no 765, aux termes duquel " l'objectif " des diverses publications de détenus à Warkworth est " d'assurer une tribune d'expression structurée ". Le comité des publications, créé par le même ordre permanent, est composé de plusieurs fonctionnaires du SCC, dont M. Larcombe. Ce comité examine chaque numéro du magazine Outlook pour en autoriser la publication et la distribution.

     Le comité des programmes avait mis fin à la publication du magazine Outlook à la demande du comité des détenus il y a environ deux ans, en raison du manque d'intérêt des détenus.

     À l'automne 1995, le comité des détenus a demandé au comité des programmes de rétablir le magazine et de rémunérer un rédacteur en chef à temps partiel. Ce dernier comité y a consenti à titre d'essai. Le requérant Shortreed a été nommé rédacteur en chef. Les requérants font savoir que fin octobre, le comité des détenus a demandé au requérant Shortreed de produire un numéro où figurerait la jurisprudence présentant un intérêt pour la population carcérale dans son ensemble. Par suite de cette demande, le rédacteur en chef a sondé 150 détenus pour leur demander de donner leur avis quant au contenu du magazine. Le premier numéro a été envoyé en décembre 1995 au comité des publications pour approbation.

     Ce numéro prévu du magazine Outlook a été rejeté pour les raisons suivantes : 1) il n'était pas conforme à l'ordre permanent no 765 en application duquel le magazine doit " assurer une tribune d'expression structurée ", du fait qu'il n'était que la compilation d'articles photocopiés de divers textes juridiques, revues de droit et journaux, que les détenus avaient déjà à leur disposition à la bibliothèque; et 2) le comité s'inquiétait de ce qu'il pouvait y avoir violation de droits d'auteur.

     Les requérants n'ont pas révisé ce numéro prévu, ni n'ont formulé aucun grief contre le rejet du comité des programmes.

     Peu de temps après, celui-ci s'est réuni et a décidé que, puisque le numéro d'essai prévu n'était pas conforme à l'ordre permanent no 765, il serait mis fin au magazine Outlook ainsi qu'au poste de rédacteur en chef à temps partiel. Cette décision n'a fait l'objet d'aucun grief par le processus interne.

     Durant l'été 1996, le comité des détenus a demandé de nouveau au comité des programmes de rétablir le magazine Outlook avec rédacteur bénévole. La demande ayant été accueillie, un numéro composé d'articles écrits par des détenus et présentant un intérêt général pour la population carcérale a été approuvé, imprimé, et distribué aux détenus.

     Le troisième groupe de décisions attaquées portait soi-disant confiscation de deux ouvrages de droit par ce motif que le rédacteur en chef n'avait pas pour attributions de faire ou de publier des recherches juridiques. Voici les faits qui ont abouti à cette confiscation.

     Sur la foi d'informations reçues de Xerox Canada, M. Larcombe s'est aperçu qu'il y avait abus des privilèges de reprographie subventionnée. En décembre 1995, il surprit le requérant Shortreed en train d'utiliser la photocopieuse dans le bâtiment des programmes de perfectionnement personnel. Celui-ci photocopiait des pages d'un ouvrage de droit pour le compte du comité des détenus. M. Larcombe lui a dit qu'à son avis, il s'agissait là d'un travail de documentation juridique à des fins personnelles, donc non autorisées. La reproduction par photocopie pour des fins personnelles devait se faire par l'intermédiaire de la bibliothèque. Le requérant Shortreed a contesté que cette reproduction par photocopie fût pour des fins personnelles. M. Larcombe a donc pris les deux ouvrages de droit qu'il a portés à son supérieur hiérarchique, pour lui demander s'il y avait eu usage à des fins personnelles. À aucun moment le requérant Shortreed n'y a opposé d'objection. Quelques jours après, le surveillant a statué que les textes en question servaient à des fins personnelles et que de ce fait, le requérant n'avait pas le droit de les photocopier sans rien payer, en se servant de la photocopieuse des Programmes de perfectionnement personnel. Il s'est également inquiété de ce qu'il pouvait y avoir violation de droits d'auteur.

     M. Larcombe a informé le requérant Shortreed de sa décision et lui a restitué les livres.

ANALYSE

Premier point litigieux : L'annulation de la commande de textes juridiques

     Les requérants soutiennent que l'annulation du bon de commande des textes juridiques porte atteinte à leurs droits.

     L'intimé réplique que cette décision relevait bien du pouvoir discrétionnaire du SCC. Le commissaire du SCC peut établir des règles pour l'administration du service pénitentiaire. Ces règles peuvent revêtir la forme de directives du commissaire. La Directive 861, paragraphe 4, définit impérativement les usages auxquels peut servir la caisse de bienfaisance. L'argumentaire de l'intimé repose sur les deux conclusions suivantes : 1) puisque l'achat des textes juridiques ne correspond à aucune des fins expressément prévues pour la caisse, celle-ci ne peut servir à le couvrir; et 2) le paragraphe 3 prévoit que le SCC doit approuver toute utilisation de la caisse.

     Analyse : Au premier abord, l'argument de l'intimé au sujet de la formulation du paragraphe 4 de la Directive 861 semble déterminant. Les termes en sont impératifs : le comité des détenus " doit utiliser la caisse de bienfaisance pour " ".

     Cependant, telle n'est pas la solution prescrite par une récente décision de cette Cour. Je pense qu'on peut trouver la solution de ce point litigieux dans le raisonnement tenu par le juge Lutfy dans Timmins Bissonnette et al. c. Commissaire du Service correctionnel et al., T-2085-95, 24 octobre 1996.

     Dans cette dernière affaire, le juge Lutfy a conclu que l'interprétation restrictive faite par l'intimé du paragraphe 4 de la Directive 861 n'accordait pas suffisamment d'importance à l'objectif fondamental défini au paragraphe 1, qui était de contribuer au bien-être collectif des détenus. Il s'ensuit que la formulation impérative du paragraphe 4 n'interdit pas nécessairement l'utilisation des fonds pour des actions en justice. Le juge Lutfy fait observer que cette interprétation de sa part est justifiée par la loi et par le règlement applicable, en particulier le paragraphe 97(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement), que voici :

     (3) Le Service doit veiller à ce que le détenu ait accès, dans des limites raisonnables :         
         a) à un avocat et à des textes juridiques;         

D'ailleurs, la Directive 861 avait été donnée avant l'entrée en vigueur du Règlement ci-dessus. C'est-à-dire avant que le SCC ne fût tenu par le règlement de " veiller à ce que le détenu ait accès dans des limites raisonnables " à des textes juridiques ".

     À la lumière des principes dégagés dans Timmins Bissonnette, la seule question à résoudre en l'espèce est de savoir si la décision d'annuler le bon de commande était conforme au paragraphe 97(3) du Règlement. En d'autres termes, si la décision du SCC quant aux affectations de la caisse de bienfaisance était conforme à l'obligation d'assurer l'accès dans les limites raisonnables aux textes juridiques.

     La Directive 084 prévoit les types de textes juridiques à mettre à la disposition des détenus à Warkworth. Elle énumère en son paragraphe 10 les textes juridiques qu'une bibliothèque d'établissement pénitentiaire doit avoir, dont huit textes de loi et divers autres documents sur l'administration du SCC. Ces textes sont disponibles à Warkworth.

     Le paragraphe 11 prévoit que si les circonstances le justifient, l'établissement doit, dans les limites raisonnables, faire en sorte que les détenus aient accès aux autres textes législatifs et réglementaires qu'il a à sa disposition.

     À Warkworth, les requérants peuvent avoir accès à divers textes juridiques par l'intermédiaire de la bibliothèque. En outre, il y a possibilité d'accès à d'autres textes tenus par d'autres établissements, si les circonstances le justifient.

     Le SCC n'est pas tenu de se procurer des textes en application de la Directive 084, sans frais pour le détenu intéressé. Au lieu de faire une demande fondée sur la Directive 0841, les requérants ont cherché à se procurer les textes en question au moyen de fonds provenant de la caisse de bienfaisance. Les achats faits au moyen de cette caisse doivent être approuvés en dernier ressort par le SCC. Le litige se réduit donc à la question de savoir si le rejet de la demande était déraisonnable et, par conséquent, contraire à l'alinéa 97(3)a) du Règlement.

     L'intimé soutient que ce rejet était justifié, étant donné que " l'intérêt des requérants pour les recherches juridiques s'est intensifié au point de compromettre le budget du comité " qui a pour responsabilité d'assurer un grand nombre de services au bénéfice de l'ensemble des détenus ". L'intimé ne dit pas quel est ce budget ni comment la demande en question peut le compromettre. Le seul témoignage qu'il invoque sur ce point, savoir le contre-interrogatoire de M. Larcombe, indique qu'il se peut tout simplement que l'autorité compétente ne vît pas d'un bon oeil l'intérêt que les requérants ont commencé à manifester pour les questions juridiques. Voici ce qu'on peut lire en page 65 de la transcription du contre-interrogatoire de M. Larcombe :

     [TRADUCTION]

         Par le passé, les comités commençaient par faire un tout petit peu de recherches puis ils devenaient " et puis ces recherches ont commencé à prendre de l'ampleur, à s'intensifier à un tel point que dans ce comité, nous avions une pièce pleine d'" apprentis-avocats ", c'est le nom que je leur donne, je veux dire qu'ils s'y livraient en grand.         
         " à un tel point que tout ça a nui au bon ordre du bâtiment et à l'exécution de notre mission, vous savez. Ce n'était pas " ils ne se contentent plus de faire les recherches juridiques à leurs moments perdus.         
         Je veux dire, on parvient au point où ils ne le font plus à leurs moments perdus et tout d'un coup " ça devient une activité prioritaire. Et c'est à ce moment-là " au moment où cette chose controversée " au moment où j'y ai mis le holà. J'ai dit : " Non, vous dépassez les bornes ".         

La page suivante, M. Larcombe déclare qu'il considérait que les recherches juridiques effectuées par le comité des détenus étaient une affaire personnelle qui menaçait les ressources financières du bâtiment.

     Cette décision était-elle " raisonnable " ou était-elle arbitraire et non autorisée? Les passages ci-dessus semblent dénoter l'arbitraire.

     Comment décider? D'une part, il y a la preuve qu'un grand nombre de bons de commande de textes juridiques ont été approuvés par le passé, ainsi que le témoignage que la caisse de bienfaisance était menacée par les nouvelles commandes. De l'autre, il n'y a aucune preuve sur ce qu'il y avait dans cette caisse, donc aucune preuve de la menace qui aurait pesé sur elle. Les commandes d'achat ne sont placées dans aucun contexte, et les dépositions faites par M. Larcombe au cours de son contre-interrogatoire pourraient trahir un certain arbitraire.

     Étant donné cependant l'accessibilité des livres déjà disponibles et le témoignage sur les préoccupations de l'intimé (bien qu'aucun chiffre n'ait été produit), j'estime que, tout bien pesé, les requérants n'ont pas prouvé le bien-fondé de leurs conclusions.

Deuxième point litigieux : " L'annulation " du magazine Outlook et du poste de rédacteur en chef

     Les requérants soutiennent que les décisions du SCC avaient pour effet de leur dénier l'accès aux notions générales de droit, lesquelles pourraient accessoirement aider les détenus à mieux se pénétrer du droit canadien, ce qui faciliterait leur réadaptation et réinsertion sociale en tant que " citoyens respectueux des lois ". Ils soutiennent que ces décisions vont à l'encontre de l'alinéa 3b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 (la Loi).

     L'intimé réplique que l'objectif du magazine Outlook, tel qu'il est défini dans l'ordre permanent no 765, est " d'assurer une tribune d'expression structurée ". " Expression " nécessite au moins un certain travail original, et ne s'entend pas du simple fait de photocopier des articles déjà publiés.

     Les requérants se plaignent de ce qu'ils ne sont pas vu donner la possibilité de participer comme il convient à la décision de mettre fin au magazine Outlook et au poste de rédacteur en chef. Ces décisions, disent-ils, débordent donc de la compétence prévue à l'article 74, " Conditions de détention ".

     L'intimé réplique que ni le requérant Shortreed, en sa qualité de rédacteur en chef du magazine, ni qui que ce soit d'autre, n'a révisé le numéro à paraître de quelque manière que ce soit, ni n'a offert à aucun moment de le faire. Aucun des requérants n'a non plus contesté, au moyen du processus de résolution des griefs prévu par la Loi et le Règlement, la décision de ne pas approuver le numéro à paraître. Il soutient encore que l'article 74 fait au SCC l'obligation de permettre aux détenus de participer seulement à ses décisions relatives à l'objectif et aux principes directeurs du système correctionnel, tels que les définissent les articles 3 et 4 de la Loi.

     Analyse : Le numéro à paraître d'Outlook ne contenait aucun article original. La reproduction par photocopie d'articles déjà publiés inspire des inquiétudes en matière de droits d'auteur. Bien que les requérants visent un objectif louable en compilant ces articles pour le numéro à paraître, cet objectif n'était en harmonie ni avec l'OP 765 ni probablement avec les lois en matière de droits d'auteur. Les préoccupations sur ce point suffiraient à elles seules à justifier le rejet du numéro proposé. Celui-ci eût-il consisté en revues faites par les intimés de ces articles, et non en ces articles déjà publiés eux-mêmes, je pense que la décision du SCC aurait été différente.

     Les requérants n'ont pas réussi à démontrer que les décisions concernant le magazine Outlook et le poste de rédacteur en chef à temps partiel étaient déraisonnables de quelque manière que ce soit. Ils ne se sont pas vu refuser l'accès aux notions générales de doit par le rejet du numéro à paraître du magazine Outlook.

     Je conclus de ce qui précède que la décision de ne pas approuver la publication du numéro à paraître du magazine Outlook était correcte. Ni les ordres permanents ni les impératifs d'équité procédurale n'ont été violés. Il y a des mécanismes internes de résolution des griefs, et les requérants ne s'en sont pas prévalus.

     Quoi qu'il en soit, la question de l'annulation du magazine Outlook et de la suppression du poste de rédacteur en chef ne présente plus aucune valeur pratique. La publication du magazine a repris, encore qu'avec un nouveau rédacteur en chef.

Troisième point litigieux : La soi-disant confiscation d'ouvrages de droit

     Les requérants soutiennent que les agents du SCC n'avaient pas compétence pour procéder à une fouille en vue de mettre la main sur les livres en question en application du paragraphe 49(1) de la Loi, parce qu'il n'y avait aucun motif raisonnable pour soupçonner que les deux ouvrages de droit constituaient un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction criminelle ou disciplinaire.

     Selon les requérants, les agents du SCC ont décidé que ces ouvrages de droit étaient des " objets interdits " et, de ce fait, les ont confisqués. Vu la définition que donne la Loi des " objets interdits ", les requérants leur reprochent d'avoir tiré une conclusion erronée sur les faits.

     Ils leur reprochent en outre d'avoir exercé leur pouvoir discrétionnaire avec arrière-pensée, par suite de leur objection avouée aux recherches juridiques effectuées pour le compte des détenus. De surcroît, les agents du SCC n'ont pas donné un reçu pour les articles saisis comme le requiert l'alinéa 57a), et de ne pas avoir soumis des rapports subséquents à la fouille, ainsi que le requièrent l'alinéa 58(1)e) et le paragraphe 58(5). Ils en concluent qu'il y a déni de compétence de la part des agents du SCC.

     L'intimé réplique que le requérant Shortreed n'a pas prouvé qu'il a informé M. Larcombe de quelque façon que ce soit qu'il s'opposait à ce que celui-ci porte les livres à son supérieur hiérarchique pour examen. Il s'ensuit qu'il n'y avait ni confiscation, ni saisie, ni interception des ouvrages de droit des mains du requérant Shortreed.

     Analyse : Il n'y a aucune preuve établissant que le requérant s'est opposé aux actions des agents concernés. En fait, puisque M. Larcombe emportait les livres pour avoir l'avis de son supérieur, le requérant avait vraiment intérêt à les lui donner. Rien ne prouve que les agents du SCC ont décidé que ces livres étaient des " objets interdits " et les ont saisis pour cette raison. Il y a par contre la preuve que ces agents s'inquiétaient de l'abus des privilèges d'utilisation de la photocopieuse à des fins personnelles non autorisées, et qu'ils ont examiné les livres en question pour savoir s'ils servaient à des fins personnelles ou à des fins autorisées.

     Il n'y a ni erreur sur les faits ni erreur de compétence. Je ne vois rien de déraisonnable dans les actions de M. Larcombe. Quoi qu'il en soit, le point litigieux n'a plus de valeur pratique, puisque les livres ont été restitués au requérant au bout de quelques jours.

CONCLUSION

     À la lumière des principes dégagés par la jurisprudence Timmins Bissonnette, la première question qui se pose est de savoir si la décision du SCC de rejeter la demande d'achat de textes juridiques avec des fonds de la caisse de bienfaisance était conforme à l'alinéa 97(3)a) du Règlement. Cette disposition fait au SCC l'obligation de permettre aux détenus l'accès dans les limites raisonnables aux textes juridiques. Ainsi donc, bien que la décision en question relève du pouvoir discrétionnaire du SCC, il faut qu'elle soit justifiée pour être qualifiée de " raisonnable ". Sur la foi des preuves écrites et des conclusions de l'avocate de l'intimé, je conclus que cette décision était raisonnable.

     Il y a aussi la possibilité que cette décision s'explique par la tension croissante entre le comité des détenus et le SCC au sujet de l'intérêt que le premier manifestait de plus en plus pour les questions juridiques, intérêt que les agents du SCC jugeaient déplacé, mais ce n'est là que pure conjecture de ma part. Il faut examiner attentivement le témoignage de M. Larcombe (en particulier la transcription de son contre-interrogatoire, pages 65 à 67) pour juger si cette décision est raisonnable ou non. Il appert qu'elle l'est.

     De même, les droits que les requérants tiennent de la Charte n'ont pas été touchés par l'annulation de la période d'essai et du numéro à paraître du magazine Outlook, ni par la suppression du poste de rédacteur en chef à temps partiel. Il s'agit là de décisions discrétionnaires relevant bien de la compétence des agents du SCC, qui n'ont accompli aucun acte susceptible de contrôle judiciaire. Il y a lieu de noter que le magazine est de nouveau publié et distribué, encore que dans des conditions différentes. La Cour déboute par conséquent les requérants de leur recours concernant le magazine Outlook et le poste de rédacteur en chef.

     Il n'y a pas eu atteinte aux droits que les requérants tiennent de la Charte, du fait de la soi-disant confiscation des ouvrages de droit. Rien n'a été vraiment " confisqué ".

     Par ces motifs, la Cour déboute les requérants de leur recours concernant le magazine Outlook et le poste de rédacteur en chef de ce magazine, ainsi que la soi-disant confiscation d'ouvrages de droit. La Cour les déboute également de leur requête en ordonnance déclaratoire concernant la décision d'annuler la commande de textes juridiques.

OTTAWA (ONTARIO),

le 3 juillet 1997

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2180-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      David W. Shortreed et al.

                         c.

                         Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      18 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN

LE :                          3 juillet 1997

ONT COMPARU :

Ronald R. Price, c.r.                  pour les requérants

Anne-Marie Waters                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald R. Price, c.r.                  pour les requérants

Kingston (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      On ne sait pas trop s'ils auraient pu invoquer la Directive 084 pour se faire communiquer les textes demandés, puisque l'intimé ne dit pas si ceux-ci étaient disponibles auprès d'autres établissements.

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