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     Date : 19980123

     Dossier : T-2408-91

OTTAWA (Ontario), le 23 janvier 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

E N T R E :

     MERCK & CO. INC. et

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

     et

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR la requête présentée le 31 janvier 1997 au nom de la défenderesse en vue d'obtenir une ordonnance :

     1.      Modifiant le paragraphe 3 du jugement de première instance rendu le 22 décembre 1994, tel qu'il a été modifié par la Cour d'appel dans son jugement du 19 avril 1995 modifié le 16 mai 1995 (le jugement de première instance), pour interdire à Apotex de contrefaire le brevet canadien no 1,275,349 (le brevet 349) en fabriquant, utilisant, offrant en vente ou vendant, au Canada ou ailleurs, des formes posologiques contenant du maléate d'énalapril comme ingrédient actif et ordonnant l'instruction des questions litigieuses énumérées à l'annexe A (les questions en litige) jointe à l'avis de requête;
     2.      À titre subsidiaire, suspendant l'application du paragraphe 3 du jugement de première instance en attendant l'instruction des questions en litige, sauf en ce qui concerne l'activité décrite au paragraphe 1, ou subsidiairement, en attendant le prononcé d'une autre ordonnance de la Cour dans une action devant être intentée par Apotex et Signa S.A. de C.V. conformément à la formule annexée à l'avis de requête à titre d'annexe B (l'action de Signa);
     3.      À titre plus subsidiaire encore, modifiant le paragraphe 3 du jugement de première instance en interdisant à Apotex de contrefaire le brevet 349 en fabriquant, utilisant, offrant en vente ou vendant, au Canada ou ailleurs, des formes posologiques contenant des composés visés par les revendications 2 à 5 du brevet 349 et ordonnant l'instruction des questions en litige;
     4.      À titre plus subsidiaire encore, suspendant l'application du paragraphe 3 du jugement de première instance en attendant l'instruction des questions en litige, sauf en ce qui concerne l'activité décrite au paragraphe 3, ou subsidiairement, en attendant le prononcé de toute autre ordonnance de la Cour dans l'action Signa;
     5.      Condamnant les demanderesses aux dépens de la présente requête;

     APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats des parties à Toronto (Ontario) les 11 et 12 juin 1997 et après avoir entendu le plaidoyer de l'avocat des demanderesses, qui réclame le rejet de la demande et la condamnation de la défenderesse aux dépens sur une base procureur-client indépendamment de l'issue de la cause ou la fixation des dépens à la somme de 20 000 $ plus les débours, lesquels devront être payés sur-le-champ; et après avoir sursis au prononcé de sa décision et avoir examiné toutes les observations des parties :

     1.      REJETTE la demande de la défenderesse;
     2.      CONDAMNE la défenderesse aux dépens entre parties conformément à la règle 344(4.1) de la Cour, ces dépens comprenant les honoraires des avocats principaux et des avocats adjoints qui ont participé à l'audition de la présente affaire, conformément à la colonne III, partie II du tarif B, une somme pour le contre-interrogatoire des docteurs Marshall et Csizmadia, somme qui sera taxée conformément à la colonne III susmentionnée et une somme pour toutes les autres mesures prises par les demanderesses pour se préparer pour l'audience, laquelle somme sera taxée en fonction du nombre maximal d'unités prévu à la colonne IV de la partie II du tarif B, ainsi que tous les débours raisonnables engagés par les avocats, et pour les instructions données aux avocats de la demanderesse Merck & Co. Inc. relativement à la préparation de la preuve et des arguments des demanderesses et en ce qui concerne l'audition de la présente demande.         

    

                                         Juge

Traduction certifiée

             C. Bélanger, LL. L.

     Date : 19980123

     Dossier : T-2408-91

E N T R E :

     MERCK & CO. INC. et

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

     et

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Par la présente demande, déposée le 31 janvier 1997, la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) sollicite une réparation inusitée, en l'occurrence une ordonnance modifiant une injonction permanente ou suspendant son exécution. Cette injonction a été prononcée en décembre 1994 dans le cadre d'un jugement rendu au terme de l'instruction d'une action introduite par les demanderesses (Merck) relativement à la contrefaçon de leur brevet no 1,275,349 (le brevet 349). Si sa requête est accueillie, Apotex, à qui l'injonction interdit présentement toute activité ayant pour effet de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 inclusivement du brevet, contesterait la validité de la revendication 1, ainsi que des revendications 8 et 11 qui dépendent de la revendication 1, dans la présente action ou dans une action distincte, et elle utiliserait des composés, autres que le maléate d'énalapril, qui, selon ce qu'elle croit, sont visés par la revendication 1, sans violer les modalités de l'injonction si celle-ci devait être modifiée par l'une des ordonnances sollicitées en l'espèce. La validité de la revendication 1 n'est pas, selon ce qu'affirme Apotex, une question qui a été tranchée par la Cour à la suite des débats qui ont eu lieu dans l'action au terme de laquelle le jugement a été rendu.

[2]      Voici la partie du dispositif de ce jugement1, tel que modifié par la Cour d'appel, qui concerne l'injonction en litige :

     [TRADUCTION]         
     3.      IL EST PAR LA PRÉSENTE INTERDIT à la défenderesse, par l'entremise notamment de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires et employés, de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 inclusivement du brevet canadien no 1,275,349 et en particulier de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente ou de vendre, au Canada ou ailleurs, des comprimés d'APO-ENALAPRIL ou tout comprimé ou forme posologique contenant du maléate d'énalapril comme ingrédient actif tiré du maléate d'énalapril en vrac contenu dans les lots P-65478, P-65479 et P-65480, et des 44,9 kilogrammes de maléate d'énalapril dont il est question au paragraphe 1.         

[3]      Plus précisément, Apotex demande maintenant à la Cour de rendre une ordonnance :

     [TRADUCTION]         
     1.      Modifiant le paragraphe 3 du jugement de première instance rendu le 22 décembre 1994, tel qu'il a été modifié par la Cour d'appel dans son jugement du 19 avril 1995 modifié le 16 mai 1995 (le jugement de première instance), pour interdire à Apotex de contrefaire le brevet canadien no 1,275,349 (le brevet 349) en fabriquant, utilisant, offrant en vente ou vendant, au Canada ou ailleurs, des formes posologiques contenant du maléate d'énalapril comme ingrédient actif et ordonnant l'instruction des questions litigieuses énumérées à l'annexe A (les questions en litige) jointe à l'avis de requête [c.à-d. l'annexe A de la requête d'Apotex];         
     2.      À titre subsidiaire, suspendant l'application du paragraphe 3 du jugement de première instance en attendant l'instruction des questions en litige, sauf en ce qui concerne l'activité décrite au paragraphe 1, ou subsidiairement, en attendant le prononcé d'une autre ordonnance de la Cour dans une action qui doit être intentée par Apotex et Signa S.A. de C.V. conformément à la formule annexée à l'avis de requête à titre d'annexe B (l'action de Signa) [c.-à-d. l'annexe B de la requête d'Apotex];
     3.      À titre plus subsidiaire encore, modifiant le paragraphe 3 du jugement de première instance en interdisant à Apotex de contrefaire le brevet 349 en fabriquant, utilisant, offrant en vente ou vendant, au Canada ou ailleurs, des formes posologiques contenant des composés visés par les revendications 2 à 5 du brevet 349 et ordonnant l'instruction des questions en litige;
     4.      À titre plus subsidiaire encore, suspendant l'application du paragraphe 3 du jugement de première instance en attendant l'instruction des questions en litige, sauf en ce qui concerne l'activité décrite au paragraphe 3, ou subsidiairement, en attendant le prononcé de toute autre ordonnance de la Cour dans l'action Signa.

[4]      Voici les questions en litige qu'Apotex demande à la Cour d'instruire si elle lui accorde l'une des réparations énumérées dans sa demande :

     [TRADUCTION]         
     (1)      La revendication 1 du brevet canadien no 1,275,349 est-elle invalide pour cause de portée trop vaste et d'inutilité en raison des faits suivants :         
         a)      Le nombre de composés visés par la revendication 1 du brevet 1 est tellement élevé qu'il est impossible pour qui que ce soit de tous les fabriquer et de tous les mettre à l'essai;
         c) [sic]      Il n'y a pas de fondement valable qui permette de prédire l'utilité pharmaceutique de la catégorie complète de composés visés par la revendication 1 du brevet 349;         
         d) [sic]      De fait, bon nombre, sinon la plupart des composés visés par la revendication 1 du brevet 349 ne sont pas utiles.         
     (2)      Les revendications 8 et 11 du brevet canadien no 1,275,349 sont-elles invalides en raison des éléments énumérés à la question (1) et du fait que les revendications 8 et 11 dépendent de la revendication 1?         

[5]      Dans l'action au terme de laquelle le jugement a été rendu, Merck ne sollicitait pas de déclaration de validité de son brevet ou des revendications qu'il contient, mais elle réclamait effectivement une déclaration de contrefaçon, ainsi qu'une injonction permanente interdisant la poursuite de la contrefaçon relativement aux revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet 349. Apotex n'a pas contesté la validité de la revendication 1, mais elle a nié la validité des revendications 8 à 17 dans sa défense et elle a réclamé, par demande reconventionnelle, un jugement déclarant ces revendications invalides. Par ce jugement, l'objectif premier visé par Merck, en l'occurrence une conclusion de contrefaçon, a été atteint par suite de la conclusion qu'Apotex violait les droits conférés à Merck par son brevet en fabriquant et en vendant des comprimés contenant du maléate d'énalapril, un produit visé par la revendication 1, ainsi que par d'autres revendications portant sur des composés, en l"occurrence les revendications 2 à 5. La Cour a également conclu qu'Apotex s'était rendue coupable de contrefaçon en employant le produit protégé par les revendications 8 à 15 portant sur la composition et l'utilisation. La réparation que réclamait Merck, notamment un jugement déclaratoire en ce sens et une injonction permanente interdisant à Apotex, à ses dirigeants et à ses employés de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet 349, a été accordée à l'issue du procès.

[6]      Le jugement rendu au terme du procès a été porté en appel par Apotex. La Cour d'appel a infirmé en partie le jugement, en avril 1995, accueillant le principal moyen de défense invoqué par Apotex en vertu de l'article 56 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), dans sa rédaction alors en vigueur. La Cour a toutefois confirmé la conclusion de contrefaçon et la réparation accordée relativement à l'emploi par Apotex de maléate d'énalapril provenant de sources identifiées au procès, lesquelles n'étaient pas protégées par l'article 56 ou par la licence. En conséquence, le dispositif du jugement a été modifié. Par la suite, chacune des parties a soumis à la Cour d'appel une demande fondée sur la règle 337 en vue de faire modifier le dispositif du jugement modifié. Dans le jugement modifié qu'elle a rendu en mai 1995, la Cour d'appel a de nouveau modifié le dispositif du jugement. Les deux parties se sont pourvues devant la Cour suprême du Canada en vue d'obtenir l'autorisation de former un pourvoi, mais leurs demandes ont été rejetées en décembre 1995.

[7]      Par la suite, en janvier 1996, Merck a présenté une nouvelle demande à la Cour d'appel en vertu de la règle 337 en vue de faire modifier le dispositif du jugement modifié. Cette requête a été rejetée en mars 1996. En rejetant la demande, la Cour d'appel a fait remarquer, au sujet de l'injonction ordonnée par le paragraphe 3 du jugement modifié :

         Le paragraphe 3 du jugement de première instance, qui a ultérieurement été modifié par le jugement rendu par la Cour le 19 avril 1995, interdit de manière générale à l'appelante [TRADUCTION] " de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 inclusivement qui sont exposées dans les lettres patentes canadiennes no 1 275 349 ". La phrase de ce paragraphe qui commence par les mots [TRADUCTION] " et particulièrement [...] " n'a aucunement pour effet de restreindre la portée étendue de l'injonction accordée par les termes introductifs de ce paragraphe.         

[8]      Depuis le prononcé du jugement rendu à l'issue du procès et la modification de son dispositif par la Cour d'appel, Apotex a appris qu'elle pouvait se procurer des composés autres que l'énalapril ou le maléate d'énalapril et elle affirme que ces composés nouvellement découverts tombent sous le coup de la revendication 1 du brevet 349. Il semblerait que les composés en question soient visés par la revendication 1 et que leur composition et leur utilisation relèvent des revendications 8 à 11, lesquelles dépendent de la revendication 1, mais qu'ils ne seraient pas visés par d'autres revendications du brevet de Merck.

[9]      Apotex et Signa S.A. de C.V., une compagnie mexicaine qui aurait mis au point les composés qu'Apotex est maintenant intéressée à développer et à commercialiser, ont introduit une action distincte devant notre Cour en déposant le 15 avril 1997 une déclaration par laquelle elle conteste la validité des revendications 1, 8 et 11 du brevet de Merck (voir le dossier T-2869-96). Cette contestation est fondée sur la perception que la revendication 1 du brevet de Merck est libellée en des termes trop larges pour être valide, une perception qui est appuyée dans la présente demande par les affidavits d'experts qui estiment que la revendication 1 comprend un nombre tellement élevé de composés non précisés qu'elle ne peut être valide. Une ordonnance comme celle que sollicite Apotex en l'espèce permettrait à celle-ci de contester la validité des revendications 1, 8 et 11 du brevet de Merck soit par elle-même, en permettant l'instruction de la question de la validité de ces revendications par la réouverture des débats dans l'action initiale, soit par l'instruction de l'action intentée par Apotex et Signa, en permettant à Apotex d'utiliser ou de commercialiser les composés qu'elle cherche à acheter à Signa en attendant une décision sur la validité des revendications de brevet maintenant contestées.

[10]      À moins que le dispositif de l'injonction ne soit révisé ou que son application soit suspendue ou circonscrite, ainsi qu'Apotex le demande en l'espèce, son libellé général, qui ne se limite pas aux lots contrefaits de maléate d'énalapril ou à ce produit, empêcherait Apotex de pénétrer le marché avec d'autres composés visés par la revendication 1. De fait, ainsi qu'Apotex le précise, l'injonction aurait pour effet d'accorder à Merck les avantages que comporte l'obtention d'une injonction interlocutoire interdisant l'utilisation et la vente d'autres produits que le maléate d'énalapril sans avoir à réclamer une telle protection en attendant une décision sur la validité de la revendication 1. Comme il est interdit seulement à Apotex d'utiliser d'autres composés, l'effet de l'injonction serait injuste, sauf si la Cour la modifie.

[11]      La demande nécessite un examen des questions qui ont été instruites dans le cadre de l'action, un examen de la compétence de la Cour pour accorder la réparation demandée et, selon Apotex, la reconnaissance de la non-application du principe de l'autorité de la chose jugée en l'espèce. Finalement, je traiterai de la question des dépens soulevée par Merck.

Questions en litige ayant été instruites dans le cadre de l'action

[12]      Un examen sommaire des procédures qui se sont déroulées tant avant qu'après le procès permet de situer la présente demande dans son contexte. Merck a introduit son action en déposant en septembre 1991 une déclaration par laquelle elle réclamait un jugement déclaratoire, une injonction et des dommages-intérêts pour la présumée contrefaçon de revendications déterminées, en l'occurrence les revendications 1 à 5 et 8 à 15 de son brevet 349 en raison de la fabrication et de la vente de maléate d'énalapril par Apotex. Apotex a déposé le 15 novembre 1991 une défense dans laquelle elle n'a pas contesté expressément la validité des revendications 1 à 5 du brevet de Merck, bien qu'elle ait contesté la validité des revendications 8 à 17, qui sont des revendications portant sur la composition et l'utilisation. Elle a par ailleurs présenté une demande reconventionnelle concluant au prononcé d'un jugement déclarant invalides les revendications 8 à 17. En réponse à la demande d'éclaircissements qui lui a été adressée au sujet de la présumée invalidité, Apotex a déposé en décembre 1991 et en janvier 1992 des précisions dans lesquelles elle alléguait que les revendications 1 et 2 à 8 étaient invalides, en plus des revendications ainsi qualifiées dans la première défense qu'elle avait déposée. Le principal moyen de défense qu'Apotex a invoqué dès le départ reposait sur l'article 56 de la Loi relativement à sa fabrication et à sa vente de comprimés tirés des produits en vrac acquis avant la délivrance du brevet de Merck en octobre 1990.

[13]      Peu de mesures ont été prises dans la présente action avant qu'Apotex n'obtienne en septembre 1993 un avis de conformité l'autorisant à vendre du maléate d'énalapril. Merck a ensuite demandé le prononcé d'injonctions provisoires et interlocutoires en attendant l'instruction de son action en contrefaçon. Ces injonctions n'ont pas été accordées, mais les parties se sont entendues sur un échéancier d'instruction accéléré, qu'elles ont reçu l'ordre d'établir. L'instruction a eu lieu en avril 1994, après échange des actes de procédure et communication préalable, y compris le dépôt, en février 1994, d'une défense modifiée présentée au nom d'Apotex avec le consentement de Merck, à la suite de négociations plutôt prolongées entre les avocats. Au moins une version proposée de la défense modifiée conteste expressément la validité des revendications 1 à 5, ainsi que des revendications 8 à 17, mais la défense modifiée qui a finalement été déposée ne conteste pas la validité des revendications 1 à 5. Voici, au paragraphe 2 de la défense modifiée, la seule mention qu'on trouve au sujet de la contestation de la validité de revendications :

     [TRADUCTION]         
     2.      En ce qui concerne les paragraphes 6, 7 et 8 de la déclaration, sous réserve de l'article 56 de la Loi sur les brevets et de la disponibilité d'énalapril et de maléate d'énalapril sous licence, et aux fins uniquement de la présente action, la défenderesse admet que la demanderesse Merck & Co. Inc. aurait, en tant que propriétaire enregistrée du brevet canadien no 1,274,349 (le brevet), droit à l'exclusivité accordée par la Loi sur les brevets sur les revendications du brevet, à l'exception des revendications relatives à la forme posologique des composés et à leur utilisation, tels qu'ils sont plus particulièrement revendiqués aux revendications 8 à 17 inclusivement du brevet, revendications dont la validité n'est pas admise mais niée, ainsi qu'il est précisé ci-après.         

Le paragraphe 8 de la déclaration auquel ce paragraphe renvoie reproduit le texte des revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet.

[14]      Ainsi, dans sa défense modifiée, la défenderesse ne conteste expressément la validité que des revendications 8 à 17, et non la validité de la revendication 1 du brevet. Toutefois, le paragraphe 2 de la défense modifiée, où l'on trouve le passage " aux fins uniquement de la présente action ", appuierait les vues du docteur Sherman, le président d'Apotex, et celles d'un des avocats qui occupait pour Apotex au procès, suivant lesquelles Apotex n'avait pas l'intention d'admettre la validité de la revendication 1, ou que les parties avaient convenu d'une certaine manière que la question de la validité des revendications 1 à 5 serait débattue plus tard.

[15]      L'avis d'Apotex au sujet des questions examinées au procès qui s'est soldé par l'injonction contestée en l'espèce repose sur la perception que les seules questions en litige à avoir été instruites se rapportaient expressément et exclusivement à l'utilisation par Apotex du maléate d'énalapril. Ainsi, Apotex soutient que la contrefaçon alléguée dans la déclaration déposée en septembre 1991 par Merck ne vise que la fabrication et la vente de maléate d'énalapril sous forme posologique définitive. Apotex aurait conçu sa défense dans l'action en fonction uniquement de ce produit, qu'elle avait acquis en vrac avant que Merck n'obtienne son brevet ou qu'elle avait obtenu d'un fournisseur qui détenait une licence obligatoire. Apotex soutient qu'elle croyait que cette utilisation ne constituait pas une contrefaçon, à cause de l'article 56 de la Loi ou de l'existence d'une licence valide. Dans sa défense, elle n'a finalement pas contesté la validité de quelque revendication que ce soit, sauf les revendications 8 à 17 relatives à la composition et à l'utilisation, qu'elle a contestées en raison de la thèse de Merck suivant laquelle même si le produit en vrac acquis par Apotex ne faisait pas l'objet d'une allégation de contrefaçon, la fabrication de ce produit sous forme de comprimés finis destinés à la vente n'était pas protégée par l'article 56 ou par la licence d'un fournisseur.

[16]      Dans leur affidavit, le docteur Sherman et un des avocats d'Apotex affirment qu'on n'a pas sérieusement envisagé la possibilité, avant la tenue du procès, de contester la validité des revendications 1 à 5. Merck conteste vigoureusement cette version des mesures préparatoires au procès, compte tenu des longues négociations qui ont eu lieu au sujet de la défense d'Apotex à l'action. Merck rappelle les précisions qu'Apotex a communiquées au sujet de la défense qu'elle avait initialement déposée en 1991 et les projets de défense modifiée qui n'ont pas été déposés et dans lesquels la validité des revendications 1 à 5 était expressément contestée. Le docteur Sherman a reconnu qu'on était alors conscient de la large portée de la revendication 1. Merck fait allusion à l'interrogatoire préalable qu'Apotex a fait subir au porte-parole de Merck au sujet de la revendication 1. En tout état de cause, Apotex n'a finalement pas contesté la validité de la revendication 1, ni des revendications 2 à 5 dans la défense modifiée qu'elle a soumise. Apotex explique maintenant qu'elle ne voyait pas l'utilité de contester la revendication 1, compte tenu de son moyen de défense tiré de l'article 56 et du fait que le maléate d'énalapril est expressément visé par les revendications 2 à 5, qui sont rédigées en termes plus restrictifs que la revendication 1. Il ne s'agit guère d'une explication complète de la raison pour laquelle Apotex a finalement décidé de ne pas contester la validité des revendications 2 à 5 portant sur les composés, en plus de ne pas contester la revendication 1, qui dès les premiers actes de procédures, surtout dans la réponse d'Apotex à la demande de précision de Merck, était qualifiée de revendication rédigée en termes trop larges pour être valide.

[17]      Je conviens que ce n'est qu'après l'instruction qu'Apotex a appris l'existence d'un ou de plusieurs composés autres que le maléate d'énalapril qui, selon ce qu'on croyait, étaient visés par la revendication 1 et non par les revendications 2 à 5, et qu'elle pouvait utiliser et vendre. Cette prise de conscience plus récente est, évidemment, à la base de la demande présentée en l'espèce en vue de faire modifier le jugement rendu à l'issue du procès. Je conviens également que la défense modifiée a été déposée au nom d'Apotex avec le consentement de Merck. Je serais même prêt à accepter qu'à la clôture des plaidoiries écrites, comme Apotex l'affirme dans son mémoire, [TRADUCTION] " la thèse que privilégiait Apotex était que la question de la validité des revendications portant sur les composés ne devait pas être débattue dans le cadre de la présente instance, mais qu'elle devait être reportée à plus tard pour être tranchée, s'il y a lieu ". Je ne suis toutefois pas disposé à accepter l'allégation suivante que l'on trouve également dans le mémoire d'Apotex: [TRADUCTION] " Avec l'accord de Merck, l'examen de la question de la validité des revendications portant sur les composés a donc été reporté à plus tard ". D'ailleurs, Apotex n'a pas sérieusement défendu ce point de vue lors de l'audition de la présente demande.

[18]      Peu importe l'intention qu'Apotex avait à l'époque, l'opinion qu'elle a maintenant, avec le recul, méconnaît plusieurs facteurs pertinents dans le contexte des mesures préparatoires au procès et du procès lui-même. En premier lieu, bien que, dans leur déclaration, les demanderesses parlent de la contrefaçon découlant de la fabrication et de la vente de maléate d'énalapril, elles précisent également :

     [TRADUCTION]         
     21.      En raison des actes énumérés aux présentes commis par la défenderesse, la défenderesse a contrefait les revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet.         
     22.      Les demanderesses ne connaissent pas l'ampleur exacte des contrefaçons de la défenderesse, mais réclament une réparation relativement à tous les actes de contrefaçon commis par la défenderesse.         
     23.      La défenderesse continuera à violer les droits des demanderesses si la Cour ne lui interdit pas de le faire.         

     [...]

     26.      LES DEMANDERESSES SOLLICITENT PAR CONSÉQUENT :         
         a)      un jugement déclarant que la défenderesse a contrefait les revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet canadien no 1,275,349;         
         b)      une injonction interlocutoire et permanente interdisant à la défenderesse, notamment par l'entremise de ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires et employés, de contrefaire les revendications 1 à 5 et 8 à 15 du brevet canadien no 1,275,349.         

Il ressort du texte de sa déclaration que Merck a sollicité une réparation dont la portée déborde ce qui concerne exclusivement les comprimés de maléate d'énalapril d'Apotex. Elle a réclame la protection de la pleine portée de son brevet, telle qu'elle est définie par les revendications spécifiées dans cette déclaration.

[19]      En deuxième lieu, bien qu'Apotex estime maintenant que la portée des questions qui ont été instruites était limitée, il a été reconnu à l'audition de la présente requête qu'elle a, lors des mesures préparatoires au procès, envisagé la possibilité de contester la validité de la revendication 1 et d'autres revendications portant sur des composés, ne serait-ce que de façon superficielle, mais qu'elle n'y a finalement pas donné suite dans sa défense modifiée. Il n'y a pas le moindre élément de preuve qui permette de conclure que les parties se sont entendues pour remettre à plus tard l'examen de la validité de la revendication 1 ou des autres revendications ou même qu'Apotex croyait alors que l'examen de cette question serait reporté à plus tard.

[20]      Troisièmement, la décision de ne pas contester la validité de la revendication 1 ou d'autres revendications portant sur des composés au procès était la décision d'Apotex. Peu importe son intention, celle-ci ne ressort que du texte de la défense modifiée qui a été déposée. La Cour a ensuite examiné les questions en litige non pas telles qu'elles avaient été conçues ou libellées exclusivement par Apotex, mais plutôt telles qu'elles étaient formulées dans les actes de procédure des deux parties. Ainsi, la Cour a examiné la demande de réparation formulée par Merck au sujet de la présumée contrefaçon des revendications 1 à 5 et 8 à 15 et les allégations par lesquelles Apotex contestait uniquement la validité des revendications de brevet 8 à 17, abstraction faite de son moyen de défense tiré de l'article 56. Je constate que Merck est en mesure de citer les commentaires que son avocat a faits au procès dans son exposé introductif et dans son plaidoyer final dans lesquels il est expressément question de la reconnaissance par Apotex de la validité des revendications 1 à 5 portant sur des composés, commentaires qu'Apotex n'a pas alors contestés.

[21]      Finalement, au paragraphe 2 de sa défense modifiée, Apotex reconnaît, sous réserve de l'article 56 et de la disponibilité de maléate d'énalapril sous licence, que Merck [TRADUCTION] " aurait [...] droit à l'exclusivité accordée par la Loi sur les brevets sur les revendications du brevet ", à l'exception des revendications 8 à 17, dont la validité est contestée. Certes, cette reconnaissance était faite " aux fins uniquement de la présente action ", mais elle visait l'" exclusivité " accordée par la Loi sur les brevets relativement à des revendications du brevet dont la validité n'était pas contestée, y compris la revendication 1. De par ses termes exprès, la défense modifiée reconnaît " aux fins uniquement de la présente action " que la revendication 1 est valide. Ces termes rendent donc irrecevable, à cette étape-ci, la présentation ultérieure d'une réclamation dans la même action, même si elle est censée viser un nouvel objet n'ayant été découvert qu'après le procès, en l'occurrence la contestation de la validité de la revendication 1. Suivant cette interprétation de sa propre défense modifiée, Apotex a exclu toute possibilité de contester la validité de la revendication 1 dans la présente action. Implicitement, la validité de la revendication 1, qui est appuyée par la Loi et qu'Apotex ne conteste pas, est la base de la conclusion de contrefaçon et de l'injonction dans la mesure où celles-ci se rapportent à la revendication 1. Qui plus est, Apotex a déjà, dans la présente action, contesté sans succès la validité des revendications 8 à 11. Bien qu'il faille reconnaître que les moyens qu'elle ferait maintenant valoir au sujet de la validité de ces revendications seraient différents en l'espèce, la Cour n'a pas compétence pour rouvrir les débats sur des questions qui ont été tranchées au procès pour la simple raison qu'un moyen qui n'a pas été invoqué au procès pourrait maintenant être formulé, si l'autorisation de le faire était accordée.

[22]      À mon avis, peu importe les pouvoirs que la Cour possède en matière de modification de jugements, ces pouvoirs ne vont pas jusqu'à lui permettre de rouvrir les débats sur des questions qui ont été tranchées expressément ou implicitement dans le jugement dont la modification est par la suite demandée. Ainsi, la Cour n'a tout simplement pas compétence pour accorder la réparation sollicitée par Apotex en vue d'obtenir la modification du dispositif de l'injonction et l'instruction des questions litigieuses soulevées en l'espèce. Il n'y aurait pas de fin aux procès s'il était loisible à une partie d'obtenir la réouverture des débats sur une question en litige après que celle-ci a été tranchée, en faisant valoir qu'un élément qui n'avait pas été envisagé au moment du procès a depuis été porté à son attention. Le principe général est que les procès doivent avoir une fin. Sauf dans des cas exceptionnels, un procès a lieu une fois pour toutes et tranche de façon définitive les questions litigieuses qui sont soulevées par les parties, sous réserve uniquement de la modification de la décision en appel ou dans les circonstances bien précises dans lesquelles les règles de la Cour permettent au juge du procès de modifier son jugement.

[23]      Ce principe empêche la Cour de rouvrir les débats pour examiner des questions qui auraient pu être soulevées mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne l'ont pas été et qui ont depuis été tranchées implicitement par le jugement qui a été prononcé à l'issue du procès. Ce jugement a été modifié en appel et la Cour suprême du Canada a refusé le pourvoi. Ainsi, à mon avis, ce principe empêche la Cour d'exercer tout pouvoir discrétionnaire qui pourrait lui permettre de rouvrir les débats, d'ordonner l'instruction de nouvelles questions litigieuses ou de modifier à cette fin le dispositif de l'injonction modifiée. Il s'ensuit que les réparations subsidiaires sollicitées aux paragraphes 1 à 3 de la demande de réparation présentée par Apotex en l'espèce ne peuvent être accordées.

[24]      Que j'aie tort ou raison à cet égard, les autres réparations subsidiaires qui sont sollicitées en l'espèce aux paragraphes 2 à 4 doivent être examinées. La Cour doit avoir la compétence pour accorder la réparation demandée, ce qui, selon Merck, n'est pas le cas, et si la Cour possède cette compétence, il doit y avoir une raison valable, non écartée par le principe de l'autorité de la chose jugée, d'accorder la réparation demandée.

Compétence de la Cour pour accorder la réparation demandée

[25]      Merck affirme que la Cour n'a pas compétence pour accorder la réparation demandée. Il est reconnu depuis longtemps que la Cour fédérale, créée par une loi, n'a pas de compétence inhérente. Apotex n'invoque d'ailleurs ni la loi, ni les règles de la Cour pour affirmer que la Cour a le pouvoir de modifier le dispositif de ses jugements. Apotex ne se fonde même pas sur la règle 1733, disposition exceptionnelle qui permet de présenter une demande en vue de faire annuler ou modifier un jugement ou une ordonnance au motif que, depuis le prononcé du jugement ou de l'ordonnance, un fait qui justifierait la modification du jugement est survenu ou a été découvert.

[26]      Je suis d'accord avec Merck pour dire que les règles de droit générales empêchent la Cour de modifier le dispositif d'un jugement sauf dans des cas exceptionnels. Ces exceptions se trouvent essentiellement dans les règles de la Cour. Les seules règles qui pourraient être invoquées en l'espèce sont les règles 337(5) et (6) " qui permettent de corriger les erreurs de rédaction ou autres erreurs d'écriture ou omissions accidentelles dans le dispositif pour accorder celui-ci avec la volonté expresse de la Cour " ou la règle 1733, qui porte sur la survenance de faits nouveaux et sur les fraudes. Ainsi que je l'ai déjà signalé, Apotex n'invoque pas ces dispositions. Sa thèse repose plutôt sur la nature de l'ordonnance en question " une injonction permanente " qui, selon elle, est une ordonnance qui est intrinsèquement susceptible d'être modifiée, si l'on peut démontrer qu'elle crée une injustice ou si elle est par ailleurs incompatible avec la loi ou avec ses objets, en raison de changements survenus dans la loi ou d'autres circonstances, changements qui n'étaient pas prévus au moment du prononcé de l'injonction.

[27]      Invoquant la jurisprudence d'autres tribunaux, Apotex soutient que, lorsque les conditions applicables sont réunies, la Cour a la compétence et le pouvoir discrétionnaire qui lui permettent de modifier ou d'annuler le dispositif d'une injonction permanente prononcée au terme d'un procès lorsque des faits survenus par la suite le justifient. Ainsi, dans l'arrêt Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization v. Perry2, la Cour suprême d'Australie du Sud a, en appel, tranché une question de droit préliminaire en annulant une injonction permanente, qui avait été initialement prononcée de consentement, après que le fondement de l'ordonnance eut été supprimé aux termes d'une loi qui autorisait désormais un acte considéré jusqu'alors comme délictueux. Dans cette affaire, le législateur avait expressément autorisé le comportement que l'injonction interdisait jusque là. Un changement de circonstances analogue, cette fois par suite d'une mesure prise par le Congrès en vue d'autoriser un acte antérieurement interdit aux termes d'une injonction, a été jugé une raison valable permettant d'annuler une injonction dans l'affaire State of Pennsylvania v. Wheeling and Belmont Bridge Co.3, ainsi que dans l'affaire System Foundation v. Wright4. En revanche, lorsque le changement de circonstances sur lequel on se fonde pour justifier la modification d'une injonction permanente, du moins dans le cas d'une injonction initialement prononcée de consentement, ne découle pas d'une modification législative, les nouvelles circonstances doivent modifier le fondement sous-jacent en vertu duquel l'injonction a initialement été prononcée pour que la Cour soit persuadée qu'il y a lieu de modifier sa première ordonnance5.

[28]      Dans aucune des décisions invoquées il n'est fait mention du pouvoir que le tribunal concerné aurait en vertu de ses propres règles, comme c'est le cas de notre Cour aux termes de la règle 1733, de modifier un jugement en raison d'un changement de circonstances survenu depuis le prononcé du jugement. À première vue, il me semble que la règle 1733 s'applique aux changements de circonstance survenus après le prononcé du jugement, comme celui qu'invoque Apotex en l'espèce. Mais en supposant que soit bien fondé le moyen d'Apotex suivant lequel, de par sa nature, l'ordonnance en question, une injonction permanente, constitue un source distincte de pouvoir discrétionnaire qui permet au tribunal de modifier une ordonnance, comme à la règle 1733, ce pouvoir ne serait exercé que dans des circonstances exceptionnelles. L'intérêt important qu'a le public en ce qui concerne le caractère définitif des jugements exige que, pour que la règle 1733 s'applique, le requérant démontre que l'élément qui a été découvert après le prononcé du jugement n'aurait pas pu être découvert plus tôt avec une diligence raisonnable et qu'il est d'une telle nature que, s'il avait été signalé plus tôt dans l'action, il aurait pu modifier le jugement. Des conditions exceptionnelles semblables devraient s'appliquer lorsqu'on envisage de modifier une injonction permanente, en supposant que la Cour ait compétence pour la modifier indépendamment de la règle 1733.

[29]      En l'espèce, Apotex ne prétend pas que la portée de la revendication 1 constitue un nouvel élément qu'elle ignorait au procès. Elle affirme plutôt que l'identification d'un ou de plusieurs des composés visés par la revendication 1, mais non par les revendications 2 à 5, qui pourraient être mis au point en vue d'être utilisés et commercialisés constitue la nouvelle circonstance qui justifie la modification de l'ordonnance de la Cour. Pourtant, ce nouvel élément pourrait devenir un motif permettant de contester la validité de la revendication 1 uniquement au moyen d'une contestation de la portée de la revendication et de l'utilité des composés qu'elle vise. Il s'agit de questions qu'Apotex a déjà examinées mais qu'elle n'a pas abordées dans la défense modifiée à l'action.

[30]      À mon avis, la nouvelle circonstance est tout simplement une nouvelle raison invoquée pour faire valoir un moyen de défense qui aurait pu être soulevé au procès au sujet de la revendication 1, mais qui ne l'a pas été. Il ne s'agit pas d'une circonstance exceptionnelle au sens de la règle 1733, ni un fait nouveau différent des points avancés au procès sur le même fondement que celui que l'on tente en l'espèce d'établir par les affidavits des experts qui renferment une analyse théorique au sujet de la portée de la revendication 1. Il ne s'agit pas non plus du genre de circonstance exceptionnelle qui justifierait la modification de l'injonction, en supposant que la Cour ait le pouvoir de modifier une injonction permanente indépendamment de la règle 1733. Dans sa forme actuelle, l'injonction ne fait subir aucune injustice à Apotex. Apotex est visée par l'ordonnance parce qu'elle a succombé à l'issue d'un procès au cours duquel elle a eu amplement l'occasion d'invoquer tous les moyens de défense possibles, notamment en contestant la validité de la revendication 1 et des autres revendications portant sur des composés.

[31]      À mon avis, la réparation sollicitée par Apotex peut relever de la compétence que la règle 1733 confère à la Cour si les conditions qui y sont prévues sont respectées, mais Apotex n'invoque pas cette règle et n'a pas fait la preuve de l'existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient la modification de l'ordonnance de la Cour en vertu de cette règle. Si, indépendamment de la règle 1733, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de modifier une ordonnance de la nature d'une injonction permanente qu'elle a déjà rendue, cela ne peut se produire que lorsque des changements survenus après le prononcé du jugement modifient les motifs sous-jacents pour lesquels la réparation a été initialement accordée. Or, ce type de changement n'a pas été établi en l'espèce. Je ne suis donc pas persuadé que la Cour devrait en l'espèce exercer comme Apotex le demande la compétence et le pouvoir discrétionnaire qui lui permettraient de modifier l'injonction en question.

[32]      J'en viens à une conclusion semblable en ce qui concerne les demandes formulées par Apotex aux paragraphes 2 et 4 de sa requête, qui sont reproduits au paragraphe 3 des présents motifs, en vue d'obtenir la suspension de l'application de l'injonction modifiée en ce qui concerne les activités d'Apotex autres que l'utilisation du maléate d'énalapril (paragraphe 2) ou que l'utilisation des composés visés par les revendications 2 à 5 du brevet (paragraphe 4) en attendant que la Cour rende une autre ordonnance dans l'action introduite par Apotex et Signa. Les conditions usuelles permettant de suspendre l'exécution d'une ordonnance judiciaire, notamment le risque de préjudice irréparable, ne sont pas réunies en l'espèce. Dans ses observations écrites, Apotex affirme que, si l'injonction n'est pas modifiée ou suspendue comme elle le demande, elle sera privée de la possibilité de mettre au point et de commercialiser d'autres composés que le maléate d'énalapril, étant donné que Signa conclura une entente avec un autre fabricant.

[33]      Cet argument est fondé sur des commentaires que le docteur Sherman a formulés, non pas dans un affidavit, mais lors de l'interrogatoire qu'il a subi au sujet des deux affidavits qu'il avait souscrits et qui ont été versés au dossier. Il repose notamment sur l'affirmation qu'il a faite dans l'un de ses affidavits et suivant laquelle Apotex est maintenant en mesure d'utiliser et de vendre d'autres composés que le maléate d'énalapril. Après avoir reconnu qu'aucune demande n'avait été présentée en vue d'obtenir un avis de conformité relativement à l'utilisation projetée de tout composé visé par la revendication 1, le docteur Sherman a déclaré que, même sans cet avis, les composés pouvaient être vendus en vue d'être exportés, ou pour certaines utilisations dans le cadre d'essais cliniques, ou, croyait-il, même pour la vente à l'étranger à titre de médicaments délivrés sur ordonnance sans qu'on doive procéder à des tests ou à des essais cliniques.

[34]      À mon avis, ces commentaires faits en réponse à des questions posées lors d'un contre-interrogatoire ne constituent que de simples hypothèses au sujet du préjudice qu'Apotex pourrait subir. Ils ne suffisent pas à établir que l'intéressé subira probablement un préjudice irréparable d'ici à ce que le tribunal se prononce sur une question sérieuse. Le critère auquel il faut satisfaire pour obtenir la suspension de l'exécution d'une ordonnance du tribunal n'est donc pas respecté (voir, de façon générale, les jugements RJR-MacDonald Inc. c. Procureur général du Canada6 et Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores (MITS) Ltd.7). À mon avis, les raisons justifiant une suspension, même partielle, de l'exécution de l'ordonnance de la Cour, n'ont pas été établies en l'espèce.

L'autorité de la chose jugée

[35]      Une grande partie de la thèse qu'Apotex a défendue par écrit et lors de l'audition de la présente affaire a consisté à établir une distinction entre les circonstances de l'espèce et celles qui donnent lieu à l'application du principe de l'autorité de la chose jugée, pour persuader la Cour que ces circonstances ne s'appliquaient pas en l'espèce. Ce principe, que son application résulte de l'identité des recours ou de l'identité des questions en litige, repose sur des considérations de principe fondamentales qui veulent que les litiges aient une fin et, dans le contexte civil, qu'aucune partie ne soit poursuivie plus d'une fois pour la même cause.

[36]      Ainsi qu'il a été précisé à l'audience, la raison pour laquelle les incidences du principe de l'autorité de la chose jugée ont été abordées dans la présente demande était de persuader la Cour que ces incidences ne l'empêchaient pas de modifier l'injonction déjà modifiée et d'ordonner l'instruction des questions qu'Apotex désire maintenant soulever dans le cadre de l'action dont l'instruction a déjà commencé dans le dossier T-2408-91. Pour les motifs déjà exposés, je rejette la demande dans la mesure où elle invite la Cour à accorder ce genre de réparation. Les questions maintenant proposées ne seront donc pas instruites dans le cadre de l'instance introduite dans ce dossier de la Cour.

[37]      Merck affirme que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas à la requête dont la Cour est présentement saisie, étant donné qu'il ne s'applique que lorsque, dans une action, une partie affirme que les questions soulevées ont déjà été tranchées par un tribunal compétent. Ainsi, ce principe pourrait s'appliquer dans le cadre de considérations soulevées dans l'action distincte introduite par Apotex et Signa S.A. pour contester la validité de la revendication 1 du brevet 349, du moins dans la mesure où la demanderesse Apotex est concernée par cette action. En l'espèce, Apotex a convenu, lors de l'audition de la présente affaire, que si les questions qu'on cherche maintenant à soulever ne sont pas examinées dans le cadre de l'action T-2408-91, ces questions ne seraient pas débattues dans le cadre de la requête dont je suis présentement saisi et ce, même si le principe de l'autorité de la chose jugée pouvait s'appliquer dans le cas d'une action distincte dans laquelle ces questions seraient soulevées. Bien que les circonstances puissent être quelque peu analogues à celles d'actions distinctes, de toute évidence le principe de l'autorité de la chose jugée n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si la Cour devrait ordonner la réouverture des débats pour examiner les questions qu'Apotex cherche à soulever en l'espèce.

[38]      C'est à Apotex qu'il appartient de décider si elle désire introduire une action distincte pour contester la validité de la revendication 1 du brevet 349 en tenant compte de la possibilité que le principe de l'autorité de la chose jugée soit invoqué dans cette action. Il n'appartient pas à la Cour d'ordonner l'instruction de cette question. Il n'appartient pas non plus à la Cour d'ordonner la modification de l'injonction modifiée de manière à permettre à Apotex d'utiliser d'autres composés que le maléate d'énalapril qui, à son avis, sont visés par la revendication 1, qu'elle soulève ou non la question de la validité de la revendication 1 dans une autre action.

Conclusion sur le fond

[39]      Je résume mes conclusions. Je ne suis pas persuadé qu'Apotex a démontré en l'espèce qu'il y avait lieu pour la Cour d'accorder l'une quelconque des réparations subsidiaires qu'elle sollicite. À mon avis, les questions qui ont été examinées au procès et qui ont été tranchées par notre Cour dans son jugement, lequel a été modifié par la Cour d'appel, font en sorte que notre Cour est dessaisie de ces questions telles qu'elles ont été définies dans les actes de procédure des deux parties. Aucun motif n'a été invoqué pour justifier la réouverture des débats en vue de trancher dans le cadre de la présente instance les questions qu'Apotex cherche en l'espèce à soulever, et il n'existe aucun motif qui permettrait à la Cour, même si elle avait le pouvoir discrétionnaire de le faire, d'ordonner maintenant l'instruction de ces questions ou de modifier le dispositif du jugement dans lequel l'injonction modifiée par la Cour d'appel a été prononcée, ou de suspendre l'application de cette injonction dans la mesure où elle concerne l'utilisation par Apotex d'autres composés que le maléate d'énalapril ou de composés visés par les revendications 2 à 5 du brevet de Merck.

[40]      Ainsi, une ordonnance déboutant Apotex de sa demande sera prononcée.

Dépens

[41]      Merck demande à la Cour de condamner la défenderesse Apotex aux dépens sur une procureur-client peu importe l'issue de la cause, ou de la condamner à des dépens de 20 000 $, plus les débours, à payer sur-le-champ. Cette demande serait fondée sur l'absence de motifs justifiant la réparation réclamée dans la requête, qui, selon Merck, est futile et vexatoire. Cette requête serait fondée sur des assertions contenues dans des affidavits qui s'apparentent à des déclarations inexactes ou à une interprétation injustifiée des événements. La demanderesse Merck affirme dans son mémoire qu'elle a dû consacrer beaucoup de temps et d'argent pour soumettre à la Cour un récit complet des événements pour [TRADUCTION] " qu'on comprenne bien les événements qui sont mal exposés dans les affidavits d'Apotex ".

[42]      Apotex estime que la demande soulève des questions sérieuses, qui ne sont ni futiles ni vexatoires, et que si des dépens sont adjugés, il n'y a rien qui justifie d'envisager d'adjuger autre chose que les dépens entre parties habituels.

[43]      À mon avis, il n'y a rien qui justifie d'adjuger les dépens sur une base procureur-client. Le fait qu'une demande échoue ne signifie pas qu'elle soit futile ou vexatoire, car bon nombre de demandes connaissent ce sort. Merck affirme que, tout comme une action peut être futile et vexatoire lorsque le demandeur ne démontre pas l'existence d'un fondement factuel qui lui permet d'agir comme personne intéressée en vertu de la Loi8, de même une requête est futile et vexatoire lorsque le requérant ne réussit pas à établir un fondement factuel justifiant sa qualité pour agir. Je ne suis pas persuadé que la présente requête devrait être considérée comme une requête en radiation d'une action fondée sur la règle 419, mais même si c'était le cas, une requête en radiation qui est accueillie ne conduit pas normalement à l'adjudication des dépens sur une base procureur-client. Qui plus est, une demande n'est à mon avis ni futile ni vexatoire du simple fait que le requérant insiste dans sa preuve par affidavit sur les aspects des faits qui appuient sa cause.

[44]      Toutefois, lorsqu'une partie présente des éléments de preuve à l'appui de sa thèse et qu'elle risque ainsi de ne pas relater tous les événements concernant les parties, du moins du point de vue de l'autre partie, de sorte qu'elle consacre plus de temps et d'attention que d'habitude à passer en revue ces événements pour s'assurer que le tribunal est mis au fait de tous les éléments de l'affaire tels que les parties les perçoivent, la partie qui court ainsi le risque de brosser un tableau incomplet devrait s'attendre, si elle succombe, à devoir supporter une partie des coûts engagés par l'autre partie pour s'assurer que le tribunal a un exposé complet et équitable des faits. À mon avis, la meilleure façon d'y parvenir consiste à adjuger en vertu de la règle 344(4.1), les dépens en fonction de colonnes qui prévoient le maximum d'unités à la partie II du tarif B. Cette règle dispose : " Dans le cas où la Cour ordonnerait que les frais soient taxés conformément au tarif B, elle peut ordonner que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes de la partie II de ce tarif. "

[45]      Par conséquent, j'ordonne que les dépens soient taxés, et qu'ils soient payés sur-le-champ par Apotex dès qu'ils seront taxés, au tarif des dépens entre parties. J'ordonne qu'il soit tenu compte d'une somme pour les services rendus par l'avocat principal et par l'avocat adjoint de Merck à l'audition de la présente affaire en conformité avec la colonne III, partie II du tarif B, et qu'une somme soit également accordée conformément à la même colonne pour le contre-interrogatoire des docteurs Marshall et Csizmadia et qu'une somme soit accordée pour toutes les autres mesures préliminaires prises, qui devront être taxées conformément au maximum d'unités prévu à la colonne IV de la partie II du tarif B, ainsi que tous les débours raisonnables engagés par les deux avocats, et pour donner des instructions à l'avocat de Merck (Me Murray) relativement à la préparation de la preuve et des arguments de Merck et à l'audition de la présente demande.

    

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

LE 23 JANVIER 1998.

Traduction certifiée conforme

                 C. Bélanger, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2408-91
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc.
                     c. Apotex Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      11 et 12 juin 1997

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

     EN DATE DU 23 JANVIER 1998

ONT COMPARU :

G. Alexander Macklin, c.r.                  pour les demanderesses

Constance Too

H.B. Radomski                      pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson              pour les demanderesses

Ottawa (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineberg              pour la défenderesse

Toronto (Ontario)

__________________

     1      Le jugement en litige a initialement été rendu sous forme de motifs du jugement prononcés le 14 décembre 1994 (publiés à (1994), 88 F.T.R. 260, 59 C.P.R. (3d) 133), et a par la suite été confirmé aux termes d'un jugement qui a été rendu le 22 décembre 1994 après examen des observations des avocats des parties au sujet du dispositif du jugement. La Cour d'appel a par la suite modifié le jugement, y compris l'article 3, qui prévoit l'injonction en question, aux termes du jugement qu'elle a rendu le 19 avril 1995 (motifs du jugement publiés à [1995] 2 C.F. 723, (1995), 80 N.R. 373, 60 C.P.R. (3d) 356). Dans son jugement modifié du 16 mai 1995, la Cour d'appel a de nouveau modifié d'autres dispositions du jugement initial modifié, sans toutefois modifier l'article 3.

     2      (1988), 92 F.L.R. 182 (C.S.S.A.).

     3      59 U.S. 421 (1855) (C.S.É.-U.)

     4      346 U.S. 642 (1960) (C.S.É.-U.).

     5      United States v. Swift & Co., 286 U.S. 106 (1933) (C.S.É.-U.).

     6      [1994] 1 R.C.S. 311, 54 C.P.R. (3d) 114, 111 D.L.R. (4th) 385, 164 N.R. 1.

     7      [1987] 1 R.C.S. 110, [1987] 3 W.W.R. 1, 25 Admin. L.R. 20, 18 C.P.C. (2d) 273, 38 D.L.R. (4th) 321, 73 N.R. 341.

     8      ACIC (Canada) Inc. c. Merck & Co. Inc., (1995), 62 C.P.R. (3d) 362, à la page 365 (C.F. 1re inst.).

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