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Date : 20010215

Dossier : T-2280-99

Référence neutre : 2001 CFPI 83

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                               demandeur

- et -

CARMEL GIROUARD et M.H.F. GILBERT

                                                                                                                           défenderesses

              

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 novembre 1999 par le comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le comité d'appel), lequel a accueilli l'appel formé par la défenderesse Girouard à l'encontre de la sélection de la défenderesse Gilbert, en vue d'être nommée au poste de coordonnateur des langues officielles (AS-02) au sein de la Gendarmerie royale du Canada à Fredericton (Nouveau-Brunswick).


[2]                À la page 36 de sa décision, le comité d'appel est arrivé à la conclusion qui suit, à l'égard de la modification apportée au délai en vue de répondre aux besoins de la défenderesse Girouard :

[TRADUCTION] ... selon le critère établi par la Cour suprême dans Columbie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, mentionné précédemment, la preuve prima facie de discrimination apportée par l'appelante n'a pas reçu un traitement adéquat par le jury de sélection puisque le ministère n'a pas réussi à démontrer que l'exercice de simulation pour superviseur (428) constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ) dans la dotation du poste visé par le concours. Il en découle que le principe du mérite n'a pas été respecté.

Le comité d'appel ne s'est pas prononcé sur le point de savoir si la salle de tests était convenable, puisqu'il avait déjà tranché l'appel sur la question de la modification apportée au délai.

[3]    Les questions en litige sont les suivantes : (1) le comité d'appel a-t-il appliqué le critère juridique approprié lorsqu'il s'est agi de déterminer si le principe du mérite avait été respecté? (2) le comité d'appel a-t-il violé les principes de justice naturelle lorsque, dans son application du critère de l'exigence professionnelle justifiée (EPJ), il n'a pas fourni au demandeur la possibilité raisonnable de traiter des questions soulevées par le critère?


LES FAITS

[4]                La GRC a ouvert un concours interne en vue de doter le poste de coordonnateur des langues officielles, AS-02, à Fredericton (Nouveau-Brunswick). La date limite d'inscription était fixée au 27 mai 1999 et l'avis de concours signalait aux candidats éventuels qu'ils devaient se soumettre à l'exercice de simulation pour superviseur de la CFP (428). Six personnes ont posé leur candidature conformément à l'avis de concours. Toutefois, un candidat a été exclu du concours à l'étape de la présélection parce qu'il ne répondait pas aux critères de présélection décrits à l'énoncé de qualités. Les autres candidats ont participé au CFP 428.

[5]                Le CFP 428 est une mise en situation, portant sur l'encadrement d'un groupe de travail axé sur le service à la clientèle, en vue d'évaluer la performance du candidat. Les candidats reçoivent, une semaine à l'avance, de la documentation en vue de se préparer à l'exercice. Le jour de l'examen, le candidat dispose d'un délai de deux heures et demie pour faire l'étude d'une série de 14 points (lettres, notes de service, demandes), pour rédiger un sommaire et pour faire un exposé oral devant le jury de sélection.


[6]                Il s'agit d'un outil utilisé pour évaluer dans quelle mesure le candidat peut assimiler des renseignements provenant de sources variées et en faire la synthèse, peut trouver des solutions à des problèmes d'ordre pratique reliés à l'exécution du travail et aux difficultés d'encadrement, et peut démontrer une capacité de communiquer efficacement de vive voix et par écrit. Le délai alloué pour faire l'examen est important puisque le CFP 428 fait appel aux exigences requises pour faire face à une situation d'ordre pratique qui commande l'accomplissement des tâches dans un délai restreint.

[7]                Les capacités suivantes étaient énumérées dans l'énoncé de qualités relié au poste en question sous la rubrique « Capacités et compétences » :

[TRADUCTION] Capacité de communiquer de vive voix et par écrit.

Capacité de gérer les ressources humaines et financières.

Capacité de dégager les difficultés et formuler des recommandations.

Capacité d'obtenir les résultats prévus en parachevant les activités dans un délai raisonnable.

[8]                Le 12 juin 1999, la défenderesse Girouard a été informée que son examen aurait lieu le 24 juin 1999. Le 17 juin 1999, elle a fait une demande à Mme Denise Ringuette, conseillère en ressources humaines au sein de la GRC, pour obtenir un délai supplémentaire. Mme Girouard a joint à sa demande une lettre signée par son psychologue, dans laquelle ce dernier précise entre autres choses :

[TRADUCTION] Elle est actuellement inscrite sur ma liste d'attente en vue d'une évaluation, mais elle m'a fourni quelques renseignements à titre préliminaire.

Carmel m'a mis au courant qu'elle se présentera à un examen qui lui donnerait la possibilité d'exercer un nouvel emploi, et qu'il s'agit d'un examen à temps fixe. D'après les renseignements que j'ai obtenus jusqu'à maintenant, je crois qu'un examen à temps fixe ne mesurerait pas de façon fiable les capacités et le rendement de Carmel. Afin de mesurer de façon plus fiable les capacités et le rendement de Carmel, il serait préférable que l'examen, quel qu'il soit, n'ait pas de limite de temps. Si toutefois cela n'était pas possible, il serait préférable de lui laisser à tout le moins deux fois plus de temps que le délai habituellement alloué pour l'examen. De plus, il est important de permettre à Carmel de travailler dans un environnement très tranquille.


[9]                Mme Ringuette a ensuite parlé à Mme Derry Neufeld, consultante en évaluation affiliée au Centre de psychologie du personnel à Ottawa, au sujet de l'adaptation particulière à prévoir dans le cas de Mme Girouard. À la suite de cette conversation, la GRC a décidé de modifier la répartition du temps pour l'avantager. Mme Ringuette s'est adressée à Mme Neufeld en ces termes, dans une note de service en date du 18 juin 1999 :

[TRADUCTION] Le temps alloué pour l'examen est modifié: il sera de 3.75 heures avec deux pauses de 10 minutes pour la partie écrite de la mise en situation, au lieu de 2.5 heures. Mme Girouard devra tout de même faire son exposé oral en 15 minutes, toutefois les membres du jury seront avisés de la demande spéciale faite par Mme Girouard afin de veiller à ce que ses besoins soient comblés de façon satisfaisante au cours de la période de questions et de l'exposé oral.

  

[10]            Par la suite, Mme Neufeld a rédigé une justification des recommandations formulées en réponse aux besoins de Mme Girouard, lesquelles comprenaient notamment l'énoncé suivant :

[TRADUCTION] Les recommandations, qui ont trait à l'adaptation requise aux examens pour le bénéfice des candidats ayant un handicap, et qui sont apportées aux outils d'évaluation du CFP, doivent tenir compte de trois éléments :

1) la nature du handicap du candidat

2) l'exigence justifiée du poste à doter

3) la sorte d'examen ou autre méthode d'évaluation utilisée.


[11]            Après avoir examiné le handicap de la candidate et avoir décidé qu'elle aurait besoin d'un délai supplémentaire en situation d'évaluation, Mme Neufeld a poursuivi avec une revue des qualifications requises pour le poste. Elle a indiqué que le poste :

[TRADUCTION] [ ... ] comporte un degré élevé de responsabilité et d'autonomie, puisque la personne qui supervise le poste travaille dans une autre région. Il y a beaucoup de demandes urgentes, et les délais sont décisifs dans ce genre de travail. Les aptitudes à la communication du candidat sont rudement mises à l'épreuve dans le cadre de l'emploi, puisque des demandes de renseignements, de vive voix ou écrites, sont fréquemment requises [ ... ]. Le poste comporte également l'encadrement d'employés de bureau.

[12]            Sous la rubrique « Utilisation des outils d'évaluation » , elle a analysé l'exercice de simulation pour superviseur figurant à l'échantillon d'activités professionnelles 428, lequel consiste à mettre en situation le travail d'encadrement requis auprès d'un groupe de travail axé sur le service à la clientèle. Elle a conclu ainsi :

[TRADUCTION] Puisque l'examen fait appel aux exigences requises pour faire face à une situation d'ordre pratique, et pour accomplir les tâches dans un délai restreint, le délai alloué pour faire l'examen est important.

Elle a ensuite formulé des recommandations au sujet de Mme Girouard, dans lesquelles elle réaffirmait sa position quant à l'octroi d'un délai supplémentaire de 50 % et indiquait qu'une prorogation de délai supérieure à 50 % n'était pas appropriée « puisqu'il est nécessaire de respecter l'exigence justifiée par le poste » .


[13]            Par ailleurs, Mme Neufeld a suggéré l'accès à une salle d'examen tranquille. Elle a conclu en ces termes :

[TRADUCTION] Les recommandations faites par le psychologue clinicien pour que Carmel ne subisse pas la contrainte d'un délai, ou pour qu'elle bénéficie de deux fois plus de temps, n'ont pas été envisagées dans la présente recommandation parce qu'elles ne tenaient compte ni de l'exigence justifiée par le poste, ni de la nature de l'exercice de mise en situation utilisé dans le cadre de la présente évaluation.

[14]            Le 18 juin 1999, Mme Girouard a été informée qu'en réponse à ses besoins un délai supplémentaire et l'accès à une salle tranquille lui avaient été octroyés.    Mme Girouard n'a pas répondu à cette lettre, et le 24 juin 1999 elle a fait l'examen mais elle l'a échoué. Selon Mme Ringuette, qui était présente pendant tous les exposés dont celui de Mme Girouard, celle-ci a [TRADUCTION] « réussi à répondre à seulement 8 ou 9 points sur l'ensemble des 14 » . Le comité d'appel a résumé comme suit le témoignage de Mme Ringuette, à la page 18 de ses motifs :

[TRADUCTION] Le sommaire [Mme Girouard] a commencé de façon boiteuse, de telle sorte que son exposé sur l'ensemble des quatorze points a été très lent. Il est loisible aux candidats de donner des détails pendant quelques minutes et de parler au sujet des quatorze points, et les remarques des membres du jury indiquent que le sommaire de l'appelante n'était pas très solide. L'appelante a subséquemment donné des justifications pour l'ensemble des quatorze points et, là encore, selon les remarques des membres du jury et selon sa mémoire des faits à l'audition, il est permis de constater qu'elle a couvert plusieurs des points mais pas de façon très détaillée. Même si l'appelante avait terminé la série des quatorze points, il semble qu'elle n'ait pu en traiter aucun en profondeur et qu'elle ne paraissait pas correspondre tout à fait aux attentes du jury de sélection.

Un autre témoin a signalé que les autres candidats n'avaient pas tous terminé les 14 points de la série.


[15]            Conformément à l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la défenderesse Girouard a interjeté appel de la nomination d'une autre candidate, MHF Gilbert, au poste de coordonnateur des langues officielles. L'appel a été accueilli.

L'ANALYSE

[16]            Tout d'abord, s'agissant de la question de répondre à la demande faite par la défenderesse pour avoir accès à une salle d'examen tranquille, je remarque que le comité d'appel ne s'est pas prononcé à ce sujet. Toutefois, le comité d'appel a effectivement noté que selon le témoignage de la surveillante d'examen, Joan Glencross, le niveau du bruit était relativement faible. La suite des présents motifs portera sur l'analyse faite par le comité d'appel au sujet de la suffisance des modifications apportées au délai dans le but de répondre aux besoins de la défenderesse.

[17]            Le comité d'appel a commencé ainsi son analyse à la page 24 de sa décision :

[TRADUCTION] La question en litige, dans le présent appel, est de savoir si le jury de sélection a fait des aménagements raisonnables en faveur de l'appelante, en ce qui concerne le délai alloué et les conditions dans lesquelles a eu lieu l'examen de simulation pour superviseur de la CFP (428), alors que son psychologue clinicien avait laissé savoir qu'elle pouvait être atteinte du trouble déficitaire de l'attention (TDA).

L'avocat du demandeur a souscrit à cet énoncé initial qui cernait l'objet du litige.


[18]            À la page 25 de ses motifs, le comité d'appel décrivait son rôle ainsi :

[TRADUCTION] Le rôle du comité d'appel dans le cadre du paragraphe 21(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique se limite à établir si le jury de sélection a agi dans le respect du principe du mérite; il s'agit d'un principe issu du paragraphe 10(1) de la Loi qui dispose :

[L]es nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission [ ... ]

Ce sont les jurys de présélection et de sélection qui, à titre de représentants de la Commission, déterminent le mérite des candidats, et ils s'acquittent de cette tâche par tous les moyens qu'ils jugent appropriés sous réserve des règles adoptées dans le but d'assurer l'application du principe du mérite, lequel figure dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, dans le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (1993), et dans d'autre législation par délégation comme par exemple les normes de sélection fixées par la Commission en vertu de l'article 12 de la Loi.   

[19]            Le comité d'appel a poursuivi en faisant l'étude des dispositions législatives et, en particulier, du paragraphe 16(1) de la Loi, ainsi conçu :


16. (1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours.


16. (1) The Commission shall examine and consider all applications received within the time prescribed by it for the receipt of applications and, after considering such further material and conducting such examinations, tests, interviews and investigations as it considers necessary or desirable, shall select the candidates who are qualified for the position or positions in relation to which the competition is conducted.


[20]            À la page 26 de sa décision, le Comité d'appel a rappelé les propos du juge Pennell dans Re O'Byrne and Bazley et al., [1971] 3 O.R. 309 (Haute-Cour), à la page 314 :

[TRADUCTION] À mon avis, il ressort du texte clair du paragraphe que la tenue des examens et des entrevues relève du pouvoir discrétionnaire absolu de la Commission.

[21]            Le comité d'appel a ensuite souligné à juste titre :

[TRADUCTION] Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire ne revêt manifestement plus son caractère absolu lorsqu'on tient compte de l'article 12 de la Loi où il est prévu que des normes de sélection soient établies et qu'il est impératif que ces normes ne fassent pas intervenir de distinctions fondées sur la déficience [paragraphe 2], sauf si l'application de la norme contient une exigence professionnelle justifiée (EPJ) [paragraphe 3].

[22]            Le comité d'appel a ensuite examiné les normes de sélection qui figurent à la publication de la CFP, intitulée Renseignements sur la dotation, à la section I, « Normes génériques de sélection et d'évaluation » [1994], avec toutes les modifications. Je souligne les parties de la norme de sélection no 3 qui sont pertinentes, et qui sont tirées de l'extrait reproduit par le comité d'appel.

Le processus d'évaluation doit permettre de traiter tous les candidats et toutes les candidates de façon équitable et non discriminatoire. Néanmoins, une évaluation équitable ne requiert pas nécessairement que l'on utilise les mêmes méthodes d'évaluation ou sources d'information pour tous les candidats et toutes les candidates. Il peut arriver, comme quelquefois lorsqu'il faut évaluer des candidates et des candidats handicapés, que l'on doive modifier les modalités d'évaluation pour assurer une évaluation équitable.

[23]            Le comité d'appel a terminé son étude des dispositions législatives en indiquant en page 28 :

[TRADUCTION] L'établissement d'un certain mérite et l'aménagement dont doivent bénéficier les personnes atteintes d'un handicap sont, en d'autres termes, en relation symbiotique et dépendent l'un de l'autre.


[24]            Le comité d'appel a ensuite examiné la jurisprudence, s'en remettant en particulier à Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU., [1999] 3 R.C.S. 3 (C.S.C.). Le comité d'appel a ainsi conclu à la page 36 :

[TRADUCTION] la preuve prima facie de discrimination apportée par l'appelante n'a pas reçu un traitement adéquat par le jury de sélection puisque le ministère n'a pas réussi à démontrer que l'exercice de simulation pour superviseur (428) constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ) dans la dotation du poste visé par le concours. Il en découle que le principe du mérite n'a pas été respecté.

[25]            Cependant, l'arrêtC.-B.(Public Service Commission), précité, portait sur les droits de la personne et traitait d'une norme professionnelle. L'affaire en l'espèce consiste en un appel entendu par un comité dont la compétence en matière de droits de la personne est limitée. Par ailleurs, il est question dans cette affaire d'un processus d'examen dans le cadre d'un concours servant à doter un poste, et non de normes professionnelles exigées pour le poste. À ce chapitre, le comité d'appel n'a pas posé les bonnes questions.

[26]            À mon avis, le président du comité d'appel a commis une erreur en s'appuyant presque uniquement sur les règles en matière de droits de la personne pour trancher l'affaire. Cela excède la compétence du comité d'appel. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il faut se demander si le droit en matière des droits de la personne s'applique d'une quelconque manière. Il s'agit plutôt d'examiner l'étendue de son applicabilité en l'espèce et l'étendue de la compétence du comité d'appel.


[27]            La principale préoccupation du comité d'appel devrait être de décider, selon la jurisprudence relative à l'article 16, qui est le meilleur candidat conformément au principe du mérite. Toutefois, dans le cadre de sa décision à l'égard du mérite des candidats, la Commission de la fonction publique ne peut faire intervenir de distinctions fondées sur la déficience ainsi qu'il est stipulé à l'article 12 de la Loi. Le paragraphe 10(1) dit notamment ce qui suit :


10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, [ ... ]


10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, ...


Un peu plus loin, le paragraphe 12 prévoit notamment :


12. (1) Pour déterminer, conformément à l'article 10, les principes de la sélection au mérite, la Commission peut fixer des normes de sélection et d'évaluation touchant à l'instruction, aux connaissances, à l'expérience, à la langue, au lieu de résidence ou à tout autre titre ou qualité nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature des fonctions à exécuter et des besoins, actuels et futurs, de la fonction publique.


12. (1) For the purpose of determining the basis for selection according to merit under section 10, the Commission may establish standards for selection and assessment as to education, knowledge, experience, language, residence or any other matters that, in the opinion of the Commission, are necessary or desirable having regard to the nature of the duties to be performed and the present and future needs of the Public Service.


Enfin, le paragraphe 12(3) dispose :


(3) [ ... ] la Commission ne peut faire intervenir de distinctions fondées [ ... ] sur l'état de personne [ ... ] graciée ou la déficience.


(3) The Commission, ... shall not discriminate against any person by reason of ... disability ...


[28]            Le rôle du comité d'appel, aux termes du paragraphe 20(1) de la Loi, est décrit judicieusement par le juge Pratte dans la décision Blagdon c. La Commission de la fonction publique, comité d'appel et A. R. Barrie, [1976] 1 C.F. 615, où il indique à la page 623 :

En résumé, en vertu de la seule règle générale qui régisse l'activité d'un jury de sélection, la sélection doit être fondée sur le mérite. Un comité d'appel, aux termes de l'article 21 de la Loi, remplit une fonction différente. Son devoir ne consiste pas à évaluer de nouveau les candidats mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite; cette décision est « soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire » . Le simple fait que le comité d'appel, s'il avait siégé à titre de jury de sélection, serait parvenu à une conclusion différente de celle du jury de sélection ne constitue pas un motif suffisant pour accueillir l'appel.

[29]            Dans la même décision, le juge Thurlow indique de façon à peu près similaire à la page 618 :

Il convient de souligner qu'un appel de ce genre ne porte pas sur les conclusions du jury de sélection mais sur la nomination ou la nomination proposée du candidat reçu et qu'en conséquence la question principale soumise au comité d'appel est de savoir si le choix du candidat reçu a été effectué conformément au principe du mérite.

[30]            Comme l'a indiqué le juge Thurlow, lorsqu'un candidat non reçu forme un appel sous le régime de l'article 21, il ne conteste pas la décision qui a conclu à son absence de compétences. Il se pourvoit plutôt à l'encontre de la nomination, effective ou imminente, consécutive au concours. Le droit d'appel institué à l'article 21 ne vise pas à protéger les droits d'un appelant en particulier, il vise plutôt à prévenir qu'une nomination soit effectuée en dérogeant au principe du mérite.


[31]            Cela dit, bien que l'objectif premier du comité d'appel soit de décider si le candidat reçu a été sélectionné conformément au principe du mérite, celui-ci doit également veiller à l'absence des distinctions prévues à l'article 12. Contrairement à la Commission des droits de la personne, dont la préoccupation première est d'appliquer les principes en matière des droits de la personne, le comité d'appel a, comme préoccupation première, le principe du mérite.


[32]            L'avocat du demandeur et l'avocat de la défenderesse ont tous deux présenté des arguments concernant la compétence du comité d'appel de se prononcer au sujet de la Loi canadiennne sur les droits de la personne et des principes en matière de droits de la personne, et ils ont examiné l'arrêt MacNeill c. Canada (P.G.), [1994] 3 C.F. 261 (C.A.). À mon avis, l'arrêt MacNeill n'est pas utile pour exposer le droit applicable en la matière, puisqu'il a donné lieu à trois jugements distincts. Le juge Robertson, de la Cour d'appel, est le seul membre de la formation à avoir directement abordé le sujet en cause. Je partage l'opinion du juge Robertson lorsqu'il affirme aux pages 289 et 290 que « le comité d'appel n'a pas le pouvoir d'interpréter et d'appliquer les dispositions relatives à l'emploi que contient la LCDP » . S'il est vrai qu'en l'espèce le comité d'appel n'a pas appliqué les dispositions mêmes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il a appliqué sans l'ombre d'un doute des principes en matière de droits de la personne. À mon avis, la décision du comité d'appel en l'espèce pose problème en ce qu'il a mis son attention uniquement sur les principes en matière de droits de la personne et n'a pas tenu compte du principe du mérite.

[33]            La défenderesse a dit dans son argumentation que selon le Manuel du Conseil du Trésor traitant de la gestion du personnel (chapitre I-5, « Prestation de services aux employés handicapés » ), append. A, à la page A-v, un « aménagement raisonnable » s'entend de ce qu'il est possible de faire pour répondre aux besoins spéciaux des candidats dans l'exercice de leurs fonctions (et des employés), dans la mesure où cet aménagement n'impose pas une « charge onéreuse » à l'employeur.


[34]            Toutefois, le manuel n'a pas été rédigé avec l'intention d'y importer les normes juridiques applicables en matière de droits de la personne. En fait, il s'agit d'une politique que le comité d'appel a traditionnellement consacrée en fondant son évaluation sur des questions visant à déterminer si les examens auxquels ont été soumis tous les candidats ont été tenus d'une manière qui a permis la sélection du meilleur candidat en fonction du mérite. En l'espèce, ces questions pourraient notamment prendre la forme suivante : (1) Le délai supplémentaire qui a été accordé était-il approprié compte tenu de la nature du poste?; ( 2) Le délai supplémentaire était-il équitable à l'égard des autres candidats?; (3) Le handicap de Mme Girouard supposait-t-il que celle-ci avait besoin de plus de temps?; (4) Un délai supplémentaire était-il approprié compte tenu de la nature de l'examen? Or, ce sont précisément les questions de ce genre que le comité d'appel a omis d'aborder parce qu'il a limité son analyse au critère de l'EPJ, selon l'application faite dans l'arrêt C.-B. (Public Service Commission), précité.


[35]            En l'espèce, la GRC s'est efforcée de répondre, dans la mesure du possible, aux besoins de la défenderesse Girouard, en lui laissant un délai un peu plus long que celui réservé aux autres candidats, et en lui donnant accès à une salle réservée à son usage exclusif pour qu'elle fasse l'examen dans un environnement plus tranquille. Le comité d'appel n'a pas abordé la question de savoir si un aménagement raisonnable avait été fourni à la défenderesse eu égard aux exigences du principe du mérite. Il n'a pas examiné non plus si un tel aménagement était équitable à l'égard des autres candidats inscrits au concours. Le comité d'appel s'est plutôt penché sur les questions de savoir si un aménagement raisonnable avait été accordé à la défenderesse Girouard, et s'il existait une EPJ. La question de savoir s'il existe une EPJ est, selon l'arrêt C.-B. (Public Service Commission), précité, du ressort de la Commission des droits de la personne. Au lieu d'admettre que le poste de coordonnateur des langues officielles (AS-02) exigeait une capacité de travailler dans un cadre où les délais restreints sont de rigueur, ce que visait à évaluer le concours en cause en l'espèce, le comité d'appel s'est lancé dans un débat pour savoir si la défenderesse Girouard avait été victime de discrimination de la part du demandeur, lequel a omis d'établir qu'il s'agissait d'une EPJ. Le comité d'appel n'a pas tenu compte du fait que la juge McLachlin, actuellement Juge en chef, examinait la norme d'emploi (ou la norme professionnelle) et non sur le concours à l'égard du poste. En l'espèce, la défenderesse Girouard ne s'est pas opposée à la norme de compétences énoncée par la Commission de la fonction publique. Je signale que l'exercice de simulation pour superviseur (428) est un outil de sélection, et non une norme professionnelle. En conséquence, l'arrêt C.-B. (Public Service Commission), précité, ne s'applique pas en l'espèce.

[36]            Je remarque par ailleurs que le demandeur n'a pas eu l'occasion de traiter convenablement du critère de l'EPJ dans les arguments qu'il a présentés au comité d'appel, étant donné que le critère n'était pas un élément soulevé distinctement dans l'argumentation. Même si le demandeur a effectivement soulevé la question de l'EPJ dans ses considérations touchant les mesures prises pour répondre aux besoins de Mme Girouard, il n'a pas invoqué le critère de l'EPJ établi par l'arrêt C.-B. (Public Service Commission), précité. En se concentrant presque exclusivement sur le critère de l'EPJ pour trancher la présente affaire, le comité d'appel a déplacé le fardeau de la preuve pour l'imposer au demandeur. L'affaire qui, à son point de départ, réclamait à la défenderesse de démontrer que le demandeur avait omis d'exécuter le CFP (428) conformément au principe du mérite, s'est transformée et réclame maintenant que le demandeur démontre que la capacité de travailler dans des délais restreints constitue une exigence professionnelle justifiée requise par le poste en question. Je le répète, ce dernier genre d'enquête n'est pas, à bon droit, du ressort du comité d'appel.


                                        ORDONNANCE

[37]            Pour les motifs exposés précédemment, la demande est accueillie. L'affaire est renvoyée à un comité d'appel différemment constitué pour qu'une décision soit rendue dans le respect des présents motifs.

     « W. P. McKeown »

____________________________

                                                                                               J.C.F.C.                     

Toronto (Ontario)

Le 15 février 2001.

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                        Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                             T-2280-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

      demandeur

- et -

CARMEL GIROUARD et M.H.F. GILBERT

                                                                                                                                       défenderesses

DATE DE L'AUDITION :                                Le mercredi 31 janvier 2001.

LIEU DE L'AUDITION :                                 OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                             MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :                                                 Le jeudi 15 février 2001.

ONT COMPARU :                                         J. Sanderson Graham

pour le demandeur

David Yazbeck

pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:        Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le demandeur

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Avocats et conseillers juridiques

1600-220, av. Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)

K1P 5Z9

pour les défenderesses


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20010215

                                       Dossier : T-2280-99

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                  demandeur

- et -

CARMEL GIROUARD et M.H.F. GILBERT

                                                            défenderesses

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 

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