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Date: 20000825

Dossier: IMM-4990-99

ENTRE:

JASMAIL KULAR

demanderesse


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 20 septembre 1999, par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) a rejeté l'appel déposé par la demanderesse; cet appel a été interjeté à la suite de la décision rendue par un agent des visas (le 26 novembre 1997) qui a rejeté la demande de parrainage de l'époux de la demanderesse aux termes du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration1.
[2]      Sans entendre la preuve de la demanderesse, la SAI a rejeté l'appel au motif qu'elle était incompétente pour connaître de l'affaire; plus précisément, elle a invoqué le principe de la chose jugée2. La demanderesse avait déjà déposé une demande de parrainage similaire, qui a été refusée par un autre agent des visas trois ans auparavant3 pour le même motif, savoir le paragraphe 4(3) du Règlement. En conséquence, la SAI a statué que l'affaire avait déjà été tranchée et que le principe de la chose jugée s'appliquait. Pour étayer sa conclusion, la SAI a cité l'affaire Kaloti c. MCI (1998), 153 F.T.R. 289, où le juge Dubé a confirmé une décision par laquelle la SAI avait rejeté le deuxième appel déposé par le demandeur à la suite d'une demande de parrainage refusée pour chose jugée. La SAI a noté que le juge Dubé avait certifié la question suivante:
         Un demandeur peut-il demander de nouveau l'admission au Canada de sa conjointe en tant que membre de la catégorie des parents en vertu du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration au motif que la situation a changé, lorsque la première demande qu'il a présentée a été rejetée sur le fondement que sa conjointe s'était mariée principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada et non dans l'intention de vivre en permanence avec lui?
[3]      Lorsque la décision contestée a été rendue, la Cour d'appel fédérale n'avait pas encore décidé l'issue de l'appel dans l'affaire Kaloti et, en conséquence, la SAI s'est estimée liée par la décision du juge Dubé. La SAI a refusé de faire droit à la demande déposée par la demanderesse pour retarder le prononcé de sa décision jusqu'à ce que la Cour d'appel tranche l'affaire Kaloti, pour les motifs suivants:
         [TRADUCTION] À ce moment-là, la Cour d'appel n'avait pas encore établi une date pour l'audition de l'affaire Kaloti et, en conséquence, il n'y avait aucune indication quant à savoir quand l'affaire allait être entendue et quand la décision allait être rendue. La SAI a donc rejeté l'appel de la demanderesse.

[4]      Le 3 mars 2000, la Cour d'appel a entendu l'appel relatif à l'affaire Kaloti et, le 13 mars 2000, elle a rejeté l'appel de la demanderesse. La Cour a statué que la question certifiée par le juge Dubé « dépass[ait] les circonstances de la présente affaire » . Le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, estimait que, telle que formulée, la question sollicitait un avis de la Cour sur une question qui ne se posait pas à la lumière des faits de l'espèce. Il a ensuite tranché l'affaire de la manière suivante:

         [par 8] De plus, la question certifiée parle d'un cas où « la situation a changé » . Cette terminologie est inappropriée. La seule « situation » qui compte dans une procédure en vertu du paragraphe 4(3) du Règlement est l'intention du conjoint qui fait l'objet du parrainage au moment du mariage. Cette intention est figée dans le temps et elle est immuable. Le juge a sûrement voulu demander plutôt si on pouvait présenter une nouvelle demande fondée sur une nouvelle preuve pertinente et admissible quant à l'intention de la conjointe au moment du mariage. Toutefois, l'avocat de l'appelant dans la présente affaire a admis qu'à toutes fins utiles la deuxième demande ne s'appuyait pas sur une nouvelle preuve.
         [par 9] Il ne reste donc à trancher qu'une question fort simple : la Section d'appel a-t-elle compétence pour rejeter sans formalités un appel, lorsque l'appelant essaie de soumettre de nouveau une question déjà tranchée par la Section d'appel en se fondant essentiellement sur la même preuve.
         [par 10] La réponse doit être affirmative. Le fait de soumettre de nouveau une affaire en appel uniquement pour reprendre la même question va à l'encontre de l'intérêt public. Il est admis que les cours supérieures ont une
         compétence inhérente pour prévenir l'abus de leurs procédures et on avance même que les tribunaux administratifs auraient cette même compétence.
         [par 11] Il n'est pas nécessaire ici de décider si la proposition avancée au sujet des tribunaux administratifs est fondée puisque, selon la terminologie même de sa loi habilitante, la Section d'appel est une « cour d'archives » qui a « pour toutes [...] questions relevant de sa compétence, les attributions d'une cour supérieure d'archives » (paragraphes 69.4(1) et (3) de la Loi sur l'immigration). Il est donc clair que la Section d'appel a compétence pour contrôler ses procédures et pour en prévenir l'abus. Elle peut donc, comme elle l'a fait ici, entendre des requêtes préliminaires demandant qu'on rejette de façon sommaire un appel qui est un abus de procédure visant le réexamen de ce qui a déjà été tranché dans un appel précédent. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin et d'entendre l'affaire au fond.
         [par 12] En l'instance, l'avocat de l'appelant a exprimé l'opinion qu'un demandeur qui n'avait pas eu gain de cause pouvait présenter une nouvelle demande de parrainage en payant les droits prévus et ainsi obtenir que la Section d'appel revienne à nouveau et à répétition sur l'affaire, en tenant une nouvelle audience. En d'autres mots, les recours ou procédures existent pour qu'on en abuse. Il est clair que ce n'est pas le cas.
         [par 13] Bien que la question de l'abus de procédure ou recours abusif n'ait pas été précisément soulevée devant la Section d'appel et devant le juge des requêtes, leurs motifs de jugement font implicitement ressortir qu'ils considéraient qu'il y avait recours abusif en l'instance. La Section d'appel a utilisé les termes [Traduction] « appel par usure » pour décrire la situation et le juge des requêtes a utilisé très précisément les termes « recours abusif » . Dans ces circonstances, il ne serait pas utile de renvoyer l'affaire pour qu'on examine la question du recours abusif. Néanmoins, il faut garder à l'esprit la distinction à faire entre « res judicata » et « recours abusif » , qui a récemment été décrite de la façon suivante par le lord juge Auld dans Bradford & Bingley Building Society v. Seddon : [Traduction] À mon avis, il est important de faire la distinction entre la res judicata et le recours abusif qui ne correspond pas à la res judicata. Cette distinction a mis du temps du fait que la cour a eu tendance à mélanger ces deux notions dans l'application du raisonnement susmentionné. La première notion, qui est une fin de non-recevoir fondée sur la cause d'action, fait qu'on ne peut absolument pas revenir sur l'affaire. Il en va de même pour la fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée, sauf dans certaines « affaires ou circonstances spéciales » . [...] La deuxième notion, qui peut être invoquée lorsqu'il n'y a pas de cause d'action ou fin de non-recevoir, n'est pas assujettie au même critère. La cour doit alors trouver un juste équilibre entre le point de vue de la partie qui veut être entendue et celui de la partie qui s'appuie sur le dossier afin de ne pas être injustement persécuté. [...]
         [par 14] Je partage donc l'avis de l'avocat de l'intimé qu'il n'est pas nécessaire en l'instance d'avoir recours à la doctrine de res judicata. La décision prise par la Section d'appel de rejeter sommairement l'appel qui lui était présenté se situe clairement dans le cadre de l'exercice de sa compétence de prévenir l'abus des procédures.
         [par 15] L'appel est rejeté avec dépens.
[5]      Je crois qu'il convient de souligner que, lorsque l'affaire Kaloti a été entendue devant la Cour d'appel, l'avocat du demandeur a admis que la deuxième demande de parrainage de son client ne s'appuyait pas sur une nouvelle preuve. J'estime que c'est ce qui a motivé la Cour d'appel à conclure qu'il était loisible à la SAI de rejeter la demande, de manière à prévenir l'abus des procédures. La Cour d'appel n'a donc pas abordé la question de la chose jugée.
[6]      Dans l'affaire Kaloti, la Cour d'appel n'a pas décidé si un demandeur pouvait présenter une deuxième demande fondée sur une nouvelle preuve, c'est-à-dire une preuve pertinente et admissible. Autrement dit, un demandeur peut-il déposer une deuxième demande pour démontrer l'intention de la conjointe qui fait l'objet du parrainage au moment du mariage, comme l'exige le paragraphe 4(3) du Règlement? Je suis d'avis que le dépôt d'une telle demande est permis.
[7]      Il appartient à la SAI de trancher la question de savoir si la deuxième demande constitue un abus des procédures ou si elle devrait être rejetée au motif qu'elle a déjà été jugée. Cependant, il me semble que la SAI doit donner l'occasion à la demanderesse de présenter sa preuve avant de trancher ces questions. Si la SAI est d'avis que la preuve présentée ne constitue pas une nouvelle preuve, il lui sera alors certainement loisible de rejeter la demande au motif qu'il s'agit d'un recours abusif. Si la preuve constitue effectivement une preuve nouvelle, la Commission peut alors décider si les questions soulevées ont qualité de chose jugée.
[8]      Je suis donc d'avis que la Commission a commis une erreur susceptible de révision judiciaire lorsqu'elle a rejeté l'appel de la demanderesse avant de lui donner l'occasion de présenter sa preuve. En conséquence, la décision de la SAI, rendue le 20 septembre 1999, est annulée et l'affaire est renvoyée pour une nouvelle audition et un réexamen devant une formation différemment constituée.

                                 « Marc Nadon »

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 août 2000


Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE:                  IMM-4990-99
INTITULÉ DE LA CAUSE:              Jasmail Kular c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE:              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:              Le 21 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR: le juge Nadon

EN DATE DU:                  30 août 2000

ONT COMPARU:

Barbara Jackman                  POUR LA DEMANDERESSE
Kevin Lunney                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman, Waldman and Associates          POUR LA DEMANDERESSE
Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada






Date: 20000830

Dossier: IMM-4990-99

Ottawa (Ontario), le 30 août 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE:

JASMAIL KULAR

demanderesse


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d'appel de l'immigration, rendue le 20 septembre 1999, est annulée et l'affaire est renvoyée pour une nouvelle audition et un réexamen devant une formation différemment constituée.

                                 « Marc Nadon »

                                         Juge

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

__________________

1      « La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint. »

2      Le ministre a déposé une requête lors de l'audience pour demander que l'appel soit rejeté pour défaut de compétence.

3      La demande a été rejetée pour la première fois le 24 novembre 1994. Les procédures relatives au contrôle judiciaire avaient été instituées, mais elles ont été interrompues le 15 novembre 1996.

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