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Date : 20190424


Dossier : IMM‑2901‑18

Référence : 2019 CF 519

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 avril 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ARIEL ESTRELLA GONZALES

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Ariel Estrella Gonzales, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) rejetait sa demande de résidence permanente, présentée de l’intérieur du Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur est citoyen des Philippines. Il est arrivé au Canada le 19 janvier 2002 comme visiteur. Son visa de résident temporaire a expiré le 19 janvier 2003. Le 14 mars 2003, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC, désormais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada) a rejeté la demande de prolongation du statut de résident temporaire du demandeur et l’a avisé qu’il devait quitter le Canada immédiatement.

[4]  La conjointe de fait du demandeur, Sharon Rarama, est citoyenne des Philippines. Elle est aussi résidente permanente au Canada. Mme Rarama est venue au Canada en 2005 pour travailler comme aide familiale. Elle a d’abord présenté une demande de résidence permanente en 2008, qui a été approuvée en principe le 6 mai 2009.

[5]  Le demandeur et Mme Rarama vivent ensemble depuis 2009. Ils ont deux filles, âgées de six ans et de trois ans. Le demandeur est bénéficiaire du régime de santé et des assurances de Mme Rarama. L’authenticité de leur relation n’est pas en cause.

[6]  Le 4 mars 2013, la demande de résidence permanente de Mme Rarama au Canada a été refusée. Elle a sollicité le contrôle judiciaire de ce refus, et dans la décision Rarama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 60, la juge Strickland a accueilli la demande de contrôle judiciaire et renvoyé l’affaire à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue (décision de 2014 concernant Mme Rarama).

[7]  La demande de résidence permanente de Mme Rarama a par la suite été approuvée. Dans sa demande, Mme Rarama n’a pas désigné le demandeur comme son conjoint de fait. Le demandeur soutient que la décision de la juge Strickland reconnaît toutefois l’union de fait du couple, même si son nom n’y figure pas.

[8]  Le 17 mars 2016, le demandeur a présenté une demande de résidente permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[9]  Le 8 mars 2018, le demandeur a été informé qu’il ne répondait pas aux conditions d’admissibilité de la catégorie qui sont établies aux alinéas 124c) et 125(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR). Mme Rarama n’a pas déclaré le demandeur comme conjoint de fait dans sa demande de résidence permanente. Par conséquent, elle n’était pas admissible à le parrainer.

[10]  Dans la même lettre du 8 mars 2018, le demandeur a été avisé que son dossier allait être transféré au bureau de Vancouver de CIC afin que sa demande fasse l’objet d’un examen pour les motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR. Le refus de faire droit à la demande de résidence permanente présentée par le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire est la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[11]  La décision est datée du 28 mai 2018. L’agent a conclu que les facteurs mentionnés par le demandeur dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas de le dispenser de l’application de l’alinéa 125(1)d) du RIPR.

[12]  Au début de la partie de la décision consacrée à son analyse, l’agent a fait remarquer que le demandeur ne pouvait être parrainé par Mme Rarama au titre de la catégorie du regroupement familial, étant donné qu’elle n’avait pas indiqué dans sa demande de résidence permanente que le demandeur était son époux. Dans une lettre datée du 22 février 2018, Mme Rarama explique que le demandeur était sans‑papiers et que le fait de l’inclure dans sa demande poserait problème.

[13]  L’agent s’est ensuite penché sur la relation entre le demandeur et Mme Rarama. L’agent a soulevé le fait que le couple vit ensemble depuis 2009 et que d’après les dires de leurs amis, ils entretenaient une relation d’amour et d’engagement. L’agent a reconnu l’authenticité de la relation.

[14]  L’agent a fait remarquer que le demandeur est entré au Canada pour la dernière fois en 2002 et qu’il y est demeuré sans autorisation au cours des seize dernières années, période durant laquelle son passeport philippin a expiré. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il est demeuré au Canada après l’expiration de son visa temporaire et l’agent a conclu que la présence continue du demandeur au Canada sans statut valide n’était pas une situation hors de son contrôle. L’agent a également conclu que Mme Rarama avait sciemment fait une fausse déclaration sur sa relation avec le demandeur afin d’obtenir son propre statut de résident permanent. L’agent a accordé peu de poids à son explication concernant la fausse déclaration.

[15]  L’agent a repris les déclarations du demandeur selon lesquelles il n’avait jamais été impliqué dans des activités criminelles au Canada, n’avait pas reçu de prestations d’aide sociale et avait travaillé à temps partiel. L’agent a noté qu’il y avait peu d’éléments de preuve au dossier démontrant que le demandeur avait demandé ou obtenu des permis de travail l’autorisant à travailler au Canada. Ce fait, conjugué à la présence prolongée du demandeur au Canada sans statut valide, démontrait un mépris à l’égard des dispositions de la LIPR desquelles il souhaite désormais être exempté.

[16]  L’agent a traité de la façon suivante de l’intérêt supérieur des deux enfants canadiens du demandeur, âgés de six et deux ans :

[traduction]

Je reconnais que le demandeur a d’importantes attaches familiales au Canada. Compte tenu de l’âge d’Ayeizshia et d’Arieyanna et du fait qu’elles dépendent des soins, du soutien et de l’amour de leurs parents, il est dans l’intérêt supérieur d’Ayeizshia et d’Arieyanna de demeurer sous la garde de leurs parents, le demandeur et Sharon.

[17]  L’agent a rapporté le témoignage de Mme Rarama selon lequel elle dépend du demandeur et que la famille se trouverait dans une situation difficile et serait extrêmement triste si la demande de résidence permanente du demandeur devait être refusée. Elle a déclaré que le demandeur dépose leur fille aînée à l’école et s’occupe de leur fille cadette pendant qu’elle est au travail. Mme Rarama a fourni très peu de détails concernant la contribution du demandeur à la situation financière de la famille, étant donné qu’il n’était pas autorisé à travailler au Canada.

[18]  L’agent a pris note de l’espoir du demandeur que ses filles n’aient pas à grandir sans leur père, mais il a toutefois fait remarquer que le demandeur avait déjà laissé son fils de huit ans aux Philippines. L’agent a reconnu que le demandeur manquerait beaucoup aux deux filles, mais il a déclaré que le demandeur ne faisait pas l’objet d’une mesure de renvoi ou d’une interdiction de revenir au Canada. Il pourrait demander un permis de travail de l’étranger dans le but de rejoindre sa famille au Canada. En guise de solution de rechange, l’agent a proposé que Mme Rarama et les enfants retournent aux Philippines avec le demandeur. Les deux parents seraient en mesure de travailler aux Philippines. L’agent a conclu que peu de choses donnaient à penser qu’Ayeizshia et Arieyanna seraient incapables d’accéder aux soins de santé, à l’éducation et aux nécessités de subsistance aux Philippines. Il a ensuite conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas d’octroyer au demandeur une exemption fondée sur motifs d’ordre humanitaire.

[19]  Enfin, l’agent a examiné les décisions citées par le demandeur concernant les principes applicables aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il a affirmé que le demandeur avait donné peu d’explications au sujet de l’application de ces précédents à sa situation. Ni le demandeur ni son représentant n’ont expliqué les répercussions du départ du demandeur sur l’intérêt supérieur de ses enfants ou les bouleversements qui seraient causés à son établissement s’il retournait aux Philippines. L’agent n’a reçu aucun élément de preuve psychologique ou de preuve sur les conditions défavorables dans le pays.

[20]  L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans la demande de résidence permanente du demandeur ne justifiaient pas de le dispenser des exigences du paragraphe 25(1) de la LIPR.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[21]  La seule question dont je suis saisie est de savoir si la décision était raisonnable.

[22]  Il est bien établi que, d’une façon générale, le refus de prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 (Kanthasamy); Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 (Kisana); Marshall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27 (Marshall)). Le paragraphe 25(1) fournit au ministre un mécanisme lui permettant de composer avec des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires et la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4).

[23]  Il n’incombe pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve ou d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Mon rôle consiste à juger si la décision faisant l’objet du contrôle est justifiée, transparente ou intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits en l’espèce et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Analyse

[24]  En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut lever les exigences de la loi pour un étranger qui demande le statut de résident permanent, si le ministre estime que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». La Cour suprême du Canada (CSC) a examiné de façon exhaustive l’objet et l’application appropriée du paragraphe 25(1) dans l’arrêt Kanthasamy. Mon collègue, le juge Norris, a récemment résumé les directives de la Cour suprême du Canada de la façon suivante :

[25] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [l’arrêt Kanthasamy], la Cour suprême du Canada a approuvé une approche du paragraphe 25(1) qui est fondée sur sa raison d’être équitable. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit cette disposition se veut donc une exception souple pour atténuer les effets d’une application rigide de la loi dans les cas appropriés (voir l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 19). La juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a accepté l’approche adoptée dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338, où il a été décidé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 13).

(Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596, au paragraphe 25 (Mursalim)).

[25]  La question dont je suis saisie est de savoir si la décision est raisonnable eu égard aux principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy.

Évaluation par l’agent de la relation entre le demandeur et Mme Rarama

[26]  Le demandeur présente un certain nombre d’observations concernant l’évaluation que l’agent a faite au sujet de l’union de fait entre Mme Rarama et lui. Le demandeur soutient d’abord que l’agent n’a pas tenu compte de sa relation avec Mme Rarama, même si elle a été révélée au grand jour et décrite en détail par la juge Strickland dans sa décision de 2014 concernant Mme Rarama. Cet argument est clairement contredit dans la décision. L’agent s’est penché sur la relation du couple en tant qu’élément central de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire et il l’a jugée authentique. Dans sa décision, l’agent a examiné de nombreux aspects de la relation et les conséquences que le départ du demandeur du Canada entraînerait pour Mme Rarama et la famille en général.

[27]  Le demandeur concentre ensuite ses observations sur son admissibilité à être parrainé par Mme Rarama à titre d’époux. Il soutient que l’agent responsable de l’examen de la demande de parrainage conjugal était au courant de la relation entre le demandeur et Mme Rarama et qu’il aurait dû en informer cette dernière et lui demander des renseignements supplémentaires. L’agent a ainsi porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Pour le demandeur, l’agent n’aurait pas dû, pendant son évaluation des motifs d’ordre humanitaire, se fonder sur la décision rendue sur son admissibilité dans le cadre de sa demande de parrainage.

[28]  La Cour n’est pas saisie de la décision concernant la demande de parrainage conjugal du demandeur et de son admissibilité au parrainage. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a invoqué aucun texte de référence à l’appui de son affirmation selon laquelle l’agent responsable de l’évaluation de la demande de parrainage était tenu de demander des renseignements supplémentaires à Mme Rarama concernant la version de sa demande de résidence permanente qu’elle avait soumise. Le demandeur n’a pas non plus invoqué de texte de référence pour soutenir son argument selon lequel l’agent a commis une erreur en ne reprenant pas l’examen de la décision précédente quant à l’admissibilité ou en ne demandant pas de renseignements supplémentaires, d’autant plus que la preuve dont l’agent disposait confirmait la décision sur l’admissibilité (voir les paragraphes 31 et 32 de ce jugement). Le demandeur avait le fardeau d’établir le bien‑fondé de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Un agent qui rend une décision dans un dossier en s’appuyant sur les renseignements fournis par le demandeur ne commet pas d’erreur (Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 9). Les précédents invoqués par le défendeur sont pertinents à cet égard (Kisana, précité; Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 406, aux paragraphes 67 et 68). Voici ce que la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Kisana (au paragraphe 45) :

[45] [...] Dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations (voir, par exemple, la décision Thandal c. Canada (MCI), 2008 CF 489, au paragraphe 9).

[29]  Je conclus que l’agent n’était pas tenu de se pencher sur la décision déjà rendue quant à l’admissibilité ou de demander des renseignements supplémentaires au demandeur ou à Mme Rarama dans le cadre de son évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[30]  Selon le demandeur, l’agent avait tort de dire que le demandeur ne pouvait pas être parrainé par Mme Rarama. Le demandeur semble fonder cette observation sur deux arguments : 1) Mme Rarama n’a pas fait de fausses déclarations sur son état matrimonial dans sa propre demande de résidence permanente et la déclaration de l’agent à cet effet est fausse, et 2) le fait que leur union de fait soit reconnue devrait l’emporter sur les dispositions de l’alinéa 125(1)d) du RIPR.

[31]  Les arguments du demandeur ne sont pas convaincants. Son affirmation selon laquelle Mme Rarama n’a pas sciemment fait une déclaration erronée sur son état matrimonial en vue d’obtenir la résidence permanente est contredite par Mme Rarama elle‑même. Dans sa lettre du 22 février 2018, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Étant donné que mon conjoint de fait, ARIEL GONZALES, est sans‑papiers, je crois que j’aurai un problème avec la demande s’il y est inclus et il a toujours peur de se dévoiler, étant donné qu’il est resté au Canada depuis trop longtemps. J’ai hésité à le déclarer à cause de sa situation, et cela explique pourquoi il n’a pas fait l’objet d’un contrôle lorsque j’ai présenté ma demande de résidence permanente. Je m’excuse de ne pas l’avoir mentionné. Il est maintenant prêt à être contrôlé à tout moment, au besoin.

[32]  La lettre de Mme Rarama démontre qu’elle a sciemment omis de déclarer sa relation avec le demandeur dans sa demande de résidence permanente. Compte tenu de la preuve au dossier, l’agent n’a commis aucune erreur en arrivant à cette conclusion.

[33]  Le demandeur invoque la décision de 2014 concernant Mme Rarama pour appuyer son argument selon lequel Mme Rarama n’a pas fait de fausse déclaration sur sa situation matrimoniale. Toutefois, la décision de la juge Strickland portait principalement sur les problèmes que Mme Rarama avait rencontrés lors de la production des documents et des éléments de preuve pertinents concernant sa fille aux Philippines, qui était mentionnée dans la demande à titre de personne à charge à l’étranger n’accompagnant pas le demandeur. Bien que la décision fasse mention de la nouvelle union de fait de Mme Rarama au Canada, la question du statut d’époux du demandeur, et l’omission de Mme Rarama de l’inclure à sa demande de résidence permanente, n’étaient pas en cause dans la décision de la juge Strickland, qui n’a pas abordé ces questions.

[34]  En ce qui concerne le deuxième argument du demandeur, l’alinéa 125(1)d) du RIPR est ainsi libellé :

Restrictions

 

Excluded relationships

125(1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

125(1) A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common‑law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if

 

[...]

[...]

 

d) sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

 

(d) subject to subsection (2), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[35]  Le demandeur n’était pas nommé dans la demande de résidence permanente de Mme Rarama. Il n’a pas fait l’objet d’un contrôle dans le cadre de cette demande. Mme Rarama ne conteste pas ce fait. Comme il a été mentionné précédemment, elle a indiqué dans sa lettre qu’elle n’avait pas inclus le demandeur dans sa demande parce qu’elle craignait que son statut pose problème.

[36]  Je juge que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être parrainé par Mme Rarama en tant qu’époux au titre de l’alinéa 125(1)d) du RIPR était raisonnable. L’union de fait entre le demandeur et Mme Rarama n’est pas remise en question, mais l’existence de cette union ne change en rien l’inadmissibilité du demandeur.

L’analyse des motifs d’ordre humanitaire dans la décision était‑elle raisonnable?

[37]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en n’établissant pas de liens entre son dossier et les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy. Bien que le demandeur cite abondamment des extraits de la décision de la Cour suprême du Canada, il ne relève pas d’erreurs précises dans l’analyse de l’agent et il n’explique pas comment l’agent aurait violé les principes établis dans la jurisprudence.

[38]  Il incombait au demandeur de fournir des observations et des éléments de preuve quant aux faits et aux circonstances liés à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui justifieraient la levée de l’application de l’alinéa 125(1)d) du RIPR. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau et il a plutôt invoqué des principes généraux à l’appui de sa demande. Comme l’agent l’a affirmé :

[traduction]

Le représentant a cité de nombreuses décisions dans un document intitulé [traduction] « Droit applicable aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et difficultés ». Je remarque que le représentant a très peu expliqué en quoi la jurisprudence s’applique à la situation du demandeur. Le demandeur et le représentant ont fourni peu de détails quant à l’incidence qu’aurait le départ du demandeur sur l’intérêt supérieur des enfants ou au bouleversement de l’établissement du demandeur lié à un retour dans son pays d’origine. Je remarque que ni le demandeur ni le représentant au dossier n’ont fourni d’élément de preuve psychologique ou de renseignements sur les conditions défavorables dans le pays.

[39]  Le demandeur a adopté la même démarche dans la présente demande de contrôle judiciaire. Il a présenté une série de principes tirés de la jurisprudence relative aux motifs d’ordre humanitaire ayant trait principalement à l’analyse de l’établissement et à l’intérêt supérieur d’un enfant, sans expliquer comment ces principes s’appliquent à son cas.

[40]  Le demandeur n’a pas invoqué l’arrêt Kanthasamy dans la décision, mais cette omission ne constitue pas en soi une erreur susceptible de contrôle. Mon examen de la décision est axé sur le fond de l’analyse relative aux motifs d’ordre humanitaire et sur la question de savoir si l’agent a appliqué de manière raisonnable les principes établis par la Cour suprême du Canada et réitérés dans de nombreuses affaires de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale.

[41]  J’estime que l’agent a correctement appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy lorsqu’il a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur. L’agent n’a pas employé le type d’expressions contestées décrit par la juge Abella au paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy (« difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ») et il n’a pas fait abstraction des facteurs d’ordre humanitaire qui ressortaient clairement des faits énoncés dans la demande.

[42]  L’agent a tenu compte de la durée du séjour du demandeur au Canada, du fait qu’il est demeuré au Canada sans autorisation pendant 16 ans, de sa relation avec Mme Rarama et de leur partage des rôles associés aux soins des enfants et à un travail rémunéré, de la situation d’emploi du demandeur, de sa relation avec ses deux filles et de sa crainte d’être un père absent, de l’intérêt supérieur des filles du couple ainsi que des difficultés et du stress émotionnel inévitables qu’une séparation de la famille entraînerait. L’agent a pris en considération l’âge des enfants, leur scolarité et le rôle de leurs parents dans leur vie. L’agent a également envisagé d’autres moyens qui permettraient à l’appelant de venir rejoindre sa famille au Canada ou à sa famille d’aller le rejoindre aux Philippines.

[43]  La prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire est exceptionnelle. Son objectif n’est pas la création d’un système d’immigration parallèle (Kanthasamy, au paragraphe 23; voir également Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265, aux paragraphes 18 à 20). J’estime que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi les faits et les circonstances justifiant l’octroi de telles mesures. Dans sa décision, l’agent a fourni des motifs détaillés et réfléchis qui sont intelligibles et justifiés au regard du dossier. L’agent a examiné attentivement les facteurs d’ordre humanitaire énoncés dans la jurisprudence, en particulier ceux liés à l’établissement et à l’intérêt supérieur des enfants. D’après la preuve, la portée de l’analyse était raisonnable.

V.  Conclusion

[44]  La demande sera rejetée.

[45]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑2901‑18

LA COUR STATUE que :

1)  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2)  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juin 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2901‑18

 

INTITULÉ :

ARIEL ESTRELLA GONZALES c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Daniel M. Fine

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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