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T-1068-95

ENTRE :


EPHREM LECLERC,


Requérant,


et


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


Intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

     Le Requérant demande le contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal d'appel des anciens combattants rendue en date du 16 décembre 1994, laquelle a eu pour effet de maintenir le niveau de sa pension au cinquième du montant auquel il prétend avoir droit.

I      LES FAITS

     Entre le 8 décembre 1953 et le 7 décembre 1956, le Requérant était membre des Forces Aériennes Royales Canadiennes. Il dû quitter à la fin de l'année 1956 au motif qu'il était inapte à remplir ses fonctions puisque atteint d'une otite moyenne à l'oreille gauche. Entre les années 1970 et 1987, le Requérant a tenté à plusieurs reprise d'obtenir une pension en vertu de la Loi sur les pensions1 alléguant que l'otite dont il souffrait était reliée à son service militaire. Ces tentatives furent sans succès.

     Cependant, le 15 mai 1987, le Conseil de révision des pensions Canada a reconnu pour la première fois que la condition du Requérant pouvait être attribuable à la température inclémente à laquelle il fut exposé pendant ses années de service. Le Conseil décida à cette occasion que la condition du Requérant s'expliquait par ses activités militaires dans une proportion de 20 pour cent et lui attribua une pension calculée en conséquence :

         From all of the circumstances of this case and all the evidence presented and having drawn every reasonable inference in favour of the Appellant, this Board is of the opinion that pension entitlement on a one fifth basis for that part of the disability that arose out of or was directly connected with peace time service is indicated, and this board rules accordingly.2         

     Cette décision prend clairement pour acquis le fait que le Requérant était affligé par sa condition avant son enrôlement. C'est d'ailleurs ce qui explique le montant limité de la pension qui lui fut attribuée.

     Le 23 avril 1991, le Requérant demandait au Tribunal d'appel des anciens combattants de modifier cette décision alléguant que le Conseil ne pouvait conclure que sa condition existait avant son enrôlement. Dans une décision rendue en date du 11 juillet 1991, le Tribunal a refusé de donner suite à la demande du Requérant. Le Tribunal s'en est remis, entre autre, à un rapport médical datant du 21 février 1970 lequel affirme que le Requérant souffrait de problèmes à l'oreille gauche depuis son enfance et à un autre rapport médical rédigé au cours du mois d'avril 1954 dans lequel le médecin examinateur a indiqué avoir eu "l'impression que l'affection à l'oreille gauche existait avant l'enrôlement dans les forces régulières". En conclusion, le Tribunal a fait remarquer que "l'appelant [avait] déjà bénéficié des dispositions du paragraphe 10(5) de la Loi ... et de la générosité du Tribunal précédent, et qu'il n'y [avait] pas lieu de modifier la décision sous appel".3

     Le Requérant demanda à la Cour d'appel fédérale de casser cette décision invoquant comme motif :

         que le Tribunal a erré dans l'interprétation de la preuve en concluant que l'invalidité du Requérant existait avant son enrôlement dans le service militaire et qu'il a été traité adéquatement durant son service.4         

     La Cour d'appel, dans une décision rendue le 22 juin 19935, a fait état de la preuve contradictoire quant à la condition du Requérant au moment de son enrôlement mais elle a aussi noté qu'il était constant que l'affection dont souffrait le Requérant n'a pas été consignée lors de l'examen médical effectué avant son l'enrôlement et qu'elle n'a été diagnostiquée que plus de trois mois plus tard.

     La Cour a conclu, se fondant sur les dispositions du paragraphe 21(9) et l'article 108 de la Loi6, que l'affaire devrait être retournée au Tribunal. Le premier jugement rendu par la Cour d'appel avait été rédigé en ces termes :

         La décision attaquée est cassée et l'affaire est retournée au Tribunal pour qu'il le (sic) décide en tenant pour acquis que le montant de la pension à laquelle le Requérant peut avoir droit ne peut pas être réduit au motif que la preuve ne révèle pas assez clairement le lien entre l'incapacité du Requérant et son service militaire.         

     (Je souligne.)

     Quelque jours plus tard, soit le 28 juin 1993, la Cour d'appel après avoir noté que son jugement pouvait porter à confusion, en modifia les termes pour qu'il se lise comme suit :

         La décision attaquée est cassée et l'affaire est retournée au Tribunal pour qu'il la décide en tenant pour acquis que la pension à laquelle le Requérant peut avoir droit suite à l'application du paragraphe 21(9) et de l'article 108 de la Loi sur les pensions ne peut être réduite au motif que la preuve ne révèle pas clairement que la cause de son incapacité est postérieure à son enrôlement.         

     (Je souligne.)

     Suite à cette décision, le Tribunal d'appel a de nouveau examiné l'affaire. Malgré l'effet pourtant clair de la décision de la Cour d'appel, le Tribunal a identifié la question en litige comme suit :

         la seule question en litige est de savoir si la preuve médicale établit que l'affection était, comme il a été conclu par les adjudicateurs, d'origine antérieure à son enrôlement.7,         

et a conclu que la condition du Requérant existait avant son enrôlement.

     Le Requérant a alors demandé le réexamen de cette décision au motif qu'elle ne respectait pas les termes du jugement de la Cour d'appel. C'est suite à cette demande que le Tribunal a, en date du 16 décembre 1994, rendu la décision qui est assujettie à la présente demande de contrôle judiciaire.8

     Dans le cadre de cette décision, le Tribunal a reconnu que sa décision antérieure comportait une erreur. Dans ses motifs, le Tribunal dit accepter la décision de la Cour d'appel et reconnait devoir dorénavant présumer que le Requérant était en bonne santé lors de son enrôlement. Le Tribunal a précisé cependant que cette présomption ne faisait pas en sorte que le Requérant avait nécessairement droit à l'attribution d'une pension à part entière.

     Après avoir considéré la preuve, ainsi qu'une directive médicale de la Commission canadienne des pensions concernant l'hypoacousie et l'otite moyenne, le Tribunal en vint à la conclusion que:

         aucun élément de preuve ne permet de conclure que les fonctions militaires du demandeur ont contribué à l'aggravation de l'affection dans une plus large mesure que celle reconnue par le droit à pension actuel de un cinquième.9         

     Plus précisément, cette décision maintenait la décision antérieure et confirmait que le service militaire du Requérant n'était pas la cause de son invalidité.

II      QUESTIONS EN LITIGE

     Le Requérant prétend que puisque son invalidité est présumée ne pas avoir existée au moment de son enrôlement, il n'était pas loisible au Tribunal de conclure qu'elle n'avait pas pour cause son service militaire. Dans l'alternative, le Requérant prétend qu'à la lumière de la preuve et des présomptions statutaires qui militaient en sa faveur, le Tribunal ne pouvait raisonnablement conclure que le service militaire n'était pas la cause de son invalidité.

III      DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

     Les dispositions de la Loi susceptible d'être utile au dénouement du présent litige sont les suivantes :

         21 (1)      En ce qui concerne le service militaire accompli pendant la Première Guerre mondiale ou pendant la Seconde Guerre mondiale, et sous réserve du paragraphe (2) :         
                  a)      des pensions sont, sur demande, accordées au membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci : [...]         
         21 (2)      En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :         
                  a)      des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- consécutive ou rattachée directement au service militaire;         
         (2.1)      En cas d'invalidité résultant de l'aggravation d'une blessure ou maladie, seule la fraction -- calculée en cinquièmes -- du degré total d'invalidité qui présente l'aggravation peut donner droit à une pension.         
         (3)      Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :         
                  g)      de l'exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l'environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.         
         (9)      Sous réserve du paragraphe (10), lorsqu'une invalidité ou une affection entraînant incapacité d'un membre des forces pour laquelle il a demandé l'attribution d'une compensation n'était pas évidente au moment où il est devenu membre des forces et n'a pas été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement, l'état de santé de ce membre est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l'examen médical, sauf dans les cas suivants :         
                  a)      il a été consigné une preuve que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement;         
                  b)      il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l'invalidité ou l'affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.         
         (108)      La Commission et le comité d'examen appelés à décider de l'admissibilité du requérant à une compensation ou du degré d'invalidité d'un membre des forces appliquent les règles suivantes en matière de preuve :         
                  a)      ils tirent des circonstances et des éléments de preuve qui leur sont présentés les conclusions les plus favorables possible au requérant ou au membre;         
                  b)      ils acceptent tout élément de preuve non contredit que celui-ci leur présente et qui leur semble vraisemblable en l'occurrence;         
                  c)      ils tranchent en faveur du requérant ou du membre toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande.         

     Par ailleurs, l'article 10(5) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants10 prévoit :

         10(5)      Le Tribunal applique les règles suivantes en matière de preuve :         
                  a)      il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à l'appelant;         
                  b)      il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente l'appelant et qui lui semble vraisemblable ou digne de foi en l'occurrence;         
                  c)      il tranche en faveur de l'appelant toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande.         

IV      ANALYSE ET DÉCISION

     D'entrée de jeu, le procureur de l'Intimé a fait remarquer comme l'avait d'ailleurs fait le Tribunal dans sa décision que l'existence de la présomption prévue à l'article 21(9) ne menait pas nécessairement à la conclusion que l'affection du Requérant a été causée par son service militaire. À cet égard, il a porté à mon attention la distinction entre le droit à une pension suite au service militaire en temps de guerre et le droit à une pension suite au service militaire en temps de paix. Dans le premier cas, une pension est accordée en cas d'invalidité causée par une "blessure ou maladie -- ou son aggravation -- survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci"11, alors que dans le deuxième, la cause d'invalidité doit être "consécutive ou rattachée directement au service militaire".12

     C'est donc qu'un pensionné de guerre a droit à une pension à l'égard de toute invalidité dont la cause est survenue pendant le service militaire quel qu'en soit l'origine alors qu'un pensionné de temps de paix doit établir un lien de causalité entre son invalidité et le service militaire. A cet égard, la présomption dont bénéficie le Requérant établie que sa condition n'existait pas avant son service militaire. La preuve révèle par ailleurs que cette condition existait lorsqu'il a quitté le service militaire. On doit donc conclure que sa condition est survenue pendant son service militaire. La présomption est par ailleurs silencieuse quant à la cause de sa condition ce qui laisse donc au Requérant le fardeau d'établir un lien directe entre la cause de sa condition et son service militaire. C'est ce que le Tribunal d'appel a tenté de préciser dans le cadre de sa décision lorsqu'il dit :

         Pour être admissible à une pension aux termes du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, le demandeur doit établir que son travail dans le service militaire ou ses fonctions militaires ont contribué d'une manière ou d'une autre à l'apparition ou à l'aggravation de son affection. En aucune circonstance la présomption quant à l'état de santé aux termes du paragraphe 21(9) ne donne droit à ce qu'on appelle le "principe d'assurance" prévu pour les anciens combattants en temps de guerre aux termes du paragraphe 21(1) de la Loi sur les Pensions .13         

     C'est aussi de toute évidence ce que la Cour d'appel a décidé de clarifier en modifiant la première ordonnance qu'elle a rendue dans cette affaire. Comme on a pu le remarquer, sa première décision était susceptible d'être interprétée comme attribuant à la présomption un effet quant à la cause de l'invalidité alors que la version amendée élimine tout équivoque quant au fait que la présomption a un effet strictement temporel comme l'envisage l'article 21(9).

     Au delà du fait que le Tribunal devait présumer que la condition du Requérant était survenue pendant son service militaire, il incombait donc à ce dernier d'en démontrer la cause. Plus précisément, il devait démontrer que sa condition, ou son aggravation, était "consécutive" ou "rattachée directement" à son service militaire. Le Tribunal a conclu que la condition du Requérant n'avait pas pour cause son service militaire mais que le service militaire avait contribué à son aggravation dans une proportion de 20 pour cent confirmant ainsi la décision antérieure.

     À la lumière de cette courte discussion, il est clair que sur le plan législatif, il était loisible au Tribunal de conclure que le service militaire n'était pas la cause de l'invalidité du Requérant malgré la présomption de bonne santé qui militait en sa faveur. Il est tout aussi clair qu'une telle conclusion n'empêchait pas le Tribunal de conclure par ailleurs que la condition du Requérant avait été aggravée par son service militaire et que le cas échéant, l'article 21(2.1) était applicable.

     La seule question qui demeure est donc celle à savoir si le Tribunal pouvait, de façon raisonnable et sans tomber dans la perversité, conclure comme il le fit selon la preuve qui était devant lui lorsque celle-ci est considérée à la lumière des présomptions statutaires qui militaient en faveur du Requérant.

     Ces présomptions sont au nombre de trois. La première est celle dont nous avons déjà traité et qui fait en sorte que le Requérant était réputé être en bonne santé au moment ou il s'est enrôlé.14 La deuxième est celle prévue à l'article 21(3) de la Loi qui, aux fins de déterminer si une invalidité ou son aggravation est directement rattachée ou consécutive au service militaire, présume qu'il en est ainsi si l'individu a, de par ses fonctions, été exposé à des risques découlant de l'environnement qui auraient pu raisonnablement causer la maladie ou son aggravation. La troisième est celle prévue à l'article 108 de la Loi et 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants qui en matière d'attribution de pension militaire prévoient que :

         1)      les conclusions les plus favorables possible doivent être tirées en faveur du Requérant;         
         2)      toute preuve non contredite présentée par le Requérant doit être acceptée dans la mesure ou elle est vraisemblable;         
         3)      toute incertitude quant au bien-fondé de la demande doit être tranchée en faveur du Requérant.         

    

     Quant à la preuve comme telle, le Tribunal avait devant lui l'opinion du Dr. Langis émise en date du 28 octobre 1986 et qui est à la base de l'attribution partielle de la pension qui fut accordée par le Conseil de Révision en date du 15 mai 1987. On peut y lire ce qui suit :

         Après avoir pris connaissance de votre dossier médical militaire, il ne fait pas de doute, dans mon esprit, que tous les troubles de votre oreille gauche ont débuté dans la R.C.A.F. au cours de votre entraînement, dans des conditions climatiques peu clémentes.15         

     Le Tribunal avait aussi devant lui une Directive médicale de la Commission canadienne des pensions portant sur l'hypoacousie de transmission et l'otite moyenne. Les extraits notés par le Tribunal dans le cadre de sa décision sont les suivant :

         Surdité de transmission         
         La surdité de transmission peut être causée par un bruit excessif ou une explosion ou par un barotraumatisme. Un nombre d'autres causes assez répandues également, mentionnons l'otite externe, l'otite moyenne et l'otosclérose.         
         L'otite externe est une inflammation de la membrane du conduit auditif externe. L'enflure ou l'accumulation de pus dans le conduit peuvent entraîner la surdité de transmission. Cependant, cet état est temporaire, sauf dans un cas exceptionnel; en effet, une forme d'otite externe maligne se manifeste chez certains diabétiques âgés. Cette affection résiste à tout traitement et peut entraîner une surdité de transmission permanente.         
         L'otite moyenne est une inflammation de l'oreille moyenne suite à une infection; on distingue l'otite aiguë et l'otite chronique.         
         L'otite moyenne aiguë se traduit par une douleur vive. Le pus s'accumule dans l'oreille moyenne (otites moyennes aiguës suppurées) et provoque le renflement du tympan. Le tympan peut se perforer pour donner issue au pus et les douleurs cessent alors immédiatement. Il y a surdité de transmission dès l'apparition des premiers symptômes. Un traitement approprié permet de faire disparaître l'infection, puis le tympan perforé se cicatrise et l'ouïe revient à la normale.         
         Qu'il y ait ou non traitement, le tympan peut parfois rester perforé. L'ouïe peut ou non être normale, selon le diamètre et la localisation de la lésion. L'oreille est sujette aux infections à répétition et à l'écoulement de pus. L'otite moyenne passe ainsi à l'état chronique. Cette affection met rarement, sinon jamais, la vie du patient en danger, et se traite souvent avec succès grâce à une intervention chirurgicale (tympanoplastie).         
         L'otite moyenne chronique avec cholestéatomes (polypes) est une affection beaucoup plus grave. Il ne s'agit pas de prime abord d'une otite aiguë, mais bien d'une otite chronique depuis le début. (Certains croient que cette affection résulte de multiples otites aiguës durant l'enfance qui passèrent inaperçues, ne furent pas traitées ou furent mal traitées. D'autres ont même avancé l'hypothèse d'otites moyennes aiguës pendant la vie utérine.)         
         On appelle cholestéatome une excroissance constituée d'épithélium pavimenteux (épiderme) qui grossit, à l'instar d'une tumeur. Non traité, le cholestéatome envahit parfois l'apophyse mastoïde, causant la mastoïdite chronique, les conduits faciaux, entraînant la paralysie faciale et le labyrinthe (oreille interne), causant une infection labyrinthique, accompagnée de vertige et de surdité neurosensorielle. Ces affections risquent de causer une méningite ou un abcès au cerveau, entraînant parfois la mort. Autrefois, ce type d'otite moyenne chronique se traitait par l'ablation radicale de la mastoïde. De nos jours, on opte de préférence pour une tympanoplastie.         
         L'otite moyenne non suppurée est parfois apparentée à l'otite moyenne catarrhale chronique, l'otite moyenne séreuse, l'otite moyenne avec épanchement et autres otites d'intensités diverses. L'oreille moyenne contient un liquide séreux ou mucoïde et il s'ensuit une surdité de transmission qui se guérit avec un traitement approprié. Non traitée, cette affection passe à l'état chronique (otite moyenne adhésive) : de fait, l'oreille moyenne subit une lésion, entraînant une forme de surdité de transmission permanente.         
         Des antécédents reliés aux maux d'oreilles, avant l'enrôlement, ou même des antécédents faisant état d'écoulements par l'oreille ne constituent pas des preuves suffisantes, démontrant la présence d'une otite moyenne chez le sujet. En effet, ces symptômes peuvent s'expliquer de multiples façons. Un mal d'oreille peut même être relié à une autre affection, sans aucun rapport avec l'oreille proprement dite : mentionnons un mal de dents, par exemple. Pour justifier la présence d'une otite moyenne avant l'enrôlement, il faut pouvoir avancer certains facteurs, dont : des antécédents bien documentés; une surdité de transmission diagnostiquée au moment de l'enrôlement, grâce à divers examens (test de la voix, de la conversation à voix basse, de l'audiométrie); un tympan cicatrisé, figé ou perforé (trahissant une maladie de l'oreille moyenne); une cicatrice faisant état de l'ablation de l'apophyse mastoïde.         
         L'otite moyenne est reliée aux activités militaires dans une seule circonstance exceptionnelle, soit s'il y a perforation du tympan suite à une explosion ou à une blessure, provoquant une infection de l'oreille moyenne...16         

     Se fondant principalement sur le dernier paragraphe de cette directive et après avoir précisé que le Dr. Langis n'avait pas expliqué comment une infection bactérienne de l'oreille moyenne a pu être causée par le mauvais temps, le Tribunal en est venu à la conclusion que :

         Du point de vue médical, on ne peut pas soutenir qu'une infection bactérienne de l'oreille ait pu résulter d'une exposition au mauvais temps.17         

C'est ainsi que le Tribunal d'appel a écarté l'opinion exprimée par le Dr. Langis.

     À la lumière de la présomption de bonne santé, le Tribunal devait prendre pour acquis que le tympan du Requérant était intact au moment de son enrôlement, ce qui exclu la possibilité qu'il ait été cicatrisé, figé ou perforé, ou que par ailleurs le Requérant ait été atteint de quelque maladie que ce soit à l'oreille moyenne au moment de son enrôlement

     Par ailleurs, le Tribunal, malgré le fait qu'il en ait diminué l'importance, a accepté le fait que le Requérant avait été exposé à une température inclémente ou pour ainsi dire du "mauvais temps" pendant sa période d'entraînement. Par le biais de la présomption d'origine prévue à l'article 21(3), le Tribunal d'appel devait donc présumer l'existence d'un lieu de causalité entre la maladie du Requérant ou son aggravation et les conditions climatiques auxquelles il fut exposé.

     La preuve par ailleurs telle qu'elle fut acceptée par le Tribunal d'appel révèle que les premiers signes de la maladie se manifestèrent le 22 mars 1954, soit près de quatre mois après le début du service militaire. Le Requérant se plaignait alors de surdité. Puisque l'affection ne semblait pas se dissiper il a été admis à l'hôpital en avril 1954. Une culture sur évolution du pus qui s'accumulait dans son oreille gauche a confirmé la présence de staphylocoques. Le Tribunal a reconnu sans équivoque que le Requérant souffrait alors d'une otite moyenne à l'oreille gauche.

     Quant au reste de la preuve, je ne peu passer sous silence le fait que le Tribunal n'a pu s'empêcher de souligner certains éléments qui suggéraient que la condition du Requérant existait au moment de l'enrôlement. J'ai à l'esprit en particulier l'extrait de l'interrogatoire du 9 octobre 1974 que le Tribunal a choisi de citer ainsi que les énoncés des médecins qui ont examiné le Requérant en 1956 et qui parlent comme le souligne le Tribunal d'une otite "ancienne".18 Il va de soit que le Tribunal se devait de faire abstraction des apparentes convictions qu'il entretenait à l'égard de l'état de santé du Requérant et d'accepter pour les fins de sa décision que la condition du Requérant était survenue suite à son enrôlement et non pas avant.

     Donc, à son arrivée dans les Forces aériennes, le Requérant est présumé avoir été en bonne santé, ce qui signifie qu'il était atteint d'aucune maladie. Quelque mois plus tard, il souffrait d'une otite moyenne à l'oreille gauche. La cause de cette maladie ou condition sur le plan temporel devrait donc se situer entre le moment de son enrôlement en décembre 1953 et celui de la première manifestation de sa condition en mars 1954.

     Par ailleurs, la preuve révèle que pendant ce temps, le Requérant a subi son entraînement et qu'il a été exposé aux éléments. Je note qu'il s'agissait de la période hivernale. Le Tribunal d'appel se devait donc de présumer un lien de causalité entre les intempéries auxquelles fut exposé le Requérant pendant son entraînement et l'otite moyenne dont les premiers signes se sont manifestés durant cette période dans la mesure ou les intempéries pouvaient raisonnablement être la cause de cette condition. A cet égard, Dr. Langis, otolaryngologiste, avait exprimé avoir "aucun doute" quant à l'existence d'un tel lien.

     Malgré ceci, le Tribunal a persisté à ne voir aucun lien entre la cause de la condition du Requérant et sa période d'entraînement. Se fondant strictement sur la directive médicale qui stipule que l'otite moyenne est reliée aux activités militaires que "s'il y a perforation du tympan suite à une explosion", et s'appuyant sur le fait que le Requérant n'avait pas été exposé à des explosions, il a conclu que la cause ne pouvait être liée à sa période d'entraînement.

     Par contre, puisque l'existence de la maladie du Requérant en date du mois d'avril ou mars 1954 est acquise, et puisque suivant la présomption de bonne santé, le facteur causal doit se situer entre ce moment et celui de son enrôlement, quoi d'autre pouvait expliquer la survenance de sa condition si ce ne sont les intempéries auxquelles il fut exposé pendant son entraînement? Je note à cet égard que selon la preuve, le Requérant n'a été exposé à aucune autre cause possible.19 Cette preuve quant à l'existence d'une seule cause identifiable est à la fois non contredite et vraisemblable. Il s'en suit que selon la présomption prévue à l'article 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, le Tribunal se devait de la tenir pour avérée. En vertu de la preuve une seule cause se présentait donc au Tribunal pour expliquer la condition du Requérant, soit les intempéries hivernales auxquelles le Requérant avait été exposées pendant son entraînement.

     Gardant à l'esprit le fait que le Tribunal se devait au surplus de tirer de la preuve les conclusions les plus favorables possible au Requérant et de trancher toute incertitude en sa faveur, le Tribunal ne pouvait pas raisonnablement conclure comme il le fit. A mon point de vue, seul un refus non admis de la part du Tribunal d'accepter de donner effet à la présomption voulant que le Requérant était en bonne santé lors de son enrôlement peut expliquer la décision à laquelle il en est arrivé.

     La directive médicale sur laquelle s'est fondé le Tribunal énonce des règles d'application générale qui ne peuvent être appliquées aveuglement et sans égard à la preuve. De toute évidence, l'auteur de la directive n'avait pas à l'esprit une situation où toute cause d'otite est exclue sauf celle reliée à l'environnement et au mauvais temps pendant la période hivernale. Le Dr. Langis lui avait par contre cette situation précise à l'esprit et c'est dans ce contexte qu'il a conclu "qu'il ne fait pas de doute que tous les troubles de votre oreille gauche ont débuté dans la R.C.A.F. au cours de votre entraînement, dans des conditions climatiques peu clémentes".20 Le Tribunal a, dans sa décision, reproché au Dr. Langis de ne pas avoir expliqué comment une infection bactérienne de l'oreille a pu être causée par le mauvais temps. Le reproche est superflu puisque selon l'hypothèse retenue par le Dr. Langis aux fins de son opinion, la condition du Requérant ne pouvait s'expliquer autrement.21

     J'en viens donc à la conclusion que le Tribunal d'appel ne pouvait raisonnablement conclure que la cause de l'otite moyenne du Requérant, par opposition à son aggravation, n'était pas consécutive ou directement rattachée à son service militaire. Le dossier est donc retourné au Tribunal pour qu'il puisse décider de la pension auquelle a droit le Requérant en prenant ce lien de causalité pour acquis.

     L'avocat du Requérant a demandé que l'Intimé soit condamné à payer ses frais au motif que le Tribunal aurait volontairement contrecarré les droits de son client et en particulier la décision de la Cour d'appel. Je suis forcé de constater que le Tribunal eu un comportement entêté et n'a pas pu faire abstraction de ses

convictions quant à l'origine de la condition du Requérant. Mais je ne suis pas prêt pour autant à lui attribuer de la mauvaise foi. Je refuse donc d'accorder des frais dans l'instance.

     Par contre, je note que dans le cours normal des choses, le Requérant n'aurait droit à sa pleine pension qu'à partir de trois ans de la date à laquelle son droit est confirmé. Le Tribunal peut, cependant, s'il est d'avis qu'une pension devrait être accordée à partir d'une date antérieure, accorder une compensation supplémentaire. Dans les circonstances de cette affaire, et en particulier ayant égard à la decision du 10 décembre 1993 qui a de toute évidence retardé indûment le droit du Requérant à sa pleine pension, j'ose espérer (tout en reconnaissant que la décision lui appartient) que le Tribunal choisira d'exercer sa discrétion en faveur du Requérant et accordera au Requérant une compensation supplémentaire.

     Marc Noël

     Juge

Le 1er novembre 1996

Ottawa, Ontario

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. P-6. [ci-après la "Loi"].

     2      Cahier des décisions, à la p. 17. Cette décision fut par la suite modifiée pour préciser que le Requérant souffrait non pas seulement d'un mal d'oreille mais d'une otite moyenne gauche avec mastoïdectomie et hypoacousie. (Voir cahier des décisions, à la page 16)

     3      Cahier des décisions, à la p. 14.

     4      Avis introductif d'instance, déposé le 21 octobre 1991, Dossier de l'intimé, à la page 2.

     5      Cahier des décisions, à la page 2.

     6      Vue que l'affaire émanait du Tribunal d'appel des anciens combattants, le Cour avait à l'esprit non pas l'article 108 de la Loi , mais l'article 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants qui est au même effet.

     7      Cahier des décisions, à la page 5.

     8      Cahier des décisions, à la page 8.

     9      Cahier des décisions, à la page 12.

     10      L.R.C. (1985), ch. 20 (3e suppl.).

     11      Art. 21(1)a) de la Loi.

     12      Art. 21(2)a) de la Loi.

     13      Cahier des décisions, à la page 11.

     14      Art. 21(9) de la Loi.

     15      Dossier à la page 51, Annexe C.

     16      Cahier des décisions, aux pages 10 et 11.

     17      Cahier des décisions, à la page 12.

     18      Cahier de décisions, aux pages 9 et 12.

     19      Mis à part les exercices de tir au fusil mitrailleur pendant son entraînement.

     20      Dossier, Annexe C, page 51.

     21      L'hypothèse en question est celle selon laquelle le Requérant était en bonne santé lors de son enrôlement et a été exposé aux intempéries hivernales lors de son entraînement. Le Dr. Langis avait expressément étalé cette hypothèse comme condition sous-jacente à l'opinion qu'il a exprimée. Dossier, Annexe C, page 52.

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