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Date : 20180928


Dossier : IMM‑1360‑18

Référence : 2018 CF 965

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

PERPETUA WAMBUI KARANJA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il serait quelque peu sévère de qualifier M. Waicigo d’homme bigame. Après tout, il croyait être divorcé lorsqu’il a épousé Mme Karanja au Kenya en 2015.

[2]  Mme Karanja, une résidente permanente au Canada, a par la suite présenté une demande de parrainage de son époux au titre du regroupement familial.

[3]  L’agent des visas a refusé de délivrer un visa de résident permanent parce que le mariage n’était pas valide. Le paragraphe 117(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés précise qu’un étranger (M. Waicigo est Kenyan) n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial si, au moment de son mariage avec son répondant, il était l’époux d’un tiers. Le fondement de cette décision est que son certificat de divorce de sa première épouse était un faux, un fait qui a été admis comme vrai. La conclusion qu’il faut tirer est qu’il était encore marié à sa première épouse.

[4]  Mme Karanja a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI lui a demandé de présenter des observations écrites au sujet de la validité du mariage. Le commissaire semble accepter sa réponse selon laquelle son époux n’a pas sciemment fait de fausses déclarations en ce qui concerne son divorce, mais qu’il a été victime d’un avocat peu scrupuleux. « S’il avait su que le certificat de divorce n’était pas authentique, il ne l’aurait pas présenté […]. » L’affaire a été examinée en chambre au regard de l’article 25 des Règles de la section d’appel de l’immigration, ce qui laisse entendre que la crédibilité n’était pas en cause. Dans une courte série de motifs, le commissaire a rejeté l’appel.

[5]  L’appel de Mme Karanja a été rejeté parce qu’elle n’a pas démontré que le refus de l’agent des visas était erroné en droit. Au vu du dossier, M. Waicigo ne pouvait pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial.

[6]  Cependant, l’histoire est beaucoup plus complexe, et certaines parties du dossier donnent fortement à penser que M. Waicigo n’avait après tout pas besoin d’un certificat de divorce délivré par un tribunal kenyan.

I.  Contexte

[7]  M. Waicigo a épousé sa première femme en 1988 selon les lois et rites coutumiers des Kikuyu. Sa femme l’a quitté en 2000 en laissant leurs deux enfants sous sa garde.

[8]  Le chef a confirmé qu’en 2006 M. Waicigo a demandé un divorce coutumier. Les anciens se sont réunis et son mariage a été dissous conformément à la coutume kikuyu. Il a obtenu la bénédiction des anciens et, selon le chef, il était libre de se remarier par la suite.

[9]  Le certificat de divorce frauduleux délivré par un tribunal kenyan embrouille certainement la situation. Avant son mariage avec Mme Karanja, M. Waicigo était engagé dans une autre relation qui devait aboutir en un mariage à l’église. On l’avait informé qu’il avait besoin d’un certificat de divorce délivré par un tribunal pour se marier à l’église. Il avait alors entamé une procédure de divorce, mais il l’a laissée en suspens, car cette relation a pris fin.

[10]  Croyant encore qu’il avait besoin d’un certificat de divorce délivré par un tribunal, il a relancé la procédure afin de pouvoir épouser Mme Karanja. Le fait qu’il a été lésé par son nouvel avocat, qui lui a fourni un faux certificat, n’a pas été contesté.

[11]  Mme Karanja affirme que le registraire des mariages au Kenya lui avait dit que M. Waicigo n’avait pas besoin d’un certificat de divorce.

[12]  Le dossier contient un blogue générique d’un cabinet d’avocats kenyan au sujet du droit coutumier et des divorces judiciaires au Kenya. Ce blogue précise qu’un divorce peut être judiciaire ou extrajudiciaire dans le contexte du droit coutumier. Les anciens peuvent dissoudre un mariage de façon extrajudiciaire s’ils sont notamment convaincus qu’il y a eu abandon volontaire, ce qui est le cas en l’espèce.

[13]  Un divorce judiciaire n’est requis que si l’une des parties refuse de se conformer à un jugement de divorce extrajudiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[14]  À moins d’une preuve contraire, le droit étranger est présumé être le même que le droit canadien (J.P. Morgan Chase Bank c J.P. Morgan Europe Ltd., 2006 CF 409; Lakeland Bank c Never E Nuff (Navire), 2016 CF 1096). Je reconnais cependant que la SAI, contrairement à un tribunal, n’est pas tenue de se conformer aux règles strictes de la preuve.

[15]  Au Canada, la célébration d’un mariage par une personne qui n’est pas autorisée par l’État à célébrer des mariages n’est pas valide. De nombreux mariages sont valides sur les plans religieux et civil parce que le ministre est autorisé à célébrer des mariages.

[16]  Si la cérémonie a été célébrée par une personne qui n’est pas autorisée à célébrer des mariages, il est inutile d’obtenir un divorce, car il n’y a eu aucun mariage aux yeux de l’État, et ce, même s’il pouvait très bien y avoir des considérations relatives à la propriété et à la famille.

[17]  Dans le même ordre d’idées, si le mariage est valide en droit, une annulation religieuse sans divorce ne permettrait pas la célébration d’un deuxième mariage légitime.

[18]  Tous ces faits m’amènent à conclure que le dossier contenait de nombreux éléments qui allaient à l’encontre de la décision qui a été rendue. À tout le moins, des explications s’imposent en ce qui concerne les raisons pour lesquelles ces renseignements ont été rejetés (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998) 157 FTR 35).

[19]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Lors de l’audience relative au nouvel examen, il serait sage que Mme Karanja ait l’aide d’un avocat kenyan pour interpréter les points soulevés en l’espèce. Bien qu’il n’y ait apparemment rien qui empêche M. Waicigo d’obtenir maintenant le divorce auprès d’un tribunal kenyan, l’arriéré dans le traitement des demandes de parrainage est tel, qu’il pourrait s’écouler plusieurs années avant qu’une nouvelle demande soit traitée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que, pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Section pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question sérieuse à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2019.

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1360‑18

 

INTITULÉ :

PERPETUA WAMBUI KARANJA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2018

 

JUDGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

Pour la demanderesse

 

Daniel Engel

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeremiah Eastman

Avocat

Brampton (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

pour le défendeur

 

 

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