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Date : 20190408


Dossier : IMM‑3900‑18

Référence : 2019 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

KEYURIBEN VIJABHAI PATEL

(alias KEYURIBEN VIJAY PATEL)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision, datée du 23 juillet 2018 (la décision), par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision d’un agent d’immigration (l’agent), qui a conclu, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, que la demanderesse avait fait de fausses déclarations.

II.  CONTEXTE

[2]  La demanderesse, Keyuriben Vijabhai Patel, est une citoyenne de l’Inde.

[3]  La demanderesse a épousé son ex‑mari dans le cadre d’un mariage arrangé en Inde. Ce dernier, un citoyen canadien, est revenu au Canada après le mariage. La demanderesse est restée en Inde pendant que son ex‑mari prenait des dispositions pour la parrainer afin qu’elle immigre au Canada.

[4]  L’ex‑mari de la demanderesse s’est souvent mis en colère contre elle pour ce qu’il considérait comme des affronts. Il a menacé à plusieurs reprises de mettre fin à la demande de parrainage et de la laisser en Inde. Sa colère se dissipait généralement après quelques jours.

[5]  Le 13 février 2009, la demanderesse a assisté au mariage de sa sœur en Inde. Ce mariage a eu lieu peu de temps après que la demanderesse a appris que sa demande de résidence permanente au Canada avait été approuvée. Son ex-mari a téléphoné à la demanderesse avant qu’elle ne participe à un événement de danse lié au mariage de sa sœur lors duquel elle devait jouer un rôle de premier plan. Il est devenu furieux lorsque la demanderesse lui a dit qu’elle ne pouvait lui parler longtemps. Il lui a déclaré ne pas vouloir qu’elle vienne au Canada.

[6]  La demanderesse s’est rendue au Canada le 5 mars 2009 et a obtenu sa résidence permanente. Elle n’a pas informé l’agent des visas au point d’entrée de la dispute qui avait eu lieu le 13 février 2009. Selon la demanderesse, il s’agissait d’une conversation privée entre époux, qu’elle n’était pas tenue de divulguer. De plus, compte tenu des menaces antérieures proférées par son ex-mari à son endroit, elle croyait que la dernière était une menace en l’air.

[7]  La demanderesse est retournée en Inde en avril 2009. Pendant qu’elle se trouvait en Inde, elle a continué d’essayer de communiquer avec son ex-mari, mais en vain. Elle est ensuite revenue au Canada en février 2010. À son arrivée, elle a fait des efforts concertés pour rendre visite à son ex-mari, mais il ne voulait pas la voir. Elle a fini par demander le divorce, que la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé le 24 septembre 2015.

[8]  Le 11 mai 2015, un agent d’immigration a établi un rapport prévu au paragraphe 44(1) de la Loi, dans lequel il déclarait la demanderesse interdite de territoire au Canada parce qu’elle avait fait de fausses déclarations. La conclusion d’interdiction de territoire découle de l’allégation selon laquelle, lorsqu’elle est entrée au Canada en mars 2009, la demanderesse n’a pas divulgué la récente dispute qu’elle avait eue avec son ex-mari, non plus que le fait qu’il lui avait dit de ne pas venir au Canada avant qu’elle n’obtienne le statut de résidente permanente. Le 28 juillet 2016, un commissaire de la Section de l’immigration a confirmé la décision de l’agent d’immigration et a pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse. Celle-ci a interjeté appel de la décision de la Section de l’immigration ainsi que de la mesure d’exclusion prise à son égard.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  Le 23 juillet 2018, la SAI a confirmé la mesure de renvoi prise à l’égard de la demanderesse le 28 juillet 2016. Elle a conclu que la décision de l’agent était valide en droit. La SAI a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale à la demanderesse.

[10]  La SAI a commencé par exposer les éléments qui doivent être présents pour qu’il y ait fausses déclarations, de même que la jurisprudence pertinente. Elle a examiné les allégations faites par l’ex-mari de la demanderesse. Celui-ci a indiqué aux autorités de l’immigration que la demanderesse ne l’avait pas avisé de son arrivée au Canada, et ajouté que la demanderesse n’avait jamais tenté de communiquer avec lui après son arrivée. La SAI a conclu que ces allégations constituaient une [traduction] « lettre malicieuse » à laquelle peu de poids pouvait être accordé.

[11]  La SAI a examiné le témoignage de la demanderesse et son affirmation selon laquelle il n’y avait pas d’obligation de divulguer une dispute conjugale à un agent d’immigration. La SAI a également examiné l’argument du défendeur selon lequel les renseignements concernant la relation de la demanderesse avec son ex-mari constituaient des faits importants qui devaient être divulgués.

[12]  La SAI a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations en omettant de divulguer le changement important dans sa relation avec son ex-mari. En arrivant à cette conclusion, la SAI a reconnu que les disputes conjugales étaient normales et qu’elles relevaient de la vie privée. Toutefois, le parrainage d’un époux demande la prise en compte de considérations différentes. Les personnes parrainées par un époux ont le devoir de divulguer des renseignements détaillés et descriptifs sur le statut de leur relation à la demande des agents d’immigration. La SAI a conclu que le fait que l’ex-mari ait indiqué à la demanderesse de ne pas venir au Canada ne pouvait être qualifié de simple dispute conjugale.

[13]  La SAI a pris acte du fait que l’ex-mari de la demanderesse n’avait pas retiré sa demande de parrainage. De plus, la SAI a souligné que l’ex-mari de la demanderesse avait l’obligation de divulguer la fin de sa relation avec la demanderesse, mais qu’il ne l’avait pas fait. Aucun de ces facteurs ne soustrayait toutefois la demanderesse à son obligation de divulguer le changement important dans sa relation avec son ex-mari.

[14]  La SAI a ensuite examiné s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales à l’égard de la demanderesse au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. Pour procéder à cette analyse, la SAI a examiné [traduction] « la gravité des fausses déclarations; les remords exprimés par l’appelante; le temps passé par l’appelante au Canada; les liens familiaux au Canada; le soutien de la collectivité; et les difficultés et les bouleversements que subiraient l’appelante et les membres de sa famille ».

[15]  La SAI a conclu que les fausses déclarations étaient graves, parce que le fait de ne pas avoir divulgué les renseignements au sujet du changement dans sa relation avec son époux avait empêché l’agent d’immigration de réaliser une enquête sur le statut de cette relation. La SAI a tenu compte du fait que la demanderesse était au Canada depuis environ dix ans comme facteur à l’appui de la prise de mesures spéciales. De plus, la SAI a noté que la demanderesse avait occupé un emploi rémunéré et qu’elle avait appris l’anglais pendant cette période. Il s’agissait de facteurs favorables. La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas de liens familiaux étroits au Canada et que les membres de sa famille se trouvaient en Inde. Par ailleurs, la SAI a constaté que la demanderesse avait des amis proches au Canada ainsi que des liens étroits avec les membres du temple hindou qu’elle fréquente, lesquels la soutiennent. Enfin, la SAI a examiné la possibilité que la demanderesse subisse des difficultés en Inde, pour conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que celle-ci serait incapable de se trouver un emploi, de subvenir à ses besoins ou de surmonter la stigmatisation associée à son divorce si elle retournait en Inde.

[16]  La SAI a insisté sur le fait que les facteurs d’ordre humanitaire favorables en présence devaient être importants pour qu’une mesure spéciale soit accordée à la demanderesse. La SAI a conclu que, tout bien considéré, la demanderesse n’avait pas démontré qu’une mesure spéciale devrait être prise pour des motifs d’ordre humanitaire. L’appel a été rejeté.

IV.  QUESTIONS À TRANCHER

[17]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision était‑elle raisonnable?

  3. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’[traduction]« [i]l n’est pas nécessaire que les fausses déclarations sur un fait important soient intentionnelles ou délibérées ni qu’elles aient une intention coupable [...] »?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la norme de contrôle qui convient. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que lorsque les recherches sont vaines, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[19]  La norme de contrôle applicable à la décision de la SAI de refuser l’octroi d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Puna c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1168, au paragraphe 15). La norme de la décision raisonnable s’applique également à la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 19; Dhaliwal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157, aux paragraphes 27 à 29).

[20]  La norme de la décision raisonnable, au demeurant, s’applique à la déclaration de la SAI concernant l’élément de mens rea (intention coupable) et les fausses déclarations (Khedri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397, au paragraphe 18). Il s’agit d’une question de droit qui repose sur l’interprétation, par la SAI, de sa loi constitutive. Il convient de présumer que la norme de la décision raisonnable s’appliquera à l’égard de la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39). Cette présomption peut être réfutée lorsque le décideur interprète une question constitutionnelle ou une question de droit qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur et qui revêt une importance capitale pour le système juridique (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 58 et 60). La validité de la présomption relative à norme de la décision raisonnable n’a pas été remise en question dans la présente instance.

[21]  Lors du contrôle d’une décision suivant la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[22]  Les dispositions suivantes de la Loi intéressent la présente demande de contrôle judiciaire :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or with‑holding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[...]

[...]

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

Referral or removal order

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demanderesse

[23]  La demanderesse fait valoir que la SAI a commis une erreur en concluant qu’[traduction]« [i]l n’est pas nécessaire que les fausses déclarations sur un fait important soient intentionnelles ou délibérées ni qu’elles aient une intention coupable [...] ». À l’appui de cet argument, la demanderesse cite la décision Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 [Baro], dans laquelle le juge O’Reilly (au paragraphe 15) a expliqué qu’une personne ne sera pas considérée comme ayant fait de fausses déclarations si son omission de fournir des renseignements tient au fait qu’elle croyait honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants. La demanderesse cite d’autres principes de la jurisprudence à l’appui de son argument selon lequel la SAI a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que l’analyse de fausses déclarations ne comportait pas d’élément d’intention coupable.

[24]  Selon la demanderesse, la SAI a commis une erreur de droit en interprétant mal le critère relatif aux fausses déclarations. De plus, la SAI n’a cité aucune décision à l’appui de sa formulation incorrecte du critère en question. La SAI a utilisé la note de bas de page no 12, qui ne correspond à aucune décision.

[25]  La demanderesse soutient en outre que la décision était déraisonnable. La SAI n’a pas tenu compte des circonstances entourant les fausses déclarations alléguées. L’essence de la question réside dans le fait que la demanderesse croyait raisonnablement et honnêtement que sa relation était toujours intacte à son arrivée au Canada. Par conséquent, la demanderesse croyait raisonnablement et honnêtement ne dissimuler aucun renseignement important. La SAI n’a pas compris que l’ex-mari de la demanderesse l’avait déjà menacée à plusieurs reprises de mettre fin à leur relation. En raison de ce comportement, il était raisonnable pour la demanderesse de croire que sa relation n’avait pas pris fin. Enfin, le fait que son ex-mari n’ait pas retiré sa demande de parrainage est important et concourt à démontrer qu’il lui était raisonnable de croire, en toute honnêteté et de façon raisonnable, que la relation était intacte.

B.  Défendeur

[26]  Le défendeur plaide en faveur de la décision de la SAI. L’admission de la demanderesse au Canada reposait sur sa relation avec son ex-mari; par conséquent, la rupture de la relation était un fait important que la demanderesse devait divulguer. Il était raisonnable, pour la SAI, de conclure que la demanderesse avait fait de fausses déclarations parce qu’elle avait omis de divulguer le statut de sa relation avec son ex-mari à son arrivée au Canada.

[27]  Le défendeur affirme qu’il est possible qu’une personne fasse de fausses déclarations même si elle n’a pas l’intention de dissimuler des renseignements importants. La négligence peut être à l’origine de fausses déclarations.

[28]  Le défendeur reconnaît qu’il existe une exception en matière de conclusion relative aux fausses déclarations, à savoir le cas où une personne a des motifs raisonnables et honnêtes de croire qu’elle ne dissimule pas de renseignements importants. Toutefois, la demanderesse n’est pas visée par cette exception, parce qu’elle était au courant de l’appel téléphonique de son ex‑mari et qu’elle a choisi de ne pas en parler. De plus, la nature de son entretien téléphonique avec son ex-mari était différente de celle de leurs disputes antérieures. L’ex-mari de la demanderesse n’a pas communiqué avec elle par la suite, et il a cherché à éviter d’entrer en contact avec elle. Par conséquent, on ne saurait affirmer que la demanderesse croyait raisonnablement et honnêtement que son mariage était intact.

[29]  Le défendeur affirme que l’interprétation faite par la SAI du concept de fausse déclaration est appuyée par la jurisprudence. De plus, l’inclusion de la note de bas de page no 12 est une erreur typographique manifeste. La note de bas de page aurait dû porter le numéro 1. Si on lit la note de bas de page no 1 au lieu de la note de bas de page no 12, il est clair que la SAI renvoie à des décisions à l’appui de son interprétation du critère relatif aux fausses déclarations.

VIII.  ANALYSE

[30]  La demanderesse soulève deux questions importantes dans cette demande, que je traiterai à tour de rôle.

A.  Le critère juridique relatif aux fausses déclarations

[31]  La demanderesse affirme que la SAI a commis une erreur de droit, d’une part en concluant que les présentations erronées sur un fait important, au sens du paragraphe 40(1) de la Loi, n’ont pas à être intentionnelles ou délibérées et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un élément d’intention coupable, et d’autre part, en n’examinant pas les circonstances entourant les fausses déclarations alléguées de la demanderesse.

[32]  En particulier, la demanderesse s’appuie sur la décision Baro, précitée, pour faire valoir qu’ « [i]l y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants ».

[33]  La demanderesse invoque également la décision Medel c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, pour faire valoir qu’une exception à l’obligation de franchise survient lorsque le demandeur « n’était [...] subjectivement pas au courant » qu’il dissimulait des renseignements importants ou pertinents. Toutefois, la loi est très claire : un fait important, au sens du paragraphe 40(1), n’est pas seulement une question de connaissance subjective du demandeur (voir Masoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 422, au paragraphe 52), et la demanderesse semble l’admettre lorsqu’elle fait référence à la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2018 CF 306 et fait les déclarations suivantes :

[TRADUCTION]

52.  En d’autres termes, il existe un critère objectif qui consiste à établir s’il est raisonnable de croire qu’une personne ne dissimule pas intentionnellement des éléments de preuve pertinents ou importants ou, autrement dit, de croire qu’elle ignore subjectivement si elle a l’obligation ou non de communiquer des renseignements qui pourraient être pertinents ou importants.

[34]  Notre Cour a clairement indiqué que toute exception au paragraphe 40(1) telle que formulée dans Baro ne peut s’appliquer que dans des circonstances vraiment exceptionnelles. Dans Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, la juge Tremblay‑Lamer a écrit à ce sujet :

[32]  Je conclus que la décision rendue dans Osisanwo n’est d’aucune utilité pour les demandeurs en l’espèce. Cette décision était subordonnée à un ensemble fort inusité de faits et on ne peut l’invoquer à l’appui de la thèse générale selon laquelle une fausse déclaration exige dans tous les cas un élément de connaissance subjective. La règle générale est plutôt la suivante : une fausse déclaration peut être faite à l’insu du demandeur, ainsi que l’a fait remarquer le juge Russell dans la décision Jiang, précitée, au paragraphe 35 :

[35]  En ce qui concerne l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, la Cour a déjà donné une interprétation libérale et solide de l’article 40. Dans Khan, précitée, le juge O’Keefe a statué que le libellé de la Loi doit être respecté et qu’il faut donner de l’article 40 l’interprétation large que son libellé exige. Il a dit aussi que l’article 40 s’applique lorsque le demandeur adopte une fausse déclaration, mais la clarifie ensuite avant qu’une décision soit rendue. Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, la Cour a statué que l’article 40 s’applique à un demandeur lorsque la fausse déclaration a été faite par une autre partie à la demande et que la demanderesse ignorait cette fausse déclaration. La Cour a affirmé qu’une lecture initiale de l’article 40 n’étayait pas cette interprétation, mais que la disposition devait être interprétée de cette façon pour éviter un résultat absurde. [...]

Quelques décisions prévoient une exception étroite à cette règle, mais cette exception ne s’appliquera qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles la demanderesse croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important.

[...]

[39]  De pair avec cette obligation de franchise, le demandeur est tenu, selon moi, de s’assurer qu’au moment de présenter sa demande les documents sont complets et exacts. Il est trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie quand, comme c’est le cas en l’espèce, le formulaire de demande indique clairement que les résultats du test de langue doivent y être joints et que les demandeurs l’ont signé. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où le demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants « dont la connaissance échappait à sa volonté » qu’il peut se prévaloir d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

(Soulignement dans l’original; caractères gras ajoutés.)

[35]  Dans la récente affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Robinsion, 2018 CF 159, le juge Zinn indique clairement que toute exception fondée sur une croyance honnête et raisonnable doit reposer sur deux aspects :

[8]  Lorsqu’une personne est déclarée crédible et qu’elle atteste que sa croyance était sincère, le premier aspect du critère – l’aspect subjectif – a été respecté.  Par contre, la crédibilité n’aborde pas le caractère raisonnable de la croyance – il n’aborde pas l’aspect objectif du critère, qui doit être établi par tous les faits, devant le décideur.  Je suis d’accord avec le ministre pour dire que la SI n’a donné aucun motif de la raison pour laquelle elle a conclu, au vu de la preuve, que la croyance était raisonnable.

[36]  En l’espèce, bien que la SAI affirme qu’[traduction]« [i]l n’est pas nécessaire que les fausses déclarations sur un fait important soient intentionnelles ou délibérées ni qu’elles aient une intention coupable » (au paragraphe 8), la SAI est manifestement au courant de l’exception relative à la croyance « honnête et raisonnable », et elle l’applique à la situation de la demanderesse.

[37]  D’abord, la SAI établit clairement ce qui suit :

[9]  Dans l’arrêt Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), la Cour fédérale du Canada a résumé les principes généraux de la fausse déclaration énoncés dans l’arrêt Oloumi ainsi que d’autres principes tirés de la jurisprudence. Les voici :

  il convient d’interpréter l’article 40 de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous‑tend;

  l’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur;

  l’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté;

  l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur;

  les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada;

  le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer;

  pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend;

  une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé;

  un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande.

(Non souligné dans l’original.)

[38]  Il s’agit d’un énoncé exact de la jurisprudence en vigueur.

[39]  La SAI a ensuite examiné, entre autres, si compte tenu des circonstances en l’espèce, l’affirmation de la demanderesse — selon laquelle, même s’il lui avait dit de ne pas venir au Canada, elle croyait sincèrement que son ex-mari et répondant voulait poursuivre le mariage et le parrainage — était fondée :

[29]  L’appelante a fait valoir que, comme son époux n’a pas retiré sa demande de parrainage, il lui était raisonnable de croire qu’il voulait poursuivre le mariage et continuer de la parrainer. Il est facile de comprendre qu’elle ait pensé cela, mais les renseignements qu’elle possédait au sujet du changement dans sa relation n’échappaient pas à son contrôle et provenaient directement de son époux. Il lui avait dit de ne pas venir au Canada. Le fait de taire cette information constituait de fausses déclarations.

[30]  L’appelante a affirmé être venue au Canada pour régler le différend entre son époux et elle. Elle savait qu’il était déraisonnable et enclin à la colère et aux crises, et elle ne croyait pas qu’il voulait mettre fin à la relation. À mon avis, il n’est pas crédible que l’appelante ne sût pas que la dernière conversation qu’elle a eue avec l’appelante fût d’une nature et d’un ton différents de leurs désaccords antérieurs. Sa version des événements démontre de façon concluante que son époux voulait mettre fin à la relation puisqu’elle a déclaré qu’il n’est pas allé la chercher à l’aéroport et qu’il n’est jamais entré en contact avec elle. Même si son ex-mari avait également le devoir de divulguer qu’il y avait eu un changement dans la nature de la relation, son défaut de le faire n’avait rien à voir avec le devoir de l’appelante de divulguer cette information.

[31]  En interprétant de façon générale les dispositions relatives aux fausses déclarations, je conclus que l’appelante a vécu un changement dans le statut de sa relation. Son parrainage dépendait de la poursuite de la relation, et elle avait donc le devoir de divulguer aux autorités de l’immigration tout fait important lié à un changement dans le statut de la relation. Le fait de ne pas divulguer une telle information a entraîné une erreur dans l’application de la Loi lorsque cela a empêché l’agent des visas de prendre une décision éclairée relativement à la délivrance d’un visa ou à l’octroi du droit d’établissement.

(Non souligné dans l’original.)

[40]  À la lecture de ces conclusions, je crois qu’il est clair que la SAI a tenu compte de la position de la demanderesse sur ses croyances « subjectives », et qu’elle a conclu qu’elles n’avaient aucun fondement objectif ou raisonnable, ou que sa croyance subjective alléguée n’était tout simplement pas crédible compte tenu des circonstances. La demanderesse n’a tout simplement pas établi, compte tenu de l’ensemble des circonstances, qu’il était possible qu’elle crût raisonnablement et honnêtement qu’elle ne dissimulait pas de renseignements importants ou pertinents.

[41]  La preuve relative aux disputes antérieures avec son ex-mari montre que celles-ci étaient de nature différente. Au cours de la rupture finale, la famille a été très active pour intervenir auprès de l’ex‑mari, et ce dernier a bien fait comprendre au père de la demanderesse qu’il ne voulait plus rien savoir d’elle. Je ne trouve aucun fondement à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la SAI a commis une erreur de droit.

B.  Décision déraisonnable

[42]  La demanderesse soutient ce qui suit :

[TRADUCTION]

59.  En omettant de tenir compte des circonstances entourant les fausses déclarations alléguées, la SAI a tiré une conclusion déraisonnable à l’appui de sa décision ou, subsidiairement, un manquement à l’équité procédurale en a résulté.

[43]  La demanderesse ne précise et ne justifie pas ses arguments au sujet du manquement à l’équité procédurale, de sorte que la seule véritable question en l’espèce est celle du caractère raisonnable de la décision. À cet égard, les arguments détaillés de la demanderesse sont les suivants :

[TRADUCTION]

63.  Les faits en l’espèce, comme il a été mentionné précédemment, montrent clairement que l’ex-mari de la demanderesse, Chiragkumar, avant sa dispute au téléphone avec la demanderesse le 13 février 2009 — dispute que la SAI qualifie au paragraphe 30 de sa décision (précitée) comme étant « d’une nature et d’un ton différents de leurs désaccords antérieurs » — n’a pas, dans les faits, eu avec elle un échange dont le ton et la nature étaient différents des désaccords antérieurs.

64.  Au lieu d’être « d’une nature et d’un ton différents de leurs désaccords antérieurs », la dispute du 13 février 2009 s’inscrit parfaitement dans une tendance bien établie de menaces déraisonnables, mesquines et disproportionnées proférées par Chiragkumar à l’égard de la demanderesse. À cet égard, contrairement à la conclusion de la SAI, le ton et la nature n’étaient pas du tout différents des désaccords antérieurs.

65.  Parce qu’il avait maintes fois menacé la demanderesse qu’il l’empêcherait de venir au Canada, il était raisonnable pour la demanderesse de croire qu’il ne voulait pas mettre fin à la relation, mais plutôt se servir des menaces pour la contrôler, ce qu’elle croyait pouvoir surmonter avec le temps.

66.  La proposition énoncée au paragraphe 66 ci‑dessus est étayée par le fait que Chiragkumar n’a pas annulé son parrainage de la demanderesse et que ce fait renforce la crédibilité de cette dernière.

67.  En omettant d’examiner la tendance évidente des faits, c’est‑à‑dire les circonstances entourant l’affaire qui ont été présentées à la SAI, le tribunal a rendu une décision en l’espèce dépourvue de la transparence, de la logique et de l’intelligibilité les plus élémentaires qu’il fallait pour trancher. Par conséquent, la décision était déraisonnable à la lumière des faits et du droit.

[Souligné dans l’original.]

[44]  La demanderesse conteste la principale conclusion de la SAI selon laquelle la dernière dispute entre la demanderesse et son ex-mari « [était] d’une nature et d’un ton différents de leurs désaccords antérieurs » (au paragraphe 30). Pourtant, son propre récit de cette conversation et de ses conséquences montre clairement qu’elle était de nature différente :

[TRADUCTION]

ABANDON

29.  Après quelques minutes, Chiragkumar a rappelé Mme Keyuriben sur son téléphone cellulaire. Il était très en colère et a dit à Mme Keyuriben qu’il lui donnerait une leçon pour l’avoir insulté en coupant la ligne soudainement, et qu’il annulerait son billet d’avion pour le Canada. Il a aussi téléphoné au père de Mme Keyuriben. Le père de Mme Keyuriben a essayé de calmer Chiragkumar, et lui a dit de la laisser profiter des festivités du mariage de sa sœur. Mais Chiragkumar lui a répondu qu’il n’avait plus rien à voir avec elle et qu’il annulerait son billet d’avion.

30.  Le lendemain, les parents de Chiragkumar ont téléphoné du Canada. Ils étaient aussi très fâchés. Ils ont dit au père de Mme Keyuriben que Chiragkumar avait été insulté par sa fille et que leur fils avait annulé le billet d’avion de cette dernière. Le père de Mme Keyuriben était très contrarié, mais espérait que tout rentrerait dans l’ordre en temps et lieu.

(Dossier certifié du tribunal, à la page 67)

[45]  La position de la demanderesse sur cette question n’est rien d’autre qu’une désapprobation de l’appréciation de la preuve faite par la SAI ainsi que des conclusions tirées par celle‑ci, et il n’y a pas là d’erreur susceptible de contrôle. La SAI a entendu le témoignage de la demanderesse, et je ne vois rien d’injuste ou de déraisonnable dans son appréciation de la preuve.

IX.  CERTIFICATION

[46]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3900‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3900‑18

 

INTITULÉ :

KEYURIBEN VIJABHAI PATEL (alias KEYURIBEN VIJAY PATEL) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Jaswant Mangat

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Brampton (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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