Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     T-26-97

Entre :

     SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET

     ÉDITEURS DE MUSIQUE DU CANADA,

     demanderesse,

     et

     348803 ALBERTA INC. ET

     DAMIR ZORANIC,

     défendeurs.

     RAPPORT RELATIF AU RENVOI

             En ce qui concerne le montant des dommages-intérêts et des dépens que la demanderesse peut exiger des défendeurs pour la période du 1er janvier 1994 au 9 janvier 1997.                         

JOHN A. HARGRAVE

PROTONOTAIRE

     Le présent renvoi, qui fait suite à la désignation de l'administrateur de la Cour le 12 mars 1997 aux fins de la détermination des profits, dommages-intérêts et dépens que doivent la société 348803 Alberta Ltd. et Damir Zoranic à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique du Canada (la Société des compositeurs), découle de l'action intentée par la demanderesse afin d'obtenir une reddition de compte et diverses autres réparations pour l'utilisation de musique protégée par droit d'auteur, y compris des redevances payables conformément aux tarifs applicables publiés dans le Supplément à la Gazette du Canada. Ces demandes de réparation se fondent sur un jugement rendu le 20 février 1997 en faveur de la Société des compositeurs à la suite du défaut, par la partie adverse, de présenter une défense.

     Le renvoi a été entendu à Vancouver (C.-B.) dans l'après-midi du 24 juin 1997. Les défendeurs sont donc maintenant débiteurs du jugement prononcé contre eux et suivant lequel ils doivent payer à la demanderesse les profits, dommages-intérêts, intérêts et frais qui seront déterminés dans le cadre du présent renvoi conformément aux règles 500 à 507 des Règles de la Cour fédérale. Bien que des avis suffisants aient été donnés à l'occasion aux défendeurs pour les aviser de la présente instance, y compris du présent renvoi, personne n'a comparu pour les représenter.

TARIFS APPLICABLES

     La Société des compositeurs est le seul organisme de perception des droits autorisé par la Commission du droit d'auteur du Canada à octroyer des licences et à percevoir les droits de licence des parties qui souhaitent procéder à l'exécution publique, au Canada, d'oeuvres musicales protégées par un droit d'auteur. Les tarifs et les droits sont autorisés par les articles 67 à 67.2 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42. La Commission du droit d'auteur publie chaque année, dans la Gazette du Canada, les droits que peut percevoir la Société des compositeurs. Ces droits sont présentés sous forme de tarifs. Le tarif pertinent en l'espèce est le tarif 18 qui s'applique à la musique enregistrée pour la danse. Voici les tarifs applicables dans la présente affaire : pour l'année 1994, ceux fixés le 13 août 1994, pour l'année 1995, ceux fixés le 11 mars 1995 et, enfin, pour l'année 1996, ceux fixés le 21 septembre 1996. Les éléments de preuve déposés par la demanderesse montrent que l'établissement des défendeurs est toujours en exploitation, mais pas que l'on y joue actuellement de la musique enregistrée. Par conséquent, aucune réclamation n'est faite à l'égard de l'année 1997.

MÉTHODE D'ÉVALUATION

     La réparation demandée en l'espèce nécessite qu'on détermine le montant d'une redevance ou d'un droit de licence à titre de dommages-intérêts, la portion des profits nets revenant à la Société des compositeurs ainsi que le montant de dommages-intérêts exemplaires.

Dommages-intérêts

     Lorsqu'il est de pratique courante de délivrer des licences pour l'utilisation d'une oeuvre, de la musique en l'espèce, les dommages-intérêts peuvent être fixés en fonction des redevances ou des droits de licence applicables. Les droits de licence visant la musique sont calculés à l'aide de nombres et de taux donnés qui figurent dans les tarifs de la Commission du droit d'auteur ainsi que de diverses statistiques relatives aux activités du titulaire de la licence. Dans les cas où le seul droit de licence ne constitue pas une réparation appropriée, des dommages-intérêts généraux peuvent aussi être accordés : voir l'affaire Hay v. Sloan (1957), 27 C.P.R. 132, à la page 140 (H.C. Ont.).

Profits

     La réparation ne prend pas nécessairement fin avec les dommages-intérêts. En effet, dans les affaires de violation de droit d'auteur, elle peut également comprendre, à la discrétion du tribunal, le calcul des profits. Ce redressement est indirectement évoqué au paragraphe 34(1.01) de la Loi sur le droit d'auteur, dans le contexte d'une reddition de compte, et il est expressément prévu au paragraphe 35(1) de la Loi. J'ai traité les dommages-intérêts et les profits comme des réparations cumulatives, et non comme des redressements constituant une alternative.

     Or, il existe une proposition à l'effet contraire dans l'ouvrage de Hughes intitulé Copyright and Industrial Design (Butterworths) relativement à la mise à jour de 1997 portant sur l'article 55 selon laquelle les dommages-intérêts et les profits constituent, en ce qui concerne les droits d'un artiste interprète, des redressements qui ne peuvent être cumulés :

     [TRADUCTION]         
     Lorsqu'on examine les droits d'un artiste interprète, les réparations sont quelque peu différentes en ce sens que le droit à des dommages-intérêts n'est pas conféré en plus du droit aux profits, mais plutôt à titre subsidiaire... (point 34-3/97, à la page 602).         

Cette question nécessite un examen plus approfondi. Le seul renvoi fait dans Hughes concerne le paragraphe 34(1.01) de la Loi sur le droit d'auteur, modification de 1994 qui semble avoir été ajoutée aux modifications de l'Organisation mondiale du commerce apportées au cours de cette même année. Voici les versions française et anglaise du paragraphe 34(1.01) :

     Le tribunal, saisi d'un recours en violation des droits de l'artiste interprète, peut, sous réserve du paragraphe (1.02), accorder au titulaire de ces droits les réparations qu'il pourrait accorder par voie d'injonction, de dommages-intérêts, de reddition de compte, de restitution ou autrement, et que la loi prévoit ou peut prévoir pour la violation d'un droit.         
     In any proceedings for an infringement of a performer's right, the court may, subject to subsection (1.02), grant to the owner of the performer's right all remedies by way of injunction, damages, accounts or delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right. [Non souligné dans l'original.]         

Je ne suis pas convaincu que cette modification change la position canadienne selon laquelle les recours civils offerts par la Loi sur le droit d'auteur sont cumulatifs. Il faut souligner que, dans la version anglaise de cette disposition, on emploie le terme "or" tandis que celui-ci n'apparaît pas dans la version anglaise du paragraphe 34(1) qui autorise le titulaire d'un droit d'auteur à exercer "[...] all remedies by way of injunction, damages, accounts and otherwise" ("[...] tous les recours, par voie d'injonction, dommages-intérêts, reddition de compte ou autrement" en français). En outre, le paragraphe 34(1) ne mentionne pas de manière expresse que le paiement des profits constitue une réparation.

     Plusieurs points doivent être abordés pour trancher cette question. Premièrement, le terme "or" qui apparaît dans la version anglaise peut être soit disjonctif ou conjonctif, selon le contexte : voir, par exemple, l'affaire Leach c. Commission des plaintes du public contre la GRC (1992), 45 F.T.R. 35, aux pages 43 à 46. Deuxièmement, l'interprétation d'une disposition législative doit se faire à la lumière des autres parties du texte législatif :

     [TRADUCTION]         
     De même, il ne fait aucun doute que, pour interpréter le libellé d'une disposition législative, nous avons la possibilité et même l'obligation de prendre en compte les autres parties du texte législatif qui sont susceptibles de révéler l'intention du législateur et de montrer que la disposition en cause ne doit pas être interprétée comme elle le serait si elle était examinée à l'exclusion des autres dispositions de la Loi. Colquhoun v. Brooks (1889), 14 A.C. 493, à la page 506 (C.L.).         

Dans l'arrêt Upper Lakes Group Inc. c. Office national des transports (1995), 181 N.R. 103, à la page 111, la Cour d'appel fédérale met à jour ce principe d'interprétation législative en renvoyant à un concept analogue : "La méthode moderne d'interprétation d'une loi se fonde sur l'interprétation des mots selon le contexte [...]". Elle approuve en outre la façon dont E.A. Driedger a formulé cette approche dans la deuxième édition de son ouvrage intitulé Construction of Statutes , Toronto, Butterworths, 1983, à la page 87 :

     [TRADUCTION]         
     De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut : les mots d'une loi doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur.         

     L'application de cette approche pour trancher la question de savoir s'il est possible de cumuler les dommages-intérêts et les profits rend donc nécessaire l'examen des paragraphes 34(1.01) et 35(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Les profits ne constituent pas une réparation aux termes du paragraphe 34(1.01) de la Loi qui prévoit la communication des documents relatifs aux ventes et à la comptabilité. En fait, la demande concernant les profits découle indirectement du renvoi qui est fait au paragraphe 34(1.01) par le biais des termes "ou autrement". Il faut donc s'en remettre au paragraphe 35(1) qui précise clairement que les profits s'ajoutent aux dommages-intérêts. Cette disposition de la Loi sur le droit d'auteur énonce sans équivoque que le titulaire d'un droit d'auteur sur une oeuvre contrefaite peut obtenir des dommages-intérêts et, en sus, "[...] telle proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits que le contrefacteur a réalisés en commettant cette violation du droit d'auteur". J'ai par conséquent traité la confiscation d'une portion des profits réalisés par les défendeurs comme une réparation s'ajoutant aux dommages-intérêts que constitue le recouvrement des droits de licence.

     En un sens, la comptabilisation des profits est un redressement qui relève de l'equity, bien que sa reconnaissance dans la Loi sur le droit d'auteur en ait fait un redressement légal qui doit être appliqué équitablement. Il faut donc déterminer les gains réalisés par les défendeurs grâce à leur utilisation illicite du bien de la demanderesse, somme qui sera accordée à cette dernière1. En l'espèce, il faut toutefois se rappeler que la comptabilisation des profits a lieu dans le cadre d'un jugement par défaut où il est précisé que la comptabilisation est accordée à titre de réparation : l'issue aurait bien pu être différente si les défendeurs avaient comparu.

Estimation des droits de licence et des profits

     Comme aucun représentant n'a comparu pour les défendeurs et qu'il n'y a eu aucun accès aux dossiers de ces parties, il est impossible decalculer avec exactitude les droits de licence exigibles et les profits. Par conséquent, je dois faire de mon mieux pour les calculer : voir à titre d'exemple Performing Rights of Canada Ltd. v. 497227 Ontario Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 289, à la page 293. De même, dans l'arrêt Alma Veneer Felt Company Ltd. v. Fisher (1896), 14 R.P.C. 159, le lord juge Lindley de la Cour d'appel devait se prononcer sur une affaire dans laquelle la partie défenderesse avait omis de produire des registres dignes de foi. Il a renvoyé au principe voulant que le tribunal doive faire de son mieux et laisser la partie fautive subir les injustices susceptibles de découler de cette mesure :

     [TRADUCTION]         
     Que peut-on faire? Allons-nous dire à la partie demanderesse qui a droit à des redevances: "Comme nous ne pouvons déterminer les sommes en jeu à cause de l'omission, par la partie défenderesse, de remplir son obligation, nous ne vous accorderons rien" ou plutôt: "Nous ferons de notre mieux et laisserons la partie fautive subir l'injustice qui pourrait en découler"? Cette dernière possibilité a toujours été le principe sur lequel les tribunaux se sont fondés (page 167).         

     La Cour suprême du Canada a adopté le même point de vue dans l'arrêt Wood c. Grand Valley Railway Co. (1915), 22 D.L.R. 614, à la page 618, où il était question non pas de redevances mais plutôt de dommages-intérêts :

     [TRADUCTION]         
         Il était manifestement impossible, à la lumière des faits de cette instance, d'estimer avec un tant soit peu d'exactitude mathématique les dommages subis par les parties demanderesses. Cependant, il m'apparaît avoir été établi sans équivoque par les juges saisis de l'affaire que cette impossibilité ne peut avoir pour effet "de soustraire la partie fautive à la nécessité de payer des dommages-intérêts pour manquement à ses obligations contractuelles", d'une part, et que le tribunal devant procéder à cette estimation, qu'il s'agisse d'un jury ou d'un juge, doit alors "faire de son mieux" et sa décision ne pourra être annulée même si la "somme accordée se fonde sur des suppositions", d'autre part.         

En résumé, il n'est pas inopportun de calculer les dommages-intérêts et les profits de manière approximative, particulièrement si la nécessité de procéder ainsi découle de l'omission de la partie défenderesse de comparaître et de protéger ses intérêts par la communication des renseignements et des documents appropriés.

Éléments de preuve présentés par la demanderesse

     Plutôt que de deviner les profits de façon totalement arbitraire, l'avocat de la Société des compositeurs a invoqué quatre décisions récentes2 à partir desquelles il a préparé un tableau de comparaison montrant le ratio entre les droits de licence prévus par la loi et les profits qui ont été accordés dans chaque cas. J'ai retravaillé certaines des données en ce sens que, dans les deux affaires touchant la Société des compositeurs, les exploitants des cabarets exigeaient également de leurs clients un prix d'entrée élevé; en l'espèce, rien n'indique que l'établissement des défendeurs, le Blue Diamond Restaurant and Checkers Lounge, situé à Ft. McMurray (Alberta), imposait un prix d'entrée à leurs clients. Dans trois cas, les arbitres ont attribué 50 p. 100 des profits nets de l'exploitation à la musique. Dans le quatrième cas, le pourcentage retenu était de 75 p. 100. Il s'agit là de pourcentages importants.

     Les commerces exploités dans ces quatres affaires analysées par l'avocat sont analogues à celui visé en l'espèce, sous réserve du fait que la partie défenderesse dans chacune de ces instances utilisait de la musique en direct. D'une part, on pourrait avancer que ce genre de musique est plus intéressante et qu'elle est susceptible d'attirer davantage de clients prêts à dépenser, donnant ainsi lieu à des profits bruts plus élevés que le permettrait la musique enregistrée. D'autre part, les coûts engagés pour retenir les services de musiciens constituent un poste de dépense considérable que les arbitres dans trois des affaires ont évalués à 25 p. 100 des profits bruts. Je me fonde donc sur l'hypothèse que le premier élément annule plus ou moins le second et que le ratio entre les droits de licence et la portion des profits nets devant être accordée au titulaire du droit d'auteur demeure assez constant, que l'établissement utilise de la musique en direct ou enregistrée. Il importe de signaler que l'éventail des ratios entre les droits de licence et la portion des profits nets accordée au propriétaire de la musique utilisée est plutôt étroit, soit entre 15,2 et 21,33 fois les droits de licence.

     Je me suis également demandé s'il était opportun d'utiliser la moyenne des ratios établis dans les trois seules affaires où les arbitres ont accordé 50 p. 100 des profits nets au titulaire du droit d'auteur et de ne pas tenir compte de l'instance où cette proportion a été fixée à 75 p. 100. Il est intéressant de mentionner que, dans ce dernier cas, la décision d'accorder 75 p. 100 des profits nets donnait lieu au ratio le moins élevé parmi les quatres affaires. Un ratio plus faible favorise légèrement les défendeurs. J'ai donc décidé d'utiliser les quatres exemples pour calculer un ratio moyen. Les résultats obtenus sont suffisamment près les uns des autres pour le ratio moyen, soit 18,38, constitue une base de calcul valable. Toutefois, avant d'utiliser ce ratio, je dois déterminer quels sont les droits de licence pour les trois années en question.

     Pour m'aider à calculer les droits de licence pour les années 1994 à 1996, la demanderesse a déposé un affidavit signé par Wayne Saunders, représentant itinérant du service des licences de la Société des compositeurs. Je signale qu'il possède une expérience considérable dans son domaine.

     M. Saunders déclare s'être rendu au Blue Diamond Restaurant and Checkers Lounge des défendeurs les 5 et 6 juin 1992, les 11 et 12 mars 1994, les 9 et 10 novembre 1995, les 3 et 4 mai 1996 de même que les 8 et 9 mai 1997. La partie de l'établissement réservée au Checkers Lounge peut recevoir 250 clients et comporte une piste de danse. M. Saunders précise que, au moins pour une bonne partie de la période allant de 1992 à la fin de 1996, le Checkers Lounge bénéficiait soit d'un animateur qui faisait jouer de la musique enregistrée, soit de musique de danse enregistrée lorsqu'il n'y avait pas d'animateur.

     Pour calculer le montant des dommages-intérêts, j'ai utilisé les droits de licence habituels, soit ceux fixés par le tarif 18 publié dans le Supplément à la Gazette du Canada. Je vais maintenant examiner la question du calcul des droits de licence.

CALCUL DES DROITS DE LICENCE

     La somme payable selon le tarif 18, qui porte sur les droits de licence applicables à la musique de danse enregistrée, se fonde sur le nombre de clients que l'on peut admettre dans les locaux des défendeurs et le nombre de jours par semaine où le commerce est exploité, soit pendant une période de six mois ou moins, soit pendant une période de plus de six mois. Les locaux des défendeurs relèvent de la catégorie des entreprises qui sont exploitées de quatre à sept jours par semaine pendant plus de six mois par année.

     Le taux de base de la licence ou de la redevance s'applique aux locaux qui ne peuvent recevoir plus de 100 personnes. Pour chaque tranche de 20 clients additionnels (ou une partie de celle-ci), le taux de base est majoré de 20 p. 100. En ce qui concerne les locaux des défendeurs, qui peuvent recevoir 250 personnes, les droits de licence correspondent donc à 260 p. 100 des droits de licence de base.

     La réclamation de la Société des compositeurs vise les années 1994 à 1996 inclusivement. Comme M. Saunders s'est rendu aux locaux des défendeurs en 1992, en mars 1994 et à diverses autres occasions depuis ce temps, je présume que l'exploitation de ce commerce était continue. Par conséquent, la totalité des droits de licence sont payables pour 1994, 1995 et 1996.

     En résumé, j'ai calculé les droits de licence pour les années complètes de 1994 à 1996 comme si le bar-salon était exploité de quatre à sept jours par semaine. J'ai donc utilisé les droits de licence de base majorés de 160 p. 100 afin de tenir compte des 150 clients de plus que peut recevoir l'établissement comparativement à la tranche de base de 100 clients prévue par le tarif.

     Voici les calculs :

     1994              334,93 $ x 260 % =      868,40 $
     1995              347,34 $ x 260 % =      903,08 $
     1996              359,72 $ x 260 % =      935,27 $
                                 __________
         Total                          2 706,75 $
         TPS (7 %)                      193,72 $
                                 __________
         TOTAL                      2 900,47 $

CALCUL RELATIF AUX PROFITS

     Comme je l'ai signalé plus haut, accorder les profits réalisés grâce à la contrefaçon constitue un redressement en equity qui est devenu, sous le régime du paragraphe 35(1) de la Loi sur le droit d'auteur, un redressement prévu par la loi. Il s'agit de confisquer et de transférer à la demanderesse la portion des profits qu'ont réalisés les défendeurs par le biais de leur utilisation non autorisée des oeuvres de cette dernière. J'ai décidé de recommander ce transfert des profits, en plus des dommages-intérêts, parce que le simple fait d'accorder des droits de licence habituels et des frais judiciaires fondés sur le tarif ne dédommagerait pas adéquatement la demanderesse pour le temps qu'elle a dû consacrer à la défense de ses droits et les inconvénients qui lui ont été causés. Il est donc opportun de transférer une partie des profits. Il est par contre plus difficile de tirer une conclusion quant à la valeur que présente la musique de la demanderesse pour les défendeurs.

     Dans une affaire de 1917, Victor Herbert v. Shanley Company, publiée dans (1917) 61 Law. Ed. 511, M. le juge Holmes de la Cour suprême des États-Unis a reconnu la valeur inhérente de la musique pour un restaurant. Il y était question de la violation, par le biais d'une interprétation en direct dans un restaurant de Broadway, de l'oeuvre de M. Herbert intitulée "Sweethearts". La partie défenderesse a soutenu qu'il n'y avait pas de violation puisqu'aucun prix d'entrée n'était exigé des clients et que ces derniers n'avaient qu'à payer leur repas et leur boisson. Le texte d'une partie du dernier paragraphe des motifs est notamment utile :

     [TRADUCTION]         
     Les interprétations de la partie défenderesse ne constituent pas de la charité. Elles font partie d'un tout pour lequel les clients payent, et le fait que le prix de ce tout soit attribué à un élément donné pour lequel on s'attend à ce que les personnes présentes [595] placent des commandes n'a pas d'importance. Il est vrai que la musique n'est pas le seul objet de leur présence, mais la nourriture non plus; ils pourraient probablement l'obtenir à meilleur prix ailleurs. Ils viennent plutôt s'offrir un repas dans un cadre qui leur donne, parce que la conversation est nécessairement limitée ou qu'ils n'apprécient pas le bruit rival, un plaisir somptueux qu'ils ne pourraient avoir à manger dans un endroit silencieux. Si la musique ne rapportait pas, on n'en ferait pas jouer. Et si elle rapporte, c'est parce que les clients payent. Qu'elle soit lucrative ou non, la musique est utilisée pour réaliser un profit, ce qui est suffisant (page 514).         

     Il importe peu que les défendeurs n'imposent aucun droit particulier, un prix d'entrée par exemple, pour la musique qu'offre leur établissement. La musique donne une ambiance agréable à ce genre d'établissements. Elle ajoute une certaine valeur au commerce des défendeurs, sinon ils auraient cesser d'en faire jouer. Je dois maintenant déterminer, de façon approximative, quelle est cette valeur.

     Plus haut dans le présent rapport, j'ai mentionné certains ratios, entre les profits et les droits de licence prévus par la loi, qui se fondent sur quatre affaires où la partie demanderesse était soit la Société de droits d'exécution du Canada Ltée. ou, comme en l'espèce, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique du Canada. J'ai également expliqué en quoi chacune de ces quatre affaires étaient analogues à la présente instance, certaines distinctions évidentes ayant pour effet de s'annuler les unes les autres.

     Afin de simplifier les calculs, j'ai ramené le ratio de 18,38 à 18. Par conséquent, la portion des profits nets que j'ai attribuée à la musique et qui, selon mes recommandations, devrait être accordée au titre des profits à la demanderesse correspond à 18 fois les droits de licence exigibles pour chaque année :

         1994 -      18 x 868,40 $ =          15 631,20 $
         1995 -      18 x 903,08 $ =          16 225,44 $
         1996 -      18 x 935,27 $ =          16 834,86 $
                                 ___________
                 Total                  48 721,50 $

INTÉRÊT AVANT JUGEMENT

     Les droits de licence pour une année donnée sont réputés payables d'avance le 31 janvier de l'année en question. Dans les faits, la Société des compositeurs établit un estimé des droits de licence fondé sur les droits de l'année précédente et envoie une facture datée du 31 janvier applicable à l'année en cours. Je présume que la facture est payable dans les 30 jours et que les intérêts commencent à courir une fois ce délai expiré.

     L'avocat de la demanderesse a fourni certains documents préparés par la Banque du Canada qui présentent les taux préférentiels hebdomadaires des banques à charte pour les trois années en cause. Les taux préférentiels ont été généralement faibles, stables, avec une tendance à la baisse au cours des dernières années. Les taux moyens que j'ai utilisés sont les suivants :

     1994 jusqu'à la date du jugement par défaut      6,25 %
     1995 jusqu'à la date du jugement par défaut      6,1 %
     1996 jusqu'à la date du jugement par défaut      5,5 %

Il s'agit de chiffres arrondis mais, compte tenu de la somme en jeu, ils conviennent pour mes besoins. Le même taux d'intérêt doit s'appliquer aux profits qui, selon mes recommandations, devraient être accordés à la demanderesse.

     Si on applique les taux susmentionnés, les intérêts en date du 27 février 1997, date du jugement par défaut, sont les suivants :

     Année

     Explication

     Somme

     1994

Les droits de licence sont de 929,19 $ (comprenant la TPS) auxquels il faut ajouter des intérêts de 6,25 % pendant 36 mois

         174,22 $

     1995

Les droits de licence sont de 966,30 $ (comprenant la TPS) auxquels il faut ajouter des intérêts de 6,1 % pendant 24 mois

     117,89 $

     1996

Les droits de licence sont de 1 000,74 $ (comprenant la TPS) auxquels il faut ajouter des intérêts de 5,5 % pendant 12 mois

     63,05 $

    

Total

     355,16 $     

     De même, je recommande l'application de taux d'intérêt identiques en ce qui concerne les profits. Cependant, l'intérêt ne devrait commencer à courir qu'à la fin de l'année puisque, en pratique, c'est à ce moment que les profits et les pertes sont déterminés. Par conséquent, je recommande que les intérêts suivants soient accordés à la demanderesse relativement aux profits :



     Année

     Explication

     Somme

     1994

Intérêts sur les profits accordés : 15 631,20 $ au taux de 6,1 % pendant 26 mois

     2 064,88 $

     1995

Intérêts sur les profits accordés : 16 255,44 $ au taux de 5,5 % pendant 14 mois

     1 041,97 $

     1996

Intérêts sur les profits accordés : 16 834,86 $ au taux de 4,75 % pendant 2 mois

     132,99 $

Total

     3 239,84 $

DOMMAGES-INTÉRÊTS EXEMPLAIRES

     Dans sa déclaration, la Société des compositeurs demande des dommages-intérêts exemplaires. Ce genre de dommages-intérêts, aussi appelés dommages-intérêts punitifs, ne sont pas de nature compensatoire. Ils visent plutôt à punir et ils doivent être assez élevés pour agir comme mesure dissuasive.

     Dans l'arrêt Vorvis c. ICBC, [1989] 1 R.C.S. 1085, la Cour suprême du Canada traite des dommages-intérêts exemplaires aux pages 1107 et 1108. M. le juge McIntyre, rédigeant l'opinion de la majorité, affirme ce qui suit :

     De plus, il n'est possible d'accorder des dommages-intérêts punitifs qu'à l'égard d'un comportement qui justifie une peine parce qu'il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Je ne prétends pas avoir énuméré tous les qualificatifs aptes à décrire un comportement susceptible de justifier l'attribution de dommages-intérêts punitifs, mais de toute façon, pour que de tels dommages-intérêts soient accordés, il faut que le comportement soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d'être condamné et puni.         

     La Cour suprême du Canada a associé cette notion de peine à celle de l'effet dissuasif dans l'arrêt Hill c. Église de scientologie, [1995] 2 R.C.S. 1130, aux pages 1208 et 1209. Le critère appliqué par la Cour suprême consistait à déterminer si la conduite de la partie défenderesse était à ce point outrageante qu'il était rationnellement nécessaire d'accorder des dommages-intérêts punitifs dans un but de dissuasion (voir les pages 1290 et 1210).

     Très récemment, la Cour d'appel fédérale a attribué des dommages-intérêts exemplaires dans l'arrêt Profekta International Inc. c. Theresa Lee, décision non publiée datée du 30 avril 1997 et rendue dans le cadre de l'action A-23-96. Il s'agissait de la violation continue d'un droit d'auteur pour laquelle il y avait eu condamnation pénale et avertissements par la demanderesse. La défenderesse avait adopté une attitude irresponsable en déclarant qu'elle préférait dépenser 5 000 $ en frais juridiques plutôt que de respecter le droit d'auteur et de conclure une entente de licence. En outre, les dommages-intérêts accordés à titre compensatoire étaient modestes compte tenu des avantages financiers que tirait la défenderesse de la violation du droit d'auteur et des profits additionnels qu'elle a réalisés en ne payant pas de droits de licence. La Cour d'appel fédérale a conclu qu'"il convenait d'accorder des dommages-intérêts punitifs en plus des dommages-intérêts compensatoires afin de punir l'intimée pour sa conduite et de dissuader celle-ci et d'autres personnes d'adopter un comportement similaire à l'avenir" (page 4). La Cour a accordé des dommages-intérêts punitifs s'élevant à 10 000 $.

     En l'espèce, j'estime qu'il est opportun d'accorder des dommages-intérêts punitifs pour un certain nombre de raisons. Premièrement, les éléments de preuve établissent que la demanderesse s'est rendue aux locaux des défendeurs à cinq occasions pendant une période de plus de quatre années pour demander à ces derniers de payer volontairement les droits de licence applicables. Deuxièmement, la Société des compositeurs a fourni à quelques reprises aux défendeurs des formules de droits de licence. Troisièmement, la Société des compositeurs, et plus tard leurs avocats, a envoyé une dizaine de lettres aux défendeurs -- des lettres accompagnées de la formule de droits de licence, des lettres de suivi, des lettres expliquant les mesures qui seraient prises si les droits de licence n'étaient pas payés et, enfin, peu de temps avant l'introduction de la présente poursuite, une lettre des avocats. Il semble que toutes ces lettres aient été ignorées. Quatrièmement, l'affidavit de documents mentionne que le défendeur, Damir Zoranic, a jeté la demande de licence aux ordures et subséquemment déclaré qu'il n'avait aucune intention de payer des droits de licence. Enfin, les défendeurs, bien qu'amplement avisés des présentes poursuites, ont quand même choisi de les ignorer, ce qui a entraîné des frais additionnels pour la demanderesse. Je constate également que, même si de nombreux établissements utilisant de la musique " pour laquelle la Société des compositeurs perçoit une redevance " payent les droits de licence fixés, d'autres ne le font pas et l'attribution de dommages-intérêts exemplaires en l'espèce pourrait donc être susceptible d'avoir un effet dissuasif sur ceux qui utilisent la musique des autres sans payer.

     Compte tenu de ma recommandation d'accorder des profits importants à la demanderesse, j'ai diminué ce qui autrement aurait constitué une attribution plus importante de dommages-intérêts punitifs. Toutefois, c'est le genre de dommages-intérêts qui s'imposent en guise d'avertissement à ceux qui voudraient tirer avantage de la propriété d'autrui et qui non seulement ignorent ensuite les demandes de paiement de droits de licence applicables, mais font fi des droits du titulaire d'un droit d'auteur de manière délibérée et flagrante, ou encore à ceux qui ne veulent pas coopérer ou font preuve de mépris. Je recommande donc l'attribution de dommages-intérêts exemplaires s'élevant à 5 000 $.

TAXATION DU MÉMOIRE DE FRAIS

     L'avocat de la Société des compositeurs a présenté un mémoire de frais raisonnable. Il a utilisé un nombre d'unités moyen au titre de la colonne III et il n'a réclamé que les débours fondamentaux, qui sont adéquatement étayés. Les frais de signification demandés sont élevés, mais cette situation s'explique par le fait que le huissier, à trois occasions, a dû non seulement signifier les documents au siège social de la société défenderesse situé à Edmonton, mais aussi au défendeur lui-même à Ft. McMurray (Alberta). Si les défendeurs avaient donné des instructions à un avocat lorsque la déclaration leur a d'abord été signifiée, et ainsi fourni une adresse pour les fins de la signification, cette partie des débours aurait été de près de 500 $ moins élevée. Une copie du mémoire de frais s'élevant à 2 808,80 $ est jointe aux présentes à l'annexe A. Je recommande qu'il soit accepté sans modification.

CONCLUSION

     Je recommande à la Cour d'accorder à la demanderesse les sommes suivantes :

1.      Droits de licence (comprenant la TPS)      2 900,47 $
2.      Intérêts sur les droits de licence      355,16 $
3.      Profits nets attribuables à l'utilisation
     de la musique de la demanderesse      48 721,50 $
4.      Intérêts sur les profits nets      3 239,84 $
5.      Dommages-intérêts exemplaires      5 000,00 $
6.      Frais et débours      2 808,80 $

     ___________

     Total      63 025,77 $

Les défendeurs devraient être solidairement responsables du paiement de cette somme.

     Je remercie l'avocat de la demanderesse pour avoir déposé des éléments de preuve utiles et présenté l'affaire de façon complète.

     (Signature) "John A. Hargrave"

     Protonotaire

Le 3 juillet 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme :      ________________________

     C. Bélanger, LL.L.

     Annexe A

     Page 1 de 2

     NO DU GREFFE T-26-97

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

ENTRE :

     SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET

     ÉDITEURS DE MUSIQUE DU CANADA,

     DEMANDERESSE,

     ET

     348803 ALBERTA LTD. et DAMIR ZORANIC,

     DÉFENDEURS.

     MÉMOIRE DE FRAIS DE LA DEMANDERESSE

     (Tarif B - Colonne III)

Poste          Service taxé                          Unités
1.          Préparation et dépôt de la
         déclaration                          5
4.          Préparation et dépôt de la
         requête pour obtenir jugement              3
13.          Préparation du renvoi (qu'il
         soit ou non entendu)                      3
         Présence lors du renvoi
         (1 heure)                          2
25.          Préparation et dépôt de la
         demande de nomination d'un
         arbitre                          1
25.          Préparation de l'exposé des
         points en litige dans le
         cadre du renvoi                      1
25.          Préparation de la requête pour
         obtenir l'heure et l'endroit de
         l'audition du renvoi                      1
26.          Taxation des frais                      2
                                     _________
             Total des unités = 18 à 100 $          1 800,00 $
             TPS (7 %) =                  126,00 $
                                     __________
             Total partiel                      1 926,00 $

     Annexe A

     Page 2 de 2

Débours

a)      Dépôt de la déclaration
         Frais judiciaires          50,00 $
         Mandataire pour le dépôt      17,00 $
         TPS                  1,19 $          68,19 $
b)      Dépôt de la demande d'audition
     du renvoi                              50,00 $
c)      Dépôt du dossier certifié et de
     la requête pour obtenir l'heure
     et l'endroit de l'audience du
     renvoi
         Frais judiciaires          50,00 $
         Mandataire pour le dépôt      17,00 $
         TPS                  1,19 $          68,19 $
d)      Dépôt de l'exposé des points en
     litige dans le cadre du renvoi
         Mandataire pour le dépôt      14,00 $
         TPS                  0,98 $          14,98 $
e)      Huissier (comprenant la TPS)
         Déclaration              206,36 $
         Jugement et exposé des
         points en litige          234,18 $
         Requête pour obtenir
         l'heure et l'endroit de
         l'audience du renvoi      240,90 $          681,44 $
                                     __________
                     Total partiel              882,80 $
     TOTAL      Services taxables (comprenant la TPS)1 926,00 $
             Débours                      882,80 $
                                     __________
             TOTAL                      2 808,80 $

__________________

1Pour un examen approfondi de ces questions, voir le volume 2 du Annotated Canadian Copyright Act, ouvrage à feuilles mobiles publié par Carswell sous la direction de Richard et Carriere, de même que le document préparé par Emma Grell intitulé "Civil and Criminal Remedies for Copyright Infringement" qui est paru dans Copyright and Confidential Information Law of Canada , publié par Carswell en 1994 sous la direction de Henderson.

2Performing Rights Organization of Canada Ltd. v. 497227 Ontario Ltd. (1986) 11 C.P.R. (3d) 289, Performing Rights Organization of Canada Ltd. v. Transon Investment Co. Ltd. (1987) 13 C.P.R. (3d) 97, Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada v. Port of Call Restaurant Limited, décision non publiée datée du 18 mars 1996, numéro de greffe T-59-95, et Society of Composers v. Capri Management Limited, décision non publiée datée du 18 mars 1996, numéro de greffe T-291-95.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.