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     Date: 19981120

     Dossier: T-387-98

         ACTION IN PERSONAM AGAINST ABTA SHIPPING COMPANY LIMITED AND TRADE FORTUNE INC. S.A.                 

Between:

     REMARLO EVANGELISTA NAPA

CYRUS J. FERRAREN

PETER JULIAN EYMARD D. SORIANA

ALMA MOTILLA NOCES

MILAGROS JAVINES SANORJO

EDWINA VIRAY ORBE

ANNA LIZA AGUDOS CALINGA-ON

and

CONCHITA B. ORTEGA

     Plaintiffs

     AND

     ABTA SHIPPING COMPANY LIMITED

and

TRADE FORTUNE INC. S.A.

     Defendants

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une requête des défenderesses en vertu de la règle 208 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) et de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. (1985), ch. F-7, afin que cette Cour suspende l'action entreprise par les demandeurs devant cette Cour1 au motif que cette dernière ne constitue pas le forum approprié pour entendre le litige et ce, à l'inverse de Chypre qui doit être vue, selon les défenderesses, comme le forum le plus approprié à cet égard.2

Les faits

[2]      Il ressort des allégations des demandeurs que le 16 janvier 1998 le navire M.V. FLARE se dirigeait vers Montréal afin d'y charger une cargaison de grains. Alors qu'il se situait en eaux canadiennes, c'est-à-dire dans le golfe du Saint-Laurent au large des côtes de Terre-Neuve, le M.V. FLARE se rompit en deux et sombra subséquemment.

[3]      Suivant les demandeurs, au moment du naufrage, les conditions atmosphériques et maritimes étaient normales.

[4]      L'équipage du FLARE comptait vingt-cinq membres d'équipage composé majoritairement de marins philippins. Quelques membres étaient d'origine grecque et au moins un marin était un ressortissant yougoslave.

[5]      Des vingt-cinq membres d'équipage, seulement quatre membres furent rescapés et survécurent audit naufrage.

[6]      Trois d'entre eux, des Philippins, sont parmi les demandeurs dans le présent dossier. Le quatrième, Petar Markovic, Yougoslave, se trouve être le demandeur dans le dossier T-1344-98.3

Analyse

     Forum non conveniens: principe général applicable et fardeau de la preuve

[7]      Il appert que l'énoncé suivant reflète le principe général applicable à la doctrine du forum non conveniens:

                 Unless the balance is strongly in favour of the defendant, the plaintiff's choice of forum will rarely be disturbed, especially if that forum is the natural forum, that is, the one with which the action has the most real and substantial connection.4                 

[8]      C'est en des termes similaires que la Cour suprême en 1993 énonça sa compréhension de cette doctrine:5

                 [... j']estime qu'il faut établir clairement qu'un autre tribunal est plus approprié pour que soit écarté celui qu'a choisi le demandeur. C'est la position que le juge McLachlin (maintenant juge de notre Cour) a prise dans l'arrêt Avenue Properties Ltd. c. First City Dev. Corp. (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 45.                 
                 (souligné dans le texte)                 

[9]      Si en bout de course, cette preuve claire n'est pas établie ou que plus d'un forum ou ressort peuvent être vus comme appropriés, le forum choisi initialement par un demandeur prévaudra. C'est ce qui ressort des propos de la Cour suprême dans l'arrêt Antares Shipping Corporation c. Le Navire "Capricorn" et autres, [1977] 2 R.C.S. 422, aux pages 448, 449 et 454:

                 [...] the overriding consideration which must guide the Court in exercising its discretion [...] must, however, be the existence of some other forum more convenient and appropriate for the pursuit of the action and for securing the ends of justice. [...] this cause of action has some relationship with at least three jurisdictions outside of Canada. [...] The issue here is whether any one of them is more convenient or suitable than the Federal Court of Canada. [...] there is no factual basis for concluding that any one of the foreign jurisdictions to which reference has been made would provide a forum in which the facts could be assembled and the issue tried without causing inconvenience to one or more of the parties.                 

[10]      On retient une même position des propos suivants de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Yasuda Fire & Marine Insurance Co. Ltd. c. Le navire Nosira Lin et ses propriétaires (Nosira Shipping Ltd.), [1984] 1 C.F. 895, en page 902:

                 The question to be answered, therefore, is whether the respondent has shown that justice would be done between the parties in Japan at substantially less inconvenience and expense than in Canada. No evidence has been adduced to show the inconvenience and expense of proceeding in Canada rather than Japan. In these circumstances, while I am inclined to think that there would be some advantage in proceeding in Japan, I am unable to say that this advantage would certainly exist or, if it exists, that it would be substantial.                 

[11]      Par ailleurs, il est clair selon moi que c'est aux défenderesses qu'il revient en l'espèce d'établir cette preuve claire en faveur de Chypre. On ne saurait ici devant cette Cour se référer à la signification ex juris effectuée pour soutenir que ce sont les demandeurs qui ont le fardeau d'établir que le Canada est clairement le forum approprié. La signification hors du Canada s'effectue maintenant en cette Cour sans nécessité d'autorisation (voir de façon générale sur ce point l'arrêt Amchem, supra, page 921).

     Facteurs à considérer

[12]      Bien que l'auteur Castel6 fasse état d'une série de facteurs que les tribunaux ont pu retenir au fil des ans, les défenderesses ont mis de l'avant certains facteurs qui recoupent ceux élaborés en doctrine afin d'établir que Chypre doit être vue comme le ressort le plus approprié. Il est donc raisonnable de considérer avant tout ces facteurs pour évaluer la force de la position des défenderesses. Ces facteurs peuvent se regrouper sous quatre chefs, à savoir:

     1.      que les contrats d'emploi des demandeurs incluent une clause par laquelle Chypre a été retenue comme le forum pour résoudre tout litige;
     2.      que le FLARE battait pavillon chypriote et que les documents le concernant avaient été émis sous l'égide du gouvernement de ce pays;
     3.      que les défenderesses poursuivaient leurs affaires à Chypre;
     4.      les fautes reprochées aux défenderesses ont pris naissance à Chypre.

[13]      Il y a lieu de revoir à tour de rôle chacun de ces facteurs.

     1.      que les contrats d'emploi des demandeurs incluent une clause par laquelle Chypre a été retenue comme le forum pour résoudre l'action à l'étude         

[14]      Après une revue des documents contractuels colligés par les défenderesses, il m'est très difficile de me rendre à la conclusion que Chypre a été retenue par les demandeurs comme le forum pour résoudre le litige mû devant cette Cour.

[15]      Premièrement, les défenderesses ont fait référence à une entente spéciale par laquelle la propriétaire enregistrée du FLARE, soit la défenderesse Abta Shipping Company Ltd. (Abta), et la "Federation of Transport, Petroleum and Agricultural Workers of Cyprus", aussi connue comme la FTPAW, ont convenu que les conditions de travail des marins à bord du FLARE seraient régies par une convention collective chypriote (la "Cyprus Collective Agreement").

[16]      On note toutefois à la clause 1b) de cette entente spéciale que Abta a l'obligation d'incorporer à chaque contrat individuel d'emploi les termes de cette convention collective.

[17]      Or, lorsque l'on examine l'un quelconque des contrats individuels d'emploi des marins philippins à bord du FLARE, on constate premièrement (exemple, page 127 du dossier de requête des défenderesses) que la clause 2 fait référence à une entente contractuelle générale qui n'apparaît pas être la convention collective mentionnée plus haut. On constate indirectement des pages 121 et suivantes du dossier de requête des défenderesses que cette entente contractuelle est d'origine philippine et non pas chypriote.

[18]      Il est donc loin d'être clair que par ces références, Chypre soit devenue le forum désigné d'un litige tel que le présent.

[19]      Si l'on regarde un autre contrat individuel d'emploi (exemple, page 131 du dossier de requête des défenderesses), on constate que l'on y a apposé une étampe qui indique essentiellement que ce contrat individuel d'emploi est en vigueur suite à une entente bilatérale entre le gouvernement des Philippines et celui de Chypre.

[20]      Cette mention, même si l'on voulait lui donner toute la force voulue par les défenderesses, n'établit en rien que Chypre est le forum choisi. De plus, on ne sait pas par qui et quand cette mention fut portée au contrat. L'entente bilatérale à laquelle il est fait référence n'a pas été produite en preuve. Enfin, seuls quelques contrats individuels, et non tous, portent cette mention.

[21]      Dans le même ordre d'idées, les défenderesses ont fait référence à une clause spécifique au contrat de Petar Markovic (dossier T-1344-98) pour soutenir que le droit applicable est le droit de Chypre. Cette clause est la clause 4 au contrat et elle se lit comme suit:

                 4.      FOR ANY PROBLEM: ACCORDING LAWS OF SHIPS FLAG.                 

[22]      Je suis d'accord avec le procureur de ce demandeur pour dire qu'en raison du libellé pour le moins imprécis de cette clause, la signification de cette dernière est loin d'être certaine.

[23]      Que peut vouloir signifier "For any problem"? Entend-t-on par là le genre de problème purement technique qu'un marin peut rencontrer dans le cours de l'exécution du contrat? Les clauses entourant cette clause 4 nous permettent de le croire.

[24]      À mon avis, cette clause n'établit pas de façon assurée que le droit de Chypre est celui qui doit s'appliquer face à l'action intentée.

[25]      Même si pour fins d'argumentation, l'on restreint la polémique à savoir que les relations contractuelles entre les marins et les défenderesses devraient être régies par le droit de Chypre ou des Philippines et non par celui du Canada, la prépondérance du droit de Chypre ne m'apparaît pas avoir été établie. Bien au contraire, les contrats individuels se rapprochent davantage du droit des Philippines. Partant, si c'est le droit des Philippines qui devra prévaloir, il m'appert que l'on doit tenir que la Cour fédérale du Canada est aussi compétente pour appliquer le droit des Philippines que ne le seraient les tribunaux de Chypre.

     2.      que le FLARE battait pavillon chypriote et que les documents le concernant avaient été émis sous l'égide du gouvernement de ce pays         

[26]      Les défenderesses ont produit en preuve les documents propres à conclure que le FLARE était enregistré à Chypre et que ce dernier battait pavillon de ce pays. Une preuve documentaire tend à établir également que le propriétaire enregistré de ce navire, Abta, aurait sa principale place d'affaires à Chypre et qu'il en serait de même pour le propriétaire-gérant enregistré du navire, A. Phellas Management (Shipping) Ltd.

[27]      Toutefois, les demandeurs ont produit une preuve par affidavit qui vient jeter un bémol sur ces données reliant le FLARE à Chypre.

[28]      Par cette preuve, les demandeurs soutiennent que le pavillon grec qu'arborait le navire n'en était qu'un de convenance, et qu'en effet ce pavillon avait été recherché principalement pour faciliter mondialement les relations de travail touchant le navire.

[29]      Les demandeurs ont cherché à établir également que les vrais propriétaires dans les faits du navire étaient deux ressortissants grecs dont les affaires se déroulaient en Grèce et non à Chypre. De même, le véritable gérant du navire serait l'autre défenderesse en l'instance, soit Trade Fortune Inc. S.A., dont les affaires se dérouleraient en Grèce également et qui aurait comme administrateurs les ressortissants grecs identifiés comme les véritables propriétaires du navire. Les demandeurs ont également produit un document qui porte à croire que même la garde côtière grecque voyait le FLARE comme un navire grec.

[30]      Face à cette preuve des demandeurs, les défenderesses n'ont pas cherché à corriger le tir en produisant un ou des affidavits qui auraient établi une corrélation entre la situation sur papier du FLARE et la réalité. Les défenderesses s'en sont plutôt tenues à la preuve documentaire produite initialement.

[31]      Je considère que face à la preuve contradictoire introduite par les demandeurs, cette preuve des défenderesses ne peut recevoir qu'une valeur relative.

[32]      D'autre part, les défenderesses ont fait état du fait que la documentation touchant l'état et l'entretien du FLARE aurait été émise sous l'égide du gouvernement de Chypre. C'est là un fait. Toutefois, il appert de la preuve des demandeurs que la presque totalité de ces documents n'ont pas été directement émis à partir de Chypre mais bien d'endroits aussi variés que de Londres en Angleterre, de la Corée du Sud, de Cuba et de la Grèce. À mon avis cette variété d'endroits tendrait à démontrer que le droit applicable quant à la condition d'entretien du FLARE pourrait relever davantage du droit international et de coutumes internationales que du droit de Chypre simplement.

     3.      que les défenderesses poursuivaient leurs affaires à Chypre         

[33]      Pour les motifs exprimés au point 2 ci-haut, cette allégation des défenderesses ne peut obtenir qu'un poids relatif.

     4.      les fautes reprochées aux défenderesses ont pris naissance à Chypre et c'est ce droit, partant, que l'on doit appliquer         

[34]      Cette allégation repose au départ sur la prémisse que Chypre constitue véritablement la principale place d'affaires des défenderesses. L'on a vu auparavant que cette prémisse est sérieusement attaquée.

[35]      De plus, et nonobstant le situs de cette place d'affaires, il découle des fautes reprochées aux défenderesses par les demandeurs que ces fautes peuvent difficilement être vues comme ayant pris place uniquement à cette place d'affaires. Je pense qu'il est plus raisonnable de retenir, tel que l'a soumis le procureur du demandeur Markovic dans le dossier T-1344-98, que ces fautes, si l'on devait conclure qu'elles ont effectivement pris place, ont été commises au fil des ans et aux lieux où le FLARE a pu être entretenu ou réparé. Encore ici, le droit international pourrait être requis.

[36]      Voilà pour les facteurs principaux soulevés par les défenderesses. D'autres facteurs soulevés de part et d'autre méritent également qu'on les revoit.

     5.      le fait que les parties et des témoins principaux soient domiciliés hors du Canada et que seul le naufrage du navire relie le litige au Canada         

[37]      Ces arguments ont été soulevés par les défenderesses. En réponse au premier de ces arguments, je fais miens les propos soulevés par le procureur des demandeurs:

                 The Plaintiffs, the Defendants and some of the key witnesses to the incident may reside outside of Canada but they also reside outside of Cyprus. However, some potential key witnesses to the incident do reside in Canada, inter alia:                 
                      .      Canadian ECAREG personnel                 
                      .      Canadian marine pilots                 
                      .      Canadian Port State Control officials                 
                      .      Canadian Search and Rescue personnel                 
                      .      Canadian Coast Guard personnel                 
                      .      Transport Canada Officials                 
                      .      Canadian Transportation Safety Board investigators                 
                      .      Weather expert                 
                      .      Metallurgical expert                 
                      .      Medical expert                 

[38]      Dans le même ordre d'idées, les défenderesses ont soulevé que finalement le seul lien de ce litige avec le Canada est le fait que le navire ait sombré en eaux canadiennes. Cependant, la liste des organismes énumérés ci-haut illustre le fait que dans les heures qui ont suivi le naufrage du FLARE, une opération de sauvetage a vraisemblablement été mise en place à partir du Canada. Partant, il est loisible de soutenir que bon nombre des personnes ainsi impliquées pourront être appelées à témoigner pour circonscrire les faits pertinents au naufrage ainsi que relativement à l'appréciation des traumatismes constatés alors chez les membres d'équipage en détresse.

     6.      multiplicité de poursuites à l'étranger         

[39]      Les défenderesses ont soulevé qu'elles devaient faire face à une multiplicité de poursuites à l'étranger relativement audit naufrage et que le maintien des poursuites au Canada leur causerait en conséquence une injustice grave.

[40]      En réponse à cette affirmation, les demandeurs ont souligné que quant au litige entrepris en Grande-Bretagne, ce dernier n'a eu pour but que l'obtention d'une injonction Mareva en vue de geler en ce pays le produit d'assurance payé à Abta suite au naufrage.

[41]      Quant à deux poursuites toujours pendantes en Grèce, les demandeurs soutiennent avec une logique certaine que les autres poursuites instituées en ce pays ont été réglées et que l'une ou l'autre, sinon les deux poursuites restantes pourraient fort possiblement subir le même sort. On ne peut donc parler de multiplicité de poursuites à l'étranger. Qui plus est, il faut retenir, tel qu'il fut souligné, que ces poursuites restantes prennent place en Grèce et non à Chypre. En ce sens, Chypre ne peut être vue comme un pôle d'attraction.

     7.      Chypre n'entraînerait pas de gains juridiques pour les défenderesses ou de pertes juridiques pour les demandeurs         

[42]      Cette allégation fut portée par les défenderesses. Toutefois, elle a été vigoureusement contestée par les demandeurs qui soutiennent avec force et détails que Chypre ne possède pas des règles de divulgation de la preuve documentaire aussi libérales que celles de cette Cour et que, dans leur situation, les demandeurs comptent beaucoup sur ces dernières.

[43]      Les demandeurs insistent de plus sur le fait qu'à Chypre, les défenderesses pourraient compter sur une limite de responsabilité dont le plafond serait de dix fois inférieur à celui prévalant au Canada.

[44]      Sur cet aspect des avantages juridiques, les arguments des demandeurs quant à l'avantage de demeurer au Canada doivent prévaloir.

Conclusion quant au forum approprié

[45]      Pour les motifs ci-haut exprimés, j'en viens à la conclusion que les défenderesses ne se sont pas acquittées de leur fardeau de preuve de convaincre cette Cour que dans les circonstances Chypre doive être clairement vue comme le forum le plus approprié pour entendre l'action des demandeurs.

Autres aspects de la requête

[46]      Alternativement à une déclaration favorable quant au forum approprié, les défenderesses ont requis diverses autres mesures qui méritent qu'on s'y arrête vu notre conclusion quant au forum approprié.

[47]      Les défenderesses ont premièrement requis que la description des parties demanderesses soit amendée et ce, afin que les dispositions de la Partie XIV de la Loi sur la marine marchande, supra, soient respectées.

[48]      Pour ce qui est du dossier T-387-98, le procureur des demandeurs s'est rendu aux vues de sa collègue représentant les défenderesses et a accepté en ce qui a trait aux demandeurs ayant survécu au naufrage, soit les demandeurs Napa, Ferraren et Soriana, à ce que les épouses et les personnes à charge de ces derniers soient nommément listées comme demanderesses à l'action.

[49]      Il a de plus accepté en ce qui a trait aux demanderesses se trouvant être les épouses de marins décédés, soit les demanderesses Noces, Sanorjo, Orbe, Calinga-On et Ortega, de se conformer aux exigences des paragraphes (1) et (2) de l'article 650 de la Loi sur la marine marchande, supra. Cet article 650 se lit comme suit:

                      650. (1) Dans son exposé de réclamation, le demandeur doit mentionner les personnes pour lesquelles et au nom desquelles l'action est intentée.                 
                      (2) Le demandeur doit produire, avec l'exposé de réclamation, un affidavit dans lequel il déclare qu'au mieux de ses connaissance et croyance, les personnes au nom de qui l'action est intentée, comme en fait mention l'exposé de réclamation, sont les seules qui ont droit ou prétendent avoir droit à bénéficier en l'espèce.                 
                      [...]                 

[50]      Les parties se sont entendues en Cour pour que le procureur des demandeurs apporte les amendements susmentionnés à la déclaration d'action dans un délai raisonnable, le tout sujet aux droits des défenderesses de déposer une défense amendée lorsque cette déclaration amendée sera produite ainsi que sous réserve de leur droit de présenter une requête pour forcer les demandeurs à agir si ces derniers tardent à se faire.

[51]      En ce qui a trait au dossier T-1344-98, le demandeur est un des survivants du naufrage et il poursuit en son nom et au nom de son épouse et de ses deux fils majeurs. Son procureur s'est référé à la règle 114 pour soutenir que le demandeur avait la liberté d'entreprendre lui- même l'action en son nom et au nom des personnes à sa charge. La règle 114 dans sa partie pertinente se lit comme suit:

                      114. (1) Lorsque des personnes ont un intérêt commun dans une instance, celle-ci peut être engagée par ou contre l'une ou plusieurs de ces personnes au nom de toutes celles-ci ou de certaines d'entre elles.                 

[52]      Bien qu'en théorie il soit difficile de nier au demandeur la possibilité de se servir de la règle 114, il m'apparaît dans les circonstances que l'action dans ce dossier devrait lister comme parties séparées l'épouse ainsi que les fils majeurs du demandeur. Cet amendement est simple à apporter. De plus, il ne signifie pas nécessairement un cautionnement pour frais plus exigeant advenant une demande en ce sens des défenderesses.

[53]      De plus, cet amendement permettra assurément aux défenderesses d'interroger éventuellement chacun des demandeurs sur ses dommages respectifs. Dans le cadre de la présente action, si celle-ci devait réussir, cet aspect des dommages respectifs pourrait représenter un élément important.

[54]      Enfin, un tel amendement assurera un certain parallèle avec le dossier T-387-98, dossier dont on a requis qu'il soit instruit conjointement avec le T-1344-98.

[55]      Ce dernier point rejoint une autre demande alternative des défenderesses, soit que les deux dossiers susmentionnés soient instruits conjointement en vertu de la règle 105a). Comme cette mesure a reçu l'aval des parties demanderesses dans les deux dossiers, il en sera ordonné ainsi.

[56]      Par ailleurs, tel que convenu en Cour, les défenderesses auront quarante-cinq (45) jours à compter de l'ordonnance accompagnant les présents motifs pour signifier et déposer leur défense.

Les frais

[57]      Il faut retenir sous cette rubrique que c'est la partie de la requête des défenderesses portant sur le forum approprié qui assurément a monopolisé le temps et les énergies des procureurs des demandeurs tant au niveau de la préparation de leur défense à cette requête que lors de l'audition de celle-ci.

[58]      À cet égard, les demandeurs dans chacun des deux dossiers qui nous occupent ont réclamé avec force à ce que les frais leur soient accordés dans chaque dossier sur une base avocat-client.

[59]      Selon eux, cette requête des défenderesses était tout à fait frivole et inutile tout en requérant d'eux un temps de préparation considérable et des démarches de recherche de preuve importantes. Même si l'on peut voir une certaine contradiction entre le fait de décrier une requête comme étant frivole et le fait d'avoir investi beaucoup de temps pour la combattre, je suis néanmoins d'avis qu'en l'espèce l'octroi usuel de frais, donc suivant la colonne III du Tarif B, ne serait pas réaliste.

[60]      Toutefois, on doit retenir qu'une condamnation sur une base avocat-client est exceptionnelle et ne survient normalement que face à une situation telle que décrite dans l'arrêt Belgo Nineira Comercial Exportadora S.A. v. Hadley Shipping Co. (1997), 131 F.T.R. 36, à la page 40:

                 [12] Solicitor/client costs "... are exceptional and generally to be awarded only on the ground of misconduct connected with the litigation.": Amway Corp. v. R., [1986] 2 C.T.C. 339, at 340 (F.C.A.). Indeed, "Solicitor-client costs are generally awarded only where there has been reprehensible, scandalous or outrageous conduct on the part of one of the parties.": Young v. Young et al., [1993] 4 S.C.R. 3; 160 N.R. 1; 34 B.C.A.C. 161; 56 W.A.C. 161, at 41.                 

[61]      Ici, je ne suis pas d'avis que les défenderesses se sont engagées à l'égard de la présente requête dans une conduite telle que celle dénoncée dans l'arrêt Belgo.

[62]      Compte tenu de l'ensemble des facteurs listés à la règle 400(3), et plus particulièrement des facteurs mentionnés aux alinéas 400(3)a), c) et g), il m'apparaît qu'il est juste et raisonnable d'accorder aux demandeurs dans chacun des deux dossiers ici impliqués leurs frais au maximum de la colonne V du Tarif B.

[63]      Une ordonnance sera émise en fonction des présents motifs. Ces derniers ainsi que l'ordonnance les accompagnant sont applicables mutatis mutandis au dossier T-1344-98.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 20 novembre 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-387-98

ACTION IN PERSONAM AGAINST ABTA SHIPPING COMPANY LIMITED AND TRADE FORTUNE INC. S.A.

Between:

REMARLO EVANGELISTA NAPA, CYRUS J. FERRAREN, PETER JULIAN EYMARD D. SORIANA, ALMA MOTILLA NOCES, MILAGROS JAVINES SANORJO, EDWINA VIRAY ORBE, ANNA LIZA AGUDOS CALINGA-ON and CONCHITA B. ORTEGA

     Plaintiffs

AND

ABTA SHIPPING COMPANY LIMITED

and

TRADE FORTUNE INC. S.A.

     Defendants

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 28 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 20 novembre 1998

COMPARUTIONS:

Me Laurent Fortier pour les demandeurs

Me Danièle Dion pour les défenderesses

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Stikeman, Elliott pour les demandeurs

Me Laurent Fortier

Montréal (Québec)

Brisset Bishop pour les défenderesses

Me Danièle Dion

Montréal (Québec)

__________________

     1Une même requête a été entreprise par les défenderesses dans le dossier T-1344-98. C'est là un dossier qui implique essentiellement les mêmes faits que le présent dossier T-387-98. L'audition a donc valu pour ces deux dossiers et les présents motifs ainsi que l'ordonnance à émettre vaudront pour les deux dossiers.

     2Quoique les défenderesses réclamaient la radiation pure et simple de l'action des demandeurs sur cette base de forum non conveniens, la procureure de ces dernières n'est pas revenue à la charge à l'audition de la requête sur cette demande de radiation. Partant, seule la possibilité de suspendre l'instance est ici étudiée.

     3Advenant que la requête des défenderesses en suspension soit rejetée, les parties se sont montrées d'accord pour que le présent dossier et le dossier T-1344-98 soient instruits conjointement en vertu de la règle 105. De plus, sauf en ce qui a trait au dossier T-1344-98, les procureurs des demandeurs se sont rendus aux demandes des défenderesses et ont accepté, en cas de continuation, de parfaire la description des parties demanderesses pour ce qui est desdites parties qui ne sont pas en elles-mêmes des membres d'équipage survivants et pour fournir les affidavits recherchés par la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R. (1985), ch. S-9. Nous reviendrons en fin de motifs sur ces aspects de nature plus procédurale.

     4J.G. Castel, Canadian Conflicts of Law, 4e éd., page 257.

     5Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897, p. 921.

     6Supra, note 4.

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