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     IMM-388-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE SEPTEMBRE 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e :

     ELENA & RENETA KAPROLOVA,

     requérantes,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans les motifs de mon ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 10 janvier 1997 par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée. L'affaire est renvoyée devant une nouvelle formation de la Commission pour qu'elle procède à une nouvelle audition en conformité avec les présents motifs.

    

                                     J U G E

Traduction certifiée conforme     

                                 C. Delon, LL.L.

     IMM-388-97

E n t r e :

     ELENA & RENETA KAPROLOVA,

     requérantes,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

     La Cour est saisie d'une demande présentée par les requérantes, Elena et Renata Kaprolova, en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision en date du 20 janvier 1997 par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître le statut de réfugiées aux requérantes tout en reconnaissant, dans la même décision, le statut de réfugié au sens de la Convention au mari de la requérante Elena Kaprolova, Youri Valentino Boumajkov, et au père de la requérante Reneta Kaprolova.

     Le 7 octobre 1995, la requérante Elena Kaprolova (Elena) a présenté une demande en vue d'obtenir le statut de réfugiée en même temps que son mari et leur enfant. Ainsi qu'elle le déclare au paragraphe 6 de son affidavit du 20 février 1997, Elena invoque au soutient de sa revendication et de celle de son enfant les même motifs que ceux de son mari. Elle déclare, aux paragraphes 8 à 14 :


         8. Lors de cette audience mon époux a relaté les motifs pour lesquels on craint d'être persécutés si on retourne en Russie;                 
         9. Mon époux a clairement indiqué lors de son témoignage devant la section que moi, notre fille et lui-même sommes recherchés par les autorités russes à cause de son objection de conscience;                 
         10. Mon témoignage devant la section du statut a corroboré celui de mon mari et le Tribunal les a jugé crédibles et dignes de foi;                 
         11. Les autorités russes me cherchent particulièrement non seulement du fait que je suis l'épouse de Juri Boumajkov, mais aussi à cause du rôle que j'ai joué dans la préparation de notre fuite de la Russie;                 
         12. La section a reconnu le statut de réfugié à mon époux et elle l'a nié à moi et notre fille, et ce, malgré le fait que nos revendications respectives reposent sur les mêmes faits et motifs invoqués par mon époux;                 
         13. Je serai emprisonnée et torturée si je retourne en Russie, compte tenu du fait que je suis l'épouse de M. Boumajkov et que j'ai planifié avec lui notre fuite;                 
         14. La crainte de ma fille et moi est donc bien fondée et reste parfaitement intacte, d'autant plus que mon époux, le père de ma fille, a été reconnu comme réfugié; [...]                 

     Dans l'affidavit qu'il a souscrit le 20 février 1997, le mari d'Elena corrobore les dires de sa femme. Il déclare, aux paragraphes 6 à 12 :

         6. Lors de cette audience j'ai relaté les motifs pour lesquels moi et ma famille craignons d'être persécutés si on retourne en Russie;                 
         7. J'ai clairement indiqué lors de son témoignage devant la section que moi et les membres de ma fille, sommes recherchés par les autorités russes à cause de mon objection de conscience et de mon refus de servir contre les Tchétchènes;                 
         8. Mon témoignage devant la section du statut a corroboré celui de mon épouse et le Tribunal les a jugé crédibles et dignes de foi;                 
         9. Les autorités russes cherchent mon épouse pour sa relation avec moi et aussi à cause du rôle qu'elle a joué dans la préparation de notre fuite de la Russie;                 
         10. J'ai été reconnu comme réfugié au sens de la Convention par la section du statut;                 
         11. La section a nié à mon épouse et à ma fille le statut de réfugié, et ce, malgré le fait que leurs revendications respectives reposent sur les mêmes faits et motifs que j'ai invoqués;                 
         12. Mon épouse et ma fille seront emprisonnées et torturées si elles retournent en Russie au cause de nos liens familiaux étroits et du fait que nous avons demandé le statut de réfugié qui m'a été attribué;                 

     Ainsi que je l'ai précisé, la Commission a accepté la revendication du mari d'Elena mais a refusé la sienne et celle de la fille de Renata :

             La preuve se compose du Formulaire de renseignements personnels (FRP), des témoignages des demandeurs adultes de pièces d'identité et de documents décrivant la situation qui prévaut actuellement au pays ainsi que l'état du respect des droits de la personne.                 
             À l'audience, le tribunal a convenu avec le procureur que si les demandeurs devaient témoigner ils reformuleraient dans les mêmes termes le récit qu'ils ont déjà rédigé en réponse à la question 37 du FRP de monsieur.                 
             De plus, à l'audience le demandeur a précisé au sujet des événements plus récents qui l'ont amené à quitter le pays que:                 
         "      monsieur qui s'identifie architecte se définit dans son récit comme " pacifiste ";                         
         "      trois convocations de se présenter aux autorités militaires sont déposées à l'audience; elles furent acheminées du 24 avril 1995 au 15 juin suivant;                         
         "      deux autres documents militaires non conservés par le demandeur lui furent remis. L'un d'eux était un certificat d'appel que le demandeur qui l'avait reçu en main propre vers le 10 mai a déchiré sous le coup de la colère. Toutes ces informations au sujet des convocations furent obtenues après un questionnement fort laborieux;                         
         "      lorsque le demandeur apprend au mois de mai 1995, qu'il doit aller combattre en Tchétchénie, il refuse et en prévient les autorités;                         
         "      il obtient le 4 juillet 1995 pour lui-même, son épouse et sa fillette un visa canadien. Pour monsieur quitter le pays est l'unique solution pour ne pas être retrouvé par les autorités;                         
         "      la famille quitte Moscou le 7 juillet 1995 et, le même jour arrive au Canada. Ce n'est que trois mois plus tard, qu'il y revendique le statut de réfugié; son ami et conseiller était trop occupé pour le guider dans ses démarches;                         
         "      un extrait d'une lettre datée du 24 octobre 1995 reçu d'un ami, lui apprend qu'il est recherché par les autorités;                         
         "      Elena Kapralova, son épouse a corroboré le témoignage de monsieur. Elle ne témoigne d'aucun autre fait. De plus, lors d'un éventuel retour en Russie, elle craint avec sa fille d'être sans toit et vivre misérablement, son mari étant emprisonné pour refus de servir dans l'armée.                         
         DÉCISION                 
             Plusieurs questions furent nécessaires afin que le tribunal saisisse bien les détails au sujet des convocations militaires dont monsieur fit l'objet. Par sa façon impulsive de témoigner, monsieur n'a pas facilité l'exercice; toutefois, le tribunal attribue également ce laborieux processus au manque de clarté et à la piètre qualité des documents déposés par le procureur.                 
             Après avoir analysé toute la preuve tant testimoniale que documentaire, le tribunal est d'avis de reconnaître à Yuri Valentinov BOUMAJKOV le statut de "réfugié au sens de la Convention", tel que défini à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration .                 
             Elena V. KAPRALOVA son épouse ainsi que sa fille Renata Y. KAPRALOVA revendiquent également le statut de réfugié. Tel que mentionné dans les faits, madame craint à son retour en Russie les conséquences d'un emprisonnement de son mari. Elle n'a témoigné d'aucun autre fait.                 
             Selon le tribunal, madame et sa fille n'allèguent aucun fait qui pourrait amener le tribunal à conclure à une possibilité raisonnable que, lors de leur retour en Russie elles soient persécutées à cause de l'un des cinq motifs prévus par la définition du " réfugié au sens de la Convention ".                 
             En réplique le procureur qui soumettait que l'appartenance au groupe social, la famille scellait le sort de madame et sa famille, le tribunal conclut plutôt que la nation de persécution indirecte ne peut s'appliquer, opinion que le juge Nadon a formulé, à savoir :                 
             " que la persécution indirecte ne peut être assimilée à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention ".                         
             En conséquence, le tribunal est d'avis de ne pas reconnaître à Elena V. KAPRALOVA et à Renata Y. KAPRALOVA le statut de " réfugié au sens de la Convention " tel que défini à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration .                 

     Il est évident que la Commission a refusé de reconnaître le statut de réfugiées au requérantes parce qu'elles " n'allèguent aucun fait qui pourrait amener le tribunal à conclure à une possibilité raisonnable que, lors de leur retour en Russie elles soient persécutées à cause de l'un des cinq motifs prévus par la définition du "réfugié au sens de la Convention" ".

ANALYSE

     L'intimé soutient que la décision de la Commission est bien fondée et que les requérantes n'ont donné dans leur formulaire de renseignements personnels (FRP) aucune raison pour expliquer pourquoi elles craignaient d'être persécutées.

     Dans son FRP, Youri, le mari d'Elena explique dans une feuille tapée de format légal les raisons pour lesquelles il craint d'être persécuté. La Commission a accepté ces raisons. Il déclare notamment :

         J'ai étudié à l'académie des beaux-arts avec des Tchétchènes et d'autres nationalités caucasiennes, j'ai vécu parmi eux au Caucase. J'ai beaucoup d'amis parmi eux et je n'ai pas le moral, comme être humain, d'aller combattre contre ce peuple. Je suis pacifiste et solidaire avec les Tchétchènes.                 
         Après avoir parlé à ma famille, tout le monde a partagé mon opinion politique à l'égard de cette guerre absurde. Alors on a décidé de quitter la région; mais où? Tous ces bureaux de recrutement font un réseau centralisé. Dans chaque ville et village de la Russie, il y en a un où chacun doit s'inscrire lorsqu'il vient pour s'installer, travailler, vivre, etc. On se posait encore la question que faire.                 
         On ne pouvait plus rester dans ce pays où la sécurité de ma famille et la mienne est en danger. C'est la raison pour laquelle on a décidé de quitter la Russie; quitter vite avant que la machine bureaucratique se met en marche.                 

     Il est important de noter que Youri Boumajkov déclare : " On ne pouvait plus rester dans ce pays où la sécurité de ma famille et la mienne est en danger " dans son FRP.


     Voici les raisons de craindre d'être persécutée que la requérante Elena donne dans son FRP au sujet d'elle-même et de sa fille :

         Voir les motifs soulevés par mon époux.                 

     Il est évident que les présentes requérantes craignent de subir la même persécution que celle de leur mari et de leur père dont la revendication du statut de réfugié a, je le répète, été acceptée par la Commission.

     J'ai en conséquence du mal à comprendre sur quel fondement les commissaires peuvent affirmer qu'il n'existe aucun motif raisonnable qui justifie la crainte de persécution des requérantes.

     La question qui m'est soumise est différente de celle qui avait été portée à l'attention du juge Nadon dans l'affaire Casetellanos, [1995] 2 C.F. 190. En l'espèce, les requérantes craignent de subir la même persécution que celle que craint le revendicateur du statut de réfugié, comme en fait foi le fait qu'elles affirment que leur revendication repose sur les mêmes motifs que ceux du revendicateur.

     La femme et l'enfant mineur d'un revendicateur forment un groupe social lorsqu'il s'agit de revendiquer le statut de réfugié. Si, comme c'est le cas en l'espèce, la Commission est convaincue que le chef de ce groupe social, le père, a des raisons valables de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention et que sa femme et son enfant partagent ses craintes, je trouve en toute déférence difficile de reconnaître le statut de réfugié au mari et au père, tout en affirmant que la femme et l'enfant ne craignent pas d'être persécutés.

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 10 janvier 1997 par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée. L'affaire est renvoyée devant une nouvelle formation de la Commission pour qu'elle procède à une nouvelle audition en conformité avec les présents motifs.


     Les requérantes ont soumis une question à certifier. L'intimé n'en a pas soumis. Comme j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire que j'analyse la question dont on demande la certification.

    

                                     J U G E

OTTAWA

Le septembre 1997.

Traduction certifiée conforme     

                                 C. Delon, LL.L.
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