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Date : 20000731


Dossier : IMM-850-99


ENTRE :



ABDIKARIM ABDULLE AHMED


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction

[1]      Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent chargé de la révision des revendications refusées (l'ACRRR) du ministère du défendeur a conclu que le demandeur n'appartenait pas à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC) au sens attribué à cette expression au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 19781. La décision de l'ACRRR est datée du 4 février 1999.

[2]      La décision de l'ACRRR était fondée sur la conclusion selon laquelle le demandeur, dont le statut de réfugié au sens de la Convention n'avait pas été reconnu, était en outre une personne qui, si elle était renvoyée dans son pays d'origine, en Somalie, ne serait pas [TRADUCTION] « [...] assujettie à un risque objectivement identifiable en ce qui concerne sa vie, au point de vue des sanctions extrêmes ou du traitement inhumain qui lui seraient infligés, risque qui s'appliquerait dans chaque partie de ce pays et auquel les autres individus qui sont dans ce pays ou qui viennent de ce pays ne font pas généralement face, à part le fait que ce risque est attribuable à l'incapacité de ce pays de fournir des services de santé ou des services médicaux adéquats » .

Les faits

[3]      Le demandeur est arrivé au Canada en venant d'une façon indirecte de la Somalie le 15 mars 1992. Il a été interrogé au point d'entrée et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a fondé sa revendication sur son appartenance au sous-clan Habar Gedir du clan Hawiye en Somalie et plus précisément sur le fait qu'il avait refusé d'être recruté dans les milices pendant qu'il était en Somalie et qu'il n'avait pas fait de contributions aux milices somaliennes pendant qu'il était au Canada. Il n'était pas contesté que le demandeur est atteint de schizophrénie et de dépression, et il n'était apparemment pas contesté non plus, du moins en ce qui concerne la révision de la revendication refusée, que le demandeur n'a pas de soutien familial identifiable en Somalie.

La décision en cause

[4]      Dans les motifs qu'il a invoqués à l'appui de la décision ici en cause, l'ACRRR a noté les risques susmentionnés énumérés par le demandeur, à part le fait que celui-ci n'a pas de soutien familial en Somalie, et il a également noté que le demandeur avait affirmé qu'il serait en danger partout en Somalie à cause de l'instabilité continue qui règne dans ce pays, ce qui a pour effet de rendre [TRADUCTION] « illusoire ou imprévisible » la sécurité dans diverses régions. L'ACRRR a noté [TRADUCTION] « [...] plusieurs contradictions et incohérences évidentes dans les renseignements fournis par le demandeur dans les notes prises [...] au point d'entrée, dans le Formulaire de renseignements personnels [...], et dans le témoignage présenté à l'audience tenue par la SSR » .

[5]      Voici ce que l'ACRRR a conclu :

[TRADUCTION]
- le demandeur n'est plus en Somalie depuis au moins sept ans; aucun élément de preuve convaincant ne montre qu'un groupe ou un individu particulier voudrait poursuivre le demandeur ou s'en prendre à lui à son retour en Somalie;
- même si la preuve documentaire montre qu'en Somalie, la situation en matière de droits de la personne est loin d'être bonne, cela ne suffit pas en soi pour en arriver à une conclusion favorable;
- pour tirer pareille conclusion, il doit exister un lien entre la situation personnelle du demandeur et la situation dans le pays; or, dans le cas ici en cause, il n'existe aucun lien de ce genre;
- à la suite d'un examen minutieux de l'ensemble de la preuve, je conclus que le demandeur serait peut-être en danger s'il retournait dans une région où un clan autre que le sien exerce un contrôle, mais selon la preuve documentaire, certaines régions de la Somalie sont contrôlées par le clan du demandeur, qui serait donc en mesure de fournir à celui-ci une protection au besoin;
- compte tenu de la preuve contradictoire présentée par le demandeur, je ne puis conclure qu'il serait en danger par suite des tentatives antérieures qui ont été faites en vue de le recruter dans une milice pendant qu'il était encore en Somalie, ou parce qu'il n'a pas fait de contributions financières à son sous-clan pendant qu'il résidait au Canada;
- même s'il n'y a pas de gouvernement national efficace en Somalie, plusieurs autorités de fait contrôlent des régions particulières du pays; par conséquent, il ne serait pas inhumain ou déraisonnable pour le demandeur de trouver une région où son clan exerce un contrôle;
-en outre, même si, dans les observations soumises dans le cadre de la révision de la revendication refusée, il est dit que le demandeur serait plus vulnérable à cause de la maladie mentale dont il est atteint, on ne saurait conclure qu'une personne appartient à la catégorie des DNRSRC en se fondant sur l'incapacité du pays en cause de fournir des services de santé ou des services médicaux adéquats.
                                     [Je souligne.]

Analyse

[6]      En ce qui concerne deux motifs liés l'un à l'autre, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie eu égard à la situation particulière du demandeur.

[7]      L'ACRRR s'est clairement fondé sur les notes qui avaient été prises au point d'entrée lorsque le demandeur a été admis au Canada, près de sept ans avant la date de sa décision. Il n'a pas été contesté devant moi que les notes prises au point d'entrée n'étaient jamais entrées en ligne de compte dans l'examen du statut du demandeur au Canada aux fins de l'immigration. De fait, après avoir reçu les motifs à l'appui de la décision de l'ACRRR, le demandeur a attesté qu'au mieux de sa connaissance, il n'avait jamais vu les notes qui avaient été prises au point d'entrée, que ces notes n'avaient jamais été soumises lors de l'audience visant à déterminer s'il était un réfugié au sens de la Convention et qu'elles ne faisaient pas partie du dossier dans cette audience-là. Il a en outre attesté que ces notes ne lui avaient pas été communiquées avant que son avocate présente des observations à l'appui de sa demande d'établissement à titre de membre de la CDNRSRC. En outre, les notes qui ont été prises au point d'entrée n'ont jamais été fournies au demandeur ou à son avocate après la présentation des observations qui ont été faites à l'appui de la demande de révision de la revendication refusée et avant qu'il soit décidé de rejeter cette demande.

[8]      Dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, Monsieur le juge Evans a dit ce qui suit au paragraphe 38 :

Vu les conséquences potentiellement graves pour une personne qui est renvoyée dans un pays où, contrairement au rapport de l'agent de révision, il y a un risque sérieux de torture, la correction accrue de la décision qui est susceptible de résulter du fait d'accorder à l'intimé le droit procédural recherché en l'espèce [ c'est-à-dire la communication du rapport et la possibilité de le commenter] justifie tout retard administratif que cela pourrait occasionner. Afin de minimiser les retards, il serait opportun que les agents d'immigration donnent aux demandeurs un délai relativement court pour présenter leurs observations écrites au sujet du rapport.

[9]      Je suis convaincu qu'il serait possible de dire exactement la même chose au sujet des notes qui ont été prises au point d'entrée en l'espèce compte tenu des faits particuliers de l'affaire, à savoir le fait qu'il y a bien longtemps que le demandeur a été admis au Canada, qu'il est bien connu que la situation est instable en Somalie, que les notes prises au point d'entrée n'ont jamais été portées à la connaissance du demandeur lorsqu'il a été en contact avec le bureau d'immigration ainsi que le fait que le demandeur est atteint d'une maladie mentale. Compte tenu de ces faits particuliers, je suis convaincu que l'ACRRR a violé l'obligation d'équité qui lui incombait envers le demandeur en omettant de communiquer les notes prises au point d'entrée sur lesquelles il entendait se fonder et de fournir au demandeur la possibilité de faire des observations au sujet des contradictions et incohérences entre ces notes d'une part et le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage présenté à l'audience visant à déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention d'autre part.

[10]      Dans les motifs de sa décision, l'ACRRR a fait les remarques suivantes :

[TRADUCTION]
Selon les observations qu'il a faites dans le cadre de la révision de la revendication refusée, le demandeur est atteint de schizophrénie et de dépression, de sorte qu'il serait encore plus vulnérable s'il retournait en Somalie.

Le fait que le demandeur n'a pas de soutien familial en Somalie n'a pas été mentionné dans les motifs. L'ACRRR n'a examiné ni l'une ni l'autre de ces questions dans ses motifs, si ce n'est qu'il a fait remarquer ce qui suit dans la partie précitée des motifs : [TRADUCTION] « [...] on ne saurait conclure qu'une personne appartient à la catégorie des DNRSRC en se fondant sur l'incapacité [de la Somalie] de fournir des services de santé ou des services médicaux adéquats. » Bien sûr, telle n'était pas la préoccupation exprimée pour le compte du demandeur. Le demandeur se préoccupait de ce que, en l'absence de soutien familial, et à cause de son état mental en particulier, il serait particulièrement vulnérable compte tenu de la situation instable qui existe en Somalie. Je suis convaincu qu'il s'agissait d'une préoccupation primordiale exprimée pour le compte du demandeur et que l'omission de l'ACRRR d'examiner la question dans ses motifs, étant donné la situation fort particulière du présent demandeur, constituait une erreur additionnelle susceptible de révision.

Conclusion

[11]      Compte tenu de l'analyse qui précède, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'ACRRR qui est ici en cause est infirmée et l'affaire est renvoyée au défendeur pour réexamen conformément aux présents motifs.

Certification d'une question

[12]      Le défendeur disposera d'un délai de sept jours à compter de la date de ces motifs pour signifier et déposer des observations au sujet de la certification d'une question grave de portée générale. Par la suite, le demandeur disposera d'un délai de sept jours pour déposer et signifier des observations en réponse. Si des observations sont ainsi signifiées et déposées en réponse, le défendeur disposera d'un délai additionnel de trois jours pour déposer et signifier une réponse à ces observations.





                             « Frederick E. Gibson »                                      J.C.F.C.


TORONTO (ONTARIO)

Le 31 juillet 2000


Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  IMM-850-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ABDIKARIM ABDULLE AHMED
                         et
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 27 JUILLET 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON EN DATE DU 31 JUILLET 2000.


ONT COMPARU :

Ann McRae                      pour le demandeur

Ann Margaret Oberst              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rexdale Community Legal Clinic          pour le demandeur

215-1530, chemin Albion

Etobicoke (Ontario)

M9V 1B4

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1 DORS/78 - 172.

2[2000] A.C.F. no 854 (QL) (C.A.F.).

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