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Date : 20001117

Dossier : T-382-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

RADIL BROS. FISHING CO. LTD.

demanderesse

(intimée)

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le DIRECTEUR GÉNÉRAL RÉGIONAL DU MINISTÈRE DES PÊCHES

ET OCÉANS POUR LA RÉGION DU PACIFIQUE, et

défenderesse

(requérante)

BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED et TITAN FISHING LTD.

défendeurs

ORDONNANCE


L'appel est accueilli pour les motifs qui seront prononcés la semaine prochaine. La déclaration de la demanderesse et le jugement déclaratoire demandé dans la déclaration sont radiés. Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le directeur général régional du ministère des Pêches et Océans pour la région du Pacifique.

          « W.P. McKeown »          

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001121

Dossier : T-382-99

ENTRE :

RADIL BROS. FISHING CO. LTD.

demanderesse

(intimée)

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le DIRECTEUR GÉNÉRAL RÉGIONAL DU MINISTÈRE DES PÊCHES

ET OCÉANS POUR LA RÉGION DU PACIFIQUE, et

défenderesse

(requérante)

BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED et TITAN FISHING LTD.

défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN


[1] La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, interjette appel de l'ordonnance par laquelle le protonotaire Hargrave a rejeté la requête présentée par la défenderesse en vue de faire radier la déclaration de la demanderesse et le jugement déclaratoire demandé dans la déclaration et de faire suspendre l'instance.

[2] La norme de contrôle applicable à l'appel est énoncée dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Limited, [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), où la Cour d'appel a statué que le juge saisi d'un appel d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire ne devrait pas intervenir, à moins que l'ordonnance soit entachée d'une erreur flagrante en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ou qu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Dans ces deux cas, le juge doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

LES FAITS

[3] Radil a introduit deux instances devant la Cour. La première, une demande de contrôle judiciaire, portant le numéro T-192-98, que j'appellerai la première instance, a été transformée en action. Les présents motifs visent le dossier numéro T-382-99.


[4]         Radil est propriétaire du « SEACREST » , un navire de pêche mesurant quatre-vingt six pieds utilisé pour la pêche au poisson de fond. Pour s'adonner à la pêche au poisson de fond, une pêche au chalut, le navire doit être titulaire d'un permis dit permis « T » . Ce permis est délivré par le ministère des Pêches et Océans (le Ministère). Une fois délivré, le permis demeure valide pendant un an. Le propriétaire du navire ou son représentant doivent demander le renouvellement du permis chaque année. En 1986, Radil a acheté le navire « SEACREST » , avec le permis T.8 et s'est adonnée à la pêche au poisson de fond en vertu de ce permis jusqu'en 1993.

[5]         En janvier 1993, la défenderesse B.C. Packers a demandé le permis T.8 au nom de Radil. On peut décrire la relation entre B.C. Packers et la demanderesse comme réciproque. Il n'était pas rare, et il n'est toujours pas rare, que des entreprises de traitement du poisson, comme la B.C. Packers à l'époque pertinente, aident leurs pêcheurs relativement à des questions administratives et de permis dans le but de s'assurer un approvisionnement sûr en poisson. En août de la même année, Radil a pris d'autres arrangements avec B.C. Packers afin d'acheter un permis « A » détenu par le « PACIFIC EAGLE » . En fait, B.C. Packers a présenté une demande à cet égard et le permis « A » détenu par le « PACIFIC EAGLE » a été dûment transféré au « SEACREST » , bien que cette opération ne se soit pas avérée aussi simple.


[6]         Le « PACIFIC EAGLE » était au départ titulaire de ce qu'on appelle un permis « AT » , qui est un permis qui combine ou marie un permis T et un permis A. La partie « T » du permis qui avait été délivrée au « PACIFIC EAGLE » était le permis T.92. Suivant le Ministère, il était et il est toujours contraire à la politique du Ministère de permettre que ces permis dits « combinés » soient « scindés » et qu'ils soient transférés séparément. Le Ministère affirme qu'il a informé B.C. Packers de ce fait et qu'il lui a précisé que le permis « AT » devait être transféré intégralement.

[7]         B.C. Packers affirme qu'elle a exprimé ses craintes au Ministère concernant le transfert du dossier de prises, mais que les parties ont cessé de discuter de la question après que feu M. Stephen Brownlee, qui était alors directeur des permis au Ministère, l'eut assuré que le transfert n'aurait aucune incidence sur le dossier de prises de chacun des navires. B.C. Packers affirme qu'elle a informé Radil du problème et des assurances de M. Brownlee, et qu'elle a procédé au transfert par lequel elle a acquis le permis A et a échangé les permis T.8 et T.92.

[8]         En 1995, Titan a acheté le « PACIFIC EAGLE » et le permis T.8 y afférent. Au moment de l'achat, on croyait encore, au sein de cette industrie, que des quotas individuels de bateau (QIB) seraient introduits, d'autant plus qu'un nouveau plan de gestion du poisson de fond pêché au chalut venait d'être adopté. Les QIB auraient pour effet de répartir la quantité de poisson de fond que chaque bateau serait autorisé à capturer. Le QIB qui a finalement été imposé était fondé à 70 pour 100 sur le dossier de prises moyennes pour la période de cinq ans comprise entre 1988 et 1992 et à 30 pour 100 sur la longueur du bateau.


[9]         Les renseignements dont le Ministère s'est servi pour calculer le QIB du navire de Radil, le « SEACREST » , étaient joints à la lettre du 18 mars 1997. Radil affirme que c'est la première fois qu'elle s'est rendu compte que le permis « T » délivré au « SEACREST » était le permis T.92 et que ce permis était fondé sur le dossier de prises de quelqu'un d'autre et qu'il ne s'agissait pas du permis T.8 fondé sur le dossier de prises de Radil. Radil s'est ensuite aperçue que le QIB du « SEACREST » était calculé en fonction du dossier de prises du « PACIFIC EAGLE » et qu'il était beaucoup plus bas que ce qu'il aurait été autrement.

[10]       Radil s'est immédiatement renseignée auprès du Ministère au sujet du calcul du QIB. Le Ministère lui a confirmé que le transfert effectué en 1993 s'était traduit par un échange non seulement des permis, mais aussi des dossiers de prises. Radil a alors demandéen vain par écrit au Ministère de lui délivrer le permis T.8 et de rajuster le QIB du « SEACREST » en conséquence.


[11]       Ne recevant aucune réponse du Ministère, Radil a introduit la première instance, une demande de contrôle judiciaire. Dans sa demande, Radil sollicitait un bref de mandamus enjoignant au Ministère de prendre une décision au sujet de la délivrance du permis T.8 à la demanderesse pour l'année 1998-1999. Elle concluait également au prononcé d'un jugement déclarant que le transfert du permis T.8 n'avait pas été autorisé et qu'il était illégal, invalide ou autrement inopérant et que la demanderesse était le titulaire légitime de ce permis. Elle sollicitait enfin un jugement déclarant qu'elle avait droit au permis T.8 pour la saison de pêche 1998-1999 ainsi qu'à un QIB calculé d'après le dossier de prises de Radil en tant que propriétaire et utilisateur du « SEACREST » .

[12]       Le 23 février 1998, Titan a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance radiant la demande de Radil dans la première instance au motif qu'elle constituait un abus de procédure ou, à titre subsidiaire, en vue de faire traiter et instruire la demande comme une action. Le juge Campbell a ordonné que l'affaire soit instruire comme une action, mais a rejeté la requête en radiation de Titan au motif que l'affaire soulevait à son avis une question sérieuse à trancher.


[13]       Par la suite, conformément à l'ordonnance du juge Campbell dans la première instance, Radil a déposé une déclaration dans laquelle elle sollicitait des réparations semblables et parallèles à celles qu'elle avait d'abord réclamées par voie de contrôle judiciaire dans le cadre de la première instance. Radil concluait non seulement au prononcé du jugement déclaratoire initialement réclamé, mais réclamait également des dommages-intérêts en invoquant divers moyens. Titan a ensuite présenté une requête en jugement sommaire en vue d'obtenir une ordonnance radiant les demandes de jugements déclaratoires formulées par Radil contre Titan et Sa Majesté. Le juge Rouleau a rejeté la requête en jugement sommaire de Titan, mais a ordonné la radiation des demandes de dommages-intérêts, étant donné qu'elles ne faisaient pas partie des réparations qui avaient été initialement sollicitées dans la demande de contrôle judiciaire. Le passage de ses motifs portant sur cet aspect est instructif. Voici ce qu'il a dit au paragraphe 15 :

Une requête en jugement sommaire ne vise pas à remplacer un procès et ne devrait pas être considérée comme telle. Le juge des requêtes qui doit décider si un procès est inutile et ne servirait à rien a un rôle restreint et doit se garder d'agir comme un juge de première instance et de se prononcer sur les questions en litige. Dans la mesure oùil existe une question litigieuse véritable en ce qui concerne les faits essentiels, la force ou la faiblesse de la réclamation ou de la défense contestée importe peu. L'affaire devrait être instruite pour que le litige puisse être tranchépar le juge de première instance. Par conséquent, un jugement sommaire devrait être prononcéuniquement dans les cas les plus évidents.

Il a ajouté, au paragraphe 22 :

Cependant, la conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action n'autorise pas la demanderesse à déposer par la suite une déclaration dans laquelle la réparation demandée est différente de celle contenue dans l'avis de requête introductive d'instance. Le paragraphe 18.2(4) a pour objet de permettre l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire comme s'il s'agissait d'une action, c'est-à -dire avec des interrogatoires préalables, l'assignation de témoins et l'audition de leurs témoignages. Il ne crée pas une nouvelle cause d'action et ne permet pas à une partie de demander une nouvelle réparation ou une réparation qui s'ajoute à celle qui était initialement demandée.


Ainsi, l'auteur d'une demande de contrôle judiciaire ne peut, lorsqu'il devient demandeur dans la même instance convertie en action, réclamer de nouvelles réparations. En tant que demandeur, il bénéficie plutôt de tous les avantages que comporte la tenue d'un procès en bonne et due forme, notamment la tenue d'une enquête préalable et l'audition de témoins, pour obtenir la réparation initialement réclamée. En réponse à ce moyen d'irrecevabilité invoqué à l'encontre de sa demande de dommages-intérêts, Radil a modifié sa déclaration pour en supprimer les conclusions relatives aux dommages-intérêts.

[14]       Le 5 mars 1999, la demanderesse a intenté la présente action afin de réclamer des dommages-intérêts contre Sa Majesté la Reine et British Columbia Packers en s'appuyant sur les mêmes faits. La déclaration est identique sur le plan des faits et du droit à cette exception près que Radil y réclame des dommages-intérêts en plus du jugement déclaratoire qu'elle sollicitait dans la première instance. Le 17 mars 1999, la demanderesse a également introduit devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique une action fondée sur les mêmes faits, dirigée contre les mêmes parties et sollicitant les mêmes jugements déclaratoires et les mêmes dommages-intérêts de la part de la défenderesse.

[15]       Le 16 juin 1999, notre Cour a ordonné que la présente action et l'action T-192-98 soient entendues en même temps ou l'une immédiatement après l'autre, au gré du juge présidant l'instruction, car les questions de droit et de fait soulevées dans les deux actions et les droits à réparation invoqués dans les deux actions concernent la même série d'opérations. La Cour a aussi ordonné que les deux actions soient traitées comme des instances à gestion spéciale.


[16]       La défenderesse, Sa Majesté la Reine, a alors présenté une requête en vue de faire radier la déclaration de la demanderesse en vertu des règles 4, 208 et 221 ou, subsidiairement, d'obtenir une ordonnance suspendant l'instance en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Je constate que la Reine n'a pas déposé de défense dans la présente action. Le 16 juin 1999, le protonotaire Hargrave a rejeté la requête de Sa Majesté la Reine en radiation de la déclaration et sa requête subsidiaire en suspension de l'instance.

[17]       Le 25 juin 1999, la demanderesse a déposé une déclaration modifiée et, le même jour, la défenderesse a déposé une requête en radiation de cette déclaration modifiée. La défenderesse, Sa Majesté la Reine, n'a pris aucune autre mesure relativement à la requête. Le 25 février 2000, à la demande de la demanderesse, la date du 31 mai 2000 a été arrêtée pour la tenue d'une conférence de gestion de l'instance afin que la requête soit entendue.

[18]       La défenderesse soutient que les ordonnances prononcées par le protonotaire Hargrave sont entachées d'une erreur flagrante parce que rendues en vertu d'un mauvais principe ou d'une application irrégulière de la jurisprudence.

[19]       Je déciderai maintenant si le protonotaire a commis une erreur en statuant que la Section de première instance avait compétence pour trancher une demande de jugement déclaratoire de la nature d'un contrôle judiciaire dirigée contre le ministre en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et introduite dès le départ au moyen d'une déclaration.


[20]       Dans sa déclaration, la demanderesse priait la Cour de prononcer les jugements déclaratoires suivants contre la Couronne défenderesse :

          (a)        un jugement déclaratoire portant que le prétendu transfert du permis T.8 effectué en 1993 n'avait pas été autorisé, était illégal, invalide ou autrement inopérant et que la demanderesse est le titulaire légitime de ce permis;

          (b)        un jugement déclaratoire portant que la demanderesse a droit à la délivrance du permis T.8 et au quota individuel de bateau attribué à ce permis;

          (c)        subsidiairement, un jugement déclaratoire portant que la demanderesse a droit au quota individuel de bateau fondé sur le dossier de prises du « SEACREST » .


Au cours de l'audition devant le protonotaire, la demanderesse a renoncé à demander les réparations a) et b) contre la Couronne défenderesse. Le protonotaire a refusé de radier la partie de la demande de réparation sollicitant un jugement déclaratoire contre la Couronne, en concluant que la Cour avait compétence pour déterminer s'il y avait lieu d'accorder pareille réparation dans le cadre d'une instance introduite au moyen d'une déclaration. Le protonotaire Hargrave a précisé qu'il aurait adhéré à la thèse du ministre selon laquelle un jugement déclaratoire contre la Couronne ne peut être sollicité que par voie de contrôle judiciaire [Traduction] « si l'avocat de Radil n'avait pas souligné que le juge Joyal avait prononcé un jugement déclaratoire pour suggérer au ministre la façon dont il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire relativement à l'octroi d'un permis de pêche. » Cette remarque s'appuyait sur une action concernant un permis de pêche, l'affaire Johnson c. Ramsay Fishing Co., [1987] 47 D.L.R. (4th) 544 (C.F. 1re inst.). Toutefois, la décision Johnson, précitée, a été rendue sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale en vigueur en 1987. Cette version de la loi ne contenait pas le paragraphe 18(3) et l'article 18.1 maintenant en vigueur, en vertu desquels les recours sollicitant un jugement déclaratoire contre un office fédéral sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire. Or, en 1987, les règles 400 et 600(4) prévoyaient qu'un jugement déclaratoire contre un ministre devait être obtenu au moyen d'une action, et non d'un avis de requête introductif d'instance comme l'exigent les règles actuelles. De plus, les anciennes Règles de la Cour fédérale étaient de simples règles de pratique. Le paragraphe 18(3) et l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ont été édictés par le législateur. La Cour d'appel fédérale a approuvé cette approche dans l'arrêt Bande indienne de Lake Babine et autres c. Williams et autres (1996), 194 N.R. 44, lorsqu'elle a accueilli l'appel interjeté à l'encontre d'une décision par laquelle le juge de première instance avait rejeté une requête en radiation d'une déclaration. Voici ce qu'a dit le juge Robertson de la Cour d'appel :


la Cour d'appel fédérale a compétence pour statuer sur la question, mais elle ne peut le faire que dans le contexte d'une demande fondée sur l'article 18, et non dans le cadre d'une action introduite au moyen d'une déclaration. La requête des appelants visant à radier la déclaration des intimés aux termes de l'alinéa 419(1)a), au motif que la Cour ne peut accorder la réparation demandée dans le contexte d'une action, est bien fondée. Elle est également bien fondée pour une autre raison. Compte tenu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, il ne semble pas possible de convertir une action en une demande de contrôle judiciaire; cependant, même si la règle de droit était différente, la Cour n'aurait pas la compétence voulue pour statuer sur la demande, car le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi est expirédepuis longtemps.

[21]       Le protonotaire Hargrave a lui-même reconnu l'effet de la Loi sur la Cour fédérale de 1992 dans la décision qu'il a prononcée dans Lameman et autres c. Gladue et autres (1995), 95 F.T.R. 220, lorsqu'il a affirmé, au paragraphe 12 :

En l'espèce, la procédure, savoir une action réclamant une injonction et un jugement déclaratoire, qui, avant les modifications de 1992 à la Loi sur la Cour fédérale, aurait été un choix approprié, contrevient maintenant à la Loi. En outre, à moins que l'action ne soit réputée être un avis de requête introductive d'instance, ou que le délai de 30 jours prescrit au paragraphe 18.1(2) pour la présentation de la demande puisse être prolongé, les demandeurs seront dans l'impossibilité de faire réviser la décision et, éventuellement, d'obtenir le redressement demandé..

Il a poursuivi en disant ce qui suit, au paragraphe 15 :

Tout en gardant à l'esprit le principe prôné par la Cour, c'est-à-dire que les règles et la procédure qui sont appliquées par elle ont pour objet de faciliter le déroulement normal de l'instance, j'ai de la difficulté à décréter que des procédures, qui vont directement à l'encontre de la Loi, sont en fait ce qu'elles ne sont pas. Les règles de la Cour sont des règles de procédure. La Cour a le pouvoir discrétionnaire d'adapter ses règles selon ce qu'elle juge approprié et nécessaire dans l'intérêt de la justice. Mais les dispositions d'une loi, en l'espèce les modifications de 1992 apportées à la Loi sur la Cour fédérale, ont un effet différent et beaucoup plus important et peuvent influer à la fois sur la procédure et sur le fond d'une instance.

Il a passé en revue plusieurs autres décisions de la Cour fédérale ayant le même effet.

[22]       Par conséquent, il est clair que le protonotaire a commis une erreur en refusant de radier la demande de jugement déclaratoire et je suis d'avis de radier les alinéas a), b) et c) de la demande de réparation énoncée dans la déclaration modifiée délivrée le 25 juin 1999 après le prononcé de la décision du protonotaire.


[23]       Je porterai maintenant mon attention sur la question de savoir si le protonotaire a commis une erreur en statuant que le critère applicable à l'existence d'une cause d'action valable consiste à déterminer si l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du ministre ou une décision administrative du ministre sont assujettis au contrôle judiciaire. Le paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale prévoit la radiation d'un acte de procédure dans une action :

221(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

                (a)            qu'il ne révèle aucune cause d'action ou défense valable;

(b)           qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

(c)            qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

...

(e)             qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

(f)            qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

[24]       Toutefois, le protonotaire dit, au paragraphe 30 de ses motifs :

Si un acte de procédure ne renferme aucune cause d'action valable fondée sur les faits articulés dans la déclaration ou la défense, cet acte de procédure est irrecevable dès le départ. Il n'est pas nécessaire d'examiner davantage les autres facteurs énumérés au paragraphe 221(1) des Règles (voir l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 49 B.C.L.R. (2d) 273). En revanche, si le demandeur démontre que l'acte de procédure renferme une question légitime à plaider, le tribunal est alors susceptible d'être dispenséd'examiner l'acte de procédure en fonction des autres critères de l'article 221 des Règles. Ainsi, on ne saurait guère prétendre qu'un acte de procédure qui révèle l'existence d'une cause d'action valable est frivole ou constitue un abus de procédure.

[25]       Sa Majesté la Reine soutient néanmoins que le protonotaire a commis une erreur en affirmant, au paragraphe 31 :


Lorsque le ministre de la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire en tant qu'acte administratif et que sa décision est contestée, le critère permettant de savoir s'il existe une cause d'action valable est celui de savoir si la décision du ministre est susceptible d'un contrôle judiciaire. Si la décision n'est pas susceptible d'un contrôle judiciaire, le demandeur n'a pas de cause d'action valable.

[26]       La possibilité d'examiner les décisions administratives des ministres sur le plan de la procédure en vertu de la Loi sur la Cour fédérale donne naissance à une procédure de contrôle judiciaire, mais elle ne crée par de cause d'action. Le protonotaire a débuté son enquête en se demandant si la décision discrétionnaire du ministre était ou non assujettie au contrôle judiciaire. Il aurait plutôt dû se demander d'abord si la déclaration révélait une cause d'action. Le critère à appliquer pour radier un acte de procédure consiste à savoir si la demande ne révèle manifestement aucune cause d'action valable. La Cour suprême a dit ce qui suit, dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., précité, à la page 980 :

Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement » . La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action ...

La Cour suprême a ajouté, à la page 989 :                    

Il n'appartient pas à notre Cour, suite à une requête en radiation de certaines parties d'une déclaration de rendre une décision dans un sens ou dans l'autre quant aux chances de succès du demandeur. Comme le droit à l'origine du critère des cas « évidents et manifestes » l'établit clairement, il suffit que le demandeur ait quelques chances de succès..

[27]       La demanderesse se reporte à des causes dans lesquelles une décision a été révisée dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire et une action en dommages-intérêts a été intentée par la suite. Toutefois, aucune procédure de contrôle judiciaire touchant la présente affaire n'a été menée à terme avant la présente cause d'action.


[28]       Pour déterminer si une déclaration doit être radiée, il est important de se rappeler le rôle que jouent les actes de procédure. Dans Harry v. The Queen (13 novembre1990), Vancouver C944747 (C.S. C.-B.), le juge Smith a expliqué, aux paragraphes 5 et 6 :

[Traduction] Le rôle ultime des actes de procédure consiste à définir clairement les questions de fait et de droit que le tribunal doit trancher. Les questions en litige doivent être définies relativement à chaque cause d'action invoquée par le demandeur. Ce processus commence par l'énoncé, de la part du demandeur, pour chacune des causes d'action, des faits substantiels, c'est-à-dire des faits nécessaires afin de formuler une cause d'action complète : Troup v. McPherson (1965), 53 W.W.R. 37 (C.S. C.-B.) à la page 39. ...

On trouve une description utile de la façon dont il convient de structurer une cause d'action invoquée dans l'ouvrage de J.H. Koffler et A. Reppy, intitulé Handbook of Common Law Pleading, (St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1969) à la page 85 :

Évidemment, les éléments essentiels d'une demande de réparation ou d'un droit de recours varient d'une action à l'autre. Cependant, le plaideur constatera, après analyse, que les faits prescrits par le droit substantiel comme nécessaires pour constituer une cause d'action dans une situation donnée peuvent être répartis en trois catégories : (1) le droit ou titre du demandeur; (2) l'acte fautif du défendeur qui a porté atteinte à ce droit ou titre; (3) le dommage qui en a résulté, qu'il soit symbolique ou important. Et, bien sûr, les faits constitutifs de la cause d'action doivent être exposés avec certitude et précision, dans leur ordre naturel, de façon à révéler les trois éléments essentiels de toute cause d'action, soit, le droit, l'acte fautif et le dommage.

[29]       Une action fondée uniquement sur la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune cause d'action reconnue en droit.

[30]       Les prochaines questions à trancher sont les suivantes : 1. Le demandeur a-t-il un droit d'action découlant des causes d'action qu'il invoque aux paragraphes 23, 28, 39 et 40 de la déclaration modifiée? 2. Une autre cause d'action découle-t-elle des faits substantiels invoqués? Je reproduis ci-dessous les paragraphes 23, 28, 39 et 40 :


[Traduction]

23. La défenderesse, B.C. Packers, a fait preuve de négligence et manqué à son obligation envers la demanderesse en ne consignant pas et en ne mettant pas par écrit l'entente conclue avec le Ministère et en ne prenant pas les mesures nécessaires pour garantir que, lors de l'introduction du système de QIB, le dossier de prises du « SEACREST » demeurerait attribué au « SEACREST » .

28. Le plan de gestion 1997/1998 prévoyait que la formule d'attribution des QIB pour la pêche au chalut du poisson de fond serait fondée à 70 pour 100 sur les prises moyennes au cours de la période de cinq ans comprise entre 1988 et 1992 et à 30 pour 100 sur la longueur du navire ...

39.             Le Ministère a fait preuve de négligence en autorisant et en traitant le transfert du permis « T » 0008 du « SEACREST » sans l'autorisation, adéquate ou non, de la demanderesse.


40. Le Ministère avait l'obligation envers la demanderesse de ne pas transférer le permis auquel elle avait droit sans se conformer à la Loi sur les pêches, L.R.C., ni aux règlements et politiques s'y rattachant. Le Ministère a fait preuve de négligence et manqué à son obligation envers la demanderesse en ne respectant pas ses propres règlements et politiques en traitant la demande de transfert du permis « T » 0008 alors qu'il savait, ou aurait dû savoir, que le transfert n'était pas conforme aux règlements et politiques du Ministère et que les documents requis pour procéder au transfert n'étaient pas complets.

[31]       La demanderesse réclame principalement que lui soit reconnu le droit à un permis de pêche et à un quota donné. Les dommages qu'elle invoque découleraient du fait qu'elle n'a pas reçu ce permis et ce quota. Les questions soulevées dans la déclaration sont régies par la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 et ses règlements d'application. L'article 7 de la Loi sur les pêches prévoit que le ministre a un pouvoir discrétionnaire absolu d'accorder des permis de pêche et que la durée des permis ne peut dépasser neuf ans. L'article 43 de la Loi prévoit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :


(g) respecting the terms and conditions under which a licence and lease may be issued.

(g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;


L'article 22 du Règlement de pêche du Pacifique (1993), D.O.R.S. 93-54, dispose que le ministre peut prescrire les espèces de poisson visées par la délivrance du permis. Voici comment il est libellé :

22. (1) Il est interdit à quiconque d'utiliser un bateau et à tout propriétaire ou locataire d'un bateau de permettre que celui-ci soit utilisé pour la pêche commerciale d'une espèce de poisson si les conditions suivantes ne sont pas respectées :

(a) sous réserve du paragraphe (2), le bateau est enregistré

(b) l'utilisation de ce bateau pour la pêche de l'espèce de poisson visée est autorisée en vertu d'un permis de pêche commerciale.


[32]       Le juge Strayer a souligné, dans la décision Joliffe c. La Reine, [1986] 1 C.F. 511 (1re inst.), à la page 520, qu'il n'existe pas de droit de propriété rattaché à un permis de pêche. Il a expliqué, à la page 520 :

Bien qu'il faille accorder beaucoup de poids à l'argument des demandeurs selon lequel les permis, parce qu'ils ont une valeur commerciale reconnue et sont souvent achetés et vendus, confèrent à leurs détenteurs un droit irrévocable sauf (comme le prévoit l'article 9 de la Loi) lorsqu'il y a eu manquement à l'une des conditions du permis, je ne peux trouver dans la Loi ou dans le Règlement de fondement à une telle interprétation. Il faut d'abord souligner que quelle que soit la croyance populaire à ce sujet, les articles 34 et 37 du Règlement prévoient qu'aucun permis n'est valide pour plus d'un an et tous expirent le 31 mars de chaque année. Il est vrai qu'aux termes de l'article 9 de la Loi, le Ministre ne peut exercer son pouvoir de révoquer les permis que dans les seuls cas où il y a eu manquement à une condition du permis, et il ne fait pas de doute que dans l'exercice de ce pouvoir de révocation, le Ministre ou ses représentants doivent agir équitablement : voir Lapointe c. Min. des Pêches et Océans (1984), 9 Admin. L.R. 1 (C.F. 1re inst.). Mais les permis prennent fin chaque année et aux termes de L'article 7, le Ministre exerce une « discrétion absolue » en ce qui concerne la délivrance de nouveaux permis. Il m'est donc impossible de trouver un fondement juridique à l' « octroi » d'un permis au-delà des droits qui sont accordés pour l'année pour laquelle il est délivré.

Le juge Major approuve expressément cette citation du juge Strayer dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, à la page 24, où il dit :

Dans Joliffe, on a statué qu'un permis ne comportait aucun droit acquis outre les droits accordés pour la période pour laquelle il est délivré.

Il poursuit en citant l'opinion susmentionnée du juge Strayer, puis il affirme, à la page 25 :

Je suis d'avis que le pouvoir discrétionnaire d'autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l'art. 7, est, à l'instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l'exigence de justice naturelle, étant donné qu'il n'y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l'arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre: voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T-113-84, 29 février 1984.


Il conclut ensuite, à la page 26 :

Compte tenu de l'examen qui vient d'être fait de l'objet de l'art. 7 et du large pouvoir discrétionnaire accordé au Ministre dans l'exercice des fonctions que lui confère cet article, je suis d'avis que le pouvoir du Ministre d'autoriser la délivrance d'un permis est constant jusqu'au moment où le permis est effectivement délivré. Il s'ensuit qu'il conserve le pouvoir de révoquer l'autorisation en tout temps avant la délivrance du permis. Dès que l'autorisation est révoquée, la personne autorisée n'a plus le pouvoir de délivrer le permis. Après la délivrance, le pouvoir de révocation est régi par l'art. 9 de la Loi.

Il ressort des extraits qui précèdent que le Ministère n'a pas d'obligation de fiduciaire ni d'obligation légale de veiller à ce que le permis « T » de la demanderesse lui attribue les prises les plus élevées possible de sorte qu'elle gagne le plus d'argent possible.

[33]       Les obligations que la Loi sur les pêches impose au ministre consistent à gérer, conserver et développer la pêche au nom de tous les Canadiens, dans l'intérêt public. Ces obligation n'englobent pas d'obligation fiduciaire ou légale de veiller à ce qu'un pêcheur en particulier se voit attribuer la plus grande quantité possible de poisson pour lui permettre de réaliser le gain financier personnel le plus élevé possible. Voir Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.), aux paragraphes 34 à 37.


[34]       La décision du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer un permis de pêche à un pêcheur en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêches relève clairement de l'exercice de ses fonctions administratives. Le ministre ne joue pas le rôle d'un fiduciaire dans l'exercice de ses fonctions administratives. Dans l'arrêt Penikett v. Regina (1987), 21 B.C.L.R. (2d) 1, la Cour d'appel du territoire du Yukon a statué qu'une action fondée sur un manquement à une obligation de fiduciaire ne peut être accueillie que s'il existe, envers les demandeurs, [Traduction] « une obligation de droit privé ou de droit public qui, exceptionnellement, donne naissance à une obligation de fiduciaire. » La Cour d'appel a reconnu la distinction entre la création d'obligations gouvernementales et d'obligations de fiduciaire en citant, à la page 9, les propos tenus par le juge Dickson dans l'arrêt Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335, à la page 385 :

Il faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d'obligations de fiduciaire que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport de fiduciaire. Comme il se dégage d'ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques » , on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives.

[35]       Les affaires concernant les Autochtones dans lesquelles des obligations de fiduciaire ont été imposées à la Couronne se distinguent totalement des affaires portant sur des décisions discrétionnaires prises dans l'exercice d'une fonction administrative, comme l'a précisé le juge Dickson.

[36]       Selon moi, un permis de pêche ne constitue qu'un privilège de participer à la pêche pendant la durée de validité du permis. L'octroi d'un permis de pêche n'emporte la dévolution d'aucun droit ni bien à son titulaire. Il n'existe pas de droit au renouvellement automatique d'un permis de pêche. La jurisprudence, notamment les décisions Joys c. Ministre du Revenu national (1995), 128 D.L.R. (4th) 385 (C.A.F.), aux pages 394 et 399, et Re Bennett and Bennett (1988), 24 B.C.L.R. (2d) 346 (C.S.), aux pages 350 et 351, le confirme.


[37]       S'il devait exister un rapport de fiduciaire ou un manquement à une obligation de fiduciaire entre la demanderesse et le ministre relativement à la délivrance du permis T.8, ou si le permis actuel T.92 devait être traité comme s'il s'agissait du permis T.8, aux fins d'un QIB particulier attribué comme condition d'un permis, contrairement à ce qu'affirme la Reine, défenderesse, les éléments suivants devraient être plaidés et établis : (i) la vulnérabilité, (ii) l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire; et (iii) le fait que le fiduciaire tire un avantage personnel direct ou indirect du fait de l'existence d'un rapport de confiance. La demanderesse n'a pas plaidé ces éléments et ne pourrait satisfaire à ce critère parce que le ministre ne tire aucun avantage personnel direct ou indirect en associant le dossier de prises du permis T.8 au « PACIFIC EAGLE » plutôt qu'au « SEACREST » . Dans l'un et l'autre de ces scénarios, la pêche est gérée, et c'est là la préoccupation du ministre. Le ministre n'en tire absolument aucun avantage personnel. Pour reprendre les propos tenus par le juge en chef McEachern de la Colombie-Britannique, dans l'affaire C.A. v. Critchley et al. (1999), 113 B.C.A.C. 248 (C.A.), au paragraphe 85 :

[Traduction] En appliquant cette approche, je conclus que la raison appuierait l'approche consistant à limiter la réparation fondée sur des obligations de fiduciaire au type de situations où , en plus des exigences habituelles telles que la vulnérabilité et l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, la partie défenderesse profite personnellement d'un rapport de confiance pour en tirer directement ou indirectement un avantage personnel. Cette approche exclut de la portée des obligations de fiduciaire plusieurs situations qui peuvent être réglées par l'application du droit des contrats ou de la responsabilité délictuelle, présente l'avantage d'une certitude accrue et protège les honnêtes gens qui agissent pour le mieux dans des circonstances difficiles de la honte et de la stigmatisation liées au manque de loyauté et à la malhonnêteté. En fait, cette approche réoriente le droit des fiducies vers le champ qu'il occupait avant le début de cette expérience, mais en y associant des recours plus étendus, comme l'octroi de dommages-intérêts, en cas de manquement réel aux obligations de fiduciaire.


[38]       J'examinerai maintenant la question de savoir si les faits substantiels invoqués étayent une cause d'action fondée sur la négligence. La possibilité d'exercer un recours administratif sous forme de contrôle judiciaire, comme celui introduit par la demanderesse dans le dossier T-192-98, exclut généralement l'existence d'une obligation de diligence. Dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1995] 2 C.F. 467 (C.A.), pourvoi à la C.S.C. rejeté pour d'autres motifs, [1997] 1 R.C.S. 12; le juge Stone de la Cour d'appel a affirmé, à la page 483, que « [l]a disponibilité d'un recours par voie de contrôle judiciaire doit être considérée avant qu'on puisse conclure à l'existence d'une obligation de diligence. » Le juge Stone a poursuivi en étoffant ses motifs à l'appui de son opinion portant que pour trancher la question de l'obligation de négligence, il est important de déterminer si des recours adéquats en droit administratif sont possibles. À la page 486, il cite l'ouvrage de C. Lewis, intitulé Judicial Remedies in Public Law (London:1992), à la page 379 :

[traduction] Les décisions prises conformément à l'exercice d'un pouvoir conféré par le législateur sont assujetties au contrôle judiciaire et, parfois, à un droit légal d'appel. Les décisions illicites peuvent être annulées et la personne est alors soustraite aux conséquences d'une telle décision. L'existence de ces recours est perçue par les tribunaux comme un indice de l'inutilité d'offrir tout autre moyen fondé sur la négligence, particulièrement si le contrôle judiciaire ou l'appel suffisent à corriger la situation et que le seul préjudice réel subi par la personne est un retard et, peut-être, les dépenses engagées afin d'établir la non-validité de la décision. Voilà qui semble en partie une décision bien évidente de notre Cour, soit qu'il devrait y avoir une distinction entre les recours de droit public et ceux de droit privé. Lorsqu'une décision ultra vires peut être écartée au moyen d'un appel ou d'un contrôle judiciaire, il ne devrait exister normalement aucune responsabilité supplémentaire ouvrant droit à des dommages-intérêts, à moins que la personne puisse établir l'action fautive. La simple négligence n'est pas suffisante. La possibilité d'annuler la décision peut également signifier que le seul préjudice subi est lié aux dépenses engagées pour contester la décision.


[39]       Dans Morgan v. Canada (1998), 117 B.C.A.C. 296 (C.A.), à la page 303,

le juge Lambert de la Cour d'appel, a conclu que le juge de première instance avait statué, dans cette cause, que la Loi canadienne sur les droits de la personne :

[Traduction] ... n'était pas une loi visant à protéger le public contre un préjudice économique et que la seule réparation prévue par la loi pour le défaut de la Commission de s'acquitter ou de s'acquitter promptement de son devoir en vertu de la Loi consiste en une procédure de contrôle judiciaire de la nature d'une demande de mandamus.

[40]       Ainsi, le protonotaire a commis une erreur en concluant qu'une décision du ministre donnant ouverture au contrôle judiciaire équivalait ou donnait naissance à une cause d'action. La décision prise par le ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire absolu, de délivrer un permis de pêche dont la Couronne demeure propriétaire, ou d'en autoriser la délivrance, ne crée pas un droit entre le ministre et la demanderesse. Par conséquent, aucune cause d'action ne prend naissance parce que cette décision discrétionnaire peut être révisée sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire.


[41]       La prochaine question consiste à déterminer si le protonotaire a commis une erreur en statuant que l'application par le ministre de la politique concernant les quotas dans le cadre de sa décision discrétionnaire de délivrer un permis de pêche à la demanderesse pouvait être contestée dans une action si la demanderesse invoquait l'abus d'autorité ou d'autres moyens similaires à ceux énumérés dans Thompson c. Canada (MCI) (1996), 37 Imm.L.R. (2d) 9 (C.F. 1re inst.) ou Williams c. Canada (MCI) (1997), 212 N.R. 63 (C.A.). Le protonotaire a dit ce qui suit au paragraphe 35 de ses motifs :

L'argument que le ministre a eu tort et devrait être censuréen raison de la façon dont il a calculéle QIB risque de ne pas être assez solide pour permettre à la demanderesse d'obtenir gain de cause dans son action. J'hésite toutefois à radier sa demande au motif qu'elle n'a nettement, manifestement et indubitablement aucune chance d'être accueillie. D'ailleurs, une déclaration ne devrait pas être radiée sans que le demandeur ait eu l'occasion de la modifier s'il existe une parcelle de cause d'action (voir le jugement Kiely c. La Reine, (1987), 10 F.T.R. 10 (C.F. 1re inst.), à la page 11). Pour ce motif, j'ai permis à la demanderesse de déposer une déclaration modifiée pour y invoquer plus clairement des motifs permettant de contester la décision discrétionnaire du ministre, et j'ai indiquébrièvement sur l'ordonnance les moyens qu'elle pouvait invoquer, notamment un méfait ou des motifs semblables à ceux qui sont énumérés dans le jugement Thompson c. MCI (précité) ou dans l'arrêt Williams c. Canada (précité).

Les affaires Thompson c. Canada, précitée, et Williams c. Canada, précitée, sont des demandes de contrôle judiciaires fondées sur des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale dans des causes en matière d'immigration. Ces affaires ne touchent aucun moyen non prévu au paragraphe 18.1(4) et ne concernent pas des actions.

[42]       Aux paragraphes 46, 47 et 48 de la déclaration modifiée, la demanderesse a allégué que le ministre avait agi de mauvaise foi en ne tenant pas compte des circonstances entourant le transfert du permis et en déléguant irrégulièrement au Ministère la responsabilité d'enquêter sur l'affaire. Pour prouver le délit d'abus d'autorité dans l'exercice d'une charge publique, il faut établir les trois éléments suivants :

            (a)        le ministre a agi:

            (i)         soit avec malveillance;

            (ii)        soit en sachant qu'il n'avait pas le pouvoir d'agir comme il agissait;


            (b)        le ministre a agi dans l'intention délibérée de causer un préjudice aux demandeurs;

            (c)        un dommage en a résulté.

Voir : Gerrard v.Manitoba (1992), 98 D.L.R. (4th) 167 (C.A. Man.); et Dunlop v.Woollahra Municipal Council, [1981] 1 All E.R. (P.C.) 1202.

[43]       Le juge Robertson de la Cour d'appel a décrit ainsi l'abus d'autorité dans l'exercice d'une charge publique dans l'affaire Comeau, précitée, aux pages 529 et 530 :

Dans sa forme la plus ancienne, ce délit était limité aux cas où un fonctionnaire (soit une personne exerçant un pouvoir conféré par la loi ou une prérogative) avait abusé d'un pouvoir qu'il possédait réellement. Une fois qu'il était établi que la décision était entachée de malveillance, c'est-à-dire que l'auteur avait l'intention de causer un préjudice au demandeur, la décision en question donnait lieu à une demande en dommages-intérêts. Au fil des ans, le délit a été élargi aux cas où les décideurs savaient qu'ils ne possédaient pas le pouvoir qu'ils tentaient d'exercer. Aujourd'hui, l'existence du délit administratif est établie lorsqu'on prouve que la décision non valide est entachée par la malveillance ou la connaissance de son invalidité:...

Soulignons l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121 en guise d'exemple classique de ce délit administratif; dans cette affaire, la responsabilité découlait de l'article 1053 du Code civil du Bas-Canada, mais on présume généralement que la responsabilité serait la même en vertu de la common law; voir les propos du juge Rand aux pages 139 à 142.


[44]       La demanderesse n'a pas fait valoir les faits substantiels sur lesquels elle se fonde pour invoquer la cause d'action d'abus d'autorité dans l'exercice d'une charge publique, comme l'exige la règle 174 des Règles de la Cour fédérale (1998). Aucun fait invoqué n'établit que la défenderesse ait agi avec malveillance, en sachant qu'elle n'avait pas le pouvoir d'agir comme elle agissait ou dans l'intention délibéré de causer un préjudice à la demanderesse.

[45]       Je suis d'avis que le protonotaire a commis une erreur en permettant à la demanderesse de modifier sa déclaration pour invoquer le moyen de l'abus d'autorité dans le but de garantir que la décision du ministre soit susceptible de contrôle judiciaire. La décision discrétionnaire du ministre n'est susceptible de contrôle judiciaire que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur les moyens prévus au par. 18.1(4) de la Lois sur la Cour fédérale, qui englobent l'abus d'autorité, à l'al. 18.1(4)e). Bien que la décision du protonotaire relève de son pouvoir discrétionnaire, j'estime qu'il aurait dû radier la déclaration au motif que la décision discrétionnaire du ministre ne peut être révisée que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. De plus l'autorisation de modifier la déclaration n'aurait pas dû être accordée, car aucune modification possible n'aurait pu créer une cause d'action en l'espèce.

[46]       La prochaine question est celle de savoir si le protonotaire a commis une erreur en rejetant la requête présentée par le procureur général du Canada dans l'action T-382-99 en vue d'obtenir la suspension de l'instance jusqu'à l'issue de l'action identique dirigée contre les mêmes parties devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Comme j'ai conclu que le protonotaire aurait dû radier la déclaration, il n'est pas nécessaire que j'examine cette prétention de façon plus approfondie.


[47]       Je ne suis pas tenu de trancher la question des précisions étant donné que la déclaration modifiée est radiée.

[48]       Pour les motifs qui précèdent, l'appel est accueilli. La déclaration de la demanderesse et le jugement déclaratoire demandé dans la déclaration sont radiés. Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le directeur général régional du ministère des Pêches et Océans pour la région du Pacifique.

                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                                   JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

21 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :     T-382-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :RADIL BROS. FISHING CO. LTD

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par DIRECTEUR GÉNÉRAL RÉGIONAL DU MINISTÈRE DES PÊCHES ET OCÉANS POUR LA RÉGION DU PACIFIQUE et BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED et TITAN FISHING LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)       

DATE DE L'AUDIENCE :    31 mai 2000     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :                       21 novembre 2000       

ONT COMPARU :

Me J. Raymond Pollard Pour la demanderesse

Me Paul F. Partridge                  Pour la défenderesse - Sa Majesté la Reine

Me Rob Whittaker                    

Me David R. Brown                   Pour la défenderesse - Titan Fishing Ltd.

Me Kyla S. Henricksen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richards Buell Sutton                 Pour la demanderesse

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                      Pour la défenderesse - Sa Majesté la Reine

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Stikeman, Elliott                         Pour la défenderesse - Titan Fishing Ltd.

Vancouver (C.-B.)

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