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Date : 19990825


Dossier : T-1557-98



ENTRE :

         BRIAN YOUNG, ROCKEY MOUNTAIN RIVER

     GUIDES LTD. et JASPER NATIONAL PARK

     PROFESSIONAL RIVER OUTFITTERS ASSOCIATION,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur,

     - et -

     JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION SOCIETY,

     intervenante.



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

INTRODUCTION

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire est formée à l"encontre d"une décision (ci-après la décision) rendue publique le 30 juin 1998, ou vers cette date, par le ministre du Patrimoine canadien (ci-après le ministre) relativement à l"interdiction de toute activité liée à la navigation de plaisance sur la rivière Maligne (ci-après la rivière) dans le parc national Jasper dès 1999.

LES FAITS

[2]      La décision a été rendue publique par voie de communiqué, dans lequel le défendeur indiquait que [TRADUCTION] " l"état actuel des connaissances scientifiques ne pouvait garantir le déroulement sécuritaire des étapes de préparation à la nidification, de nidification et de couvaison du harlequin plongeur ".

[3]      Le harlequin plongeur est un oiseau migrateur que l"on retrouve le long des côtes de l"Atlantique et du Pacifique en Amérique du Nord. La population occidentale du harlequin plongeur passe ses hivers dans les régions côtières de l"océan Pacifique et migre au printemps, à la fonte des neiges, vers les montagnes Rocheuses.

[4]      Le harlequin plongeur occupe une niche écologique restreinte et a un faible potentiel de reproduction. Le cycle de vie du harlequin plongeur après le vol migratoire implique essentiellement l"arrivée, la quête de nourriture, la formation du couple, l"incubation, l"éclosion et l"élevage de la couvée. La partie centrale de la rivière Maligne est le lieu d"habitat de prédilection pour le harlequin plongeur dans la vallée Maligne.

[5]      Il existe une population stable d"environ trente à quarante harlequins plongeurs dans la rivière Maligne, où ont lieu des activités de descente de rivière. La décharge du lac Maligne est reconnue pour être une zone où se trouve une concentration exceptionnellement grande de harlequins plongeurs. On ne retrouve des concentrations similaires de harlequins plongeurs en Alberta que dans deux autres rivières, dont aucune ne se situe à l"intérieur du parc national Jasper.

[6]      Les activités commerciales de descente en eaux vives ont commencé en 1986 dans la partie centrale de la rivière Maligne. La fréquence de cette activité s"est accrue de six excursions en 1986 à près de 1700 en 1991. La navigation de plaisance à des fins commerciales dans la rivière remonte aux années 70.

[7]      À chaque année, de la mi-juin jusqu"en septembre, les demandeurs offrent aux visiteurs du parc des excursions commerciales de descente de rivière dans cette région.

[8]      Les évaluations environnementales qui ont été faites relativement à l"activité de descente de rivière en 1986 ont recommandé l"établissement d"un système de surveillance environnementale continue.

[9]      En 1991, des membres de la Jasper Environmental Association (ci-après la JEA), l"intervenante en l"espèce, ont communiqué à Parcs Canada leurs observations au sujet du nombre décroissant de harlequins plongeurs dans la rivière et ont encouragé Parcs Canada à suivre les canards de près afin de déterminer la cause du déclin de leur population.

[10]      En conséquence, une autre évaluation environnementale a été préparée en 1991 au sujet des descentes de rivière à des fins commerciales dans la rivière Maligne. L"évaluation a indiqué que l"activité de descente de rivière avait connu un essor depuis 1986, avec pour effet des répercussions néfastes à l"égard du harlequin plongeur le long de la rivière Maligne.

[11]      En 1993, on a recommandé que la rivière soit fermée pendant une partie de l"année. On a identifié le besoin de prendre des mesures de protection additionnelles à mesure que la recherche sur le harlequin plongeur dans le secteur de la rivière Maligne avançait.

[12]      Depuis 1993, on a interdit les engins nautiques durant les mois de mai et de juin dans certaines parties de la rivière Maligne, de même que l"accès à la rivière à partir de certains secteurs du rivage, afin de protéger l"espace utilisé par le harlequin plongeur.

[13]      Une contestation judiciaire menée par les demandeurs en 1993 à l"encontre de cette interdiction a été abandonnée avant qu"aucune audience n"ait pu avoir lieu quant au fond de la question; une poursuite en dommages-intérêts a été déposée, mais n"est jamais allée au-delà de l"étape de la clôture de la procédure écrite. Des recherches scientifiques au sujet du harlequin plongeur dans le parc national Jasper ont été menées durant la période s"étendant de 1991 à 1996 et les renseignements ainsi obtenus ont toujours été communiqués aux demandeurs.

[14]      L"ensemble des données recueillies au sujet de la partie centrale de la rivière Maligne River dans le cadre de cette recherche ont servi à l"élaboration d"options relatives à la gestion touristique de la partie centrale de la rivière Maligne.

[15]      Le Jasper National Park Guidelines for River Use Management prévoyait de différer la décision relative à l"usage de la partie centrale de la rivière Maligne jusqu"à ce que des consultations publiques soient tenues quant aux options qui ont servi de base de discussion. Les quatre options qui ont été identifiées ont été présentées dans un document distinct intitulé Options Analysis for the Mid-Maligne River in Jasper National Park .

[16]      Le Jasper National Park Guidelines for River Use Management et le Options Analysis for the Mid-Maligne River in Jasper National Park contiennent tous deux un rapport intitulé A Summary of Information on Harlequin Ducks. Ce résumé a été préparé à partir d"une analyse des données scientifiques alors disponibles, puis distribué à cinq experts sur le harlequin plongeur avant qu"il ne soit diffusé pour qu"il fasse l"objet d"une vérification indépendante par des membres de la communauté scientifique.

[17]      Au cours de la période des consultations publiques, on a fait droit à la requête des demandeurs relativement à une prorogation de délai pour leur permettre de participer à ces consultations. Ils ont aussi demandé à obtenir des renseignements précis, ce qui leur a été accordé. Les demandeurs ont présenté des observations écrites, notamment des rapports écrits provenant d"un expert dans le domaine. La JEA a également soumis des observations écrites au sujet des différentes options qui s"offraient à Parcs Canada.

[18]      Parcs Canada a procédé à l"analyse des observations qui lui ont été présentées et a par la suite préparé une série de documents, parmi lesquels figurait une recommandation, afin que le ministre défendeur en fasse l"examen et rende sa décision.

[19]      Les documents comprenaient un tableau comparatif des options relatives à l"exploitation par rapport au degré de certitude, sur le plan de la gestion, quant à la protection des principales étapes de la vie du harlequin plongeur dans la partie centrale de la rivière Maligne. La partie Questions et Réponses des documents traitait du fondement de la recommandation formulée par Parcs Canada en réponse aux critiques des demandeurs. La recommandation de Parcs Canada prévoyait que les activités commerciales menées par le demandeurs seraient déplacées vers d"autres rivières à l"intérieur du parc national Jasper qui, étant donné leurs conditions environnementales et écologiques, conviendraient davantage à l"exploitation des descentes.

[20]      Le ministre défendeur a accepté les recommandations. En conséquence, les demandeurs ont introduit la présente procédure de contrôle judiciaire.

[21]      La Cour a accordé le statut d"intervenante à la JEA selon les modalités contenues dans l"ordonnance de la Cour en date du 12 janvier 1999.

[22]      La JEA est une société sans but lucratif incorporée sous le régime de l"Alberta Societies Act et dont les membres demeurent tous dans la ville de Jasper.

[23]      La JEA constitue la seule organisation environnementale au parc national Jasper dont la fonction est de se consacrer exclusivement aux questions environnementales qui sont liées ou qui touchent à l"état du parc.

[24]      Durant les dix dernières années, la JEA et ses membres se sont particulièrement intéressés aux questions relatives à la gestion et à la préservation de la vallée et de la rivière Maligne dans le parc national Jasper.

[25]      La JEA et ses membres ont étudié les harlequins plongeurs de la rivière Maligne depuis qu"ont commencé les activités de descente commerciale.

[26]      La Loi sur les parcs nationaux, L.R.C. (1985), ch. N-14 (ci-après la Loi), a été adoptée en 1930. L"article 4 de la Loi énonce que les parcs nationaux sont créés à l"intention du peuple canadien afin que celui-ci puisse les utiliser pour son plaisir et l"enrichissement de ses connaissances, et " doivent être entretenus et utilisés de façon à rester intacts pour les générations futures ". L"article 5 de la Loi exige que le ministre élabore un " plan de gestion " pour chacun des parcs nationaux en ce qui touche la protection des ressources, le zonage, les modalités d'utilisation par les visiteurs, et qu"il s"occupe de préserver " l'intégrité écologique et, à cette fin, de protéger les ressources naturelles ".

[27]      Un certain nombre de conventions ont depuis été conclues par le gouvernement canadien et de nombreuses politiques ont été élaborées par Parcs Canada en vue de protéger l"environnement du parc national Jasper.

LA QUESTION EN LITIGE

[28]      Lorsqu"il a décidé d"interdire toute activité liée aux engins nautiques dans la partie centrale de la rivière Maligne, le défendeur a-t-il manqué à une obligation d"équité fondée sur l"expectative légitime de consultation, qui devait à son tour aboutir à une décision motivée?

LES ARGUMENTS DES DEMANDEURS

[29]      Les demandeurs font valoir que la preuve en l"espèce indique que le ministre, de par un engagement clair de sa part et de par sa ligne de conduite, a créé une expectative légitime quant à un processus de consultation publique des groupes d"intérêt et quant à un processus décisionnel fondé sur des motifs raisonnables et équitables. Ils plaident également que l"omission de rendre une décision équitable fondée sur les faits a pour effet d"invalider cette décision.

L"absence de consultation antérieurement à la présentation des options

[30]      Les demandeurs soutiennent que, tout au long de la présentation des observations et du processus établi par le défendeur en vue de décider de la question de la descente commerciale dans la rivière, le défendeur a créé une expectative légitime d"équité chez les personnes impliquées dans le processus. Ils font valoir que la Cour a l"obligation de s"assurer, dans une perspective de saine gestion, que le processus décisionnel prévu a été respecté et ce, en conformité avec la Loi sur les parcs nationaux .

[31]      Les demandeurs affirment que les " options " choisies étaient indûment limitées et partaient toutes de la présomption selon laquelle il existe un lien causal entre le déclin de la population de canards et la descente de rivière. Selon eux, aucun effort n"a été consacré à l"exploration d"autres moyens de contrôle. Ils plaident que malgré l"intervention de l"Association pour exiger davantage de transparence dans le processus décisionnel au chapitre de l"Options Analysis, les " options " avaient, à ce moment-là, déjà été établies, ce qui ne laissait aucune ouverture pour une analyse sérieuse des propositions. Les demandeurs allèguent que, vu les attentes des groupes d"intérêt, une telle restriction au tout début du processus de consultation enfreint les normes d"équité procédurale.

La modification quant à la norme décisionnelle

[32]      Les demandeurs font valoir que le défendeur a adopté la norme d"incidence nulle assurée sur l"écologie dans le cadre de son processus décisionnel, ce qui va à l"encontre des principes d"équité. Selon eux, une telle norme n"est ni conforme aux expectatives des demandeurs, ni aux objectifs énoncés dans la Loi sur les parcs nationaux . Les parcs nationaux du Canada n"étaient pas, ne sont pas et ne seront pas des habitats entièrement intacts.

L"absence de consultation à la lumière des renseignements additionnels importants

[33]      Les demandeurs soutiennent que le fait de ne pas avoir eu la possibilité de commenter des renseignements additionnels, considérés comme importants, enfreint les principes d"équité. Ils affirment que les options contenues dans l"Options Analysis ne comprenaient pas ou que très peu de nouveaux renseignements. Ils font ainsi observer que les options 1 et 3 n"auraient pas dû faire partie du processus décisionnel avant même le début du processus de consultation et que l"option 2 n"aurait pas pu être un modèle viable au moment de l"élaboration de l"Options Analysis puisqu"on ne pouvait pas affirmer qu"elle " assurait " la sécurité du harlequin plongeur.

Un processus décisionnel à huis clos

[34]      Les demandeurs soutiennent qu"ils ont apporté, dans le cadre du processus, une perspective qui était inattaquable sur le plan de la logique, et que le ministre a choisi de modifier le processus décisionnel et de mettre un terme aux consultations. Ils ajoutent que la plainte initiale, de même que toutes les études entreprises par Parcs Canada, ne concernait qu"une seule matière, soit la descente commerciale de rivière, mais que la décision vise à la fois la descente commerciale de rivière et le kayak. Cette démarche contrevient à leur avis aux principes d"équité.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR (appuyés par l"intervenante)

La norme de contrôle

[35]      Le défendeur soutient que l"affaire en l"espèce tombe sous la catégorie de normes de contrôle pour lesquelles le caractère manifestement déraisonnable constitue la norme de contrôle applicable. Le défendeur explique que le ministre responsable des parcs nationaux du Canada a reçu de la loi un pouvoir considérable pour administrer, gérer et surveiller le parc, et a le pouvoir discrétionnaire de déterminer les matières qui feront l"objet d"une consultation publique. Il avance que l"existence de ces pouvoirs discrétionnaires considérables indique que la retenue judiciaire est de mise. Le défendeur fait valoir que le législateur avait l"intention de faire du pouvoir discrétionnaire un élément central dans la gestion des parcs nationaux et que la nature de la matière particulière soumise au ministre en l"espèce, qui concerne l"expertise de Parcs Canada, indique que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable.

[36]      Le défendeur plaide que, étant donné que les objectifs poursuivis par la loi et par le décideur ne sont pas énoncés principalement sous l"angle de la création de droits entre les différentes parties, mais plutôt suivant l"équilibre délicat entre des intérêts et des considérations opposés, la pertinence de la surveillance judiciaire tend alors à diminuer.

La théorie de l"expectative légitime

[37]      Le défendeur fait valoir que la théorie de l"expectative légitime ne peut servir à créer des droits fondamentaux. Il ajoute que Parcs Canada et le ministre responsable ont suivi la procédure dont les demandeurs auraient pu raisonnablement prévoir qu"elle serait suivie, conformément à la description contenue dans le document Options Analysis .

L"absence de consultation antérieurement à la présentation des options

[38]      Le défendeur rejette l"argument des demandeurs suivant lequel la présentation des quatre principales options excluait une analyse sérieuse des autres options. Il soutient que Parcs Canada a présenté ces options en vue de les discuter et a cherché à obtenir tout renseignement nouveau qui aurait pu être intégré à son analyse et à son processus décisionnel. Le défendeur plaide que le fait que Parcs Canada n"ait pas accepté les opinions des demandeurs ne signifie pas que celles-ci n"ont pas fait l"objet d"un examen sérieux.

La modification quant à la norme décisionnelle

[39]      Le défendeur rejette l"argument des demandeurs suivant lequel l"objectif d"incidence nulle sur l"écologie a été introduit dans le contexte d"une autre norme. Il avance que la relocalisation des activités de descente de rivière d"une région à une autre, fondée sur des préoccupations écologiques, constitue un geste prudent qui s"inscrit dans le contexte des politiques et de la législation.

L"absence de consultation à la lumière des renseignements additionnels importants

[40]      Le défendeur rejette l"argument des demandeurs portant qu"ils n"ont pas eu la possibilité de commenter les renseignements additionnels présentés au cours de la période de consultation. Il affirme qu"il n"y avait aucune expectative relative à ce que les renseignements obtenus au cours de la période de consultation fassent l"objet d"une ronde supplémentaire de consultation.

Un processus décisionnel à huis clos

[41]      Le défendeur rejette l"argument des demandeurs suivant lequel le processus décisionnel en l"espèce s"est fait à huis clos. Il allègue que le fait que le processus de consultation publique entrepris par Parcs Canada consacre l"expression polycentrique des intérêts, et que ces intérêts devraient ressortir dans le processus décisionnel, est une manifestation de la transparence du processus.

Les faits ne sont pas au coeur de la présente affaire

[42]      Le défendeur soutient qu"il n"appartient pas à la Cour, dans les présentes procédures, de se substituer à l"Académie des sciences pour trancher des prédictions scientifiques contradictoires. Selon lui, il existe une preuve raisonnable que le harlequin plongeur est sensible aux perturbations, de même que de solides preuves scientifiques que l"utilisation des engins nautiques perturbe les oiseaux de cette espèce pendant la période de parade nuptiale et la quête de nourriture, ce qui a pour effet de diminuer leur temps d"alimentation et d"augmenter leur niveau de dépense d"énergie. Le défendeur ajoute que Parcs Canada peut raisonnablement évaluer le degré de certitude lié aux options d"exploitation de la rivière et les effets potentiels de celles-ci sur les oiseaux.

ORDONNANCE RECHERCHÉE :

[43]      Les demandeurs demandent que la Cour :

     a)      déclare la nullité de la décision rendue par le ministre dans la mesure où elle n"a pas été rendue de façon équitable;
     b)      délivre une ordonnance de la nature d"un certiorari et qu"elle permette que le régime applicable à la rivière soit maintenu de la même façon qu"il l"a été dans les dernières années.

ANALYSE

Norme de contrôle

[44]      La question fondamentale à résoudre dans la présente affaire consiste à déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du ministre.

[45]      Dans une affaire très récente, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)1, la Cour suprême du Canada a affirmé :

L'obligation d'équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés. Les droits de participation qui en font partie visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées de présenter leur point de vue et des éléments de preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur. Plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer le contenu de l'obligation d'équité procédurale:
(1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l'organisme; (3) l'importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l'organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive.

[46]      La présente affaire est certainement très différente de l"affaire Baker , laquelle concernait le paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, soit la tenue d"une audience pour des motifs d"ordre humanitaire sous le régime de la Loi sur l"immigration.

[47]      De l"affaire Baker, je retiens, aux fins de la présente affaire, les facteurs dont la Cour doit tenir compte lorsqu"elle examine la décision d"un ministre.

[48]      En premier lieu, je suis convaincu que la Cour suprême a établi que l"absence de clause privative n"est qu"un facteur parmi d"autres lors de la détermination de la norme de contrôle applicable et que d"autres facteurs doivent également être pris en compte.

[49]      L"affaire Baker confirme également que l"expertise du décideur constitue un facteur qui penche en faveur de la retenue judiciaire. Un troisième facteur qui doit être examiné est le but recherché par la disposition en particulier et par la Loi dans son ensemble.

[50]      Un quatrième facteur touche à la nature du problème en cause, particulièrement à savoir s"il se rapporte à une question de droit ou de fait, ou les deux.

[51]      Selon la Cour suprême (le juge L"Heureux-Dubé), tous ces facteurs (la liste n"est pas exhaustive) doivent être soupesés pour aboutir à la norme de contrôle applicable. Dans l"affaire Baker , la Cour suprême du Canada est arrivée à la conclusion que la décision raisonnable simpliciter était la norme de contrôle applicable.

[52]      Les facteurs qui ont été examinés dans l"affaire Baker semblent être comparables à ceux qui ont été examinés en l"espèce. Comme la Loi sur l"immigration, la Loi sur les parcs nationaux ne contient pas de clause privative. Le ministre en charge des parcs nationaux du Canada et son délégué possèdent une certaine expertise en ce qui concerne la gestion des parcs. De plus, la Loi sur les parcs nationaux confère au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable relativement à l"administration, à la gestion et à la surveillance des parcs du Canada. Le législateur paraît même avoir eu l"intention de faire du pouvoir discrétionnaire un élément central dans la gestion des parcs nationaux, vu l"importance de soupeser les questions liées aux activités humaines et les questions environnementales. Les questions soulevées dans l"argumentation des demandeurs semblent être fondées sur l"examen qu"a fait le ministre de la preuve dont il disposait. Par conséquent, la nature du problème en l"espèce semble se rapporter à une question de fait. À la lumière de tous ces facteurs, il appert que la décision raisonnable est clairement la norme de contrôle applicable dans les circonstances en l"espèce.

La décision était-elle raisonnable?

La théorie de l"expectative légitime

[53]      Il est bien connu en droit que l"expectative légitime ne peut servir à créer des droits fondamentaux. Même si les demandeurs sont en désaccord avec le bien-fondé de la décision quant au fond, il appert que, compte tenu de l"ensemble de la preuve, le ministre a suivi la procédure dont les demandeurs auraient pu raisonnablement prévoir qu"elle serait suivie.

L"absence de consultation antérieurement à la présentation des options

[54]      Il ne paraît y avoir aucune preuve que le ministre n"a pas consulté les groupes d"intérêt antérieurement à la présentation des quatre options. Le fait que les opinions des demandeurs n"aient pas été acceptées par Parcs Canada ne signifie pas qu"elles n"ont pas été examinées.

La modification quant à la norme décisionnelle

[55]      Je suis convaincu que la décision du ministre représente l"aboutissement de la pondération des questions liées aux activités humaines et des questions environnementales. Même si le ministre a décidé d"interdire toute activité liée à la navigation de plaisance sur la rivière Maligne dans le parc national Jasper, elle a donné la possibilité aux demandeurs de déplacer leurs services de descente commerciale de rivière vers d"autres rivières, à l"intérieur même du parc. La relocalisation des activités de descente de rivière d"une région à une autre, en fonction de préoccupations écologiques valables, paraît être un geste prudent, non pas une mesure visant l"incidence écologique nulle.

L"absence de consultation à la lumière des renseignements importants additionnels

[56]      Vu l"ensemble de la preuve, le ministre ne me paraît pas avoir créé d"expectative selon laquelle les renseignements obtenus lors de la période de consultation feraient l"objet d"une ronde supplémentaire de consultation.

Un processus décisionnel à huis clos

[57]      Il paraît clair que le fait que le processus de consultation publique entrepris par Parcs Canada consacre l"expression polycentriques des intérêts, et que ces intérêts devraient ressortir dans le processus décisionnel, est une manifestation de la transparence du processus.

Les faits ne sont pas au coeur de la présente affaire

[58]      Les témoignages d"experts ont été examinés par le ministre, qui a conclu à l"existence d"une preuve raisonnable que le harlequin plongeur était sensible aux perturbations et de solides preuves scientifiques que l"utilisation des engins nautiques perturbait les oiseaux de cette espèce pendant la période de parade nuptiale et la quête de nourriture, ce qui a pour effet de diminuer leur temps d"alimentation et d"augmenter leur niveau de dépense d"énergie. Les demandeurs exigent une solide preuve scientifique démontrant un lien causal entre l"activité de descente de rivière et le déclin de la population d"oiseaux dans la rivière. Je suis convaincu que ce qu"exigent les demandeurs est impossible. Je suis convaincu qu"il n"existe aucune certitude absolue en science, seulement des probabilités, et qu"il était raisonnable pour le ministre de conclure que, vu l"ensemble de la preuve, les harlequins plongeurs étaient sensibles aux perturbations.

[59]      En conclusion, l"équité procédurale a trait à la procédure et à la pratique dans le cours du processus décisionnel, et non aux résultats de ce processus. La plupart des questions soulevées par les demandeurs concernent la question de fond relative à la validité et au bien-fondé de la décision du ministre, et non à la procédure que le ministre a suivie pour rendre sa décision. Lors de la période de consultation, les demandeurs ont présenté une requête en prorogation de délai pour leur permettre de participer aux consultations publiques, ce qui leur a été accordé. Ils ont aussi demandé des renseignements précis qui leur ont été fournis. Ils ont présenté toutes les preuves qu"ils souhaitaient présenter. Je suis convaincu que tous les éléments de preuve qu"ils ont soumis ont en effet été examinés. Je ne dispose du moins d"aucune preuve portant que les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés n"ont pas été examinés.

[60]      Le ministre doit rendre une décision fondée sur la preuve. C"est ce qu"elle a fait. Il est déplorable pour les demandeurs que le ministre ait tranché dans le sens contraire de leurs arguments.


[61]      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

                             " Max M. Teitelbaum "

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 25 août 1999


Traduction certifiée conforme     

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-1557-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Brian Young et autres c. Procureur général                          du Canada et autre

LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :              25 juin 1999     

    


MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM


EN DATE DU : 25 août 1999



ONT COMPARU :

Robert Hladun                  POUR LES DEMANDEURS

Kirk Lambrecht                  POUR LE DÉFENDEUR

Karen Wristen / Margot Venton          POUR L"INTERVENANTE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hladun & Company                  POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Sierra Legal Defence Fund              POUR L"INTERVENANTE

Vancouver (Colombie-Britannique)



Date : 19990825

Dossier : T-1557-98


OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 25 AOÛT 1999


EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

         BRIAN YOUNG, ROCKEY MOUNTAIN RIVER

     GUIDES LTD. et JASPER NATIONAL PARK

     PROFESSIONAL RIVER OUTFITTERS ASSOCIATION,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur,

     - et -

     JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION SOCIETY,

     intervenante.



     ORDONNANCE

     Pour les motifs que j"ai exposés dans les Motifs de l"ordonnance, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

                             " Max M. Teitelbaum "

                            

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

__________________

1      [1999] A.C.S. no 39.

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