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Date : 20190401


Dossier : IMM‑4294‑18

Référence : 2019 CF 394

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2019

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

NIRANJAN MAGANLAL PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Un agent des visas a rejeté la demande de parrainage présentée par Niranjan Maganlal Patel à l’égard de ses parents parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences financières en matière de parrainage énoncées dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR). Plus précisément, M. Patel ne satisfaisait pas à l’exigence liée au revenu vital minimum pour pouvoir parrainer ses parents, compte tenu du seuil de faible revenu publié par Statistique Canada qui était en vigueur au moment où la demande de parrainage a été présentée.

[2]  Dans le cadre de son appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, M. Patel a reconnu qu’il ne satisfaisait pas aux exigences liées au revenu énoncées dans le RIPR. Cependant, il a demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de lui accorder une dispense des exigences liées au revenu énoncées dans le RIPR pour des motifs d’ordre humanitaire. La SAI a rejeté l’appel en concluant qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu l’ensemble des circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[3]  M. Patel affirme que, pour parvenir à cette décision, la SAI a commis une erreur en appliquant le mauvais critère au moment d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire en cause. Il ajoute que la SAI a également commis une erreur en mettant en balance des facteurs d’ordre humanitaire favorables avec des facteurs qu’il estimait neutres plutôt qu’avec l’obstacle à l’admissibilité, comme elle aurait dû le faire.

[4]  Bien que je souscrive à l’avis de M. Patel selon lequel la SAI s’est exprimée de façon maladroite dans ses motifs, je juge évident, après examen de la décision dans son ensemble, que la SAI a bien compris la tâche qui lui incombait et qu’elle a rendu une décision raisonnable.

I.  Contexte

[5]  Bien que la situation financière de M. Patel se soit améliorée au fil du temps, il reconnaît qu’il ne satisfaisait toujours pas aux exigences financières énoncées dans le RIPR au moment de l’audience devant la SAI. M. Patel et son épouse ont été en mesure d’atteindre les seuils de revenu exigés en 2016 et 2017, mais leur revenu combiné était d’environ 18 000 $ inférieur au revenu vital minimum exigé en 2015.

[6]  La SAI a fait remarquer, comme elle l’avait déclaré dans sa décision antérieure dans l’affaire Jugpall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] DSAI no 600, 1999 CanLII 20685, qu’il convient d’appliquer une norme moins exigeante à l’octroi d’une mesure spéciale dans les cas où l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté au moment de l’audience devant la SAI. Dans d’autres cas, la norme qui s’applique est la norme plus exigeante énoncée par la SAI dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338, [1970] DCAI no 1.

[7]  Dans la décision Chirwa, la SAI a déclaré que les motifs d’ordre humanitaire devaient être interprétés comme signifiant « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ‑ dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration » (Chirwa, précitée, à la page 350).

[8]  M. Patel affirme que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’existe que deux normes applicables en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire : une norme « plus exigeante » qui s’applique si l’obstacle à l’admissibilité existe toujours au moment de l’audience devant la SAI et une norme « moins exigeante » qui s’applique si l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté. De l’avis de M. Patel, il existe en fait un éventail de normes applicables en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire, et la norme appropriée dépend de la nature de l’obstacle à l’admissibilité. Au bout du compte, l’importance de la non‑admissibilité doit toujours être évaluée en fonction des facteurs d’ordre humanitaire en cause.

[9]  M. Patel prétend qu’en l’espèce, l’analyse de la SAI était [traduction« abstraite ». À son avis, la SAI n’a ni tenu compte de l’obstacle à l’admissibilité ni considéré les facteurs d’ordre humanitaire dans leur contexte. Plutôt que d’évaluer l’obstacle à l’admissibilité de M. Patel, la SAI a appliqué la plus exigeante des deux normes, concluant que les facteurs favorables relevés ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures spéciales.

[10]  De l’avis de M. Patel, la SAI a aussi commis une erreur en mettant en balance les facteurs d’ordre humanitaire favorables avec des [traduction« facteurs d’ordre humanitaire prétendument défavorables » (qui étaient en fait des facteurs neutres, comme les difficultés), plutôt qu’avec l’obstacle à l’admissibilité. M. Patel prétend qu’un facteur réellement défavorable serait le fait de [traduction« ne pas se présenter devant les autorités canadiennes de l’immigration avec une attitude irréprochable » ou tout autre fait semblable, mais pas l’absence de difficultés dans le pays en question, qui est un facteur neutre. Par conséquent, la SAI a commis une erreur en traitant les facteurs neutres en l’espèce comme s’ils constituaient une mauvaise conduite.

II.  Analyse

[11]  Je comprends que les parties conviennent qu’une analyse adéquate des motifs d’ordre humanitaire est une analyse contextuelle qui tient compte de la nature de l’obstacle à l’admissibilité ainsi que de tous les facteurs pertinents, tant favorables que défavorables.

[12]  En outre, comme l’a fait observer le ministre, la décision Jugpall établit que la force de persuasion des motifs d’ordre humanitaire doit être proportionnelle à l’importance de l’obstacle à l’admissibilité. Par conséquent, des facteurs d’ordre humanitaire plus contraignants peuvent être nécessaires pour compenser un obstacle à l’admissibilité plus important. En revanche, si l’obstacle à l’admissibilité a été pleinement surmonté au moment de l’audience devant la SAI, des circonstances moins contraignantes peuvent suffire à compenser le motif initial de la non‑admissibilité (Jugpall, précitée, aux paragraphes 23 à 25 et 41 à 42).

[13]  Même si la situation financière de M. Patel s’était améliorée au moment où son appel a été instruit par la SAI, il est établi qu’il ne satisfaisait toujours pas à l’exigence liée au revenu minimum pour 2015. Par conséquent, l’obstacle à l’admissibilité qui a conduit l’agent des visas à rejeter la demande de parrainage présentée par M. Patel n’avait pas été surmonté au moment de l’audience devant la SAI.

[14]  Il est vrai que le paragraphe 19 des motifs de la SAI laisse entendre que celle‑ci a évalué les facteurs d’ordre humanitaire favorables par rapport à des facteurs qu’elle a qualifiés de « défavorables », plutôt que de les évaluer par rapport à l’importance de l’obstacle à l’admissibilité. Cependant, la Cour suprême a enjoint aux cours de révision de « s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Elles doivent plutôt regarder au‑delà des mots employés dans les motifs et considérer la décision « comme un tout » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458).

[15]  En l’espèce, la SAI a commencé son analyse en ciblant, à juste titre, l’obstacle juridique à l’admissibilité. Elle a déclaré que M. Patel avait satisfait à l’exigence liée au revenu pour 2016 et 2017, mais qu’il n’y avait pas satisfait pour 2015. Elle a par la suite énoncé les motifs d’ordre humanitaire invoqués par M. Patel, puis soupesé chacun de ces motifs. La SAI a jugé que certains des motifs invoqués par M. Patel lui étaient favorables, notamment l’intérêt supérieur de ses deux enfants, le fait que son épouse et lui sont des personnes qui travaillent fort et le fait qu’ils ont pris des dispositions pour pouvoir accueillir ses parents au Canada.

[16]  La SAI a aussi déclaré que certains autres motifs constituaient des « facteurs défavorables », notamment l’absence de difficultés pour M. Patel ou ses parents si ces derniers devaient demeurer en Inde. Je souscris à l’avis de M. Patel selon lequel l’expression « facteur défavorable » s’appliquerait plutôt à des faits qui tendraient à démontrer la mauvaise conduite d’un demandeur. Cela dit, à l’instar du ministre, je suis d’avis que les motifs de la SAI ne laissent pas entendre qu’une importance indue a été accordée à ces facteurs. Il semble que la SAI ait tout simplement jugé que ces facteurs ne servaient pas les intérêts de M. Patel en l’espèce.

[17]  Après examen de tous les motifs d’ordre humanitaire invoqués par M. Patel, la SAI a conclu que ces motifs ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures spéciales à l’égard des exigences financières énoncées dans le RIPR. J’ai étudié soigneusement la décision dans son ensemble et je suis convaincue que la SAI a bien compris l’importance de l’obstacle à l’admissibilité qui n’avait pas été surmonté au moment de l’audience. La SAI a ciblé et soupesé chacun des motifs d’ordre humanitaire invoqués par M. Patel et a jugé que certains de ces motifs étaient favorables à M. Patel et d’autres, non. Après avoir soupesé tous les motifs d’ordre humanitaire, la SAI a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu l’ensemble des circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[18]  La SAI pouvait raisonnablement en arriver à cette décision compte tenu du dossier dont elle disposait et M. Patel ne m’a pas convaincue qu’il y a lieu pour la Cour d’intervenir.

III.  Conclusion

[19]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question qui se prête à la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4294‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de juin 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4294‑18

 

INTITULÉ :

NIRANJAN MAGANLAL PATEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2019

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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