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Date : 19980831


Dossier : T-2742-97

ENTRE


WILLIAM L. WOO,


demandeur,


et


LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES,


défenderesse.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1]      Ces motifs découlent d"une ordonnance péremptoire relative à la gestion de l"instance portant que le demandeur, M. Woo, doit présenter une requête le 28 août 1998 conformément à l"alinéa 385(1)b ) des Règles de la Cour fédérale en vue de la production du témoignage oral d"un expert, à défaut de quoi le témoignage de l"expert serait présenté sous la forme d"un affidavit à l"audition de l"instance en octobre. Le 28 août, l"avocate du demandeur a expliqué que M. Woo essayait encore d"obtenir des fonds de tiers aux fins du témoignage d"un expert relativement à la consommation de marijuana à des fins médicales et qu"elle ne pouvait donc pas présenter la requête.

[2]      Il est toujours possible de prolonger la durée d"une ordonnance péremptoire conditionnelle dans les circonstances appropriées, mais ce n"est pas ici le cas. D"où l"ordonnance qui a été rendue à la fin de l"audience, portant qu"aucun témoignage oral ne sera présenté lorsque la demande sera entendue à l"automne. Il faut néanmoins donner des explications, et exposer en premier lieu certains faits pertinents.

HISTORIQUE

[3]      La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Woo découle du fait que la Commission nationale des libérations conditionnelles a fait savoir qu"elle annulerait la libération conditionnelle de M. Woo en raison d"une inobservation d"une condition de la libération conditionnelle, à savoir que M. Woo devait s"abstenir de consommer des médicaments vendus sans ordonnance, soit dans ce cas-ci, de la marijuana. Dans son avis de requête introductive d"instance du 18 décembre 1997, M. Woo dit qu"on a prescrit l"utilisation de la marijuana pour traiter un glaucome.

[4]      Le 31 mars 1998, M. Woo a obtenu une ordonnance interlocutoire empêchant la Commission nationale des libérations conditionnelles de suspendre la libération conditionnelle [TRADUCTION] " [...] pour consommation de marijuana à des fins médicales tant que l"action ne serait pas entendue ".

[5]      La Commission nationale des libérations conditionnelles, qui s"inquiétait de ce qu"on tarde à entendre l"affaire et de ce que la consommation de marijuana par M. Woo puisse mener à une activité criminelle et embarrasser toutes les personnes concernées, a demandé avec succès, à la mi-juillet, que l"instance soit gérée à titre d"instance spéciale.

[6]      La première conférence de gestion de l"instance a eu lieu le 4 août 1998. L"une des questions examinées se rapportait au fait que M. Woo voulait produire le témoignage oral d"un expert en plus de présenter la preuve habituelle par affidavit; j"aimerais ici faire remarquer qu"à ce jour, M. Woo n"a pas déposé l"affidavit de son expert. Quoi qu"il en soit, la production d"un témoignage oral est une question que l"avocate a tenté de soulever lorsque la Cour a entendu la requête interlocutoire visant au sursis de toute suspension de la libération conditionnelle, en mars 1998 : il a été statué que la demande visant à la production d"un témoignage oral était prématurée.

[7]      À la conférence de gestion du 4 août 1998, les avocats ont convenu que la requête visant à la production d"un témoignage oral serait présentée au cours de la séance spéciale le 18 août. Le 18 août, l"avocate de M. Woo, qui avait omis de tenir compte du fait que l"inscription de la requête au rôle était obligatoire, n"était pas en mesure de poursuivre l"affaire. De plus, M. Woo avait de la difficulté à obtenir des fonds de tiers pour financer l"instance. L"avocate de la Commission nationale des libérations conditionnelles s"inquiétait de ce que le retard puisse empêcher la tenue de l"audience en octobre. D"où la nature péremptoire de l"ordonnance fixant au 28 août la date de l"audition de la présente requête.

[8]      Le 28 août, l"avocate de M. Woo n"était toujours pas en mesure de poursuivre l"instance. Elle a exprimé son inquiétude au sujet de ce qui, selon son client, était une hâte excessive préjudiciable de la part de la Cour à gérer l"instance de façon que l"audience ait lieu en octobre. L"avocate de M. Woo a demandé un autre ajournement de la requête visant la production d"un témoignage oral. D"où le présent examen de la nature d"une ordonnance péremptoire et de la question de savoir si, compte tenu des circonstances, il est approprié d"accorder un autre ajournement.

EXAMEN

[9]      Dans l"arrêt La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Le navire N/M Norango [1976] 2 C.F. 264, Monsieur le juge Urie, au nom de la Cour d"appel, a souligné qu"aucun juge ne pouvait limiter son pouvoir ou celui d"un autre juge en rendant une ordonnance obligatoire (p. 268).

[10]      Dans l"arrêt Samuels v. Linzi Dresses Ltd. [1981] 1 Q.B. 115, la Cour d"appel anglaise, qui se fondait en partie sur la décision The Queen v. Bloomsbury and Marylebone County Court: Ex parte Villerwest Ltd. [1976] 1 W.W.R. 362, de la Cour d"appel, a expressément fait remarquer que : [TRADUCTION] " [...] le droit, de nos jours, est le suivant : un tribunal a le pouvoir de prolonger le délai lorsqu"une ordonnance conditionnelle a été rendue, mais qu"elle n"a pas été observée; cependant, le tribunal devrait exercer ce pouvoir avec prudence et en tenant dûment compte de la nécessité de respecter le principe selon lequel les ordonnances sont rendues pour être observées et non pour qu"il n"en soit pas tenu compte. " (p. 126)

[11]      Par la suite, Monsieur le juge Walsh a examiné un cas dans lequel on avait violé une ordonnance péremptoire visant à la présentation de détails, l"action devant être rejetée sans qu"une autre ordonnance soit rendue si les détails n"étaient pas fournis. Dans cette affaire-là, Jupiter International Ltd. c. Dart Containerline Co. Ltd. [1982] 2 C.F. 800, le juge a accordé une prolongation de plusieurs jours en vue de la signification des détails, ces détails ayant été préparés dans le délai imparti mais, par suite d"une inadvertance, n"ayant pas été transmis à la défenderesse.

[12]      En déterminant si le demandeur, en l"espèce, a démontré que des motifs suffisants justifiaient la prolongation du délai dans lequel il pouvait présenter sa requête, j"ai tenu compte d"une part de la question de savoir si la justice exige qu"une prolongation soit accordée, et d"autre part de la mise en garde que la Cour d"appel avait formulée dans l"arrêt Linzi , à savoir qu"une dispense, en cas de manquement à une ordonnance péremptoire, même dans le cas d"un retard de quelques jours seulement, n"est pas automatiquement accordée, car la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire avec prudence, en tenant dûment compte de la nécessité de respecter le principe selon lequel les ordonnances sont rendues pour être observées et non pour qu"on omette d"en tenir compte.

[13]      La nature du contrôle judiciaire est telle que la Cour devrait faire connaître sa décision aux parties dans un délai raisonnable; en fait, cela veut dire qu"il faut statuer avec toute la célérité possible et le moins possible d"obstacles et de retards du type de ceux qu"il est fréquent de rencontrer dans les procès : voir par exemple Canada c. MacInnis [1994] 2 C.F. 464, aux pages 470-471 (C.A.F.). C"est la raison pour laquelle des délais sont prévus dans les Règles . Lorsque la présente instance a commencé, les anciennes Règles s"appliquaient, et en vertu de ces règles, les affidavits du demandeur devaient être déposés en même temps que l"avis de requête. Les affidavits d"experts du demandeur auraient dû être déposés en décembre 1997, lorsque les présentes procédures ont été engagées.

[14]      Le demandeur était probablement prêt à débattre la question du témoignage oral en mars 1998, mais le juge a refusé d"examiner l"affaire pour le motif qu"elle était prématurée. L"avocate de M. Woo a convenu de la date à laquelle la requête serait entendue lors de la conférence de gestion de l"instance qui a eu lieu le 4 août 1998. Une séance spéciale obligatoire devait avoir lieu. Cette requête-là a été ajournée une fois à la demande de l"avocate du demandeur. Lorsqu"elle a demandé un deuxième ajournement, l"avocate n"a pas présenté d"observations écrites au sujet de la demande d"ajournement ou du fond de la requête. Elle a présenté, au moyen d"un affidavit, certains documents portant sur la question de l"ajournement, mais il y en avait fort peu.

[15]      En ce qui concerne la défenderesse, un retard additionnel, relativement à la question du témoignage oral, pourrait influer sur la date de l"audience et, d"une façon générale, embarrasser toutes les personnes concernées. La présente procédure de contrôle judiciaire traîne maintenant depuis environ huit mois. Elle se rapporte non seulement à une question à l"égard de laquelle le demandeur a obtenu une ordonnance interlocutoire empêchant la Commission nationale des libérations conditionnelles de révoquer la libération conditionnelle, mais aussi à une question d"une importance plus générale. Je ne crois pas que la défenderesse ou la Cour se hâtent indûment lorsqu"elles insistent pour que l"audience soit tenue en octobre, une dizaine de mois après que la demande de contrôle judiciaire a été présentée.

[16]      L"avocate de M. Woo soutient qu"un préjudice a été subi parce que son client n"a pas encore pu obtenir d"un tiers les fonds nécessaires pour couvrir ses dépenses et, pour ce motif, l"ajournement de la présente requête a été demandé. Pourtant, le fait qu"une personne attend d"obtenir des fonds, dans le contexte de l"aide juridique (et la situation n"est pas différente dans ce cas-ci) n"est certainement pas une excuse pour laisser expirer un délai :

     Il a été dit maintes fois qu'attendre la confirmation d'une aide juridique n'est pas une excuse adéquate pour permettre qu'un délai prescrit passe. Ce principe est pratiquement gravé sur pierre. Le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale a, à ce sujet, tenu les propos suivants :         
         Je ne suis pas disposé à accorder une prolongation d'une durée indéterminée. L'économie de la Loi sur l'immigration et des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration quant au traitement expéditif des demandes d'autorisation est on ne peut plus claire. On ne peut permettre que la mise en marche dilatoire des demandes d'aide juridique, les retards avec lesquels sont fournies les lettres d'opinion, qui, l'avocat le sait fort bien, seront exigées, et le temps sans cesse plus long que prennent certains comités d'aide juridique pour traiter de telles demandes fassent échec à l'économie de la Loi et des Règles. Comme j'ai eu l'occasion de le faire remarquer dans une autre demande de prolongation, [TRADUCTION] " le programme du Comité d'aide juridique du comté de Middlesex et de London ne peut dicter à la Cour comment appliquer la loi et ses règles ". (à la page 159)         
     Ce principe a été confirmé dans Rafique c. Canada (M.E.I.), (T-992-92) (17 septembre 1992), Awogbade c. Canada (M.C.I.), (1995) 94 F.T.R. 184, Morales c. Secrétaire d'État, (1995) 91 F.T.R. 299, Ho c. Canada (M.C.I.) (IMM-1150-95) (1er août 1995) et Mesidore c. Canada (M.C.I.) (IMM-3109-95) (29 janvier 1996). Le juge Teitelbaum a fait remarquer que "le fait d'attendre l'autorisation du Régime d'aide juridique n'est pas en soi une raison assez bonne pour accorder la prorogation du délai". (Mihailitsenko et al. c. Canada (M.E.I.) (IMM-100-93) (19 mars 1993). Kiani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1997) 124 F.T.R. 299, à la p. 301).         

Dans la décision Kiani, Monsieur le juge Muldoon a reconnu que le fait d"attendre des fonds ne constitue pas à lui seul un motif suffisant de faire prolonger un délai. Il s"est ensuite demandé si le demandeur avait des motifs soutenables et si l"autre partie allait subir un préjudice du fait de la prolongation du délai.

[17]      En l"espèce, je ne dispose pas de suffisamment d"éléments pour déterminer si les motifs invoqués par M. Woo sont soutenables, car aucun affidavit d"expert n"a été versé au dossier. Je ne dispose pas non plus d"autres documents suffisants, produits au moyen d"un affidavit, portant sur la question du témoignage oral projeté d"un expert en vue d"être en mesure de déterminer si cet élément de preuve peut rendre les motifs soutenables.

[18]      En ce qui concerne la Commission nationale des libérations conditionnelles, si j"autoriserais un autre ajournement de la requête, cela lui causerait certainement un préjudice. Premièrement, ajourner la requête encore une fois pourrait bien influer sur la date de l"audience, qui doit être tenue en octobre. Deuxièmement, cela pourrait bien embarrasser la Commission nationale des libérations conditionnelles et lui causer un préjudice si ses craintes s"avéraient justifiées et si M. Woo faisait face à certaines difficultés par suite de la présumée inobservation des conditions de la libération conditionnelle. Troisièmement, laisser la Commission nationale des libérations conditionnelles dans le doute à cette date tardive au sujet de la nature du témoignage oral d"expert projeté, puisqu"aucun affidavit d"expert n"a été déposé, serait clairement préjudiciable.

CONCLUSION

[19]      Un délai fixé dans une ordonnance péremptoire n"est certes pas toujours absolu. Cependant, dans ce cas-ci, il n"existe aucun motif suffisant justifiant l"octroi d"une autre prolongation du délai fixé dans une ordonnance péremptoire qui, à juste titre, a été rendue pour qu"on l"observe et non pour qu"on omette d"en tenir compte. Tout bien considéré, il convient dans ce cas-ci de confirmer l"ordonnance péremptoire. Tout témoignage d"expert, pour le compte de M. Woo, devrait être produit au moyen d"un affidavit. Bien sûr, cette décision est rendue sous réserve de toute requête que M. Woo pourrait présenter en vue d"obtenir l"autorisation de déposer les affidavits d"experts tardivement et de toute opposition que la Commission nationale des libérations conditionnelles pourrait formuler.

[20]      Les avocates n"ont pas présenté d"observations au sujet de l"adjudication des dépens. À toutes fins utiles, il ne servirait à rien d"adjuger maintenant les dépens contre M. Woo. Les dépens suivront l"issue de la cause.


(Sign.) " John A. Hargrave "

PROTONOTAIRE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 31 août 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :              T-2742-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      William L. Woo c. la Commission nationale des libérations conditionnelles
LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 28 août 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE EN DATE DU 31 AOÛT 1998.

ONT COMPARU :

Donna Turko                  pour le demandeur
Donnaree Nygard              pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Turko & Currie              pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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