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Date : 20190417


Dossier : IMM-4052-18

Référence : 2019 CF 468

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 avril 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

GERARDO BETANCOURT AROCHA

ALBERYS JOSE MARTINEZ DE BETANCOURT

LUCAS BETANCOURT MARTINEZ

ELIAS BETANCOURT MARTINEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en raison de leur crainte d’être persécutés à cause de leurs opinions politiques. La SAR a raisonnablement conclu qu’un incident clé, qui a amené les demandeurs à fuir le pays, ne tenait pas de la persécution, et que ces derniers ne seraient pas exposés à un risque de la part des agents de l’État responsables de cet incident. Toutefois, la SAR n’a pas examiné s’il y avait une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à l’avenir en raison de leurs opinions politiques réelles ou perçues. Pour cette raison, le contrôle judiciaire est accordé.

I.  Contexte

[2]  Les demandeurs sont le demandeur principal, M. Arocha, et sa famille. Tous sont des citoyens vénézuéliens. Ils craignent d’être persécutés par l’État en raison des opinions politiques de M. Arocha. Selon son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), M. Arocha, qui avait commencé en juin 2006 à travailler comme ingénieur pour une entreprise pétrochimique appartenant au gouvernement, était donc employé par le gouvernement vénézuélien. Ses supérieurs appuyaient le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) au pouvoir, harcelaient M. Arocha pour qu’il appuie les activités du PSUV et l’ont menacé de lui donner des évaluations de rendement négatives s’il ne le faisait pas. Il a ouvertement refusé d’obtempérer, et a finalement reçu des évaluations négatives au travail.

[3]  En raison de ce conflit, M. Arocha a démissionné en juin 2014, et a lancé une entreprise de vente de pièces d’automobile de rechange. Le 3 juillet 2016, alors qu’il s’occupait de la maison de son père, un groupe de quatre hommes s’est introduit par effraction, et ses membres se sont identifiés comme étant des agents du Cuerpo de Investigaciones Científicas, Penales y Crimínalisticas [Corps d’enquêtes scientifiques, pénales et criminelles] (CICPC), un organisme de police national chargé d’enquêter sur des crimes, en lui déclarant qu’il faisait l’objet d’une enquête. Ils lui ont dit qu’ils étaient au courant de son emploi précédent, de ses comptes bancaires aux États-Unis, de son magasin et du coffre-fort de sécurité situé à son domicile. Ils ont pointé des armes à feu vers les demandeurs, ont fouillé la maison et ont menacé de tuer M. Arocha, à moins qu’il ne révèle l’emplacement du coffre-fort (qui n’existait pas). Finalement, les hommes sont partis après avoir fouillé la maison et avoir volé de l’argent et des biens. Ils ont menacé de tuer M. Arocha s’ils découvraient qu’il leur avait menti ou qu’il avait signalé l’affaire à la police.

[4]  Plus tard ce jour-là, M. Arocha a signalé l’incident au Grupo de antiextorsión y secuestro (GAES), une force spéciale de lutte contre l’extorsion et les enlèvements. Sur la recommandation d’un agent du GAES, M. Arocha a signalé l’incident au CICPC, qui lui a demandé d’envoyer des photos de sa maison. Craignant que l’envoi des photos ne révèle les biens qu’il leur restait et ne provoque un autre incident, il n’a pas envoyé les photos. Les demandeurs n’ont plus entendu parler de l’une ou l’autre des agences par la suite. Ils ont quitté le Venezuela plusieurs mois plus tard, et ont demandé l’asile au Canada.

II.  Décision de la SPR et décision de la SAR

[5]  La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile en invoquant des motifs liés à l’identité des agents; à la crainte subjective; à la question d’un lien avec un motif prévu à la Convention; et à la probabilité de préjudice futur. La Section d’appel des réfugiés (SAR) a infirmé les deux premières des conclusions concernées, admis que les quatre agents étaient membres du CICPC, et accepté les raisons pour lesquelles les demandeurs avaient tardé à quitter le Venezuela; mais elle a confirmé les autres conclusions.

[6]  Plus précisément, la SAR a appuyé les conclusions de la SPR selon lesquelles rien n’établissait un lien entre l’incident de braquage de domicile et les opinions politiques de M. Arocha. La SAR a plutôt convenu avec la SPR qu’il s’agissait de membres voyous du service de police appuyé par le gouvernement, qui étaient motivés par la cupidité et non par l’imposition de sanctions à M. Arocha et à sa famille en raison de ses opinions politiques. Bien que les auteurs fussent des agents de l’État, ils n’agissaient pas nécessairement à la demande de celui-ci. En ce qui concerne l’expérience qu’a vécue M. Arocha dans son ancien milieu de travail, les deux tribunaux ont conclu que cela ne constituait pas de la persécution et que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’avaient pas été ciblés en raison des opinions politiques de M. Arocha.

[7]  En ce qui concerne le risque futur, la SAR a reconnu que les quatre agents du CICPC seraient en mesure de trouver les demandeurs s’ils s’intéressaient à eux. Toutefois, comme rien ne s’était passé après l’incident de juillet 2016 et que M. Arocha était l’une parmi des millions de personnes qui n’étaient pas membres du PSUV, les demandeurs n’ont fait face à aucun risque personnalisé ou futur.

III.  Questions en litige et positions des parties

[8]  Le présent contrôle judiciaire vise à déterminer si la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre un motif prévu à la Convention et leur crainte d’être persécutés à l’avenir. La SAR doit déterminer si les demandeurs d’asile satisfont aux exigences de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR), ce qui relève de son expertise et doit être examiné selon la norme de la décision raisonnable (Raj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 251, au paragraphe 14).

[9]  Les demandeurs contestent la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne sont pas différents des millions d’autres Vénézuéliens qui n’appuient pas le PSUV. Ils soutiennent que M. Arocha avait exprimé des opinions politiques contre le gouvernement au pouvoir, et qu’il avait été ciblé par des agents d’État qui savaient qu’il avait exprimé ces opinions, ce qui en faisait une cible particulière, d’autant plus que M. Arocha avait signalé l’incident au CICPC.

[10]  Le défendeur répond que les demandeurs demandent à la Cour de réévaluer la preuve : il était loisible à la SAR de conclure que les agents du CICPC étaient des voyons qui avaient commis un crime pour de l’argent, plutôt que des agents de l’État qui avaient ciblé M. Arocha pour ses opinions politiques, compte tenu de l’absence de problèmes depuis l’incident. De fait, ni le traitement de M. Arocha au travail ni le vol à son domicile n’étaient liés à des opinions politiques et, par conséquent, ils n’équivalaient pas à de la persécution.

IV.  Analyse

[11]  Je commence par souligner certains principes généraux concernant l’évaluation d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 96 de la LIPR. Premièrement, avant d’analyser des questions comme la crainte objective, la protection de l’État ou la présence d’une possibilité de refuge intérieur, un demandeur d’asile doit établir un lien entre le risque de persécution et un motif prévu à la Convention, comme les opinions politiques (Salazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 83, au paragraphe 51).

[12]  Une fois établi le lien entre un motif prévu à la Convention et un risque de persécution, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour le motif en question. En l’absence d’un tel lien, l’analyse se fera au regard du paragraphe 97(1) de la LIPR, qui exige la preuve, selon la prépondérance des probabilités, d’un risque personnalisé qui n’est généralement pas couru par d’autres personnes dans ce pays ou en provenance de ce pays (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1061, au paragraphe 36).

[13]  Toutefois, pour établir un risque de persécution au titre de la Convention, un demandeur d’asile n’a pas à démontrer qu’il a été persécuté par le passé, car il est possible d’établir la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR en examinant le traitement des personnes se trouvant dans une situation semblable (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 231, au paragraphe 26 (la décision Cao); Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 (la décision Salibian), 1990 CanLII 7978 (CAF), aux paragraphes 16 à 19). Par conséquent, pour statuer adéquatement sur une demande d’asile au titre de l’article 96, la SAR doit tenir compte à la fois de la situation particulière du demandeur d’asile et des éléments de preuve, ainsi que de la preuve documentaire générale, afin de déterminer si ce dernier est exposé à un risque de persécution (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921, au paragraphe 15).

[14]  En examinant de plus près l’incident allégué de persécution, il est tout à fait possible, comme l’ont conclu la SPR et la SAR, que l’incident n’ait rien à voir avec les opinions politiques de M. Arocha et son refus d’appuyer le PSUV pendant qu’il occupait son emploi. Cette conclusion de fait n’est pas déraisonnable en soi. Bien que la SPR et la SAR n’aient pas mis en doute la crédibilité du récit de M. Arocha, ni l’un ni l’autre de ces tribunaux n’a accepté le fait que les agents ont pu effectuer une descente à la maison en raison de ses opinions politiques exprimées ou de son refus d’appuyer le PSUV.

[15]  Certes, les documents sur la situation dans le pays contenus dans le cartable national de documentation (CND) parlent de descentes dans des propriétés privées effectuées [traduction] « sans distinction » par des policiers vénézuéliens, c’est-à-dire sans égard aux opinions ou aux affiliations politiques des victimes. Toutefois, le CND contient également des éléments de preuve d’attaques à caractère politiques (dossier certifié du tribunal, à la page 171).

[16]  Bien que la SAR aurait raisonnablement pu inférer que les agents du CICPC avaient envahi la maison en raison des opinions politiques de M. Arocha, il lui était également loisible de tirer la conclusion qu’elle a plutôt choisi de tirer. Les deux conclusions factuelles appartiennent ainsi aux issues raisonnables possibles. Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel il n’appartient pas à la Cour de laisser entendre que la SAR aurait dû opter pour une conclusion plutôt que pour une autre en ce qui concerne l’incident en question.

[17]  Toutefois, la SAR ne peut se contenter d’examiner le passé; elle doit également se pencher sur les risques futurs et se prononcer sur ceux-ci, en tenant compte du motif prévu par la Convention qui a été invoqué. À mon avis, c’est là que l’analyse de la SAR s’est avérée insuffisante. En effet, celle-ci a circonscrit son analyse des risques futurs aux quatre agents impliqués dans l’incident et à ce que ces quatre hommes risqueraient de faire, plutôt que de tenir compte du risque général de persécution politique dans l’avenir. Lorsqu’elle évalue la question du lien, la SAR doit déterminer si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté à l’avenir a un lien avec un motif prévu à la Convention.

[18]  Par conséquent, bien que la SAR ait raisonnablement caractérisé les motivations des quatre agents du CICPC à l’origine de l’incident, cela ne la dispensait pas d’évaluer si l’opinion politique exprimée pouvait mettre les demandeurs en danger s’ils étaient renvoyés au Venezuela. Les documents sur la situation dans le pays, qui ont été présentés à la SPR et à la SAR, témoignent d’un certain nombre de problèmes auxquels font face ceux qui s’opposent à l’ordre politique au Venezuela, y compris les personnes qui s’opposent ouvertement au PSUV, les anciens employés du gouvernement et les dénonciateurs.

[19]  Monsieur Arocha a été jugé crédible. La SPR et la SAR ont toutes deux accepté que ses difficultés au travail et son départ fussent attribuables aux opinions politiques qu’il avait exprimées. Son employeur a exercé des pressions sur lui pour qu’il appuie le PSUV, ce qu’il a refusé de faire pendant la période de huit ans au cours de laquelle il a travaillé comme employé de l’entreprise administrée par l’État. La preuve objective démontre, par contre, que certaines personnes au Venezuela ont indéniablement été persécutées en raison de leurs opinions politiques.

[20]  La question qui se pose en l’espèce tient donc au fait que la SAR n’a pas examiné la situation de M. Arocha par comparaison avec celle d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable, même si elle n’a pas contesté le fait qu’il s’est ouvertement opposé au PSUV et qu’il en a subi les conséquences. Au lieu de se demander si la crainte des demandeurs avait un lien avec un motif prévu à la Convention, puis d’analyser si un tel lien pourrait mener à de la persécution à l’avenir, la SAR a indûment limité la portée de la crainte des demandeurs de faire l’objet de futures persécutions à l’incident survenu dans le passé et aux quatre agents du CIPC qui en étaient responsables, comme le montre l’extrait suivant de sa décision :

[35]  Le conseil soutient que le simple fait que les appelants ne sont pas membres du parti socialiste et que l’appelant principal a déjà été identifié comme une personne qui s’oppose au gouvernement suffit pour les exposer à un risque.

[36]  La population du Vénézuéla s’élève à environ 32 millions de personnes. Il a été affirmé, mais l’affirmation n’a pas été corroborée, que le parti socialiste unifié du Vénézuéla compte environ sept millions de membres. Même si ce chiffre est proche de la réalité, cela voudrait tout de même dire que près de 25 millions de personnes au Vénézuéla ne sont pas membres du parti, dont les appelants. Cela se traduirait par le fait que 25 millions de personnes sont exposées au même risque que celui auquel sont exposés les appelants, ce qui est problématique selon moi. Il est simplement très peu probable qu’un seul individu, parmi des millions d’individus qui ne sont pas membres d’un parti, serait exposé à un risque.

[37]  Pour analyser le risque possible à venir, l’analyse doit se fonder sur l’auteur prétendu du préjudice. Dans la présente affaire, [traduction] « l’auteur » correspond à quelques agents véreux qui ont commis un crime axé sur le profit en se servant de leurs insignes pour s’en tirer.

[38]  L’argument du conseil selon lequel les [traduction] « Collectifs » pourraient un jour apprendre que l’appelant principal n’aime pas le gouvernement n’est pas un argument en faveur de l’appel. En l’espèce, les Collectifs n’ont pas été identifiés en tant qu’auteurs du préjudice. D’ailleurs, le parti socialiste ne l’a pas été non plus.

[39]  Le risque à venir qui me préoccupe est le risque de danger que posent les quatre bandits munis d’insignes qui ont volé les appelants le 3 juillet 2016. Étant donné qu’aucune autre mesure n’a été prise contre les appelants, même après que l’appelant principal a signalé le vol, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe moins qu’une simple possibilité que les appelants soient exposés à un risque de préjudice s’ils retournent au Vénézuéla.

[Non souligné dans l’original.]

[21]  Je reconnais que, lorsque les craintes que pourrait éprouver dans l’avenir un demandeur d’asile ne sont pas liées à un motif prévu à la Convention, il sera sans doute loisible à la SAR de conclure que le demandeur d’asile n’a pas établi de lien (voir par exemple la décision Cao, au paragraphes 56 à 58; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 66, aux paragraphes 44 à 45; Vickram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 457, aux paragraphes 9 à 14; Lei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 665, aux paragraphes 22 à 26). Dans ces affaires, où les trois premiers demandeurs venaient de la Guyane et le dernier du Honduras, les incidents passés allégués n’étaient pas liés aux motifs de la Convention. De plus, la preuve documentaire n’avait pas convaincu le tribunal que les craintes de personnes se trouvant dans une situation semblable pouvaient découler de motifs prévus par la Convention, et, par conséquent, la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté à l’avenir ne pouvait pas non plus en découler.

[22]  Toutefois, tel n’est peut-être pas le cas en l’espèce (en attendant l’analyse du tribunal sur ce point). En l’espèce, après avoir cru que M. Arocha avait exprimé ouvertement ses opinions politiques par le passé, l’approche appropriée aurait été de déterminer si les demandeurs avaient établi les éléments suivants : (i) un lien entre leur crainte et les opinions politiques de M. Arocha; (ii) une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés à l’avenir; en évaluant leur crainte objective et subjective fondée sur la preuve documentaire et orale au dossier. On ne peut court-circuiter cet exercice en liant l’absence de persécution dans l’avenir à l’incident de persécution passée alléguée. Pour citer un exemple frappant servant à illustrer ce point, un Tutsi ayant fui le génocide au Rwanda à l’été 1994 pourrait peut-être avoir eu la chance d’échapper à une persécution antérieure. Par contre, une demande d’asile présentée à ce moment-là n’aurait pas pu correctement se limiter à l’absence d’événements antérieurs concernant ce seul demandeur.

[23]  Bien que le passé soit certainement un indicateur important, il ne s’agit pas du seul baromètre de persécution future. On peut satisfaire à la norme de la possibilité sérieuse en établissant que des personnes se trouvant dans une situation semblable sont exposées aux risques que le demandeur redoute. Comme l’affirmait la Cour d’appel fédérale au paragraphe 18 de l’arrêt Salibian :

Par conséquent, lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l’objet d’un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention.

[24]  En l’espèce, l’erreur de la SAR a consisté à rejeter la demande d’asile des demandeurs au titre de l’article 96 au motif qu’il n’y avait pas de lien entre leur crainte et le motif visé à la Convention, puisqu’un incident de persécution antérieure alléguée n’était pas lui-même lié aux opinions politiques de M. Arocha (la décision Salibian, aux paragraphes 16 à 19; Ariprasatham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 16, aux paragraphes 21 à 24). La SAR devait plutôt déterminer si, en se fondant sur ce motif prévu à la Convention, les demandeurs démontraient une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés à l’avenir.

[25]  Après tout, M. Arocha n’a jamais déclaré qu’il était à risque pour la seule raison qu’il n’était pas membre du PSUV, ce qui le place dans le même camp que la majorité des autres Vénézuéliens. Selon le témoignage de M. Arocha, il a plutôt travaillé pour une société d’État pendant huit ans, tout en refusant ouvertement d’appuyer le PSUV. Ses employeurs étaient au courant de la situation. Ils l’ont harcelé et sanctionné en conséquence. Dans ces conditions, il a fini par démissionner. C’est pour tenir compte de ces faits personnalisés ainsi que de la preuve documentaire générale que la SAR devait évaluer si, advenant leur renvoi au Venezuela, les demandeurs risquaient sérieusement d’être persécutés à cause d’un lien quelconque avec les opinions politiques du demandeur. Elle se devait d’agir ainsi, qu’elle ait conclu ou non que le braquage de domicile était un acte aléatoire commis par des représentants des autorités voyous.

V.  Conclusion

[26]  Pour les motifs évoqués précédemment, la décision de la SAR est déraisonnable. L’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR est infirmée, et l’affaire, renvoyée à un tribunal différemment constitué en vue d’un nouvel examen.

  3. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont octroyés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de juin 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4052-18

 

INTITULÉ :

GERARDO BETANCOURT AROCHA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 1er avril 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

le 17 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

 

pour les demandeurs

 

Amina Riaz

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses Law Offices

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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