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Date : 20020531

Dossier : T-646-01

Référence neutre : 2002 CFPI 615

ENTRE :

CLEM PAUL et ALLIANCE MÉTIS NORTH SLAVE

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                              - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE GOUVERNEMENT DU CANADA, représenté par le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et LA PREMIÈRE NATION DOGRIB, représentée par LE CONSEIL DES DOGRIB VISÉS PAR LE TRAITÉ N ° 11

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.        INTRODUCTION

[1]                 Les demandeurs s'adressent à la Cour afin d'obtenir une injonction interlocutoire ainsi conçue :

[Traduction]

a)             Une injonction interlocutoire ordonnant aux défendeurs ou l'un quelconque d'entre eux de ne prendre aucune nouvelle mesure visant à conclure ou à mettre en oeuvre l'accord définitif visé par la demande introductive d'instance jusqu'à ce que :


(i)            la cause ait été entendue et le jugement rendu, ou

(ii)           les défendeurs reconnaissent que l'Alliance est une partie indépendante négociant au nom des Métis de North Slave dans le cadre du processus d'accord avec les Dogrib et que les demandeurs signent ou acceptent l'accord de principe visé par la demande introductive d'instance de la demanderesse, l'Alliance métis North Slave (l'Alliance); ou

(iii)          l'Alliance indique par écrit qu'elle accepte que de telles mesures soient prises.[Non souligné dans l'original.]

[2]                 Le 7 janvier 2000, les défendeurs ont signé un accord de principe devant mener à la conclusion d'un accord définitif qui, une fois ratifié, le cas échéant, constituera un accord sur des revendications territoriales globales et l'autonomie gouvernementale au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 en ce qui concerne la région North Slave, dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.). Selon l'accord de principe, cette région a traditionnellement été utilisée et occupée par la Première nation Dogrib (la Nation Dogrib), représentée dans le cadre des négociations par le Conseil des Dogrib visés par le Traité n ° 11 (le Conseil des Dogrib).


[3]                 Clem Paul, un Métis résidant à Yellowknife (T.N.-O.), affirme ne pas être un Dogrib ni être d'ascendance Dogrib. Il se décrit plutôt comme un descendant des familles métisses d'origine franco-crie qui se seraient établies dans la région North Slave vers la fin de la décennie 1770. Comme il était fréquent que les membres de ces différentes familles se marient entre eux, elles ont fini par former une collectivité distincte avec des traditions, une langue (le Michif), une culture et un mode de vie qui leur sont propres. Cette collectivité est devenue un peuple autochtone à part entière, les Métis indigènes de la région North Slave, habilités à se prévaloir des droits ancestraux et des droits découlant des différents traités existants.

[4]                 L'Alliance métis North Slave (l'Alliance), constituée en novembre 1996, regroupe trois organisations de Métis de la région North Slave : le Conseil des Métis de Yellowknife (dont Clem Paul était président), la Nation Métis de Rae-Edzo (association locale n ° 64) et la Nation Métis de Yellowknife (association locale n ° 66). Le Conseil des Métis de Yellowknife est le successeur de l'association locale n ° 55 des Métis de Yellowknife ayant participé, vers la fin des années 80 et le début des années 90, aux négociations dans le cadre des revendications territoriales des Dénés/Métis. L'Alliance a notamment pour objectif :

[Traduction]

a)             d'unir les membres appartenant à la collectivité des Métis indigènes de la région North Slave;

                                                                 (...)

c)             de négocier, de ratifier et de mettre en oeuvre un accord sur les territoires et les ressources pour les Métis indigènes de la région North Slave selon le principe de l'autonomie gouvernementale;

                                                                 (...)

e)             d'obtenir la reconnaissance et l'enchâssement dans la Constitution des droits ancestraux et des droits issus des traités des Métis indigènes de la région North Slave en ce qui concerne les terres visées par le Traité n ° 11.

[5]                 L'Alliance cherche également à promouvoir l'autosuffisance des Métis de North Slave grâce aux terres et aux ressources de la région North Slave.


[6]                 Le 12 avril 2001, Clem Paul et l'Alliance ont introduit une action devant la présente Cour contre la Première nation Dogrib et le Conseil des Dogrib, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le gouvernement du Canada, représenté par le Procureur général du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Les demandeurs avaient également désigné à titre de défendeurs les négociateurs en chef des défendeurs mais la présente Cour a ordonné qu'ils soient radiés de la déclaration.

[7]                 Dans leur déclaration, les demandeurs prétendent que les Métis indigènes de la région North Slave, descendants des familles métisses qui s'étaient installées aux abords de la rivière Rouge, au Manitoba, sont un peuple autochtone à part entière. À ce titre, ils auraient des droits ancestraux dans la région North Slave. Ils utiliseraient et occuperaient les mêmes terres que la Nation Dogrib - ils disposeraient d'un droit d'occupation conjoint sur ces terres.

[8]                 Les demandeurs font référence au Traité n ° 11, qui porte notamment sur la région North Slave. Ce traité a été signé par plusieurs premières nations, dont les Dogrib, le 27 juin 1921. La Nation Dogrib était représentée par le chef Monfwi et deux autres dirigeants, Jermain et Beaulieu.

[9]                 Le Traité n ° 11 s'applique également aux Métis. Ceux-ci pouvaient choisir entre adhérer au Traité ou recevoir un certificat d'argent.


[10]            M. Paul et l'Alliance soutiennent que les Métis de North Slave sont admissible à titre de bénéficiaires à un accord en matière de revendication territoriale visant à mettre à l'écart les différentes interprétations découlant du Traité n ° 11. Ils mentionnent le processus de revendication territoriale avorté entrepris par les Dénés/Métis vers la fin des années soixante-dix et portant sur tout le bassin du fleuve MacKenzie. Ils affirment que dans le cadre de ce processus, le Canada a reconnu que les Métis formaient un peuple.

[11]            Ils ajoutent qu'en dépit de cette reconnaissance, les Métis indigènes de North Slave ont été exclus par les défendeurs des négociations relatives aux revendications territoriales régionales et à l'autonomie gouvernementale de la région North Slave, dans laquelle ils détiennent des droits et des titres ancestraux. Ils n'ont aucun siège à la table des négociations et aucun siège ne leur sera accordé durant les négociations visant à conclure un accord définitif. Leurs intérêts spécifiques ne sont pas reconnus. Leurs droits ancestraux font l'objet de négociations sans leur participation. La Nation Dogrib n'est pas habilitée à négocier, au nom des Métis de North Slave, des revendications territoriales portant sur des droits ou des titres ancestraux dans la région North Slave.

[12]            Les demandeurs réclament notamment les droits ancestraux suivants au nom des Métis de North Slave :

(1)        le droit de chasser, de piéger et de pêcher des espèces sauvages pour se nourrir, se procurer leur fourrure et leurs peaux pour combler les besoins de leurs familles et de leur chiens ou pour en faire le commerce et à cette fin, les Métis de North Slave devront entreprendre de longs voyages à la recherche de gros animaux, notamment des caribous, ou pour atteindre des lacs propices à la pêche;


(2)        le droit de couper du bois d'oeuvre et du bois pour construire leurs cabanes, leurs embarcations, leurs camps de chasse et de pêche, leurs chambres de fumage, des enclos pour leurs chiens, des traîneaux pour eux-mêmes et pour la vente commerciale de bois d'oeuvre destiné aux bateaux à vapeur;

(3)        le droit de récolter des plantes pour le thé ou pour des fins médicales ou religieuses;

(4)        le droit d'accès à ces ressources;

(5)        le droit de préserver et de promouvoir leur mode de vie particulier et leur culture distincte, axés sur la langue Michif, de même que leurs chansons et leurs danses.

[13]            Dans leur déclaration, les demandeurs sollicitent notamment un jugement déclaratoire dans les termes suivants :

[Traduction]

a)         déclarer qu'en signant l'accord de principe et en poursuivant les négociations en vue de conclure un accord définitif sans reconnaître ni protéger les droits des demandeurs, les défendeurs violent les droits ancestraux des demandeurs et du peuple qu'ils représentent, les Métis de North Slave, en contravention de l'article 35 de la Loi constitutionnelle;

b)         déclarer que les défendeurs ont violé les droits à l'égalité des demandeurs et du peuple qu'ils représentent, les Métis de North Slave, en contravention de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés;


c)         déclarer que les défendeurs ont violé les droits des demandeurs et du peuple qu'ils représentent, les Métis de North Slave, en contravention de l'alinéa 2b) et de l'article 7 de la Charte et des paragraphes 1a) et b) de la Déclaration canadienne des droits;

d)         déclarer que le Canada et le gouvernement des T.N.-O. ont failli à leur obligation de négocier de bonne foi avec les demandeurs concernant la revendication des droits et des titres ancestraux des Métis de North Slave dans la région North Slave, ainsi qu'à leur obligation de les consulter, et qu'ils ont failli à leurs obligations de représentant envers les demandeurs et envers le peuple qu'ils représentent, les Métis de North Slave.

[14]            Les défendeurs n'ont pas encore produit leur défense mais les principaux arguments au soutien de leur défense ont été révélés dans le cadre de la requête en injonction. Ils ne reconnaissent pas l'existence des Métis indigènes de la région North Slave à titre de collectivité ou de peuple autochtone distinct disposant de droits et de titres ancestraux dans la région North Slave. Selon les défendeurs, le terme « Métis de North Slave » est uniquement une expression utilisée par les membres de l'Alliance pour se désigner eux-mêmes. Cette expression ne décrit pas des personnes appartenant à une collectivité autochtone.


[15]            Les défendeurs reconnaissent que des individus métis se sont installés dans la région North Slave et ont participé au Traité n ° 11. Toutefois, les défendeurs affirment que dans le cadre des négociations relatives aux revendications territoriales, les droits de ces individus sont indivisibles des droits des autres peuples autochtones de la région. Puisque les défendeurs ne sont pas disposés à reconnaître aux demandeurs le statut de peuple autochtone distinct, ils affirment qu'il appartient aux demandeurs d'obtenir la reconnaissance judiciaire de leur statut de collectivité ou de peuple autochtone distinct et d'établir l'étendue de leurs droits. Ils s'appuient sur une récente décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans R c. Powley (2001) 196 D.L.R. (4th) 221, dans laquelle la collectivité des Métis de Sault Ste. Marie a obtenu la reconnaissance constitutionnelle de son statut.

[16]            L'accord de principe prévoit que les défendeurs vont poursuivre leurs négociations en vue de conclure et de mettre en oeuvre un accord définitif. Cet accord, pour prendre effet, doit préalablement franchir les étapes suivantes, dans cet ordre :

(1)        lorsque l'accord définitif sera satisfaisant pour les défendeurs, les négociateurs en chef des parties le parapheront et l'accord sera ensuite soumis pour ratification;

(2)        la première étape du processus de ratification concerne la Nation Dogrib. Le grand chef et la direction du Conseil des Dogrib doivent obtenir l'autorisation de signer l'accord définitif par un vote de ratification majoritaire des électeurs admissibles;

(3)        une fois l'accord définitif signé par le grand chef des Dogrib et la direction du Conseil des Dogrib, il est aussitôt soumis aux deux gouvernements, pour ratification;

(4)        l'accord définitif est ratifié par le Canada et par le gouvernement des T.N.-O. lorsqu'il est signé par les ministres respectivement autorisés par le Conseil privé du Canada et le Conseil exécutif des T.N.-O.; il entre ensuite en vigueur conformément à une loi de mise en oeuvre fédérale et d'une loi de mise en oeuvre territoriale prenant effet à une date fixée par décret.


[17]            L'accord définitif prend effet uniquement après que toutes ces étapes ont été franchies.

B.        CONTEXTE

[18]            La requête en injonction interlocutoire des demandeurs doit être examinée dans son contexte historique.

[19]            Les négociations actuellement en cours entre la Nation Dogrib, le Canada et le gouvernement des T.N.-O. ont été engagées à la suite de l'échec des négociations relatives aux revendications territoriales globales des Dénés/Métis, qui avaient fait l'objet d'un accord de principe signé le ou vers le 5 septembre 1988.

[20]            Ce processus avait été lancé dans les années soixante-dix, lorsque la Fraternité des Indiens des Territoires du Nord-Ouest (plus tard connue sous le nom de Nation dénée) et l'Association des Métis des Territoires du Nord-Ouest ont soumis au Canada une proposition pour le règlement des revendications territoriales de la région de la vallée du MacKenzie découlant de différends à propos du Traité n ° 11.

[21]            Les revendications territoriales des Dénés et des Métis ont été regroupées parce que le Canada craignait qu'en négociant deux accords distincts, il risquait de diviser les collectivités de la vallée du MacKenzie.


[22]            À la fin du processus, les revendications territoriales des Dénés/Métis ont été négociées par un seul négociateur en chef, la coordination étant assurée par le Secrétariat des négociations des Dénés/Métis. Celui-ci devait rendre compte à tous les mois à une assemblée conjointe des chefs Dénés et des présidents des associations locales de la Nation Métis, y compris le président des Métis de Yellowknife, association locale n ° 55.

[23]            L'un des principes clés des négociations relatives aux revendications territoriales concerne l'admissibilité des membres à participer ou à être inscrits à titre de participants aux droits et aux avantages découlant d'un accord de revendication territoriale ratifié.

[24]            Dans l'accord de principe des Dénés/Métis, l'admissibilité reposait sur l'appartenance au peuple Déné ou Métis mais la définition n'établissait aucune distinction entre eux. Une seule définition commune était donnée :

[Traduction]

« Déné » ou « Métis » désigne une personne :

   (i)         descendant du peuple des Chippewas, des Slaves, des Loucheux, des Dogrib, des Hare ou des Cris;

   (ii)        habitant, utilisant ou occupant, ou descendant d'une personne qui a habité, utilisé ou occupé, le bassin du fleuve MacKenzie au plus tard le 1er janvier 1921.


[25]            Après l'échec de l'accord de principe Dénés/Métis, qui n'a jamais été ratifié par certaines organisations dénées/métisses, le Canada et le gouvernement des T.N.-O. ont choisi de négocier les dernières revendications territoriales sur une base régionale. Dans les T.N.-O., il existe cinq régions de négociation proposées, à savoir les régions Gwich'in, Sahtu, Deh Cho, North Slave et South Slave.

[26]            Dans les régions Gwich'in et Sahtu, les négociations ont abouti à des accords de revendications territoriales globales signés en 1992 et en 1994, ratifiés par une loi de mise en oeuvre. Dans les autres régions, des négociations sont actuellement en cours.

[27]            Dans l'accord signé avec les Gwich'in, sont admissibles de plein droit (par opposition à la catégorie des membres assujettis à l'approbation discrétionnaire de la collectivité) aux droits et avantages découlant de l'accord les personnes de la lignée des Gwich'in (aussi appelés les Loucheux) et les descendants de ces personnes qui habitaient ou qui utilisaient et occupaient la région avant la signature du Traité n ° 11. Les Métis de la lignée des Gwich'in sont habilités à participer. Le Conseil tribal des Gwich'in, devant lequel la bande des Dénés et l'association locale des Métis étaient représentés, a dirigé ces négociations.


[28]            Le même modèle a été adopté pour l'accord conclu avec les Dénés du Sahtu et les Métis en 1994. Les participants ou bénéficiaires admissibles de plein droit sont les personnes appartenant à la lignée des Hare, des Slaves ou des Montagnards et les descendants de ces personnes qui habitaient ou qui utilisaient et occupaient la région visée par le règlement avant la signature du Traité n ° 11. Les Métis de cette lignée sont habilités à participer et « Dénés du Sahtu » , « Dénés et Métis du Sahtu » et « Dénés ou Métis du Sahtu » ont la même signification.

[29]            Les Dénés de Colville Lake, de Déline, de Fort Good Hope et de Fort Norman ainsi que les Métis de Fort Good Hope, de Fort Norman et de Norman Wells, dans la région Sahtu de la vallée du MacKenzie, étaient représentés par le Conseil tribal des Sahtu, chargé de gérer et de contrôler le déroulement des négociations. L'accord a été signé séparément par les chefs Dénés et par les présidents des associations locales des Métis de la région Sahtu.

[30]            Les mêmes critères d'admissibilité ont été proposés pour la revendication des Dogrib. Les bénéficiaires admissibles, tel que prévu au départ, devaient établir leur lignée avec un membre de la Nation Dogrib, ce qui comprenait les Métis appartenant à la lignée des Dogrib. Ainsi, seraient non admissibles, selon ces critères, les personnes appartenant à la lignée des Cris, des Chippewas, des Slaves ou des Hare. Dans tous les cas, l'ascendance directe avec un Métis indigène n'est pas un élément d'admissibilité suffisant en soi.

[31]            Quant à la personne chargée de représenter les Dogrib à la table des négociations, il s'agissait de leur négociateur en chef. Le Conseil des Dogrib, composé du grand chef et des chefs de bandes Dogrib, coordonnait les négociations; cependant, aucun représentant distinct n'était chargé de représenter les Métis, Métis indigènes et autres Métis de la région North Slave appartenant à la lignée des Dogrib ou à toute autre lignée autochtone.


[32]            En novembre 1992, le Conseil des Dogrib a officiellement demandé que soient entreprises des négociations pour la conclusion d'un accord portant sur les revendications territoriales régionales de la région North Slave, pour le compte des quatre collectivités Dogrib situées dans cette région, soit à Rae-Edzo, à Lac La Martre, à Rae Lakes et à Snare Lake. En décembre 1992, le ministre fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre) informait le Conseil des Dogrib que le Canada avait l'intention d'entreprendre des négociations en vue de conclure un accord. Les négociations officielles ont commencé en janvier 1994. En 1995, elles ont été élargies pour inclure les principes de l'autonomie gouvernementale.

[33]            La question relative à l'admissibilité des Métis et à leur participation aux négociations a été soulevée dès le départ. Le président de la Nation Métis, M. Gary Bohnet, a écrit au ministre de l'époque, Tom Siddon (déclaration assermentée de Clem Paul, onglet E, volume I). La réponse du Ministre, en date du 22 octobre 1992, est ainsi libellée :

[Traduction]

Votre lettre suggère que les Métis doivent être inclus avec les Dénés dans le cadre de tout accord relatif à des revendications territoriales régionales fondé sur l'accord des Dénés/Métis de 1990. Le gouvernement fédéral adopte la même position et je confirme ce point de vue sans hésitation.


Vos observations quant à la nécessité que les Métis disposent d'un siège à la table des négociations et d'une « position de négociation égale » va cependant au-delà de ce que je peux accepter concernant les règles de négociation.Lors des négociations avec les Dénés/Métis, de même que lors des négociations subséquentes entre le gouvernement et les Gwich'in, puis les négociations entre le gouvernement et les Dénés et Métis du Sahtu, les négociateurs du Ministère ont travaillé avec un négociateur en chef qui représentait un groupe composé de Dénés et de Métis. Je compte appliquer les mêmes pratiques dans le cadre des négociations avec les Dogrib. Il s'agit donc d'une question interne que les Dénés et les Métis doivent régler eux-mêmes. [Non souligné dans l'original.]

[34]            Le 29 juillet 1993, le négociateur en chef du Canada alors chargé de la revendication territoriale de la région North Slave, Nancy Kenyon, écrivait à John B. Zoe, le négociateur en chef des Dogrib (affidavit de John B. Zoe, onglet 7) :

[Traduction]

M. Siddon affirme [Traduction] « qu'on doit lui confirmer que les Métis descendant de Dogrib visés par le Traité n ° 11seront inclus dans l'accord » . Vous affirmez que les Métis admissibles bénéficieront d'un accord sur les revendications territoriales globales au même titre que les Dénés admissibles; ceci répond parfaitement aux préoccupations de M. Siddon ayant trait à l'admissibilité.

Cependant, il reste à régler une deuxième question : de quelle manière les Métis seront-ils représentés dans le cadre des négociations relatives à une revendication territoriale globale? Il existe plusieurs possibilités pour les Métis de s'assurer que les questions qui les concernent fassent l'objet des négociations - l'une des ces possibilités est leur participation aux élections des chefs du Conseil des Dogrib visés par le Traité n ° 11. Ils pourraient également avoir un représentant Métis au Conseil des Dogrib. Il existe certainement plusieurs solutions possibles.

Il appartient aux Dogrib et aux Métis de déterminer par quel moyen les Métis seront représentés dans les négociations relatives aux revendications territoriales globales; il est toutefois impératif qu'ils soient représentés et la méthode retenue doit être communiquée au gouvernement. Tant qu'il n'a pas la certitude que tant les Dénés que les Métis sont représentés par le groupe de négociateurs, le gouvernement ne pourra pas entreprendre les négociations. [Non souligné dans l'original.]

[35]            Le 13 septembre 1993, M. Zoe a répondu à Nancy Kenyon en ces termes (affidavit de John B. Zoe, onglet 8) :

[Traduction]


Je tiens à répéter, dans ce cas, que nous considérons la revendication territoriale régionale des Dogrib comme une revendication visant l'ensemble des Dogrib et de leurs descendants résidant dans les quatre collectivités de Rae-Edzo, de Lac La Martre, de Rae Lakes et de Snare Lake. C'est sur ces bases que le peuple Dogrib a entrepris avec le gouvernement du Canada, l'automne dernier, des négociations concernant sa revendication territoriale globale.

En ce qui a trait aux questions que vous soulevez à propos de la participation à cette revendication, j'aimerais apporter les quelques précisions suivantes.

Premièrement, toutes les personnes en mesure de démontrer qu'elles sont les descendants de Dogrib signataires du Traité n ° 11 sont et seront incluses dans la revendication territoriale régionale des Dogrib. En outre, dans le cadre de la revendication territoriale des Dogrib, tous les participants admissibles pourront bénéficier des mêmes droits et avantages, ou de droits et avantages équivalents, et seront désignés à titre de bénéficiaires Dogrib admissibles.

De plus, tout bénéficiaire Dogrib admissible, s'il est nommé par le Conseil des Dogrib visés par le Traité n ° 11, pourra représenter la Nation Dogrib à la table de négociation de la revendication territoriale et dans tous les autres travaux se rapportant au règlement de notre revendication territoriale régionale. Les seules exigences applicables aux membres qui souhaitent participer à l'équipe de négociation des Dogrib sont fondées sur les compétences et l'expérience du candidat.

En ce qui a trait aux droits politiques des participants, tous les descendants de Dogrib visés par le Traité n ° 11 peuvent devenir membres de la bande Rae. Leur adhésion à la bande leur confère le droit de voter et de soumettre leur candidature pour se faire élire au Conseil de la bande, au même titre que les autres membres. [Non souligné dans l'original.]

[36]            Le 7 août 1996, les Dogrib signaient un accord-cadre définissant le processus de négociation, les questions à examiner, la portée, les paramètres et le calendrier des négociations devant mener à la conclusion de l'accord de principe.

[37]            Le 9 août 1999, les négociateurs en chef paraphaient l'accord de principe et le 7 janvier 2000, l'accord de principe était signé par les parties.

[38]            Soulignons que dans l'accord de principe, les limites d'admissibilité relatives à la lignée des participants ont été modifiées par rapport à la proposition initiale. En vertu de l'accord de principe, les personnes appartenant à une lignée autochtone qui résidaient dans les terres visées par le règlement dans la région North Slave et qui utilisaient et occupaient ces terres au plus tard le 22 août 1921, de même que les descendants de ces personnes, sont définis comme des Dogrib et peuvent de plein droit bénéficier des droits et des avantages découlant de l'accord définitif après sa signature et sa prise d'effet en conformité avec la loi de mise en oeuvre. Selon cette définition, il est convenu que tous les Métis correspondant à ces critères pourront bénéficier des droits et des avantages découlant de l'accord définitif, à condition qu'ils adhèrent à la bande.

[39]            Selon l'accord de principe, les Métis, de même que tous les autres Autochtones, peuvent devenir des citoyens Dogrib s'ils le souhaitent. Sont compris les Métis appartenant à la lignée des Dogrib de même que les Métis appartenant aux autres lignées Déné. Sont également visés les Métis indigènes de North Slave qui soutiennent former un peuple autochtone distinct appartenant à la lignée des familles métisses d'origine franco-crie.


[40]            Certains autres faits méritent d'être mentionnés. Premièrement, la revendication des Dogrib a été déposée par le Conseil des Dogrib visés par le Traité n ° 11 au nom des membres Dogrib appartenant aux quatre bandes indiennes Dogrib et des autres Autochtones vivant dans quatre collectivités installées dans la région North Slave (dont la population totale s'élève actuellement à 3 469) :

(1)        La collectivité de Rae-Edzo, qui compte une population d'environ 2 400 habitants, est située sur la rive Nord du Grand lac des Esclaves, au nord-ouest de Yellowknife. C'est là qu'est le siège de l'association locale n ° 64 des Métis. Selon la liste des membres de l'Alliance, 36 d'entre eux vivent à Rae-Edzo, dont 24 sont inscrits sur la liste de la bande Rae.

(2)        La collectivité de Lac La Martre, située aux abords de ce lac dans le secteur nord-ouest de la région North Slave, compte 550 habitants.

(3)        La collectivité de Rae Lakes, au nord de Lac La Martre, est située dans le nord de la région North Slave et sa population totale est de 400 habitants.

(4)        La collectivité de Snare Lake, 119 habitants, se trouve au nord-est de la région North Slave.

[41]            Deuxièmement, la grande majorité des membres de l'Alliance (environ les deux tiers des 292 membres) résident à Yellowknife; cette ville n'est pas une collectivité Dogrib, elle n'est pas située sur une terre Dogrib qui sera dévolue à la Nation Dogrib et elle n'est pas située non plus sur une terre communautaire Dogrib qui sera spécifiquement dévolue à l'une des quatre collectivités Dogrib.

[42]            Troisièmement, les accords relatifs aux revendications territoriales définissent les concepts territoriaux de région visée par le règlement (le territoire dans son ensemble), d'aire d'utilisation principale, de territoires dévolus aux personnes visées par l'accord (en l'espèce, les territoires Dogrib et les Dogrib) et de terres communautaires (les plus petites zones). Généralement, la portée des droits et avantages accordés à un peuple autochtone visé par un règlement est inversement proportionnelle à la grandeur du territoire concerné. Inversement, la présence du gouvernement (du Canada et des T.N.­­­-O.) est beaucoup plus marquée dans les régions plus vastes. Leurs lois s'appliquent généralement dans la région visée par le règlement tandis que les droits et avantages accordés à la Nation Dogrib sont plus exclusifs sur les territoires Dogrib.

[43]            La région visée par le règlement comprend toute la région North Slave, délimitée comme suit :

a)         au nord-est par le Nunavut;

b)         au nord-ouest par la région visée par le règlement des Sahtu;

c)         au sud-ouest par la région de Deh Cho;

d)         au sud-est, au-delà du Grand lac des Esclaves, par la région South Slave.

[44]            L'aire d'utilisation principale des Dogrib n'est pas encore délimitée mais les terres Dogrib devraient correspondre à un territoire de 39 000 mètres carrés ayant pour limites extérieures les quatre collectivités Dogrib. Les terres communautaires des Dogrib seront déterminées selon les limites territoriales des quatre collectivités Dogrib.


C.        RENSEIGNEMENTS ADDITIONNELS

[45]            Voici les faits saillants concernant l'évolution des relations entre les parties au présent litige :

(1)        De 1990 à 1996, le Conseil des Métis de Yellowknife (anciennement l'association locale des Métis n ° 55 de Yellowknife, reconnue à titre d'organisation désignée dans le cadre de l'accord de principe des Dénés/Métis) cherchait à établir son statut de bande indienne en vue d'obtenir une assise territoriale. Plusieurs de ses membres étaient des Indiens inscrits vivant à Yellowknife. Clem Paul est lui-même inscrit au registre des Indiens à titre de membre de la bande des Dogrib de Rae. Il vit à Yellowknife. Les deux autres associations locales de Métis dans la région North Slave ne cherchaient pas à obtenir le statut de bande indienne.


(2)        Dans son affidavit déposé dans le cadre des présentes procédures, M. Zoe affirme qu'en 1992, la revendication territoriale régionale des Dogrib aurait pu comprendre les Métis et les Dénés Yellowknives parce que la ville de Yellowknife est située dans la région North Slave. Il ajoute qu'en 1993, les Dénés Yellowknives ont refusé de participer à la revendication territoriale des Dogrib. Ils étaient alors engagés dans leur propre processus de négociation dans le but de régler les dernières revendications liées à leurs droits ancestraux et à leurs droits découlant de traités, négociations qui se poursuivent encore aujourd'hui. Par conséquent, M. Zoe déclare que dès le début des négociations, le Conseil des Dogrib a décidé que les terres situées dans la ville de Yellowknife ne seraient pas comprises dans l'aire d'utilisation principale des Dogrib ou dans les terres Dogrib, et ce, même si la ville est située dans la région visée par le règlement faisant l'objet du processus de négociation des Dogrib.

(3)         M. Zoe affirme dans son affidavit que pendant l'été 1993, alors que le Conseil mettait au point le processus de négociation pour la revendication territoriale des Dogrib, deux membres de son équipe de négociation ont communiqué avec les associations locales des Métis de la région North Slave. Ils ont rencontré l'association locale des Métis n ° 66, le président de la Nation Métis des T.N.-O., Gary Bohnet, et le Conseil des Métis de Yellowknife. Ces trois organisations ont refusé de prendre part au processus de négociation au motif qu'elles avaient entrepris leur propre revendication territoriale. (Rappelons qu'à l'époque, les critères d'admissibilité aux droits et avantages étaient limités aux personnes appartenant à la lignée des Dogrib.)

(4)         David Wilson, l'auteur de l'affidavit déposé par le Canada, affirme qu'en acceptant de négocier la revendication territoriale des Dogrib, le Canada a tenu compte des éléments suivants :


a)         il n'existe aucun groupe dans la région North Slave représentant à la fois les bandes indiennes et les associations locales des Métis (contrairement aux régions de Gwich'in et de Sahtu);

b)         plusieurs membres de l'association locale des Métis n ° 64 de Rae-Edzo ont un statut d'Indien (inscrit) et sont membres de la bande indienne de Rae; à ce titre, ils sont déjà représentés par le Conseil des Dogrib;

c)         la plupart, si ce n'est pas la totalité, des membres de l'association locale des Métis n ° 66 ont des liens ancestraux avec la région South Slave, et non la région North Slave; ainsi, ils ne pouvaient pas bénéficier, à l'époque, des avantages liés à la revendication de la région North Slave;

d)         la plupart des membres du Conseil des Métis de Yellowknife appartiennent à la lignée des Cris et des Chippewas; à l'époque, ils n'étaient donc pas admissibles;

e)         d'autres membres du Conseil des Métis de Yellowknife, comme Clem Paul, appartenaient à une bande de Dogrib; ils étaient donc déjà représentés par le Conseil des Dogrib.


(5)        Le 28 juillet 1995, Clem Paul, à titre de président du Conseil des Métis de Yellowknife, écrit à Warren Johnson, directeur général régional des Affaires indiennes et du Nord canadien, et laisse entendre que ce dernier ne comprend pas la position du Conseil des Métis de Yellowknife. Une copie de cette lettre est largement diffusée; ainsi, un exemplaire est adressé au négociateur en chef du gouvernement fédéral chargé de la revendication des Dogrib, à Gary Bohnet, président de la Nation Métis et à Joe Rabesca, grand chef de la Nation Dogrib. Dans cette lettre, Clem Paul confirme que les membres du Conseil des Métis de Yellowknife cherchent activement à former une bande. Il exprime les préoccupations des membres du Conseil des Métis de Yellowknife concernant l'admissibilité des groupes de revendicateurs de la région North Slave. Il affirme ce qui suit (affidavit de David Wilson, onglet Q) :

[Traduction] (...) à savoir, le Conseil des Dogrib visés par le Traité n ° 11, qui exclura probablement plusieurs de nos membres en raison de la clause relative à la lignée des Dogrib. Deuxièmement, la revendication des droits fonciers relatifs au Traité n ° 8 ne comprendra pas les personnes qui ne sont pas membres d'une bande, alors que les personnes actuellement inscrites sur la liste d'une bande seront admissibles, peu importe qu'elles soient descendantes de la région ou non. Nous croyons que ces groupes sont assujettis à leurs propres critères d'admissibilité et qu'ils poursuivront leurs propres démarches sans tenir compte de nos préoccupations ou de nos objections. Nous ne voulons absolument pas être mêlés à l'un ou l'autre de ces processus (...)

Par conséquent, nous vous avisons que notre organisation négociera uniquement avec le gouvernement fédéral directement en ce qui a trait à la revendication territoriale de nos membres concernant la région North Slave.


(6)        En juin et juillet 1996, les présidents des trois organisations de Métis de la région North Slave écrivent au Ministre pour l'informer de la création de leur alliance (l'Alliance). Ils précisent qu'ils n'ont pas valablement participé ou qu'ils n'ont pas été suffisamment intégrés dans les négociations relatives à la revendication territoriale de la région North Slave. Ils souhaitent rencontrer le Ministre afin d'examiner les options financières qui leur permettraient d'entreprendre un processus de revendication territoriale distinct pour la région North Slave. Ils demandent que cette réunion soit organisée au plus tôt [traduction] « afin de pouvoir régler rapidement la revendication territoriale de la région North Slave » .

(7)        Le 15 août 1996, le Ministre répond à M. Paul, affirmant que les Métis admissibles à une revendication territoriale globale ou à une revendication de droits fonciers dans les T.N.-O. auraient intérêt à se joindre au processus de négociation. Il ajoute que rien n'autorise les Métis à choisir entre un processus entrepris par des Métis et un autre processus de revendication territoriale ou de même nature.

(8)         En novembre 1996, l'avocat de l'Alliance écrit au Ministre, demandant que le gouvernement fédéral entreprenne des négociations avec les Métis de la région North Slave en vue de parvenir à un règlement équitable concernant leur revendication territoriale. Plus particulièrement, il demande au gouvernement fédéral de reconnaître l'Alliance en tant que partie avec laquelle il doit négocier en vue de conclure un règlement concernant la revendication des Métis de North Slave.


(9)        L'avocat de l'Alliance fonde sa demande sur le fait que les Métis de North Slave formeraient un peuple autochtone distinct qui s'identifie au patrimoine Métis. Depuis le 20 octobre 1996, l'Alliance dispose de déclarations individuellement signées l'autorisant à représenter les signataires dans le cadre des négociations relatives à la revendication territoriale, à l'exclusion de toute autre organisation, y compris la Nation Métis. Ces déclarations auraient été signées par les personnes suivantes :

§          202 membres descendant des Métis indigènes de North Slave (les familles historiques Bouvier et Lafferty);

§          40 membres descendant de la famille Mercredi;

§          29 membres descendant de Métis qui résidaient dans les T.N.-O. avant 1921 et qui résident dans la région North Slave depuis longtemps;

§          9 membres qui sont des Métis résidant depuis longtemps dans les T.N.-O. et qui sont associés aux Métis de la région North Slave depuis 1921.


(10)      Le 10 décembre 1996, répondant à l'avocat de l'Alliance, le Ministre l'informe qu'il est impossible d'envisager une revendication territoriale globale visant uniquement les Métis. Il répète que les Métis des T.N.-O. admissibles à une revendication territoriale globale ou à une revendication de droits fonciers devraient choisir de participer à l'un ou l'autre de ces processus.

Le Ministre ajoute que les Métis admissibles à la revendication territoriale globale des Dénés/Métis, mais qui sont exclus des autres processus, pourront avoir accès à un processus (désigné comme étant le processus des Métis) dans les T.N.-O.

Le Ministre cite ensuite la lettre qu'il a envoyée à M. Robert Douglas, président de l'association locale des Métis de Rae-Edzo, dans laquelle il affirmait qu'il faudrait tenir compte des intérêts des Métis appartenant à la lignée des Dogrib qui vivent dans cette région dans le cadre des négociations relatives aux revendications territoriales globales et à l'autonomie gouvernementale des Dogrib. Il ajoute que le Canada serait prêt à intégrer ces Métis à titre de cinquième collectivité dans le processus de négociation avec les Dogrib, à condition qu'ils soient suffisamment nombreux pour justifier une telle mesure.

Finalement, le Ministre aborde la question des Métis vivant dans la région de Yellowknife. Ceux parmi eux qui sont des Indigènes de la région South Slave devraient participer au processus du Conseil tribal des Métis de South Slave. D'autres options s'offriraient encore.


(11)      Le même message est repris par le nouveau ministre le 5 septembre 1997 et adressé à M. Paul. Le Ministre l'invite à communiquer avec les négociateurs en chef du gouvernement fédéral dans les trois processus en cours (le processus des Dogrib, le processus de South Slave et le processus de revendication des droits fonciers) pour voir comment les membres admissibles de l'Alliance pourraient être représentés dans le cadre de ces négociations. L'Alliance rencontre les négociateurs du gouvernement fédéral et ensuite, les représentants de la Nation Dogrib.

(12)      Le 19 janvier 1998, Clem Paul, à titre de président de l'Alliance, transmet au Ministre une revendication territoriale globale. Dans la lettre d'accompagnement, M. Paul mentionne les rencontres qu'il a eues avec les trois négociateurs du gouvernement fédéral, rencontres qui, selon lui, ont permis à l'Alliance de déterminer le processus approprié pour le règlement de la revendication territoriale des Métis de North Slave. Il ajoute (affidavit de David Wilson, onglet MM) :

[Traduction]

Suite aux discussions mentionnées plus haut et à des conversations avec des représentants des Dogrib, l'Alliance métis North Slave a officiellement approuvé une déclaration de revendication qui a été remise au négociateur en chef du gouvernement fédéral, Yves Assiniwi. Nous discuterons prochainement de nos besoins en financement de même que des différentes options offertes, tel que mentionné dans votre lettre.

Nous souhaitons vivement une discussion constructive et l'aboutissement positif de ces négociations.


(13)      Le 24 mars 1998, le Ministre écrit à M. Paul, affirmant qu'en remettant une déclaration de revendication au négociateur en chef du gouvernement fédéral dans la revendication des Dogrib, M. Paul et l'Alliance avaient démontré leur intention d'être intégrés dans les négociations avec les Dogrib. Le Ministre poursuit comme suit (affidavit de David Wilson, onglet NN) :

[Traduction]

J'en déduis que vous avez l'intention d'organiser un atelier conjoint avec les Dogrib afin de discuter de la manière dont les Métis de North Slave admissibles pourront participer aux négociations relatives à la revendication territoriale des Dogrib. Je comprends en outre que vous avez déjà communiqué avec des représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, au bureau régional des T.N.-O., et du Bureau de la mise en valeur du Nord en vue d'obtenir un financement. Je vous encourage à organiser l'atelier avec les Dogrib afin de vous mettre au courant de tous les détails concernant leur processus. À ce sujet, si vous le souhaitez, les représentants du gouvernement fédéral sont à votre disposition pour faciliter la tenue d'un tel atelier. [Non souligné dans l'original.]


(14)      Les 15 et 16 mai 1998, l'Alliance rencontre les représentants du Canada et du Conseil des Dogrib à Ottawa. Selon l'affidavit de David Wilson, déposé pour le compte du Canada, le négociateur en chef du Canada aurait affirmé que la position du Canada était qu'il appartenait aux Dogrib et à l'Alliance de s'entendre sur la manière d'intégrer les membres de l'Alliance au processus de négociation des Dogrib. Cette position aurait été conforme à celle adoptée par le Ministre en 1992 dans une lettre adressée à la Nation Métis, lettre dont il a déjà été question dans les présents motifs. Le 23 juillet 1998, le négociateur en chef du gouvernement fédéral rencontre l'Alliance une nouvelle fois.

(15)       Le 23 novembre 1998, M. Paul écrit au nouveau ministre, qu'il a rencontré à l'occasion de l'ouverture de la mine de diamants BHP. Il demande l'aide du Ministre pour [traduction] « relancer les discussions relatives à notre revendication territoriale » au motif que l'Alliance serait tenue à l'écart du processus dans la région North Slave. Il ajoute que l'Alliance doit participer à la table de négociation à titre de partenaire à part entière pour représenter les Métis de North Slave de manière appropriée, affirmant en outre qu'il faudrait peut-être élargir le mandat de la revendication de North Slave pour y inclure expressément les Métis.

(16)       Le 11 juin 1999, M. Paul écrit à M. Robert Overvold, directeur général régional d'Affaires indiennes et du Nord canadien, à Yellowknife, en indiquant pour objet : avancement de la revendication territoriale. Il n'a toujours pas reçu de réponse à la lettre qu'il a adressée au Ministre le 23 novembre 1998. Selon lui, la revendication des Dogrib était sur le point d'aboutir à un accord de principe et le Ministre n'avait pas encore eu l'occasion d'examiner attentivement cette revendication. Il ajoute (affidavit de Clem Paul, vol. 1, onglet 2) :


[Traduction]

À ce titre, nous avons l'intention de former une équipe afin de préparer notre peuple pour le débat qui aura lieu à propos de la revendication territoriale. En même temps, nous devons continuer à élaborer nos propres attentes en vue de la conclusion d'un accord concernant nos revendications territoriales et notre autonomie gouvernementale. [Non souligné dans l'original.]

(17)      Le 5 août 1999, les avocats de l'Alliance à l'époque écrivent au négociateur en chef du gouvernement fédéral responsable de la revendication des Dogrib, l'informant que l'Alliance souhaite entreprendre, au nom des Métis, des négociations concernant une revendication territoriale. Le 9 août 1999, tel que mentionné, les négociateurs paraphaient l'accord de principe avec les Dogrib.

(18)      M. Assiniwi, le négociateur du gouvernement fédéral, répond le 27 août 1999, affirmant qu'il ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour rencontrer l'Alliance et négocier la revendication des Métis. Il serait toutefois disposé à travailler avec l'Alliance pour l'aider à trouver une solution concernant ses préoccupations vis-à-vis de l'accord de principe des Dogrib ou de leurs relations avec le Conseil des Dogrib. Le Canada précise que l'Alliance n'a jamais donné suite à cette proposition.


(19)      La veille, M. Paul a écrit à un autre nouveau ministre, l'honorable Robert Nault. À propos de l'accord de principe des Dogrib, il déclare que les Dogrib, pour des motifs qu'il ignore, n'ont pas reconnu les droits et l'existence des Métis indigènes de North Slave. Il ajoute que les Métis de North Slave sont fondamentalement différents des autres groupes Dogrib de la région en raison de leurs racines franco-cries et de leur adaptation distincte sur le plan social, culturel et économique à la région dont le centre, vers le début des années 1800, était situé à Old Fort Rae, plaque tournante des activités commerciales et sociales de l'époque dans la région North Slave. Il souhaite le rencontrer pour clarifier certains points concernant l'accord de principe des Dogrib et [traduction] « pour jeter les bases en vue de négocier un accord de principe avec les Métis de North Slave » .

(20)      Le 28 août 1999, Clem Paul écrit au Premier ministre des T.N.-O., proposant d'apporter des modifications à l'accord de principe avant que le Conseil des ministres des T.N.-O. ne l'approuve. Il demande l'insertion de dispositions concernant les Métis de North Slave semblables aux dispositions contenues dans l'accord de principe des Dénés Yellowknives, reconnaissant l'utilisation et l'occupation conjointes de certains territoires. Le paragraphe 2.8.8 de l'accord de principe, que M. Paul souhaite voir appliquer aux Métis de North Slave (affidavit de David Wilson, vol. 3, onglet) est ainsi libellé :


Avant la date où l'Accord sera paraphé, le Conseil du Traité n ° 11 des Dogrib engage des discussions avec les Dénés Yellowknives pour explorer le concept d'aire d'utilisation principale et tenter d'arriver à une entente avec les Dénés Yellowknives sur l'étendue géographique de ces aires, le mode de gestion de ces aires et le mode d'exercice des droits dans ces aires; il reste entendu qu'aucune telle entente ne doit porter atteinte aux droits des personnes qui ne sont pas parties à cette entente. Ces discussions devraient aborder les sujets suivants :

a)            des droits de récolte prioritaires et exclusifs pour la Première nation Dogrib, d'autres droits de la Première nation Dogrib portant sur les activités d'exploitation commerciale des ressources fauniques ainsi que l'accès de la Première nation Dogrib aux terres pour ses récoltes;

b)            des droits prioritaires à la Première nation Dogrib pour l'emploi;

c)            l'établissement et la composition :

(i)                    de l'Office des ressources renouvelables de North Slave;

(ii)                  de l'Office des terres et des eaux de North Slave; et

(iii)        de tout comité consultatif de gestion d'un parc national;

d)            l'établissement de tout plan d'aménagement territorial pour une section de la région visée par le règlement à l'extérieur des terres Dogrib;

e)            les lieux de sépulture autochtones;

f)              l'admissibilité au vote de ratification Dogrib et à l'inscription comme citoyen Dogrib ; et

g)             toute autre question pertinente.

[Non souligné dans l'original.]


(21)      En novembre 1999, le Premier ministre des T.N.-O. répond à M. Paul, l'informant que le Conseil des ministres a officiellement approuvé la signature de l'accord de principe avec les Dogrib. Il ajoute que le gouvernement des T.N.-O. est au courant de la demande déposée par l'Alliance en février 1997 en vue d'établir un processus de négociation distinct pour leur revendication territoriale et l'autonomie gouvernementale. Il poursuit comme suit (affidavit de Clem Paul, vol. 2, onglet II) :

[Traduction]

Nous sommes également au courant de la réponse du Canada, rejetant votre revendication, principalement au motif que les Métis indigènes représentés par l'Alliance semblent habilités à participer soit à des revendications ayant déjà donné lieu à un accord, soit à des revendications faisant actuellement ou devant bientôt faire l'objet de négociations.

Rappelons qu'un accord de principe signé avec les Dogrib n'a aucune valeur légale. Il ne reconnaît et ne confère aucun droit aux Dogrib et il n'affecte en aucune manière les droits des autres parties.

Nous sommes d'accord avec l'Alliance lorsqu'elle affirme qu'il faut tenir compte des droits des Métis de North Slave et nous savons que l'Alliance continue d'examiner d'autres options. Nous apprécions également la disposition d'esprit de l'Alliance, exprimée dans votre lettre, soulignant que cette dernière ne souhaite pas entraver le processus des Dogrib. [Non souligné dans l'original.]

(22)      Le dossier indique que M. Paul et le MAINC, notamment Caroline Davis, conseiller exécutif, Direction générale des revendication globales, ont échangé d'autres lettres, plus particulièrement en ce qui concerne une lettre écrite par Mme Davis. Dans celle-ci, elle affirme que le Ministère est convaincu que l'Alliance a choisi de faire valoir ses intérêts dans le cadre de la revendication des Dogrib, ce qui est une bonne décision, selon le Ministère, vu le grand nombre de Métis de lignée Dogrib figurant dans la liste de membres de l'Alliance.


(23)      Le 23 mars 2000, M. Paul répond à Mme Davis. Il déclare que l'Alliance n'a toujours aucune explication valable justifiant qu'un processus de revendication territoriale distinct ne soit pas mis en place pour les Métis; l'absence d'un tel processus pourrait entraîner le génocide culturel des Métis de North Slave à titre de peuple à part entière. Il décrit les tentatives de l'Alliance, sous diverses formes, pour participer au processus de revendication territoriale globale des Dogrib, sans succès. Il mentionne les nombreuses réunions avec les Dogrib et le négociateur en chef du gouvernement fédéral. Il affirme qu'un atelier entre les Métis de North Slave et les Dogrib a ensuite été organisé mais n'a jamais eu lieu en raison des réticences des Dogrib et de leur absence d'engagement. Il ajoute que ce n'est qu'une année plus tard (le 16 juillet 1999) que l'Alliance a finalement rencontré les négociateurs Dogrib. C'est à ce moment-là qu'ils ont informé l'Alliance que l'entente avait été scellée et qu'il était impossible pour les Métis de réellement participer au processus des Dogrib.


           D'après M. Paul, le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de chef de file en accordant aux Métis de North Slave un siège à la table des négociations relatives à la revendication territoriale de la région North Slave, et ce, avant que l'on porte atteinte à leurs droits. Il ajoute que malgré la résistance qu'opposent en permanence les responsables chez les Dogrib et le gouvernement fédéral, il n'est pas trop tard pour conclure une entente qui serait satisfaisante pour toutes les parties. Il prétend que la plupart des membres de l'Alliance ne sont pas de descendance Dogrib et qu'ils ne sont pas admissibles au processus de revendication des droits fonciers des Yellowknives. Il déclare que l'Alliance a refusé de prendre part à ce qui est devenu un véritable processus d'assimilation.

(24)      Le 31 juillet 2000, le Ministre annonce le retrait des terres de la Couronne d'environ 40 000 km2 de terres adjacentes aux quatre collectivités Dogrib de Rae-Edzo, de Lac La Martre, de Rae Lakes et de Snare Lake. Ce retrait a pour objet de mettre de côté des terres appelées à devenir les territoires Dogrib, dans l'éventualité où un accord définitif serait mis en oeuvre.

(25)      Le 5 septembre 2000, l'avocat actuel de l'Alliance écrit au négociateur en chef du gouvernement fédéral, faisant valoir les titres et les droits ancestraux sur de larges zones de la région North Slave visées par l'accord de principe et situées sur les terres retirées et réservées pour les Dogrib. L'Alliance aurait été écartée du processus de négociation relatif à ces terres. L'avocat avise le Canada de ne prendre aucune nouvelle mesure susceptible d'affecter les droits et les titres ancestraux des membres de l'Alliance et de reporter la mise en oeuvre de l'accord de principe jusqu'à ce que des négociations soient entreprises avec l'Alliance et donnent lieu à la signature d'une entente.


(26)      Le 30 octobre 2000, l'avocat de l'Alliance informe Justice Canada que sa cliente l'a mandaté pour engager des procédures judiciaires en vue de faire suspendre la mise en oeuvre de l'accord de principe des Dogrib jusqu'à ce que des négociations menées pour le compte des Métis indigènes permettent de parvenir à un accord tenant compte de leurs intérêts et de leurs préoccupations. Le 21 avril 2001, les demandeurs déposent leur déclaration et le 30 avril 2001, ils présentent une requête en injonction interlocutoire.

                                                                            


D.        LA VERSION PRÉLIMINAIRE DE L'ACCORD DÉFINITIF

[46]      Les arguments juridiques avancés dans le cadre de la présente requête en injonction interlocutoire sont inextricablement liés à la forme de l'accord définitif en cours de négociation. L'accord définitif constituera à la fois une entente sur une revendication territoriale et une entente d'autonomie gouvernementale. Le dossier contient la version préliminaire de l'accord en date du 9 octobre 2001.

[47]      L'avocat des demandeurs prétend que la Cour ne doit pas tenir compte de cette version car il s'agit uniquement d'une version préliminaire qui pourrait être modifiée éventuellement. Il soutient que la Cour devrait plutôt s'en tenir à l'accord de principe signé par les parties.

[48]      L'accord de principe établit le fondement de l'accord définitif. J'ai comparé l'accord de principe avec l'actuelle version préliminaire de l'accord définitif et les deux textes sont assez semblables sauf que l'accord définitif, ce qui est assez prévisible, est plus détaillé et élaboré que le texte de l'accord de principe. Je retiens les arguments présentés devant la présente Cour par l'avocat des défendeurs, qui soutient que la version préliminaire actuelle ne sera pas modifiée sur le fond et qu'elle représente fidèlement la manière dont le Canada, le gouvernement des T.N.-O. et la Nation Dogrib entendent établir leurs relations. Plus particulièrement, les dispositions relatives à la protection des droits des autres peuples autochtones seront préservées dans l'accord définitif.


[49]      Le Canada affirme ce qui suit, dans ses observations écrites :

[Traduction]

Le Canada allègue que les dispositions de tout accord définitif sur ce point ne seront pas moins strictes que le libellé de la version préliminaire de l'accord définitif.

La Cour estime que cette déclaration du Canada constitue un engagement réel de sa part.

[50]      Le débat s'est longuement attardé sur cet engagement, tant du côté des défendeurs que des demandeurs. Dans les présents motifs, « l'accord » désignera désormais la version préliminaire de l'accord définitif.

[51]      L'accord confère à la Nation Dogrib, définie comme le peuple autochtone du Canada composé de tous les citoyens Dogrib, certains droits et avantages ancestraux sur les terres situées dans la région North Slave ainsi que l'autonomie gouvernementale. « Citoyen Dogrib » s'entend d'un individu dont le nom figure sur le registre des citoyens. En outre, tel que nous l'avons mentionné, la définition de « Dogrib » n'est pas limitée aux personnes d'ascendance Dogrib. Selon l'accord, un Dogrib s'entend de l'une ou l'autre des personnes suivantes :

a)            d'une personne d'ascendance autochtone qui habitait et qui utilisait et occupait la région visée par le règlement le vingt-deuxième jour du mois d'août 1921ou avant cette date, ainsi que ses descendants;

b)            une personne qui est un membre de la bande inscrit, ainsi que ses descendants;


c)            une personne qui, pendant qu'elle était enfant, a été adoptée conformément soit aux lois applicables d'un gouvernement soit à une coutume Dogrib, par un Dogrib visé aux alinéas a) ou b) ou par un citoyen Dogrib, ainsi que les descendants d'une personne ainsi adoptée.

[52]      En ce qui a trait au territoire (qu'il s'agisse de la grande région visée par le règlement, soit toute la région North Slave, de la zone plus restreinte correspondant à l'aire d'utilisation principale des Dogrib, de la plus petite zone correspondant aux terres Dogrib ou des zones restreintes représentant les terres des collectivités Dogrib, chacune faisant l'objet de différents droits d'accès et de droits exclusifs de récolte), l'accord confère à tout citoyen Dogrib les droits suivants :

(1)       le droit de récolter toutes les espèces de ressources fauniques, y compris les mammifères, les poissons et les oiseaux;

(2)       le droit de récolter des arbres pour du bois de chauffage, pour la construction des camps et des embarcations et pour la fabrication d'artisanat;

(3)       le droit de récolter des plantes;

(4)       le droit d'utiliser l'eau et de naviguer.

[53]      L'accord prévoit la création d'institutions publiques du gouvernement des T.N.-O., notamment :

(1)       l'Office des ressources renouvelables de North Slave, ayant pour mandat de gérer la faune, la forêt et les plantes;

(2)       l'Office des terres et des eaux de North Slave, responsable de l'utilisation des terres et de l'eau;


(3)       l'Office d'examen, chargée des questions environnementales;

(4)       le Conseil des droits de surface, chargé des questions relatives à l'accès et à l'indemnisation.

[54]      L'accord prévoit que la Nation Dogrib sera largement représentée au sein des deux premiers organismes.

[55]      L'accord prévoit également que le Canada transférera des sommes importantes au profit du gouvernement de la Première nation Dogrib. Il prévoit en outre le partage des redevances que perçoit le Canada sur les mines et, dans le cas des projets d'extraction de pétrole ou de gaz sur les terres de la Couronne situées dans la région visée par le règlement ou sur les terres Dogrib, un processus de consultation obligatoire entre les promoteurs et le gouvernement de la Première nation Dogrib. Ce processus de consultation doit permettre aux parties de s'entendre sur les questions qui concernent la Nation Dogrib, y compris l'incidence de ces projets sur l'environnement et la faune, l'emploi chez les citoyens Dogrib et les occasions d'affaires et les marchés.

[56]      La composante de l'accord relative à l'autonomie gouvernementale mène à la création du gouvernement de la Première nation Dogrib à la date d'entrée en vigueur de l'accord (dès que la loi de mise en oeuvre prend effet). La Constitution de ce gouvernement devra toutefois être établie avant la date à laquelle commence le processus de ratification.


[57]      L'organisme dirigeant du gouvernement de la Première nation Dogrib qui exerce sa compétence législative et ses principales fonctions exécutives comprendra au moins :

a)                    un Grand Chef élu par tous les citoyens Dogrib admissibles;

b)                   le chef de chaque Gouvernement communautaire Dogrib;

c)                    un représentant de chaque collectivité Dogrib élu par les résidents de cette collectivité.

[58]      Le gouvernement de la Première nation Dogrib dispose du pouvoir de légiférer et de pouvoirs exécutifs concernant la manière dont les citoyens Dogrib vont exercer leurs droits de récolte dans la région visée par le règlement et sur les terres Dogrib, la gestion des avantages, la structure et la gestion interne du gouvernement et la gestion et la protection des terres Dogrib.

[59]      Le gouvernement de la Première nation Dogrib dispose également du pouvoir d'édicter des lois de portée territoriale diverse concernant notamment la protection des ressources patrimoniales, l'utilisation de la langue Dogrib, l'aide sociale, les services à l'enfance et à la famille, la tutelle et la curatelle des citoyens Dogrib adultes, l'adoption, l'éducation, sauf l'enseignement postsecondaire, les programmes préscolaires, les testaments, la succession non testamentaire et l'administration des successions des citoyens Dogrib, la célébration des mariages et enfin, des pouvoirs de taxation directe.


[60]      L'autre institution gouvernementale dont la création en vertu des lois territoriales du gouvernement des T.N.-O. est prévue dans l'accord porte sur les gouvernements communautaires Dogrib dont se dotera chacune des quatre collectivités Dogrib existantes qui, rappelons-le, ne comprennent pas le centre de la population des T.N.-O. situé à Yellowknife. Ces gouvernements communautaires sont composés d'un chef et d'au moins quatre conseillers, élus par les électeurs admissibles; ces derniers doivent être des citoyens canadiens ou des résidents permanents du Canada et résider dans la collectivité depuis au moins six mois immédiatement avant le scrutin, ils doivent être âgés de 18 ans et plus et avoir résidé dans la région North Slave pendant au moins deux ans. Les gouvernements communautaires Dogrib ont le pouvoir de légiférer concernant leur fonctionnement et leur gestion interne dans les limites territoriales de leur collectivité, de contracter des emprunts, d'administrer les terres de la collectivité Dogrib et d'octroyer des intérêts dans ces terres. Ils peuvent en outre exercer leur compétence législative relativement à l'aménagement du territoire, l'ordre, la paix et la sécurité publiques, le logement des résidents, l'application des règlements, les substances intoxicantes, le transport local, l'autorisation et la réglementation des entreprises, les jeux de hasard et les concours récréatifs et toute autre question de nature locale ou privée, y compris la taxation.


[61]      L'une des principales composantes de l'accord est la création des territoires Dogrib; ainsi, le gouvernement de la Première nation Dogrib est investi du titre Dogrib, relativement à des terres totalisant environ 39 000 kilomètres carrés, y compris les mines et les minéraux qu'on peut trouver sur ces terres ou dans leur sous-sol. Les citoyens Dogrib jouiront de droits exclusifs de récolte sur ces terres, sous réserve de certaines exceptions.

[62]      Lors des plaidoiries, il a été question en particulier de l'établissement des listes d'électeurs dans le cadre du processus de ratification de l'accord par les participants admissibles et des dispositions de préservation des droits des autres peuples autochtones.

[63]      Les critères d'admissibilité pour participer au vote de ratification des Dogrib (condition préalable aux obligations de ratification du Canada et du gouvernement des T.N.-O.) sont définis dans l'accord. Un électeur admissible, dans ce cas, est toute personne qui :

a)         consent à ce que son nom soit inscrit sur la liste;

b)         est admissible à être inscrite comme citoyen Dogrib (c.-à-d. un Dogrib, au sens défini par l'accord);

c)         est âgée d'au moins 19 ans au moment du scrutin.

[64]      L'accord comporte plusieurs dispositions visant à restreindre sa portée afin de protéger les droits des autres peuples autochtones. Certaines de ces dispositions se trouvent à l'article 2.7 intitulé « Autres peuples autochtones » .

[65]      Le paragraphe 2.7.1 de l'actuelle version préliminaire de l'accord définitif est ainsi conçu (affidavit de David Wilson, vol. 3, onglet SS) :


[Traduction]

Les dispositions de l'Accord n'ont pas pour effet :

a)                     de reconnaître ou d'accorder desdroits fondés sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 à un peuple autochtone du Canada autre que la Première nation Dogrib;

b)                    de porter atteinte :

(i)                   aux droits issus de traités fondés sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 que possèdent un peuple autochtone du Canada autre que la Première nation Dogrib si ces droits existaient avant l'entrée en vigueur de ces dispositions de l'Accord;

(ii)            aux droits ancestraux fondés sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 que possèdent un peuple autochtone du Canada autre que la Première nation Dogrib. [Non souligné dans l'original.]

[66]      Les défendeurs se sont largement appuyés sur le libellé du paragraphe 2.7.2 de la version préliminaire de l'accord définitif pour démontrer que les demandeurs n'avaient pas établi l'existence d'un préjudice irréparable. Le paragraphe 2.7.2 est ainsi libellé : (affidavit de David Wilson, vol. 3, onglet SS) :

[Traduction]

Si un tribunal supérieur d'une province ou d'un territoire, la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême du Canada en vient à juger que l'article 2.7.1 rend la totalité ou une partie d'une disposition de l'Accord inopérante parce qu'il a par ailleurs pour effet de porter atteinte aux droits fondés sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 que possèdent un peuple autochtone du Canada autre que les Dogrib,

a)            dès qu'une partie donne un avis à cet effet, les parties doivent entreprendre des négociations en vue de modifier l'Accord de manière à régler les problèmes causés par le fait que la disposition a été jugée inopérante et à accorder à la Première nation Dogrib de nouveaux droits ou des droits de remplacement équivalents ou une indemnité pour les droits dont cette première nation aurait joui en vertu de cette disposition;


b)            à défaut d'une entente entre les parties au sujet de la modification prévue en a) dans les 90 jours suivant l'avis, l'une des parties peut soumettre le différend au mécanisme de règlement prévu au chapitre 6. [Non souligné dans l'original.]

[67]      Les avocats des parties mentionnent également d'autres dispositions faisant référence aux droits des autres peuples autochtones. Par exemple, il est question d'ententes « de chevauchement » avec les Gwich'in, les Dénés et Métis du Sahtu, les Inuits du Nunavut, les Dénés Yellowknives de même que les Premières nations des

T.N.-O. et de Deh Cho signataires du Traité n ° 8 mais aucune entente de cette nature n'est prévue avec les Métis indigènes de North Slave. La possibilité d'une telle entente a été soulevée par M. Paul auprès du Premier ministre du gouvernement des T.N.-O. L'entente de chevauchement proposée avec les Dénés Yellowknives attire plus particulièrement l'attention de la Cour. Elle est ainsi libellée (affidavit de David Wilson, vol. 3, onglet SS) :

2.7.8 La Première nation Dogrib et la Première nation Déné de Yellowknife ont utilisé et occupé pendant des générations et continuent d'utiliser et d'occuper leurs territoires traditionnels. Il est reconnu que

leurs territoires traditionnels se chevauchent et qu'il y a une région utilisée principalement par la Première nation Dogrib et une région utilisée principalement par la Première nation Déné de Yellowknife.

L'avocat de la nation Dogrib affirme que la raison pour laquelle il n'est fait aucune mention des Métis indigènes de North Slave est qu'aucune des parties (le Canada, le gouvernement des T.N.-O. ou les Dogrib), selon son expérience, ne considère qu'ils forment un peuple distinct ayant des droits ancestraux dans la région North Slave.


[68]      En outre, le paragraphe 2.9.3 précise que dans l'éventualité où une disposition quelconque de l'accord est déclarée invalide par un tribunal compétent, les parties doivent s'efforcer de modifier l'accord afin de remédier à l'invalidité ou de remplacer la disposition invalide.

[69]      Le paragraphe 2.2.2 stipule que l'accord n'a pas pour effet de porter atteinte à la capacité du gouvernement de la Première nation Dogrib et des citoyens Dogrib de se prévaloir et de tirer parti des programmes gouvernementaux destinés aux Indiens inscrits, aux Indiens non inscrits ou aux Métis, selon le cas. Le paragraphe 2.2.4 ajoute que l'inscription en tant que citoyen Dogrib ne porte pas atteinte à l'identité d'Indien, d'Inuit ou de Métis.

[70]      Les dispositions de l'accord relatives à l'autonomie gouvernementale confèrent certains pouvoirs de légiférer et des pouvoirs exécutifs à la Nation Dogrib, au gouvernement Dogrib et aux collectivités Dogrib. L'accord établit une hiérarchie et consacre la suprématie des lois et des pouvoirs. Ces dispositions méritent d'être examinées afin de mieux comprendre la nature et la portée de ce transfert de responsabilité. Voici les principales dispositions pertinentes :


(1)       le paragraphe 2.8.2, qui porte sur les lois du Canada et du gouvernement des T.N.-O.; il est ainsi conçu : « Sauf disposition expresse au contraire dans l'Accord, la législation d'application générale s'applique au gouvernement de la Première nation Dogrib, aux citoyens Dogrib et aux terres Dogrib, aux eaux qui se trouvent dans, sur ou sous les terres Dogrib et aux ressources qui se trouvent sur ou dans ces terres et ces eaux. » ;

(2)       le paragraphe 2.8.3, qui stipule ce qui suit : [traduction] « En cas d'incompatibilité ou de conflit entre les dispositions de la loi de mise en oeuvre ou de l'Accord et les dispositions de toute autre mesure législative (définie ocmme étant toute mesure législative fédérale ou territoriale, à l'exclusion des lois Dogrib) ou des lois Dogrib, les dispositions de la loi de mise en oeuvre ou de l'Accord, selon le cas, prévalent dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit. » ;

(3)       le paragraphe 2.8.4, ainsi libellé : « En cas d'incompatibilité ou de conflit entre la loi de mise en oeuvre et l'Accord, l'Accord prévaut dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit. » ;

(4)       le paragraphe 2.15.1 : « La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement de la Première nation Dogrib à l'égard de toutes les questions relevant de son autorité. » .

[71]      Certaines sections de l'accord ont également une incidence sur la hiérarchie des lois. Par exemple :

(1)       le chapitre 7 porte sur le gouvernement de la Première nation Dogrib. Le paragraphe 7.1.4 précise qu' « [e]n cas de conflit entre la Constitution du gouvernement de la Première nation Dogrib et l'Accord, l'Accord prévaut. » ;


(2)       l'article 7.7 porte sur le conflit de lois et de manière générale, il stipule qu'en cas de conflit entre une loi fédérale d'application générale et une loi Dogrib, la loi fédérale prévaut dans la mesure du conflit;

(3)       il est également prévu au paragraphe 7.7.3 que sauf indication contraire dans l'accord, en cas de conflit entre la législation territoriale d'application générale et une loi Dogrib, la loi Dogrib prévaut dans la mesure du conflit;

(4)       le chapitre 8 porte sur les gouvernements communautaires Dogrib et précise que ces gouvernements doivent être établis par une loi territoriale compatible avec l'accord. Une fois encore, la législation fédérale prévaut sur les lois édictées par un gouvernement communautaire Dogrib, dans la mesure de toute incompatibilité ou conflit (paragraphe 8.5.1). Sauf disposition contraire dans l'accord, en cas de conflit entre les lois promulguées par un gouvernement communautaire Dogrib et une autre mesure législative territoriale, la mesure législative territoriale prévaut dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit (paragraphe 8.5.3). En outre, une loi Dogrib prévaut sur une loi édictée par un gouvernement communautaire Dogrib (paragraphe 8.5.4) mais la loi territoriale établissant un gouvernement communautaire Dogrib prévaut sur les lois Dogrib (paragraphe 8.5.2).


E.        ANALYSE

[72]      Pour obtenir gain de cause, les demandeurs doivent satisfaire à tous les éléments du critère à trois volets applicable à la délivrance d'une injonction interlocutoire. Les demandeurs doivent démontrer : (1) que leur demande comporte une question sérieuse; (2) qu'en l'absence d'injonction, ils subiront un préjudice irréparable; (3) que la prépondérance des inconvénients milite en leur faveur. Dans RJR-MacDonald Inc. c. Procureur général du Canada et al., [1994] 1 R.C.S. 311, les juges Sopinka et Cory, au nom de la Cour suprême du Canada, précisent les éléments dont la Cour doit tenir compte pour chacun de ces trois volets.

(1)       Questions préliminaires

a)         Immunité de la Couronne et absence de compétence pour rendre une injonction interlocutoire

[73]      Le Canada et le gouvernement des T.N.-O. soulèvent la question préliminaire de la compétence. Les deux gouvernements affirment que le recours en injonction interlocutoire ne peut être utilisé à leur encontre.


[74]      Les arguments du Canada s'appuient à la fois sur la règle de common law relative à l'immunité de la Couronne contre les injonctions (Centre d'information et d'animation communautaire (C.I.C.A.) et al. c. La Reine et al., [1984] 2 C.F. 866 (C.A.F.) et sur Bande indienne de Saugeen c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1992] 3 C.F. 576 (C.F. 1re inst.)), immunité désormais consacrée par l'article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif (LRCECA), qui est ainsi conçu :


22. (1) Le tribunal ne peut, lorsqu'il connaît d'une demande visant l'État, assujettir celui-ci à une injonction ou à une ordonnance d'exécution en nature mais, dans les cas où ces recours pourraient être exercés entre personnes, il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties.

22(2) Préposés de l'État

(2) Le tribunal ne peut, dans aucune poursuite, rendre contre un préposé de l'État de décision qu'il n'a pas compétence pour rendre contre l'État.

22. (1) Where in proceedings against the Crown any relief is sought that might, in proceedings between persons, be granted by way of injunction or specific performance, a court shall not, as against the Crown, grant an injunction or make an order for specific performance, but in lieu thereof may make an order declaratory of the rights of the parties.

22(2) Servants of Crown

(2) A court shall not in any proceedings grant relief or make an order against a servant of the Crown that it is not competent to grant or make against the Crown.


[75]      Le Canada renchérit en s'appuyant sur la jurisprudence et le paragraphe 22(2) de la LRCECA, soutenant qu'une injonction ne peut être prononcée contre un ministre ou un autre représentant du gouvernement, à moins que cette personne n'ait outrepassé les pouvoirs conférés par la loi. À cet égard, il cite les décisions Hughes Canada c. Canada (1994) 80 F.T.R. 300 (C.F. 1re inst.) et Mundle c. Canada, [1994] A.C.F. n ° 1342 (C.F. 1re inst.).


[76]      L'avocat des demandeurs soutient qu'il existe une exception à la règle de l'immunité de la Couronne. Il affirme que le gouvernement ne peut se prévaloir de cette immunité en cas d'acte inconstitutionnel. Autrement dit, l'immunité ne peut être utilisée pour protéger les actes de la Couronne lorsqu'ils sont ou pourraient être inconstitutionnels.

[77]      Dans sa plaidoirie, l'avocat des demandeurs s'est appuyé sur l'arrêt de la Cour d'appel du Québec Société Asbestos Limitée c. Société nationale de l'amiante et Procureur général de la province de Québec, [1979] R.J.Q. 342, sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Colombie-Britannique (Procureur général) c. Air Canada, [1986] 2 R.C.S. 539, sur la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan Van Mulligen c. Saskatchewan Housing Corporation et al. (1982) 23 Sask. R. 67 et sur la décision de la présente Cour Lévesque c. Procureur général du Canada et al. (1985) 25 D.L.R. (4th) 184 (C.F. 1re inst.).

[78]      Les prétentions de l'avocat des demandeurs sont partagées par Hogg & Monahan, Liability of the Crown, 3e éd., publié en 2000. À la page 36 de cet ouvrage, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Il existe une exception à la règle de l'immunité de la Couronne contre les injonctions. Lorsqu'une injonction est demandée pour empêcher une violation de la Constitution, les tribunaux prononceront une injonction, même à l'encontre de la Couronne [les auteurs citent ensuite Société Asbestos et Mulligen, précités]. La Couronne ne peut se prévaloir de son immunité en cas d'acte inconstitutionnel.


[79]      Je ne suis pas convaincu que les décisions sur lesquelles s'appuient les avocats des demandeurs sont suffisantes pour lever l'immunité de la Couronne contre une injonction interlocutoire (par opposition à une injonction définitive) en l'espèce. Le juge Beetz, dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, déclare ce qui suit à propos de Société Asbestos, précité, à la page 148, une affaire qu'il décrit comme une instance dans laquelle une injonction a été accordée en vue de suspendre la mise en application d'une loi alors que la Cour d'appel du Québec avait prononcé une injonction interlocutoire interdisant au procureur général et à quiconque de faire appliquer tout droit conféré par les projets de loi 70 et 121 relatifs à La Société Nationale de l'amiante :

Les deux lois en question avaient été adoptées en français seulement, ce qui allait à l'encontre de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, et la Cour d'appel est arrivée immédiatement à la ferme conclusion qu'elles étaient pour cette raison invalides. Il s'agit là d'un de ces cas exceptionnels où une décision au fond pouvait intervenir au stade interlocutoire.


[80]      Un examen des trois autres décisions auxquelles fait référence l'avocat des demandeurs dans sa plaidoirie indique les mêmes caractéristiques. Dans Van Mulligen, précitée, le juge saisi de la requête a prononcé une injonction interlocutoire interdisant à un mandataire de la Couronne, la Saskatchewan Housing Corporation, de muter un employé qui était conseiller municipal élu à la ville de Regina parce que cela contrevenait à son droit à la liberté d'expression en vertu de la Charte. Dans Air Canada, précité, il s'agissait d'un mandamus ordonnant au procureur général de la C.-B. de délivrer une autorisation d'intenter une action en recouvrement pour des sommes perçues en application d'une loi invalide. Lévesque, précité, est semblable à Air Canada, précité. Il ne s'agissait pas d'une injonction interlocutoire; le juge Rouleau, de la présente Cour, appelé à statuer sur le fond d'une demande de contrôle judiciaire, a délivré un mandamus en estimant qu'il s'agissait d'un recours approprié à l'encontre d'une violation de la Charte.

[81]      Ce qui découle de la jurisprudence, c'est que la Cour ne prononcera pas d'injonction interlocutoire contre la Couronne ou contre un ministre de la Couronne dans les affaires constitutionnelles sauf, dans certaines circonstances exceptionnelles, lorsque le juge saisi de la requête peut décider du fond de la demande au stade interlocutoire, ce qui n'est certainement pas le cas en l'espèce. Par conséquent, je suis d'avis qu'une injonction interlocutoire ne peut être prononcée contre le Canada.

[82]      La question préliminaire de compétence soulevée par le gouvernement des T.N.-O. est d'un autre ordre; ainsi, le gouvernement des T.N.-O. serait à l'abri des mesures injonctives au motif que la Cour n'a pas compétence pour rendre une décision à son encontre, la présente demande étant fondée sur l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, qui définit la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale en cas de recours contre la Couronne. Or, selon l'article 2 de la Loi, Couronne désigne « Sa Majesté la Reine du chef du Canada » . Le gouvernement des T.N.-O. prétend qu'il ne fait pas partie de la Couronne fédérale.


[83]      Le gouvernement des T.N.-O. s'appuie essentiellement sur la décision de la Cour d'appel fédérale Fédération Franco-ténoise c. Canada, [2001] 3 C.F. 641, portant sur une requête en radiation. Dans ses motifs, le juge Décary fait remarquer que la demande n'est pas déposée contre le gouvernement des T.N.-O. au sens strict; il ajoute que la Cour fédérale a déjà décidé que le gouvernement des T.N.-O. avait la qualité pour agir devant cette Cour (Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2001] 3 C.F. 566).

[84]      Selon l'avocat du gouvernement des T.N.-O., Fédération Franco-ténoise, précité, établit que le gouvernement des T.N.-O. ne fait pas partie de la Couronne fédérale; à cet égard, il s'appuie plus particulièrement sur un passage de la décision de la Cour d'appel traitant du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale :

La Couronne que vise ce paragraphe est la Couronne fédérale. La « Couronne fédérale » est une expression utilisée pour désigner le pouvoir exécutif, lequel est en pratique exercé par le premier ministre et son cabinet. L'expression ne vise pas le pouvoir législatif; elle ne vise pas non plus le pouvoir judiciaire :

[Traduction] Quand dans un statut il est fait mention de la Couronne, le terme désigne symboliquement le pouvoir exécutif et se rapporte au Souverain exerçant ledit pouvoir, autrement dit, le gouvernement. [Citant McArthur c. The King, [1943] R.C.E. 77]

[85]      L'avocat du gouvernement des T.N.-O. ajoute ce qui suit, dans ses observations écrites :

[Traduction]

Même si le défendeur ne souhaite pas soulever d'objection officielle concernant la compétence de la Cour, son consentement ne peut surmonter le problème de compétence souligné plus haut.


[86]      Le problème que pose l'argument préliminaire avancé par le gouvernement des T.N.-O. est que pour y donner droit, la Cour doit d'abord décider que la cause ne révèle aucune cause raisonnable d'action, motif justifiant une requête en radiation qui n'a pas été présentée en l'espèce. Une telle requête exige l'application du critère du cas évident et manifeste qui ne suscite aucun doute alors que dans une demande d'injonction interlocutoire, il faut appliquer celui de la prépondérance des probabilités.

[87]      Je ne peux décider, de facto, que le gouvernement des T.N.-O. n'est pas un défendeur en l'espèce. L'article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) offre au gouvernement des T.N.-O. un recours lui permettant de demander sa radiation de l'action des demandeurs. Dans une telle procédure, il appartiendrait au gouvernement des T.N.-O. de satisfaire au critère du cas évident et manifeste qui ne soulève aucun doute en établissant les faits attributifs de compétence pertinents liés aux droits ancestraux et à l'autonomie gouvernementale. Les faits attributifs de compétence n'ont pas été établis en l'espèce, le gouvernement des T.N.-O. s'étant appuyé exclusivement sur une décision à laquelle il n'était pas partie, Fédération Franco-ténoise, précité.

[88]      J'ajoute que l'avocat de la Nation Dogrib adopte une position à l'opposé de celle de l'avocat du gouvernement des T.N.-O. Dans sa plaidoirie, il rappelle la compétence de la Cour fédérale à l'encontre du gouvernement des T.N.-O. et du Conseil des Dogrib en vertu des paragraphes 17(4) ou (5) de la Loi sur la Cour fédérale, s'appuyant sur Bande de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 273 (C.F. 1re inst.).


[89]      Pour ces motifs, la méthode choisie par le gouvernement des T.N.-O. pour soulever le problème de compétence et l'absence de faits attributifs de compétence susceptibles de justifier un tel argument m'obligent à conclure que le gouvernement des T.N.-O. ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de me convaincre, sur la foi du dossier existant, que la Cour n'a pas compétence pour prononcer une injonction interlocutoire à son encontre. Par conséquent, l'objection préliminaire soulevée par le gouvernement des T.N.-O. est rejetée.

[90]      Même si j'ai déjà conclu que la Couronne fédérale bénéficie de l'immunité de la Couronne, à ce stade, il reste encore deux défendeurs qui ne peuvent se soustraire à l'application d'une injonction interlocutoire.

b)         Prématurité du recours

[91]      L'avocat de la Nation Dogrib soutient que l'action des demandeurs est entachée d'un autre problème de droit - la prématurité. Il rappelle la décision de la Cour d'appel fédérale Pacific Fishermen's Defence Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F. 498, une affaire où des négociations concernant les revendications territoriales des Nisga'a étaient en cours (sans toutefois que les parties ne soient encore parvenues à un accord de principe). Les demandeurs alléguaient que l'accord faisant l'objet des négociations porterait préjudice aux droits revendiqués par les pêcheurs de commerce.


[92]      Il s'appuie ensuite sur des décisions de la Colombie-Britannique qui, affirme-t-il, s'apparentent au cas dont la Cour est saisie et portent sur des procédures visant à interrompre un processus de revendication territoriale. Toutes ces décisions concernaient le règlement des Nisga'a à différents stades du processus de ratification de l'accord définitif devant prendre effet conformément à une loi de mise en oeuvre.

[93]      Dans un premier temps, il cite Gitanyow First Nation c. Canada, [1998] B.C.J. n ° 1453 (C.S.C.-B.), où le Canada et la Colombie-Britannique avaient signé un accord de principe avec les Nisga'a, occupants de la vallée de la Nass, alors qu'ils menaient des négociations avec les Gitanyow, occupant une région située près de la même vallée. La Première Nation a intenté un recours, alléguant essentiellement que le Canada et la Colombie-Britannique, en signant un accord de principe avec les Nisga'a avant d'avoir mené leurs négociations à terme avec les Gitanyow, n'avaient pas négocié de bonne foi. L'accord de principe concerné contenait des dispositions prévoyant que les droits concédés à la Nation Nisga'a dans l'accord définitif ne seraient affectés par aucun autre traité signé avec les Premières Nations, situation inverse à la clause de préservation des droits prévue dans l'accord dont la Cour est aujourd'hui saisie.


[94]      Dans Gitanyow, précitée, les défendeurs ont déposé une requête pour faire radier la déclaration, requête accueillie en partie par le juge Williamson. L'avocat de la Nation Dogrib soutient que cette décision confirme ses prétentions parce que le juge Williamson s'est appuyé sur Pacific Fishermen's Alliance, précité, et a radié certaines déclarations au motif qu'elles portaient sur de simples éventualités - les quotas de pêche des pêcheurs de commerce auraient constitué une violation de droits non confirmés, conférés aux Nisga'a par une éventuelle loi de mise en application - contrairement aux déclarations alléguant une violation de droits découlant de mesures concrètes déjà mises en oeuvre. J'ajoute que l'avocat des demandeurs s'appuie également sur cette décision, le juge Williamson ayant refusé de radier la déclaration au motif qu'elle aurait été prématurée.

[95]      Il cite Campbell et al. c. British Columbia (Attorney General) et al., [1999] B.C.J. n ° 233, où le juge de première instance a refusé d'inscrire au rôle une demande contestant la validité de l'accord définitif des Nisga'a au moment où la loi de ratification était encore débattue devant la législature de la Colombie-Britannique tandis qu'aucun projet de loi n'avait encore été déposé devant le Parlement.

[96]      Finalement, il se fonde sur la décision du juge Williamson House of Sga'nisim, Nisibilada c. Canada, [2000] B.C.J. n ° 831, confirmée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ([2000] C.A.C.-B. 260), où le juge saisi de la requête a refusé d'entendre une demande d'injonction interlocutoire au moment où le Parlement examinait la loi de mise en oeuvre de l'accord signé avec les Niaga'a. Deux semaines plus tard, le juge Williamson a rejeté la demande d'injonction interlocutoire qui aurait interdit aux représentants du gouvernement de prendre les mesures visant à obtenir la sanction royale et la proclamation d'entrée en vigueur de la loi de mise en oeuvre de l'accord des Nisga'a.


[97]      Je ne suis pas convaincu par l'argument de l'avocat de la Nation Dogrib que le recours des demandeurs est entaché d'un vice irrémédiable - la prématurité - qui empêcherait les demandeurs d'obtenir une injonction interlocutoire visant à interdire la poursuite des négociations pour la conclusion d'un accord définitif entre les défendeurs concernant la Nation Dogrib.

[98]      À mon avis, le ratio decidendi dans Pacific Fishermen Defence Alliance, précité, est résumé par le juge MacGuigan, à la page 506 :

[8] À mon avis, les allégations de violation de droit fondées sur la common law et les allégations de violation de droit s'appuyant sur la Charte qui se trouvent présentées en l'espèce sont toutes aussi peu susceptibles de preuve que celles de l'affaire Operation Dismantle. De telles affirmations ne sont peut-être pas impossibles à prouver par nature, mais elles sont incapables d'être établies à ce point-ci parce que même si une preuve ferme était présentée pour décrire précisément l'état actuel des négociations, une cour ne serait pas en mesure de conclure que le Gouvernement déciderait ultimement de transformer une position particulière adoptée à un point donné d'une négociation en une entente juridique et ,à plus forte raison, de prévoir que le Gouvernement déposerait une loi à cet effet devant le Parlement ou que ce dernier adopterait une telle loi. Toute obligation d'équité du Gouvernement envers les pêcheurs doit être appréciée en fonction du contexte d'une décision réelle du Gouvernement touchant leurs droits, quels qu'ils puissent être. Comme le suggère l'arrêt Operation Dismantle, si la seule menace d'une violation de droits peut être suffisante, cette menace doit certainement toujours être réelle et non simplement hypothétique, conjecturale ou imaginaire. [Non souligné dans l'original.]


[99]      Je crois qu'en l'espèce, la demande des demandeurs s'articule différemment de celle dont la Cour d'appel fédérale était saisie dans Pacific Fishermen's Defence Alliance, précité. Les demandeurs se plaignent que les défendeurs ont effectivement violé leur droit de participer aux négociations pour le règlement de revendications en cours ayant une incidence sur leurs droits ancestraux existants. Les demandeurs n'allèguent pas une possible violation de leurs droits de participation, de leurs droits d'être consultés ou le manquement à une obligation de représentant au regard de droits qu'ils pourraient éventuellement acquérir selon des positions spéculatives adoptées par les gouvernements, le Parlement fédéral ou la législature provinciale.

[100]    Je constate qu'aucune des violations alléguées par les demandeurs, que l'on pourrait rattacher à des droits touchant le processus, ne sont spéculatives ou fondées sur des droits éventuellement accordés à la Nation Dogrib dans le cadre de l'accord définitif entériné par la loi de mise en application. Le fait que les demandeurs doivent prouver l'existence de leurs droits ancestraux dans la région North Slave ne signifie pas que la violation de leurs droits à participer aux négociations est incertaine ou hypothétique.

[101]    Comme mentionné plus haut, le juge Williamson, dans Gitanyow First Nation, précitée, a rejeté l'argument selon lequel la demande déposée par la Première Nation, fondée sur l'obligation de négocier, aurait été prématurée.


[102]    Bien que j'adhère aux principes énoncés dans Campbell et House of Sga'nisim Nisibilada, précitées, les tribunaux ne peuvent, dans un système de gouvernement démocratique comme le nôtre, faire obstacle à la liberté inconditionnelle dont dispose le pouvoir législatif d'adopter des lois proposées par le pouvoir exécutif, avec ou sans modification. Toutefois, ces décisions ne s'appliquent pas en l'espèce. Les violations de droits alléguées par les demandeurs ne sont pas fondées sur une mesure législative mais sur des droits ancestraux allégués qu'il reste à établir.

(2)       Question sérieuse

[103]    Tel que défini par la Cour suprême du Canada dans RJR MacDonald, précité, le critère de la question sérieuse n'est pas un critère strict, particulièrement dans les cas qui concernent la Charte, en raison essentiellement de la difficulté inhérente à juger de questions de fait et de droit complexes sur la foi des quelques éléments de preuve disponibles au stade de l'injonction interlocutoire. Sauf dans deux cas, les exigences minimales ne sont pas élevées :

[49] Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l'affaire (...)

[50] Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement

débouté au procès. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire. [Voir les motifs des juges Sopinka et Cory, p. 337 et 338]

[104]    Il existe deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen exhaustif sur le fond : (1) dans les cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'instance; (2) dans les cas où la question de constitutionnalité se présente uniquement sous la forme d'une pure question de droit et la réponse va de soi. Ces deux exceptions ne s'appliquent pas en l'espèce.


[105]    Clem Paul et l'Alliance soutiennent que leur demande soulève plusieurs questions sérieuses que l'on pourrait résumer comme suit :

a)         Les demandeurs ont-ils des droits ancestraux protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982?

b)         Les droits ancestraux des demandeurs imposent-ils aux défendeurs une obligation de représentant envers les demandeurs et, le cas échéant, les défendeurs ont-ils failli à cette obligation?

c)         Les droits ancestraux des demandeurs leur confèrent-ils un droit de consultation et, le cas échéant, les défendeurs ont-ils violé ce droit?

d)         Les actions ou les omissions des défendeurs violent-elles les droits des demandeurs, en contravention des articles 2, 7 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[106]    L'avocat du Canada fait valoir que les demandeurs n'ont pas satisfait aux exigences liées à l'existence d'une question sérieuse parce que l'Alliance n'est pas une collectivité autochtone, pas plus qu'on ne peut prétendre qu'elle représente une telle collectivité. Le même argument s'applique à Paul Clem; on ne peut prétendre qu'il constitue à lui seul une collectivité autochtone. L'avocat du Canada ajoute qu'il apparaît clairement de la jurisprudence qu'on ne peut obliger le Canada à négocier avec qui que ce soit.


[107]    L'avocat de la Nation Dogrib soutient lui aussi que les demandeurs n'ont pas établi que leur demande soulevait une question sérieuse. Il affirme que leur demande est de toute évidence frivole et vexatoire. Il juxtapose cet argument à celui de la prématurité et l'associe en outre à l'argument relatif au préjudice irréparable. Les demandes de jugement déclaratoire et d'injonction interlocutoire déposées par les demandeurs seraient vouées à l'échec, selon lui, à moins que les demandeurs ne puissent prouver les prétentions du paragraphe 45 de leur déclaration, selon lesquelles l'accord de principe et l'accord définitif leur causeront un préjudice irréparable puisqu'ils porteront atteinte directement à leurs droits et à leurs titres ancestraux de toutes les manières qui y sont spécifiées.

[108]    Dans la mesure où l'action est fondée sur l'allégation que l'accord de principe lui-même affectera les droits revendiqués par les demandeurs, le recours est voué à l'échec parce qu'il s'agit seulement d'un accord de principe et que le paragraphe 2.1 de ce document précise qu'il ne crée aucun droit ni aucune obligation et qu'il doit servir uniquement de point de départ pour la conclusions d'un accord définitif avec les Dogrib. Du point de vue juridique, l'accord de principe constitue uniquement un avant-contrat et à ce titre, il ne crée pas de droits ou d'obligations exécutoires. Sur le plan juridique, l'accord de principe n'a aucune incidence sur les droits revendiqués par les demandeurs. L'avocat de la Nation Dogrib fait valoir que la validité de la demande dépend des conséquences de l'accord définitif qui n'a pas encore été conclu; du reste, personne ne sait s'il sera finalement conclu ou non.

[109]    Je ne peux souscrire à l'argument du Canada selon lequel les demandeurs n'auraient pas démontré que leur demande soulève une question sérieuse en raison des doutes sur l'existence d'une collectivité organisée de Métis dans la région North Slave ou parce que les demandeurs ne représenteraient pas les Métis indigènes de North Slave. Ces derniers, affirme le Canada, ne se seraient jamais installés dans les collectivités de la région North Slave comme ce fut le cas dans les provinces de l'Ouest, où ont été conclus les accords de la rivière Rouge (Manitoba), de Batoche (Saskatchewan) et de St. Albert (Alberta).


[110]    L'action est fondée sur la prémisse que les Métis indigènes de North Slave forment un peuple distinct disposant de droits et de titres ancestraux dans la région North Slave. La preuve produite par les demandeurs (au moyen des affidavits des experts, MM. Sprague et Stevenson, et de M. Thoms) offre suffisamment d'éléments, à cette étape, pour établir qu'une telle collectivité a peut-être déjà existé à l'époque (à Old Fort Rae) ou qu'elle existe effectivement aujourd'hui (sur les plaines de Yellowknife et dans le secteur de French Point à Rae-Edzo). L'avocat de la Nation Dogrib reconnaît que les demandeurs ont produit une preuve suffisante sur ce point.

[111]    J'estime que l'on peut qualifier les questions soulevées par les demandeurs de sérieuses. Un bref survol des décisions récentes de la Cour suprême du Canada sur la question des droits ancestraux reconnus par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, auxquelles il faut ajouter la décision récente de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Powley, précitée, me convainc que les demandeurs ont satisfait aux exigences minimum du critère de la question sérieuse.

[112]    Dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, le juge en chef Lamer insiste sur l'importance des négociations, s'appuyant sur l'obligation établie par R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 de consulter les peuples autochtones lorsque leurs droits sont concernés.

[113]    Le juge en chef Lamer s'exprime en ces termes, au paragraphe 186 des motifs de son jugement :


En second lieu, la présente affaire a été longue et coûteuse, non seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan humain. En ordonnant la tenue d'un nouveau procès, je n'encourage pas nécessairement les parties à introduire une instance et à régler leur différend devant les tribunaux. Comme il a été dit dans Sparrow, à la p. 1105, le par. 35(1) « procure [. . .] un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises » . Devraient également participer à ces négociations les autres nations autochtones qui ont un intérêt dans le territoire revendiqué. En outre, la Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi. [Non souligné dans l'original.]

[114]    Au coeur des revendications des demandeurs se trouve l'article 15 de la Charte et les différentes questions soulevées quant au traitement discriminatoire dont auraient été victimes les Métis indigènes de North Slave :

(1)       l'inexistence d'un processus de revendication territoriale propre aux Métis de North Slave;

(2)       l'obligation, imposée aux Métis indigènes de North Slave mais non aux autres peuples autochtones, de prouver qu'ils constituent un peuple autochtone, et ce, malgré le fait qu'ils ont été reconnus dans les négociations menées par les Dénés/Métis.


[115]    Notons également la revendication des demandeurs en vertu de l'article 7 de la Charte, où ils allèguent un manquement au principe d'équité puisque leurs droits sont touchés sans qu'ils ne participent au processus. La question soulevée quant à la tournure des négociations mérite elle aussi d'être soulignée. La revendication territoriale a été entreprise, à l'origine, par la Nation Dogrib à titre de revendication territoriale régionale à laquelle certains Métis étaient appelés à participer, conformément à ce qui avait déjà été fait dans le passé dans les règlements des Gwich'in et des Métis du Sahtu, mais ces accords prévoyaient des règles d'admissibilité restrictives liées à la lignée. Lorsqu'il s'est avéré que les Dénés Yellowknives et les organisations métisses de la région North Slave ne souhaitaient pas participer, le processus est devenu une revendication territoriale Dogrib. Toutefois, au cours des négociations, les critères d'admissibilité ont été élargis de sorte que tous les Autochtones qui résidaient dans la région North Slave en 1921 et leurs descendants sont devenus des bénéficiaires admissibles et des citoyens Dogrib, peu importe qu'ils soient d'ascendance Dogrib ou non.

[116]    De plus, l'avocat du Canada affirme que l'Alliance ne représente pas les Métis indigènes de North Slave. Il fonde cet argument sur la liste de membres de l'Alliance, où 80 des 292 membres ont un statut d'Indien et sont membres de l'une des quatre bandes Dogrib et 51 ont un statut d'Indien et sont membres d'une autre bande, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur des Territoires du Nord-Ouest. Cet argument s'appuie également sur les réponses données par les témoins Catherine Paul-Drover et Clem Paul lui-même en contre-interrogatoire. Selon ces témoins, il y aurait quelques milliers d'individus admissibles susceptibles de devenir membres de l'Alliance.

[117]    Je ne peux accepter le raisonnement selon lequel l'action, telle que formulée, n'est pas un recours collectif intenté au nom d'un peuple prétendant former une collectivité. D'après la lecture que je fais de la déclaration dans son ensemble, les indices permettant de conclure qu'il s'agit d'un recours collectif sont suffisamment étoffés [voir l'article 114 des Règles de la Cour fédérale (1998)]. En outre, les faits sur lesquels s'appuie l'avocat du Canada sont, à mon avis, insuffisants pour réfuter la proposition selon laquelle l'Alliance représente les Métis indigènes de North Slave. L'Alliance représente peut-être plus que les Métis indigènes ou une fraction seulement de ce groupe mais cela n'a aucune incidence sur l'essence même de sa demande.


[118]    Quant à l'argument de l'avocat de la Nation Dogrib, qui prétend que la demande est frivole et vexatoire parce que les demandeurs sont incapables de prouver l'existence d'un préjudice, il vaut mieux l'examiner, selon moi, dans la perspective du préjudice irréparable. Cet élément est effectivement inextricablement lié à la question du préjudice irréparable, ce que ne nie pas, il me semble, l'avocat de la Nation Dogrib.

(3)       Préjudice irréparable

[119]    Le deuxième élément du critère à trois volets est le préjudice irréparable. Dans RJR-MacDonald, supra, les juges Sopinka et Cory reprennent les propos du juge Beetz dans Metropolitan Stores, précité :

[57] (...) « [L]e deuxième critère consiste à décider si la partie qui cherche à obtenir l'injonction interlocutoire subirait, si elle n'était pas accordée, un préjudice irréparable » . Certains tribunaux ont examiné, à cette étape, le préjudice que l'intimé risque de subir si le redressement demandé est accordé. Nous sommes d'avis qu'il est plus approprié de le faire à la troisième étape de l'analyse. Le préjudice allégué à l'intérêt public devrait également être examiné à cette étape. [Non souligné dans l'original.]

[120]    Les juges Sopinka et Cory poursuivent ainsi, à la page 341 :

[ 58] À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.

[59] Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise (...); le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale (...); ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsqu'une activité contestée n'est pas interdite (...). Le fait qu'une partie soit impécunieuse n'entraîne pas automatiquement l'acceptation de la requête de l'autre partie qui ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages-intérêts, mais ce peut être une considération pertinente. [Non souligné dans l'original.]


[121]    Dans le résumé qu'ils font des principes applicables, les juges Sopinka et Cory s'expriment comme suit, à la page 348 :

[79] À la deuxième étape, le requérant doit convaincre la cour qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice et non à son étendue. Dans les cas relevant de la Charte, même une perte financière quantifiable, invoquée à l'appui d'une demande, peut être considérée comme un préjudice irréparable s'il n'est pas évident qu'il pourrait y avoir recouvrement au moment de la décision sur le fond. [Non souligné dans l'original.]

[122]    Je tiens pour acquis, à la lecture de cet énoncé, qu'il incombe aux demandeurs (requérants) d'établir le préjudice irréparable qu'ils subiront (et non qu'ils « pourraient subir » ou qu'ils « subiraient probablement » ) au cas où l'injonction ne serait pas accordée. Cette règle a été approuvée par la Cour d'appel fédérale à plusieurs reprises. Dans le contexte du droit autochtone, notons la décision du juge MacKay dans Kitkatla Band c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] A.C.F. n ° 383.

[123]    Les demandeurs, dans leur avis de requête, présentent trois options à la Cour quant à la nature de l'injonction interlocutoire qui peut être prononcée :

(1)       injonction valable jusqu'à ce que leur demande soit entendue sur le fond et qu'une décision soit rendue;

(2)       injonction valable jusqu'à ce que les défendeurs reconnaissent que l'Alliance métis North Slave constitue une partie indépendante négociant au nom des Métis de North Slave et jusqu'à ce que les défendeurs signent ou acceptent l'accord de principe;

(3)       injonction valable jusqu'à ce que l'Alliance indique par écrit qu'elle accepte les mesures proposées.


[124]    Je limiterai mes observations à la possibilité de prononcer une ordonnance interdisant aux défendeurs de prendre toute autre mesure visant à entériner ou à mettre en oeuvre l'accord définitif avant l'instruction. Je ne retiens pas les deux autres options proposées par les demandeurs, qui me semble inopportunes. En effet, de telles ordonnances auraient pour effet d'accorder aux demandeurs, avant l'instruction, les réparations qu'ils revendiquent dans leur action et pour lesquelles ils sont tenus d'établir, selon la prépondérance des probabilités, l'existence de droits ancestraux à titre de peuple autochtone de même que la portée de ces droits. Or, les droits de participation revendiqués par les demandeurs dans leur déclaration se fondent justement sur l'existence même de ces droits ancestraux fondamentaux. Je reprends à cet égard les observations formulées par le juge Williamson dans Gitanyow, précitée : [traduction] « clairement, on ne peut affirmer que le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle confère un droit de veto qui permettrait à une nation autochtone de s'opposer aux accords entre la Couronne et les autres premières nations » (voir le paragraphe 33 des motifs de l'ordonnance du juge Williamson).

[125]    Les observations faites par les parties partent du principe que l'accord de revendication territoriale prendra effet avant l'instruction sur le fond, bien que je ne dispose d'aucune preuve fiable concernant le calendrier des événements.

[126]    Les demandeurs doivent démontrer qu'ils subiront un préjudice irréparable au cours de la période comprise entre ce jour et la date de l'instruction, préjudice auquel la Cour ne pourrait pas remédier au cas où la demande serait accueillie. Or, je constate qu'aucune déclaration de droits ancestraux n'est sollicitée par les demandeurs alors qu'il s'agit justement de la pierre angulaire ouvrant droit à la participation des demandeurs au processus de négociation.


[127]    L'avocat des demandeurs soumet deux observations déterminantes en ce qui a trait au préjudice irréparable.

[128]    Premièrement, l'exposé des besoins justifiant la demande d'injonction interlocutoire est présenté de manière telle qu'il demeure possible d'obtenir réparation après l'instruction. Les demandeurs prétendent que dans l'éventualité où l'accord définitif serait ratifié et mis en oeuvre par une loi, il deviendrait un accord sur une revendication territoriale reconnu sur le plan constitutionnel aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, privant ainsi les demandeurs de toute réparation à l'encontre de la violation de leurs droits de revendication en vertu de la Charte. Un droit consacré par la Charte ne peut effectivement servir à invalider un autre droit constitutionnellement reconnu. Pour étoffer cette proposition, les demandeurs s'appuient sur l'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 et sur le jugement de la Cour suprême du Canada New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319.


[129]    Cet argument vise à contrer l'argument des défendeurs selon lequel même si les demandeurs risquent d'être exclus des négociations, la clause de préservation des droits prévue dans l'accord garantit qu'ils ne subiront aucun préjudice irréparable s'ils parviennent à établir que les Métis indigènes de North Slave forment un peuple autochtone distinct jouissant de droits constitutionnellement reconnus par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, ces droits sont protégés par cet accord et sont soustraits à son application. J'ajoute que dans Benoanie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1993] 2 C.N.L.R. 97, le juge Rouleau, de la présente Cour, s'est appuyé sur l'existence d'une clause de préservation des droits pour conclure qu'il n'existait pas de préjudice irréparable dans une affaire où la bande indienne demanderesse, ayant déposé une demande revendiquant des droits ancestraux ou découlant de traités sur une partie de territoire visée par un accord définitif paraphé, cherchait à obtenir une injonction interlocutoire interdisant au Canada, au gouvernement des T.N.-O. et aux Inuits du Nunavut de prendre toute nouvelle mesure visant à ratifier l'accord sur la revendication territoriale.

[130]    Je ne puis souscrire à l'argument des demandeurs lorsqu'ils affirment que dans le cas où leurs revendications en vertu de la Charte sont accueillies, la clause de préservation des droits prévue dans l'accord (laquelle, je l'admets, s'applique uniquement aux cas de violation des droits consacrés par l'article 35) serait inopérante au motif que cet accord, de même que les dispositions relatives à l'infrastructure du gouvernement autonome et aux droits et titres ancestraux accordés à la Nation Dogrib, obtiendraient un statut constitutionnel au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[131]    Premièrement, un accord définitif constitutionnalisé entre les défendeurs équivaudrait, de par sa nature, à une reconnaissance constitutionnelle de la clause de préservation des droits et de ses mécanismes qui font en sorte que, dans le cas où les droits de la Nation Dogrib seraient incompatibles avec les droits d'un autre peuple autochtone, comme ce serait le cas, selon les demandeurs, pour les Métis indigènes de North Slave, il faudrait y apporter les ajustements nécessaires. La raison en est simple. La clause de préservation des droits est contenue dans ce même accord qui doit être constitutionnalisé aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle.


[132]    Deuxièmement, d'après les arguments soumis par les demandeurs, je constate que leurs revendications en vertu de la Charte sont inextricablement liées aux droits qu'ils revendiquent à titre de peuple autochtone aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Tant les revendications en vertu de l'article 35 que celles fondées sur la Charte dépendent de la preuve que devront établir les demandeurs sur le fond (par opposition à la preuve au stade procédural) quant à l'existence de droits ancestraux en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle.

[133]    Troisièmement, les demandeurs font une interprétation trop large de l'affaire du Président, précitée. Le juge McLaughlin, aujourd'hui juge en chef, a décidé que la Charte ne s'appliquait pas dans cette affaire, non pas parce qu'un organe législatif n'est jamais assujetti à la Charte, mais plutôt parce que dans le litige en cause (l'exclusion des médias de la Chambre de l'Assemblée de la Nouvelle-Écosse), il s'agissait d'une procédure intentée en vertu d'un droit jouissant d'un statut constitutionnel. De ce fait, la Charte ne pouvait porter atteinte à ce droit. Le droit ainsi reconnu par le juge McLaughlin était le droit de tout organe législatif de contrôler l'accès à ses salles. Le juge a estimé que ce droit constituait un pouvoir constitutionnel et non pas seulement une mesure prise dans l'exercice de ce pouvoir constitutionnel. Par analogie, elle affirme qu'il s'agit de déterminer si la Cour doit traiter le fruit de l'arbre législatif ou l'arbre lui-même. Le critère applicable est le suivant : le fait de donner droit à l'argument de la Charte aurait-il pour conséquence de nier ou de supprimer un pouvoir constitutionnel? Si la réponse est oui, la Charte ne s'applique pas.


[134]    L'avocat des demandeurs ne m'a pas convaincu qu'advenant le cas où les demandeurs obtiendraient gain de cause dans leur revendication en vertu de la Charte, cela aurait pour conséquence de nier ou de supprimer un accord constitutionnalisé avec les Dogrib. Au contraire, l'accueil d'une revendication fondée sur la Charte à l'encontre de droits reconnus par l'article 35 entraînerait un rajustement des droits et des avantages conférés par l'accord à la Nation Dogrib, un recours déjà prévu dans l'accord lui-même. Autrement dit, aucune revendication fondée sur la Charte, même validée par la Cour, ne pourrait priver de ses effets la disposition de l'article 35 prévoyant la constitutionnalisation des accords sur les revendications territoriales. En réalité, cette contestation n'aurait pratiquement aucune incidence sur le contenu d'un tel accord.

[135]    La deuxième observation déterminante formulée par l'avocat des demandeurs concernant le préjudice irréparable s'inscrit, une fois encore, dans le contexte de son argument relatif à la Charte. Les demandeurs allèguent que le préjudice irréparable est présumé avoir déjà été établi; à cet égard, ils s'appuient sur un extrait de RJR-MacDonald, précité :

[61] Toutefois, il n'existe pas encore de théorie juridique relative aux principes susceptibles de régir l'octroi de dommages-intérêts en vertu du par. 24(1) de la Charte. Compte tenu de l'incertitude du droit quant à la condamnation à des dommages-intérêts en cas de violation de la Charte, il sera dans la plupart des cas impossible pour un juge saisi d'une demande interlocutoire de déterminer si un dédommagement adéquat pourrait être obtenu au procès. En conséquence, jusqu'à ce que le droit soit clarifié en cette matière, on peut supposer que le préjudice financier, même quantifiable, qu'un refus de redressement causera au requérant constitue un préjudice irréparable. [Non souligné dans l'original.]

[136]    Deux conditions préalables doivent être réunies pour que ce principe puisse s'appliquer : la première, il doit y avoir une preuve de préjudice financier et la seconde, une preuve que les demandeurs subiront ce préjudice financier. La preuve déposée par les demandeurs sur ce point (essentiellement axée sur une perte de revenus découlant d'accords existants ou futurs avec les entreprises d'exploitation des ressources) est spéculative et, en tout état de cause, insuffisante.


[137]    Les demandeurs ont ensuite donné à la Cour plusieurs exemples découlant de l'accord de principe, sur lequel sera fondé l'accord définitif, du préjudice irréparable que subiront les droits des Métis indigènes de North Slave entre aujourd'hui et la date de l'instruction sur le fond, à moins que ne soit prononcée une injonction interdisant aux défendeurs de cesser immédiatement toute activité ayant trait à la négociation et à la mise en oeuvre d'un accord définitif. Bref, une telle injonction aurait pour conséquence de suspendre les négociations actuellement en cours entre les défendeurs jusqu'au procès.

[138]    Avant d'examiner ce point, je dois dire que je ne remets aucunement en question nombre des arrêts cités par l'avocat des demandeurs, où l'existence d'un préjudice irréparable a été reconnue dans des affaires relatives à des droits ancestraux. Voici un résumé des principaux arrêts sur lesquels l'avocat des demandeurs s'est appuyé :

(1)       MacMillan Bloedel Ltd. c Mullin, [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.-B.) : Une injonction interlocutoire a été prononcée, interdisant à MacMillan Bloedel de procéder à des coupes à blanc dans un territoire situé sur Meares Island et revendiqué par la bande de Clayoquot Island. La Cour d'appel, sous la plume du juge Seaton, a infirmé la décision de première instance refusant d'accorder une injonction à la bande. Le juge Seaton justifie sa décision sur le fait que le territoire visé ferait l'objet d'une coupe à blanc et qu'il serait irrémédiablement détruit. Résultat, si la Cour donne raison à la bande lors de l'instruction de l'affaire sur le fond, elle serait incapable de leur accorder un territoire avec des arbres sur pied. Le juge Seaton a également tenu compte de la valeur symbolique et culturelle de l'île pour la bande; dans un autre ordre d'idées, il a également pris en considération la nécessité de préserver les éléments de preuve établissant que la bande utilise et occupe l'île, preuve qui serait détruite, en l'absence d'injonction.


(2)       Touchwood File Hiles Qu'Appelle District Chief Council Inc. c. Davis, [1985] S.J. n ° 514 (B.R. Sask.) : Le juge Hrabinsky a accordé une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs d'excaver un site de construction qui, comme s'il s'est avéré par la suite, était un lieu de sépulture autochtone. Le juge Hrabinsky s'est appuyé sur le fait que le ministre de la Culture et des Loisirs de la Saskatchewan avait publié un décret provisoire ordonnant l'arrêt des travaux en vertu de la Heritage Property Act, bien que ce décret ait porté sur les lotissements avoisinants et non sur celui visé par la demande dont il était saisi.

(3)       Hunt c. Halcan Log Services Ltd. (1987) 34 D.L.R. (4th) 504 (C.S.C.-B.) : Le juge Trainor a prononcé une injonction interdisant l'exploitation forestière sur Deer Island, située près de la côte Est de l'île de Vancouver, face à Prince Rupert (Beaver Harbour), territoire sur lequel la bande de Kwakiult Island revendiquait des droits ancestraux. Le juge Trainor s'est déclaré convaincu, sur la foi de la preuve produite devant lui, que ce territoire avait servi de lieu de sépulture pour la bande, qu'il s'agissait d'un lieu spirituel et sacré, qu'il constituait, tout au long de l'année, une source importante de poisson, de viande, de racines et de baies pour la cueillette et qu'il servait en outre pour la récolte du bois d'oeuvre. La perte de ce territoire aurait constitué un dommage irréparable.

[139]    La preuve soumise devant la présente Cour diffère grandement de la preuve déposée dans ces instances.


[140]    Dans l'affidavit qu'il a produit au soutien de la demande d'injonction interlocutoire, M. Paul décrit les activités traditionnelles historiquement exercées dans la région visée par le règlement, et encore exercées aujourd'hui, pour s'alimenter (chasse, piégeage et pêche) et pour récolter le bois d'oeuvre destiné à la construction résidentielle, à la construction de traîneaux et à l'usage commercial. Il veut s'assurer que ces activités traditionnelles, pratiquées encore aujourd'hui par les Métis de North Slave pour subvenir à leurs besoins en nourriture et autres, seront préservées. Il insiste sur le fait que les Métis dépendent de la pêche et qu'ils ont besoin de la viande du troupeau de caribous.

[141]    M. Paul craint que, si l'accord de principe mène à la conclusion d'un accord définitif mis en oeuvre par la loi :

(1)       la Nation Dogrib obtiendra le titre de ces territoires traditionnellement utilisés par les Métis de North Slave (art. 18.1 de l'accord de principe);

(2)       la Nation Dogrib obtiendra le contrôle exclusif des eaux situées dans la région visée par le règlement (par. 21.2.1 de l'accord de principe);

(3)       les droits et les titres ancestraux des Métis de North Slave seraient éteints, entraînant la perte de leur territoire d'attache et de l'accès aux ressources naturelles situées dans la région visée par le règlement;

(4)       les Métis de North Slave perdraient de nombreux avantages, tels que la chasse, dont ils bénéficient actuellement dans la région visée par le règlement;

(5)       les Métis de North Slave perdraient les avantages liés aux accords existants et futurs avec les entreprises d'exploitation des ressources ce qui, d'après lui, aurait des répercussions économiques et sociales dramatiques sur la collectivité;


(6)       l'identité culturelle des Métis de North Slave serait gravement atteinte parce que, selon l'accord, la définition de « Dogrib » englobe les Métis de North Slave, niant ainsi l'existence même de leur identité unique et distincte; en outre, pour pouvoir profiter des avantages de l'accord de principe entériné, les Métis de North Slave seraient tenus de s'inscrire comme « citoyens Dogrib » , exigeant ainsi qu'ils renoncent à leur identité métisse et à leurs droits en tant que Métis. Ce choix, selon M. Paul, obligerait les Métis à trancher entre conserver leur identité et leur culture à titre de peuple autochtone unique et distinct ou profiter des avantages offerts par l'accord, choix qui menacerait leur collectivité et leur culture. Cela est aggravé par le fait que les Métis de North Slave, à moins qu'ils ne s'inscrivent comme citoyens Dogrib, ne pourront participer au vote concernant la ratification de l'accord Dogrib, et ce, même si cet accord, selon M. Paul, affecte notablement leurs droits;

(7)       l'Alliance perdra le statut qui lui est actuellement reconnu par les autres groupes autochtones et les gouvernements de la région North Slave. Par exemple, le gouvernement des T.N.-O. a l'habitude de la consulter pour les décisions qui concernent le troupeau de caribous de Bathurst. Cependant, si l'accord de principe est entériné, celui-ci accordera à la Nation Dogrib le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l'utilisation de la faune sur ce territoire;

(8)       les Dogrib auront le contrôle total des lieux de sépulture et des ressources patrimoniales situés dans la région visée par le règlement, l'article 17.2 de l'accord de principe faisant des Dogrib les gardiens exclusifs des ressources patrimoniales tandis que l'article 17.4 leur accorde le contrôle exclusif des lieux de sépulture ancestraux situés dans la région visée par le règlement;


(9)       l'accord de principe prévoit la création d'un gouvernement autonome dans la région visée par le règlement, appelé le gouvernement de « la Première nation Dogrib » ; toutefois, aucune disposition ne prévoit la représentation ou la participation des Métis à ce gouvernement; rien n'est prévu également concernant la création d'un gouvernement autonome Métis dans la région North Slave. En outre, selon le paragraphe 7.5.9, les Métis indigènes de North Slave seront assujettis aux lois des Dogrib, mais ils ne seront pas habilités à participer au processus d'approbation de l'accord Dogrib ou au choix du gouvernement de la Première nation Dogrib;

(10)     la Nation Dogrib pourra adopter des lois concernant la récolte dans la région visée par le règlement; en vertu du paragraphe 7.5.9, ces lois s'appliqueront aux Métis indigènes de North Slave. Les Dogrib auront le droit exclusif de chasser les animaux à fourrure sur les territoires Dogrib. Ils détiendront en outre des droits de pêche commerciale exclusifs dans l'aire d'utilisation principale des Dogrib. L'article 19.1 et le paragraphe 21.2.1 accordent aux Dogrib le droit de contrôler l'accès à l'utilisation de la région visée par le règlement, y compris l'accès aux lacs; M. Paul conclut que les Métis de North Slave devront demander la permission aux Dogrib pour continuer à utiliser et à occuper ces territoires.

[142]    Dans sa plaidoirie, l'avocat des demandeurs souligne les éléments suivants :

(1)       l'entrave aux activités commerciales découlant du processus de retrait des territoires; en conséquence, les activités de développements miniers sont suspendues jusqu'à la ratification de l'accord, ce qui empêche toute nouvelle activité commerciale;

(2)       la perte de ressources naturelles;

(3)       dans l'intervalle, toute décision ayant une incidence sur les droits des Métis dans la région North Slave sera prise par la Nation Dogrib ou par le gouvernement de la Première nation Dogrib, qui ne reconnaît pas l'existence des Métis indigènes;


(4)       l'incidence sur la participation des Métis au processus décisionnel relatif au troupeau de caribous de Bathurst;

(5)       les Dogrib pourront, selon le libellé de l'accord de principe, disposer de droits appartenant à d'autres parties;

(6)       si des Métis s'inscrivent comme citoyens Dogrib, cela pourrait entraîner un éclatement des familles;

(7)       la nécessité de préserver la preuve concernant l'existence des droits ancestraux des Métis et concernant le préjudice causé à la culture métisse.

[143]    Je remarque que la plupart des éléments de preuve visant à établir un préjudice irréparable déposés par M. Paul ont trait aux conséquences à long terme, et non à court terme, soit pendant la période comprise entre aujourd'hui et la date de l'instruction sur le fond. Dans la mesure où le préjudice redouté par M. Paul découle de l'entrée en vigueur de l'accord définitif par voie législative, je suis d'avis, comme les avocats du Canada et de la Nation Dogrib, que la clause de préservation des droits contenue dans l'accord devrait être suffisante, de manière générale, pour veiller à ce que les ajustements nécessaires soient apportés afin de tenir compte des droits que la Cour pourrait éventuellement reconnaître aux Métis indigènes concernant la région North Slave.

[144]    Je crois que l'avocate des demandeurs reconnaît l'importance de la clause de préservation des droits lorsqu'elle affirme, à la page 738, volume III des transcriptions :

[Traduction] Nous ne parlons pas... Je pense que nous avons reconnu, Monsieur le juge, qu'en ce moment même, mes clients revendiquent la reconnaissance de leurs droits en vertu de l'article 35 et dans le cas où la Cour leur donnerait raison, la clause de préservation des droits offrirait un recours.


Cependant, dans l'intervalle, il n'existe aucune protection. Voilà le point qui nous préoccupe concernant la clause de préservation des droits.

[145]    J'accepte sans hésitation la conclusion au même effet à laquelle est parvenu le juge Rouleau dans Benoanie, précitée, où il affirme ce qui suit :

Je ne suis pas convaincu que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si je refusais de leur accorder la réparation demandée. Il me semble que l'Entente finale protège les droits « ancestraux ou issus de traités » que les demandeurs pourraient se voir reconnaître et qu'en fait, elle leur accorde peut-être des droits juridiques qu'ils n'ont pas actuellement.

[146]    Je ne suis pas convaincu par les différents arguments des demandeurs concernant le préjudice irréparable à court terme, principalement parce qu'ils sont fondés sur une interprétation erronée de l'objet et de la portée de l'accord définitif et sur des prétentions inexactes. Dans plusieurs cas, la crainte de préjudice est spéculative.

[147]    Les prétentions des demandeurs sont fondées sur l'hypothèse que l'accord définitif entraînera la création d'un gouvernement Dogrib tout puissant qui exercera son autorité sans être soumis à aucun contrôle sur les territoires Dogrib situés dans la région visée par le règlement. Cette hypothèse n'est pas exacte parce que les gouvernements du Canada et des T.N.-O. n'ont pas renoncé à leur compétence dans la région North Slave et leurs lois d'application générale continueront de s'y appliquer en priorité. L'accord et la Charte priment les lois Dogrib et les tribunaux sont là pour assurer la justice.


[148]    Les demandeurs ont mal interprété l'objet de l'accord définitif. Celui-ci ne porte pas sur les droits qu'ont les Métis indigènes dans la région North Slave mais plutôt sur le règlement des droits de la Nation Dogrib vivant principalement dans les quatre collectivités Dogrib situées dans la région North Slave. C'est dans cette perspective qu'il faut lire l'accord définitif et c'est ce qui émane du libellé de toutes ses dispositions. Cela apparaît clairement de la structure même des gouvernements de la Nation Dogrib et des quatre collectivités Dogrib. C'est également la raison pour laquelle le futur gouvernement de la Première nation Dogrib est confiné aux territoires Dogrib et son autorité est limitée aux citoyens Dogrib exerçant leurs droits de récolte dans la région visée par le règlement où, comme nous l'avons déjà mentionné, les pouvoirs des autres niveaux de gouvernement continuent de primer..

[149]    Même s'il est vrai, comme l'affirment les demandeurs, que les personnes qui se désignent comme des Métis indigènes de la région North Slave disposant de droits ancestraux sont des participants admissibles aux avantages de l'accord définitif, cela ne signifie pas, comme les demandeurs le prétendent, que la Nation Dogrib négocie leurs droits ancestraux.

[150]    Les personnes représentées par les demandeurs ne sont pas obligées de participer à l'accord définitif. Ces personnes disposent d'un choix réel et important qui peut être exercé rationnellement en tenant compte de toutes les dispositions de l'accord et de leur situation personnelle, y compris l'endroit où elles vivent et la mesure dans laquelle elles sont intégrées aux collectivités Dogrib. Dans ces circonstances, le fait qu'une personne décide de participer à l'accord ne signifie pas qu'elle est obligée de renoncer à être un Métis, de la même manière que l'adhésion au Traité de 1921 ne signifiait pas un renoncement à l'identité Métis. En tout état de cause, les demandeurs et les personnes qu'ils représentent sont libres de poursuivre leur procédure visant à faire reconnaître leurs droits ancestraux et, si la Cour leur donne raison, leurs droits seront effectivement reconnus et les ajustements qui s'imposent devront être apportés à l'accord définitif.


[151]    L'interprétation que je donne à l'actuelle version du projet d'accord définitif est, à plusieurs points de vue, différente de la lecture que l'avocat des demandeurs voudrait que j'en fasse. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont établi l'existence d'un préjudice irréparable justifiant le prononcé d'une ordonnance interlocutoire durant le court délai qui sépare ce jour de l'instruction de la demande sur le fond. Quelques exemples suffiront à le démontrer.

[152]    Premièrement, l'argument des demandeurs selon lequel les droits de récolte individuels des Métis de North Slave seront affectés ne tient pas compte de plusieurs facteurs : les droits de récolte accordés à la Nation Dogrib dans la région visée par le règlement ne sont pas exclusifs; quant aux droits exclusifs liés aux territoires Dogrib, ils sont limités aux animaux à fourrure mais même ces droits sont assujettis à certaines exemptions. Dans l'ensemble, les Dogrib obtiennent un droit d'accès aux territoires Dogrib, y compris le droit de récolter la faune, les arbres et les plantes, sous réserve des lois non discriminatoires édictées par les Dogrib.

[153]    En outre, un tel argument ne tient pas compte de l'établissement de l'Office des ressources renouvelables de North Slave et des pouvoirs qui seront conférés à cet organisme dans la région visée par le règlement. Il aura pour mandat d'accorder la priorité à la récolte non commerciale et, dans cette catégorie, les citoyens Dogrib et les membres des autres peuples autochtones auront préséance sur les autres citoyens des T.N.-O.

[154]    Deuxièmement, l'argument des demandeurs concernant la perte de leur droit d'être consultés concernant le troupeau de caribous fait fi des dispositions de l'accord relatives à la gestion de ce troupeau, au paragraphe 12.9.2, et des dispositions relatives à l'obligation de consulter les représentants des autres groupes autochtones.


[155]    Troisièmement, les demandeurs font valoir avec beaucoup d'éloquence que l'obligation impérative faite aux entreprises d'exploitation des ressources de consulter le gouvernement de la Première nation Dogrib empêcherait l'Alliance de négocier des accords relatifs aux ressources, comme elle l'a fait dans le passé. L'accord de principe a été conclu depuis maintenant deux ans et les demandeurs n'ont produit aucune preuve quant aux répercussions sur leurs relations avec les entreprises d'exploitation des ressources. Cet argument ne tient pas compte de la protection prévue pour les accords existants et, en ce qui a trait aux accords futurs, il demeure spéculatif puisque rien dans l'accord définitif n'empêche l'Alliance de conclure de tels accords, qui sont fondés sur les droits ancestraux qu'ils revendiquent. De plus, je ne crois pas qu'un arrêt du développement dans les territoires Dogrib constitue un préjudice irréparable pour les demandeurs et le peuple qu'ils représentent. Les demandeurs sont protégés par la clause de préservation des droits et, en tout état de cause, toute violation de leurs droits pourrait donner droit à réparation par des dommages-intérêts.

[156]    Quatrièmement, je ne retiens pas l'argument des demandeurs concernant l'incidence des pouvoirs accordés en matière de ressources patrimoniales au gouvernement de la Première nation Dogrib. À la lecture de l'accord définitif, je constate qu'il existe des dispositions prévoyant qu'en cas de découverte de lieux de sépulture ou de sites archéologiques, le gouvernement des T.N.-O. doit en être avisé; ce dernier aurait alors tout le loisir de prendre les mesures qui s'imposent. À défaut, il est toujours possible, dans les cas impérieux, de chercher protection auprès des tribunaux.


[157]    Cinquièmement, l'argument des demandeurs concernant les clauses relatives au contrôle des eaux accorde une trop grande portée à ces dispositions dans la mesure où elles portent sur toute la région visée par le règlement et, en ce qui a trait aux territoires Dogrib, elles ne comprennent pas les droits de navigation et de passage.

(4)        Prépondérance des inconvénients et intérêt public

[158]    Dans RJR-MacDonald, précité, les juges Sopinka et Cory adoptent les propos du juge Beetz dans Metropolitan Stores, précité, en ce qui concerne le troisième critère à appliquer aux demandes de mesure interlocutoire. Ce critère consiste :

[62] (...) à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.

[159]    Les deux juges ajoutent ce qui suit :

(1)       compte tenu des exigences minimales relativement peu élevées du premier critère et des difficultés d'application du critère du préjudice irréparable dans des cas relevant de la Charte, c'est à ce stade que seront décidées de nombreuses procédures interlocutoires;

(2)       il y a de nombreux facteurs à examiner dans l'appréciation de la « prépondérance des inconvénients » , ils varient d'un cas à l'autre et il faudra parfois tenir compte d'éléments particuliers;

(3)       dans tous les litiges de nature constitutionnelle, l'intérêt public est un « élément particulier » à considérer dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients.


[160]    Je conclus sans hésitation que les défendeurs subiraient un préjudice plus grand si l'injonction était accordée que celui que subiraient les demandeurs si elle était refusée, et ce, pour plusieurs raisons.

[161]    La première, c'est que la Nation Dogrib a des droits ancestraux reconnus pour lesquels le Canada a accepté d'entreprendre des négociations, ce qui n'est pas le cas des Métis de North Slave, dont les droits ont été revendiqués mais non reconnus, établis ou acceptés en vue de conclure un accord.

[162]    La deuxième, c'est que la Nation Dogrib négocie depuis 1992 et elle est en droit de s'attendre à l'aboutissement du processus. Les demandeurs et le peuple qu'ils représentent ne sont pas dans la même position, ayant tenté depuis 1992 de trouver d'autres solutions; ce n'est que depuis 1998 qu'ils s'intéressant sérieusement au processus Dogrib.


[163]    La troisième raison, c'est que l'affidavit de John Zoe fait état des répercussions que pourra entraîner tout retard dans les négociations et j'accepte cette preuve. Le juge Rouleau, dans Benoanie, précitée, est parvenu à une conclusion semblable sur la prépondérance des inconvénients liés à la poursuite des négociations relatives aux revendications territoriales, et ce, en partie pour des considérations de même nature. D'un autre côté, les demandeurs et le peuple qu'ils représentent ne subiront aucun préjudice irréparable. Ils peuvent poursuivre leur procédure et obtenir la reconnaissance de leurs droits par toutes les parties intéressées, y compris la Nation Dogrib. S'ils arrivent à établir leur identité de peuple autochtone et les droits ancestraux qu'ils revendiquent, ils disposent d'un recours efficace leur permettant d'obtenir réparation pour la violation de ces droits. Dans l'intervalle, j'estime que les demandeurs n'ont pas besoin de la protection d'une mesure interlocutoire.

[164]    En outre, l'intérêt public milite largement en faveur des défendeurs. Les demandeurs cherchent à interrompre le processus de négociation relatif aux revendications territoriales alors que ce processus est lui-même dans l'intérêt public puisqu'il s'agit d'un mécanisme de réconciliation avec les peuples autochtones au sein de la société canadienne.

[165]    Finalement, un dernier argument penche en faveur des défendeurs. Il s'agit du délai qu'ont mis les demandeurs à entreprendre leur recours.

[166]    La demande déposée par les demandeurs vise à obtenir un siège à la table des Dogrib d'où, affirment-ils, ils ont été exclus. Les demandeurs sont au courant de cette situation depuis plusieurs années et pourtant, ils n'ont entamé des procédures judiciaires qu'au printemps 2001 et la présente demande d'injonction, le 30 avril 2001.


[167]    Le retard à entreprendre un recours est l'un des motifs qui ont conduit le juge Williamson à refuser l'injonction interlocutoire dans House of Sga'nisim, Nisibilada, précitée. Il en est de même pour le juge Goldie dans Barton et al. c. Nisga'a Tribal Council, [1998] B.C.J. n ° 2395 (1er octobre 1998). Le juge Sigurdson a tenu compte d'éléments semblables dans Siska Indian Band c. British Columbia (Minister of Forests), [1999] B.C.J. n ° 2354 (25 octobre 1999, C.S.C.-B.) puisqu'il a considéré que la bande Siska avait fait défaut d'agir rapidement dans son objection fondée sur les droits et titres ancestraux qu'elle revendiquait et qu'elle avait tardé à présenter son recours en injonction.

[168]    Je conclus en faisant miens les propos du juge Goldie dans Barton, précitée, au paragraphe 18 :

[Traduction]

[18] Ainsi, compte tenu de tout ce qui s'est produit auparavant, cette requête rappelle inévitablement que l'equity vient au secours du diligent et non de ceux qui « négligent d'exercer leurs droits » . L'origine de cette maxime repose sur l'idée implicite que celui qui ne s'oppose pas aux actes qui constituent une violation de ses droits par l'autre partie y consent. La mesure recherchée, en l'espèce, est une ordonnance visant à interrompre un processus dont l'objet est connu depuis longtemps par tous les membres de la Nation Nisga'a et du Conseil tribal, y compris les appelants, et qui se déroule depuis de nombreuses années.


[169]    Pour tous ces motifs, la demande d'injonction des demandeurs est rejetée avec dépens suivant l'issue de la cause.

                                                                                                                         « François Lemieux »     

                                                                                                                                                                                                            

                                                                                                                                              J U G E             

OTTAWA (ONTARIO)

LE 31 MAI 2002

Traduction certifiée conforme

                                                 

Richard Jacques, LL.L.


                                                                      COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ :                                       

CLEM PAUL et ALLIANCE MÉTIS NORTH SLAVE

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                              - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE GOUVERNEMENT DU CANADA, représenté par le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST et LA PREMIÈRE NATION DOGRIB, représentée par LE CONSEIL DES DOGRIB VISÉS PAR LE TRAITÉ N ° 11

                                                                                                                                                    Défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        4 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                        Le juge Lemieux

DATE :                                                                                         31 mai 2002

COMPARUTIONS :

Janet Hutchison

Katherine Hurlburt

Dale Gibson                                            POUR LES DEMANDEURS

Pat Hodgkinson

Shaun Mellen

Kevin Kimmis                                        POUR LES DÉFENDEURS, Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Arthur Pape

Jean Teillet                                              POUR LES DÉFENDEURS, la Première nation Dogrib et John B. Zoe

Brad Patzer                                             POUR LE DÉFENDEUR, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest


                                                                                                                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Chamberlain Hutchison

Edmonton (Alberta)                               POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg                                  POUR LES DÉFENDEURS, Sa Majesté la Reine,

Sous-procureur général                         le procureur général du Canada, le ministre des Affaires

du Canada                                              indiennes et du Nord canadien

Pape & Slater                                        POUR LES DÉFENDEURS, la Première nation Dogrib et

Vancouver (C.-B.)                                 John Zoe

Brad Patzer

Yellowknife (T.N.-O.)                          POUR LE DÉFENDEUR, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest

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