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Date : 20030929

Dossier : IMM-4706-02

Référence : 2003 CF 1114

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                   RAJARANI MURUGAMOORTHY

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                 Rajarani Murugamoorthy prétend qu'elle a été persécutée par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) et par la police au Sri Lanka. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d'asile parce qu'il n'a pas cru qu'elle avait été maltraitée par les TLET. Mme Murugamoorthy ne conteste pas cet aspect de la décision de la Commission. Celle-ci a aussi considéré que la police avait exercé de la discrimination à l'endroit de Mme Murugamoorthy, mais qu'elle ne l'avait pas persécutée. Selon Mme Murugamoorthy, la Commission a commis une erreur de droit, et elle demande qu'une nouvelle audience soit tenue afin que cet aspect de sa demande puisse être réexaminé par un tribunal différemment constitué. Je conviens qu'une nouvelle audience est nécessaire.

[2]                 Mme Murugamoorthy a dit qu'elle a été arrêtée à deux reprises, en 1996 et en 2000. Lors des deux occasions, la police l'a placée en détention, l'a interrogée et l'a remise en liberté après l'avoir mise en garde, sans toutefois la maltraiter. La police réagissait ainsi aux actes terroristes commis par les TLET et ne s'intéressait pas à elle en particulier. En fait, la police arrêtait des Tamouls âgés habituellement entre 16 et 30 ans. Mme Murugamoorthy avait 54 ans. Elle semble avoir été prise dans un filet de sécurité assez étendu.

[3]                 La Commission a analysé cet aspect de sa demande d'asile à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Elle prétendait citer un extrait de cette jurisprudence lorsqu'elle a dit que « la Section de première instance de la Cour fédérale [...] a souligné que "de courtes détentions visant à empêcher les troubles ou combattre le terrorisme ne constituent pas de la persécution" » .


[4]                 La Commission a mentionné deux décisions dont cet extrait était tiré : Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 883 (QL) (1re inst.), et Mahalingam c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1140 (QL) (1re inst.). Or, cet extrait ne s'y trouve pas. Ces deux décisions traitent cependant des arrestations effectuées aux fins de l'application de la loi. Dans ces deux affaires, la police avait arrêté et battu les demandeurs d'asile pour protéger l'ordre public. La Commission avait conclu que la police ne les avait pas persécutés puisque ses actes étaient justifiés par des préoccupations légitimes en matière de sécurité à l'époque. La Cour a décidé que les décisions de la Commission n'étaient pas déraisonnables.

[5]                 Peu de temps après que ces décisions ont été rendues, la Cour d'appel fédérale a statué que la police n'a jamais le droit de battre des personnes en détention : Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (QL) (C.A.F.). Dans cette affaire, la police avait arrêté le demandeur à deux reprises et l'avait battu. La Cour a statué que la détention du demandeur et les coups qu'il avait reçus n'étaient pas justifiés, même si l'état d'urgence avait été décrété au Sri Lanka à l'époque.

[6]                 Il me semble que la Commission a retenu seulement le bref énoncé mentionné ci-dessus de son examen de la jurisprudence. Cet énoncé, qui figure dans de nombreuses décisions de la Commission (voir, par exemple, Q.W.T. (Re), [2002] D.S.S.R. no 15, au paragr. 17), est tiré de Brar et de Mahaligam, mais on peut s'interroger sur la valeur de précédent de ces décisions depuis l'arrêt Thirunavukkarasu. Je crois que l'approche qu'il faut adopter est celle qui a été décrite dans Velluppillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 301 (QL) (1re inst.), au paragr. 15, où le juge Gibson reconnaît qu'en général de courtes détentions à des fins légitimes d'application de la loi ne constituent pas de la persécution. La Commission doit toutefois tenir compte également de la situation particulière du demandeur, notamment de facteurs comme son âge et ses expériences, pour décider s'il a été persécuté. Or, la Commission ne l'a pas fait dans le cas de Mme Murugamoorthy.

[7]                 Par conséquent, j'estime que la Commission a commis une erreur en déclarant que les arrestations de courte durée à des fins de sécurité ne peuvent constituer de la persécution, même si elles sont, comme ici, effectuées d'une manière discriminatoire. La Commission a reconnu expressément que les autorités sri-lankaises exercent de la discrimination à l'endroit des Tamouls, et elle a conclu que la police avait effectivement agi de cette façon à l'égard de Mme Murugamoorthy.

[8]                 Je sais que la Commission a aussi considéré que d'autres éléments de la définition de persécution étaient absents. Elle a dit que Mme Murugamoorthy n'avait pas démontré que la police l'avait gravement maltraitée en la privant d'un « droit fondamental » et qu'elle l'avait fait de manière répétée. La Commission n'a cependant pas expliqué pourquoi le fait de priver une personne de sa liberté n'impliquait pas la restriction d'un « droit fondamental » . Elle n'a pas précisé non plus pourquoi deux arrestations n'étaient pas suffisantes et n'a pas pris en considération la possibilité que la police réserve de nouveau le même traitement à Mme Murugamoorthy dans l'avenir.

[9]                 Dans ces circonstances, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu'un tribunal différemment constitué de la Commission réexamine la demande de Mme Murugamoorthy.


[10]            L'avocat de Mme Murugamoorthy a aussi prétendu que les États qui effectuent des arrestations arbitraires le font en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les États peuvent déroger aux obligations que celui-ci leur impose pour des raisons de sécurité nationale, mais en faisant seulement ce que les circonstances exigent et sans se livrer à de la discrimination. S'ils agissent autrement, ils persécutent les personnes arrêtées. L'avocat n'a pas fait référence à la jurisprudence, mais il s'est fondé sur l'ouvrage du professeurJames C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991, aux p. 109 et 110).

[11]            Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question. Il ne conviendrait pas non plus que j'énonce les questions de droit générales proposées par l'avocat de Mme Murugamoorthy.

                                                                        JUGEMENT

LA COUR DÉCIDE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          L'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle.

3.          Aucune question d'importance générale n'est énoncée.

                                                                                                                                   « James W. O'Reilly »          

                                                                                                                                                                 Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4706-02

INTITULÉ :                                                    RAJARANI MURUGAMOORTHY

                                                                                                                                                  demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le mercredi 9 juillet 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Monsieur le juge O'Reilly

DATE DES MOTIFS :                                  Le lundi 29 septembre 2003

COMPARUTIONS :                                     

Micheal Crane                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

Micheal Crane                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

166, rue Pearl

Bureau 200

Toronto (Ontario) M5H 1L3

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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